En dépit des dénégations répétées du secrétaire au Trésor américain, Henry Paulson, déclarant qu'un « dollar fort est dans l'intérêt des Etats-Unis », le billet vert ne cesse de se déprécier sur le marché des changes. L'euro, sa principale victime avec la livre Sterling, le dollar canadien ou australien, vole de record en record. Et le cap de 1,50 dollar se profile déjà à l'horizon. Si certains responsables politiques, en particulier français, et de nombreux chefs d'entreprise européens s'alarment de cet envol, la glissade de la monnaie américaine est pourtant inscrite dans l'agenda de la politique économique internationale depuis de nombreuses années. Au plus haut niveau, c'est-à-dire dans les instances du G7 Finances rassemblant les ministres des Finances et les gouverneurs de Banque centrale des sept pays les plus industrialisés, mais aussi au sein du Fonds monétaire international (FMI). Pour eux, la réorganisation « ordonnée » des taux de change est vivement souhaitée, sinon encouragée.
La principale raison de cette stratégie internationale est à rechercher du côté des déséquilibres des balances des paiements. C'est un sujet d'inquiétude majeur qui n'a cessé d'enfler ces dix dernières années. En effet, d'un côté, les Etats-Unis, première puissance économique mondiale portée par un appétit de consommation effréné, ont enregistré en 2006, selon les statistiques du FMI, un déficit de leur balance commerciale de plus de 6 % de leur PIB. Du jamais-vu. De l'autre, les pays asiatiques, Japon et Chine en particulier, ne cessent d'engranger des surplus. Pour la même année, l'excédent commercial japonais a culminé à 3,9 % de son PIB, tandis que celui de la Chine s'est élevé à... 9,4 % de son PIB. Les recettes pétrolières des pays producteurs ajoutent aux déséquilibres. L'excédent commercial russe a ainsi atteint 7,6 % du PIB, et celui de l'Arabie saoudite... 27,4 %. La zone euro, quant à elle, a affiché des échanges équilibrés. Ni surplus ni déficit. Aux yeux du FMI et du G7, indépendamment des récriminations françaises, la monnaie unique européenne est donc correctement évaluée. Mais, pour résorber le déficit commercial américain, un fort recul du dollar est nécessaire. Même si, aux yeux des grands argentiers, il ne sera pas suffisant.
Dans ses dernières perspectives économiques, publiées mi-octobre à Washington, le FMI souligne un début de redressement des échanges américains, avéré par les statistiques du département du Commerce. Pour les huit premiers mois de l'année 2007, le déficit commercial des Etats-Unis s'est chiffré à 471,8 milliards de dollars (325 milliards d'euros), contre 517,4 milliards de dollars pour la même période de 2006. Ce léger mieux est dû à un début de redressement des exportations américaines. Rien qu'au troisième trimestre de cette année, les ventes à l'étranger des Etats-Unis ont bondi de 16,2 %. En moyenne mensuelle, les exportations sont passées d'un rythme de 120 milliards de dollars en 2006 à 131 milliards sur les huit premiers mois de 2007. Déjà en 2005, où la valeur moyenne de l'euro s'était établie autour de 1,25 dollar, la moyenne mensuelle des exportations américaines évoluait à 107 milliards de dollars. Néanmoins, la progression des importations, due notamment à l'alourdissement de la facture pétrolière, n'a permis qu'une légère amélioration de la balance commerciale américaine. Toujours déficitaire, celle-ci continue d'exercer une pression à la baisse sur le billet vert.
Un autre mouvement agit dans le même sens : les flux d'investissements directs étrangers (IDE). Compte tenu de la faiblesse chronique du dollar, on aurait pu s'attendre à ce que les effets de change encouragent une vague d'investissements étrangers (IDE) aux Etats-Unis. Disposant d'un pouvoir d'achat renforcé, les entreprises de la zone euro ou de Grande-Bretagne auraient pu être tentées de s'implanter outre-Atlantique ou d'y racheter des compagnies. Il n'en est pourtant rien. En 2000, alors qu'on commençait à évoquer un euro faible, l'Europe a investi 251 milliards de dollars aux Etats-Unis au titre des IDE. En 2006, le chiffre ne s'est élevé qu'à... 122 milliards de dollars. Sur les six premiers mois de l'année, 12,1 milliards de dollars seulement ont été comptabilisés. Parallèlement, les IDE américains vers l'Europe se sont élevés, durant ces trois périodes, respectivement à 77, 127 et 85 milliards de dollars. Bref, depuis 2006, les capitaux ont tendance à sortir des Etats-Unis vers l'Europe. Cette tendance se vérifie au niveau global. Sur le premier semestre 2007, les statistiques officielles américaines font état d'une entrée d'IDE de 85 milliards de dollars pour une sortie de 150 milliards de dollars. Ajoutons à cela une balance des comptes courants déficitaire depuis 1989, les flux financiers jouent clairement en défaveur du billet vert. Son redressement, outre qu'il ne s'inscrit pas dans la stratégie monétaire internationale, va vraisemblablement se faire désirer.
A court terme, la monnaie américaine a toutes les chances de s'affaiblir encore. Les effets de la crise du marché immobilier aux Etats-Unis devraient se faire sentir encore pendant plusieurs mois, selon les analystes. La croissance américaine va nécessairement ralentir. Pour éviter toute récession, la Réserve fédérale n'a pas hésité à assouplir sa politique monétaire. Ce faisant, la réduction de l'écart de taux d'intérêt entre les Etats-Unis et l'Europe - la Banque centrale européenne n'ayant pas emboîté le pas à son homologue américaine - contribue à la baisse du dollar. Sans un message fort des grands argentiers mondiaux pour enrayer cette glissade, le billet vert n'a aucune raison d'inverser sa tendance.
En réalité, le problème ne se situe pas sur ce plan. Du point de vue des ministres des Finances du G7 et du FMI, c'est plutôt la sous-évaluation des monnaies asiatiques, en particulier le yuan, mais aussi le yen, qui est en cause. Pour réduire les déséquilibres commerciaux actuels, le Japon et la Chine sont fortement invités à stimuler leur consommation intérieure et à ne plus asseoir leur croissance sur leurs seules exportations. Pour ce faire, rien de mieux que de laisser sa monnaie s'apprécier. Pour la Chine, outre le fait qu'il permettrait de comprimer les exportations du pays tout en limitant les problèmes d'inflation importée, le renchérissement du yuan conduirait les Chinois à acheter plus de marchandises américaines et européennes. Un scénario qui vaut aussi pour le Japon. S'il s'avérait, le déficit commercial américain se réduirait sans doute. Et le dollar pourrait alors commencer à se redresser.
RICHARD HIAULT est chef du service étranger aux « Echos »
La principale raison de cette stratégie internationale est à rechercher du côté des déséquilibres des balances des paiements. C'est un sujet d'inquiétude majeur qui n'a cessé d'enfler ces dix dernières années. En effet, d'un côté, les Etats-Unis, première puissance économique mondiale portée par un appétit de consommation effréné, ont enregistré en 2006, selon les statistiques du FMI, un déficit de leur balance commerciale de plus de 6 % de leur PIB. Du jamais-vu. De l'autre, les pays asiatiques, Japon et Chine en particulier, ne cessent d'engranger des surplus. Pour la même année, l'excédent commercial japonais a culminé à 3,9 % de son PIB, tandis que celui de la Chine s'est élevé à... 9,4 % de son PIB. Les recettes pétrolières des pays producteurs ajoutent aux déséquilibres. L'excédent commercial russe a ainsi atteint 7,6 % du PIB, et celui de l'Arabie saoudite... 27,4 %. La zone euro, quant à elle, a affiché des échanges équilibrés. Ni surplus ni déficit. Aux yeux du FMI et du G7, indépendamment des récriminations françaises, la monnaie unique européenne est donc correctement évaluée. Mais, pour résorber le déficit commercial américain, un fort recul du dollar est nécessaire. Même si, aux yeux des grands argentiers, il ne sera pas suffisant.
Dans ses dernières perspectives économiques, publiées mi-octobre à Washington, le FMI souligne un début de redressement des échanges américains, avéré par les statistiques du département du Commerce. Pour les huit premiers mois de l'année 2007, le déficit commercial des Etats-Unis s'est chiffré à 471,8 milliards de dollars (325 milliards d'euros), contre 517,4 milliards de dollars pour la même période de 2006. Ce léger mieux est dû à un début de redressement des exportations américaines. Rien qu'au troisième trimestre de cette année, les ventes à l'étranger des Etats-Unis ont bondi de 16,2 %. En moyenne mensuelle, les exportations sont passées d'un rythme de 120 milliards de dollars en 2006 à 131 milliards sur les huit premiers mois de 2007. Déjà en 2005, où la valeur moyenne de l'euro s'était établie autour de 1,25 dollar, la moyenne mensuelle des exportations américaines évoluait à 107 milliards de dollars. Néanmoins, la progression des importations, due notamment à l'alourdissement de la facture pétrolière, n'a permis qu'une légère amélioration de la balance commerciale américaine. Toujours déficitaire, celle-ci continue d'exercer une pression à la baisse sur le billet vert.
Un autre mouvement agit dans le même sens : les flux d'investissements directs étrangers (IDE). Compte tenu de la faiblesse chronique du dollar, on aurait pu s'attendre à ce que les effets de change encouragent une vague d'investissements étrangers (IDE) aux Etats-Unis. Disposant d'un pouvoir d'achat renforcé, les entreprises de la zone euro ou de Grande-Bretagne auraient pu être tentées de s'implanter outre-Atlantique ou d'y racheter des compagnies. Il n'en est pourtant rien. En 2000, alors qu'on commençait à évoquer un euro faible, l'Europe a investi 251 milliards de dollars aux Etats-Unis au titre des IDE. En 2006, le chiffre ne s'est élevé qu'à... 122 milliards de dollars. Sur les six premiers mois de l'année, 12,1 milliards de dollars seulement ont été comptabilisés. Parallèlement, les IDE américains vers l'Europe se sont élevés, durant ces trois périodes, respectivement à 77, 127 et 85 milliards de dollars. Bref, depuis 2006, les capitaux ont tendance à sortir des Etats-Unis vers l'Europe. Cette tendance se vérifie au niveau global. Sur le premier semestre 2007, les statistiques officielles américaines font état d'une entrée d'IDE de 85 milliards de dollars pour une sortie de 150 milliards de dollars. Ajoutons à cela une balance des comptes courants déficitaire depuis 1989, les flux financiers jouent clairement en défaveur du billet vert. Son redressement, outre qu'il ne s'inscrit pas dans la stratégie monétaire internationale, va vraisemblablement se faire désirer.
A court terme, la monnaie américaine a toutes les chances de s'affaiblir encore. Les effets de la crise du marché immobilier aux Etats-Unis devraient se faire sentir encore pendant plusieurs mois, selon les analystes. La croissance américaine va nécessairement ralentir. Pour éviter toute récession, la Réserve fédérale n'a pas hésité à assouplir sa politique monétaire. Ce faisant, la réduction de l'écart de taux d'intérêt entre les Etats-Unis et l'Europe - la Banque centrale européenne n'ayant pas emboîté le pas à son homologue américaine - contribue à la baisse du dollar. Sans un message fort des grands argentiers mondiaux pour enrayer cette glissade, le billet vert n'a aucune raison d'inverser sa tendance.
En réalité, le problème ne se situe pas sur ce plan. Du point de vue des ministres des Finances du G7 et du FMI, c'est plutôt la sous-évaluation des monnaies asiatiques, en particulier le yuan, mais aussi le yen, qui est en cause. Pour réduire les déséquilibres commerciaux actuels, le Japon et la Chine sont fortement invités à stimuler leur consommation intérieure et à ne plus asseoir leur croissance sur leurs seules exportations. Pour ce faire, rien de mieux que de laisser sa monnaie s'apprécier. Pour la Chine, outre le fait qu'il permettrait de comprimer les exportations du pays tout en limitant les problèmes d'inflation importée, le renchérissement du yuan conduirait les Chinois à acheter plus de marchandises américaines et européennes. Un scénario qui vaut aussi pour le Japon. S'il s'avérait, le déficit commercial américain se réduirait sans doute. Et le dollar pourrait alors commencer à se redresser.
RICHARD HIAULT est chef du service étranger aux « Echos »
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