Officiellement, on en dénombre quelque trois millions de mines terrestres encore enfouies le long des frontières est et ouest du pays. Mais en réalité, estiment les experts, on en compte beaucoup plus que cela.
Les unités de déminage de l’ANP qui ont entamé dès l’année 1963 les opérations de décontamination des zones infestées de mines en tous genres (mines antipersonnel, bondissantes ou éclairantes) n’ont pu à ce jour venir à bout des 11 millions d’engins explosifs plantés entre 1956 et 1959, lors de la construction des lignes Challe et Morice. Huit millions de mines ont été neutralisées par les militaires algériens depuis l’indépendance du pays, affirme le colonel Gharabi, qui dirige les opérations de nettoiement des zones frontalières. Selon cet officier supérieur, nommé à la tête du « comité interministériel » chargé du suivi de l’application de la Convention d’Ottawa sur l’interdiction des mines (ratifiée par l’Algérie en octobre 2001, ndlr), trois millions de mines restent encore à neutraliser dans les champs identifiés par l’ANP. Un travail qui se poursuivra « jusqu’à avril 2012 », nous dit-il. Entamée en 1963, l’opération de déminage a été suspendue en 1988 pour ne reprendre que 16 ans après, soit le 27 avril 2004. La reprise de la décontamination des zones frontalières minées coïncidait avec le lancement des premières opérations de destruction du stock de mines, conformément aux dispositions de la Convention d’Ottawa dont l’Algérie a été l’un des Etats fondateurs. Plus de 150 000 mines constituant le « stock » national ont été depuis détruites par l’armée. A la cérémonie de clôture de cette opération (achevée six mois avant l’expiration du délai conventionnel), en novembre 2005, le président de la République prononçait un discours à Hassi Bahbah dans lequel il reprochait sévèrement à la France son « refus » de communiquer aux autorités algériennes la « cartographie » complète des champs de mines.
« Faux » plans, vraies mines
La réaction française interviendra deux ans après la boutade présidentielle, le 20 octobre dernier. 45 ans après l’accession de l’Algérie à son indépendance, le chef d’état-major des forces armées françaises, le général Jean-Louis Georgelin, en visite ce jour-là à Alger, a remis à son homologue algérien, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, les plans de pose des mines placées le long des lignes Challe et Morice par l’armée française entre 1956 et 1959. Cet exercice de « rattrapage » marque, selon les autorités françaises, « la volonté (de l’Etat français) de progresser pour lever les obstacles hérités du passé » et son souhait de « bâtir des relations de confiance avec l’Algérie ». A Alger, on prend acte du geste français, sans applaudir. Et officiellement, aucune réserve ni critique ne sont venues « froisser » l’initiative française. Quand bien même celle-ci prêtait largement à controverse. D’abord sur l’utilité réelle des plans remis par la partie française. Circonspect et réservé, le colonel Gharabi nous répondra que pour l’heure, il est « prématuré » de se prononcer sur le contenu et l’utilité des cartes françaises. « Nous l’espérons bien sûr, mais on le saura après exploitation. » L’événement n’en est pas un, juge de son côté un haut responsable du ministère des Moudjahidine. L’ANP qui capitalise, selon lui, une longue expérience dans le déminage et dans la « reconstitution » des plans des champs de mines a été amenée à procéder à un deuxième traitement pour certaines zones frontalières. Les mines, nous explique le responsable, sont souvent des mines légères, plantées presque en surface et qui se « déplacent » sous l’effet de l’érosion. Mme Salima Rebbah, la représentante en Algérie de Handicap International, (ONG qui supervise également l’application de la Convention d’Ottawa), soulève de son côté la même difficulté technique. Elle déclare lors de sa visite à El Tarf, effectuée samedi dernier à la tête d’une délégation de Handicap International, qu’« il ne faut pas se suffire des cartes remises par la France, car dans beaucoup de régions, les mines se sont déplacées sous l’effet de l’érosion ou des glissements de terrain ». Avant même de subir l’épreuve du terrain, les plans français, vieux d’un demi-siècle, sont déjà jugés « techniquement inutiles ». L’importance accordée à l’« événement » des deux rives de la Méditerranée est « démesurée », estime Mme Chawi, la secrétaire générale du Centre d’étude et de recherche en mouvement national et la Révolution du 1er Novembre. Ces « documents d’archives, affirme-t-elle, tombent dans le domaine public puisqu’ils ont atteint la durée "légale" de conservation ». Moins nuancé, Benlahadj Ouamar, de l’Organisation des moudjahidine (ONM), estime que « l’Etat algérien n’aurait pas dû accepter les plans ». Ces documents, souligne-t-il, n’ont à présent « aucune valeur ». « Il se pourrait même, soupçonne-t-il, qu’ils soient faux ». Il reprochera aux Français leur « réveil tardif ». Si « bonne volonté il y avait, dit-il, pourquoi n’ont-ils pas déminé ce qu’ils ont eux-même semé, comme ils l’ont fait pour d’anciennes colonies (…) ». Le « Guantanamo » de la Méditerranée
Même son de cloche chez son ex-compagnon à l’ONM, le trublion M. Bougouba, en rupture de ban avec l’organisation, depuis qu’il a révélé l’esclandre des « faux moudjahidine ». D’après lui, les plans auraient sans doute été « utiles » s’ils avaient été remis au « moment opportun ». « Ce n’est plus le cas maintenant puisque, soutient-il, les opérations de déminage sont achevées. » M. Bougouba qui a participé aux premières opérations de déminage de la frontière est — dirigées par une équipe de démineurs venue de l’ex-Union soviétique — qualifie l’annonce de la remise des « plans » de « boucan » médiatique et de « politique spectacle » à laquelle se sont adonnés les gouvernements des deux pays. Le président de l’association de défense des droits des victimes des mines, Mohamed Djouadi, y voit quant à lui un « geste de reconnaissance primaire » des crimes de la colonisation. Mais un geste qui demeure « incomplet » vu que les plans en question ne couvrent que les lignes Challe et Morice, sans indiquer l’emplacement des mines disséminées autour des villages et de la campagne algérienne. Victime à l’âge de 14 ans d’une mine antipersonnel qui l’a estropié à vie, le président de cette association basée à Biskra et présente dans 22 wilayas du pays, déclare qu’au vu du « coût humain » exorbitant des mines antipersonnel, il est du « devoir » du gouvernement français de faire œuvre de réparation pour les victimes et leurs familles. Contrairement à la position officielle qui fait que l’Etat algérien ne peut pas, selon notre interlocuteur au ministère des Moudjahidine, prendre sur lui la demande de « réparation » des préjudices physiques et moraux causés aux victimes, l’association revendique ce droit, et elle n’est pas la seule. L’Association nationale des victimes civiles de la guerre de Libération, que préside Rabah Amroun, estime que les victimes des mines antipersonnel, tout comme le sont les victimes des essais nucléaires français dans le sud algérien, ont droit à la réparation. Il s’agit, selon M. Amroun, de « crimes de guerre, non concernés par les délais de prescription ». Dans une déclaration rendue publique, l’association maintient que « toute personne qui a subi un préjudice présentant le caractère matériel d’une infraction a droit à la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne dès lors que ces faits ont entraîné la mort ou l’incapacité ».
Les unités de déminage de l’ANP qui ont entamé dès l’année 1963 les opérations de décontamination des zones infestées de mines en tous genres (mines antipersonnel, bondissantes ou éclairantes) n’ont pu à ce jour venir à bout des 11 millions d’engins explosifs plantés entre 1956 et 1959, lors de la construction des lignes Challe et Morice. Huit millions de mines ont été neutralisées par les militaires algériens depuis l’indépendance du pays, affirme le colonel Gharabi, qui dirige les opérations de nettoiement des zones frontalières. Selon cet officier supérieur, nommé à la tête du « comité interministériel » chargé du suivi de l’application de la Convention d’Ottawa sur l’interdiction des mines (ratifiée par l’Algérie en octobre 2001, ndlr), trois millions de mines restent encore à neutraliser dans les champs identifiés par l’ANP. Un travail qui se poursuivra « jusqu’à avril 2012 », nous dit-il. Entamée en 1963, l’opération de déminage a été suspendue en 1988 pour ne reprendre que 16 ans après, soit le 27 avril 2004. La reprise de la décontamination des zones frontalières minées coïncidait avec le lancement des premières opérations de destruction du stock de mines, conformément aux dispositions de la Convention d’Ottawa dont l’Algérie a été l’un des Etats fondateurs. Plus de 150 000 mines constituant le « stock » national ont été depuis détruites par l’armée. A la cérémonie de clôture de cette opération (achevée six mois avant l’expiration du délai conventionnel), en novembre 2005, le président de la République prononçait un discours à Hassi Bahbah dans lequel il reprochait sévèrement à la France son « refus » de communiquer aux autorités algériennes la « cartographie » complète des champs de mines.
« Faux » plans, vraies mines
La réaction française interviendra deux ans après la boutade présidentielle, le 20 octobre dernier. 45 ans après l’accession de l’Algérie à son indépendance, le chef d’état-major des forces armées françaises, le général Jean-Louis Georgelin, en visite ce jour-là à Alger, a remis à son homologue algérien, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, les plans de pose des mines placées le long des lignes Challe et Morice par l’armée française entre 1956 et 1959. Cet exercice de « rattrapage » marque, selon les autorités françaises, « la volonté (de l’Etat français) de progresser pour lever les obstacles hérités du passé » et son souhait de « bâtir des relations de confiance avec l’Algérie ». A Alger, on prend acte du geste français, sans applaudir. Et officiellement, aucune réserve ni critique ne sont venues « froisser » l’initiative française. Quand bien même celle-ci prêtait largement à controverse. D’abord sur l’utilité réelle des plans remis par la partie française. Circonspect et réservé, le colonel Gharabi nous répondra que pour l’heure, il est « prématuré » de se prononcer sur le contenu et l’utilité des cartes françaises. « Nous l’espérons bien sûr, mais on le saura après exploitation. » L’événement n’en est pas un, juge de son côté un haut responsable du ministère des Moudjahidine. L’ANP qui capitalise, selon lui, une longue expérience dans le déminage et dans la « reconstitution » des plans des champs de mines a été amenée à procéder à un deuxième traitement pour certaines zones frontalières. Les mines, nous explique le responsable, sont souvent des mines légères, plantées presque en surface et qui se « déplacent » sous l’effet de l’érosion. Mme Salima Rebbah, la représentante en Algérie de Handicap International, (ONG qui supervise également l’application de la Convention d’Ottawa), soulève de son côté la même difficulté technique. Elle déclare lors de sa visite à El Tarf, effectuée samedi dernier à la tête d’une délégation de Handicap International, qu’« il ne faut pas se suffire des cartes remises par la France, car dans beaucoup de régions, les mines se sont déplacées sous l’effet de l’érosion ou des glissements de terrain ». Avant même de subir l’épreuve du terrain, les plans français, vieux d’un demi-siècle, sont déjà jugés « techniquement inutiles ». L’importance accordée à l’« événement » des deux rives de la Méditerranée est « démesurée », estime Mme Chawi, la secrétaire générale du Centre d’étude et de recherche en mouvement national et la Révolution du 1er Novembre. Ces « documents d’archives, affirme-t-elle, tombent dans le domaine public puisqu’ils ont atteint la durée "légale" de conservation ». Moins nuancé, Benlahadj Ouamar, de l’Organisation des moudjahidine (ONM), estime que « l’Etat algérien n’aurait pas dû accepter les plans ». Ces documents, souligne-t-il, n’ont à présent « aucune valeur ». « Il se pourrait même, soupçonne-t-il, qu’ils soient faux ». Il reprochera aux Français leur « réveil tardif ». Si « bonne volonté il y avait, dit-il, pourquoi n’ont-ils pas déminé ce qu’ils ont eux-même semé, comme ils l’ont fait pour d’anciennes colonies (…) ». Le « Guantanamo » de la Méditerranée
Même son de cloche chez son ex-compagnon à l’ONM, le trublion M. Bougouba, en rupture de ban avec l’organisation, depuis qu’il a révélé l’esclandre des « faux moudjahidine ». D’après lui, les plans auraient sans doute été « utiles » s’ils avaient été remis au « moment opportun ». « Ce n’est plus le cas maintenant puisque, soutient-il, les opérations de déminage sont achevées. » M. Bougouba qui a participé aux premières opérations de déminage de la frontière est — dirigées par une équipe de démineurs venue de l’ex-Union soviétique — qualifie l’annonce de la remise des « plans » de « boucan » médiatique et de « politique spectacle » à laquelle se sont adonnés les gouvernements des deux pays. Le président de l’association de défense des droits des victimes des mines, Mohamed Djouadi, y voit quant à lui un « geste de reconnaissance primaire » des crimes de la colonisation. Mais un geste qui demeure « incomplet » vu que les plans en question ne couvrent que les lignes Challe et Morice, sans indiquer l’emplacement des mines disséminées autour des villages et de la campagne algérienne. Victime à l’âge de 14 ans d’une mine antipersonnel qui l’a estropié à vie, le président de cette association basée à Biskra et présente dans 22 wilayas du pays, déclare qu’au vu du « coût humain » exorbitant des mines antipersonnel, il est du « devoir » du gouvernement français de faire œuvre de réparation pour les victimes et leurs familles. Contrairement à la position officielle qui fait que l’Etat algérien ne peut pas, selon notre interlocuteur au ministère des Moudjahidine, prendre sur lui la demande de « réparation » des préjudices physiques et moraux causés aux victimes, l’association revendique ce droit, et elle n’est pas la seule. L’Association nationale des victimes civiles de la guerre de Libération, que préside Rabah Amroun, estime que les victimes des mines antipersonnel, tout comme le sont les victimes des essais nucléaires français dans le sud algérien, ont droit à la réparation. Il s’agit, selon M. Amroun, de « crimes de guerre, non concernés par les délais de prescription ». Dans une déclaration rendue publique, l’association maintient que « toute personne qui a subi un préjudice présentant le caractère matériel d’une infraction a droit à la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne dès lors que ces faits ont entraîné la mort ou l’incapacité ».
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