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Les enjeux de l’Union méditerranéenne

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  • Les enjeux de l’Union méditerranéenne

    Le Cercle pour l’action et la réflexion autour de l’entreprise (Care), dirigé par Samir Hamouda, a organisé, le 3 novembre à l’hôtel Sofitel à Alger, un débat sur «Les enjeux de l’Union méditerranéenne». Il accueille pour l’occasion, le Cercle des économistes français, dirigé par Jean-Louis Lorenzi. La manifestation est coorganisée avec le Centre de recherche en économie appliquée et développement (Cread) et le quotidien El Khabar. Pour discuter du projet lancé par le nouveau président français, ont été invités, entre autres, Mouloud Hamrouche et Smaïl Hamdani, anciens chefs de gouvernement, et Hubert Védrine, ancien ministre socialiste des Affaires étrangères français.

    Tout a commencé avec la volonté du président français de lancer une initiative sur l’Union méditerranéenne. Nicolas Sarkozy, soucieux du court et moyen termes et de la conjoncture géopolitique actuelle, lance, dès son élection le 6 mai 2007, «un appel à tous les peuples de la Méditerranée pour leur dire que c’est en Méditerranée que tout se joue et que nous devons surmonter toutes les haines pour laisser la place à un grand rêve de paix et de civilisation». L’idée est de faire contrepoids à l’Europe du Nord avec sa religion du marché, son univers le plus ouvert possible. Les intérêts économiques cimentent les pays d’Europe du Nord. D’influences anglo-saxonnes, ils sont pro-atlantiques. On invente alors le concept d’Europe du Sud où les pays sont beaucoup plus favorables à une intégration politique. La Méditerranée riche, celle de l’Union européenne, pèse plus de 15% dans le commerce mondial; la Méditerranée pauvre, celle des pays du Sud et de l’Est, moins de 3%. En termes de produit national brut par habitant, la Méditerranée européenne pèse cinq fois plus que l’ensemble des Psem. Aujourd’hui, la croissance annuelle de la population des pays de l’Arc latin se situe entre 0 et 0,5% alors que celle de la plupart des Psem se situe entre 2,5 et 3%. L’Union européenne a demandé à Sarkozy de clarifier son initiative afin qu’elle ne heurte pas le processus euroméditerranéen de Barcelone (lancé en 1995) et la politique de voisinage européenne (PEV). Alger, Rabat et Tunis sont, sur le principe, favorables au projet de la France.

    «A quelles conditions peut-on créer une union méditerranéenne?», «Zone de libre-échange ou projet politique?», «Quels instruments de développement pour une Union méditerranéenne?», «Quelles allocations de ressources au sein de l’Union méditerranéenne?» Autant de questions qui ont été débattues sans pour autant aboutir à quelque chose de palpable.

    L’Europe a aussi besoin du Sud

    Lors de ce débat, les intervenants du côté français faisaient preuve de conviction alors que les Algériens demeuraient sceptiques. Deux interventions remarquables ont retenu notre attention: celle de Abderrahmane Hadj Nacer, ancien gouverneur de la Banque centrale et celle de Jean-Louis Guigou. A leur façon, ils ont été sincères dans la manière de poser les termes du débat. Pour Abderrahmane Hadj Nacer, cette proposition d’union ne repose sur rien de concret, beaucoup de bonnes intentions; il rappelle que le chancelier Kohl avait maintes fois demandé au président Mitterrand d’aller avec lui à Alger. «Ce n’est pas le moment». On n’a pas cessé de dire qu’au Sud, on n’est pas prêt et qu’on demande trop d’argent. C’est pourtant ce même Sud qui place 100 milliards d’euros d’épargne en Europe et aux Etats-Unis. Et ce même Sud qui a des IDE, 7 milliards d’euros au Nord. Le paradoxe est qu’ on exporte de l’argent et dans le même temps on demande aux autres investisseurs de venir investir. Il pense -à juste titre, le croyons-nous- que ce qui intéresse le Nord c’est de faire la police pour freiner la migration vers le Nord et d’assurer sa sécurité énergétique. Par ailleurs, enfin, il pense que l’Algérie a perdu, ces dernières années, 450.000 cadres, la moitié de ce contingent s’est installée en France. Est-ce cela l’Union méditerranéenne?

    «L’Union méditerranéenne est inévitable», a proclamé, de son côté, Jean-Louis Guigou, délégué général de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (IPEMed). Mettant le doigt sur la véritable plaie de l’Europe, l’hiver démographique, il a souligné que la population du Vieux Continent va se réduire de 80 millions d’habitants vers 2040. «On va devenir trop vieux, trop faibles...», a-t-il dit. Additionnant les populations des deux rives de la Méditerranée, il a appuyé: «A 900 millions d’âmes, on va peser.» L’Europe vieillit, elle perdra 80 millions d’ici 2040. Elle a besoin du Sud.

    Pour Abdelaziz Rahabi, ancien ministre, le volet culturel et humain, ignoré par le processus de Barcelone, n’est pas présent dans le projet de l’Union méditerranéenne. «On ne parle que de finances et d’économie», a-t-il remarqué. Nicolas Sarkozy avait déclaré être «intransigeant» avec la sécurité d’Israël et «attentif» aux préoccupations des Palestiniens. Philippe Fontaine Vive, président de la Banque européenne d’investissement (BEI), parle d’une «une chance unique».

    Au plan stratégique, le responsable de la BEI a pris l’exemple du volume des investissements directs (IDE) pour souligner une certaine carence: avec leur Sud, les Etats-Unis réalisent 18% d’IDE, le Japon 27%, la France et l’Allemagne réunies 2%. On a fait le plein à l’Est, il faut qu’on aille vers le Sud. Mourad Boukella, chercheur au Cread, a plaidé pour l’économie du savoir. Pour lui cela passe par la refonte totale du système éducatif.

    «Mon propos est marqué par le désenchantement», dixit Mohammed Hachmaoui professeur à Sciences politiques à Paris. Pour lui, l’absence de référence à la démocratie dans le projet de l’Union méditerranéenne a suscité d’autres questionnements. Selon lui, l’Europe a toujours soutenu la stabilité des régimes du Sud. «L’enjeu sécuritaire des régimes du Sud, coûte que coûte, supplante la légitimité démocratique». Il fait remarquer que le déficit de représentation politique génère l’exclusion et alimente les extrémismes. Il rejoint ainsi et d’une autre façon les propos de Hubert Védrine, ancien ministre socialiste des Affaires étrangères qui a qualifié «d’appels creux» les demandes faites à propos du respect des règles démocratiques et des droits humains. «Cela n’a pas de résultats. Chaque pays évolue selon son rythme. L’essentiel est d’avoir des projets concrets. Des projets faits en commun pour éviter le paternalisme des initiatives européennes». En clair, il n’y aura plus d’hypocrisie, le Nord ne tentera pas de prôner la bonne parole des droits de l’Homme, ce qui l’intéresse, c’est de faire des affaires, assurer sa sécurité énergétique et freiner les migrations des hordes du Sud.

    Pour rappel, le défunt Processus de Barcelone a souffert au tout premier plan d’un manque de volonté d’engagement de chacun des partenaires qu’ils soient du Nord ou du Sud, même si le Nord a tenu son rôle au plan financier, certains déplorent la faiblesse des investissements par rapport aux pays de l’Est. De même, la multiplication des initiatives en Méditerranée, tel le Dialogue «5+5» créé en 1990, réunissant 5 pays du»Nord» (Espagne, France, Italie, Malte, Portugal) et 5 pays du «Sud» (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie, Tunisie) qui constitue une enceinte informelle de dialogue, et le «Forum méditerranéen» (créé en 1994), la mise en place en 2004 de la «Politique européenne de voisinage» (PEV) tend à annuler la spécificité du Partenariat Euromed.

    Il n’est pas étonnant que cette initiative ait été perçue avec scepticisme, notamment en Allemagne et au Royaume-Uni, où l’on s’interroge publiquement sur la cohérence et la valeur ajoutée de ce projet avec le programme Euromed et le processus de Barcelone. On comprend bien, dans les chancelleries, la tentation de Nicolas Sarkozy de «reprendre la main» en Europe et d’instrumentaliser diverses questions de politique étrangère, notamment les liens avec le Maghreb, à des fins de popularité intérieure. Il n’en demeure pas moins que cet activisme soulève un certain nombre de questions, au moment où les Européens se sont accordés, lors du Conseil européen de Bruxelles, sur le principe d’une «diplomatie à une tête»: la France, par ses méthodes unilatérales, est-elle vraiment prête à «jouer le jeu» de l’intégration, ou veut-elle seulement mettre les moyens (notamment financiers) de l’Union au service de ses ambitions propres?

  • #2
    Dans un rapport récent, Hubert Védrine donne sa vision de l’Union méditerranéenne «Notre capacité d’écoute, écrit Hubert Védrine, est insuffisante. Il sera de plus en plus difficile de décider entre nous seuls si nous devons conserver une politique arabe, une politique africaine, et laquelle, sans en parler avec les intéressés et sans les écouter longuement. L’idée "d’Union de la Méditerranée", avancée par le président Sarkozy, est dans son principe un progrès, quelle que soit son issue: plutôt qu’une politique de l’Union européenne pour les Méditerranéens, des projets élaborés entre eux par les Méditerranéens».(1)(2)

    «L’Europe qui freine des quatre fers à la frontière turque envisage allègrement l’intégration de l’Ukraine et de la Moldavie...En termes diplomatiques, il est dit aux pays de l’UMA, vous ne serez jamais que des voisins, une banlieue difficile d’une métropole prospère.» C’est ainsi que s’exprimait Habib Boularès S.G. de l’UMA. Dans un article du 23 juillet dans ce même journal nous écrivions «Le Maghreb n’a pas besoin de cette Union, il a besoin qu’on l’aide à, d’abord, réaliser l’Union dans ses rangs d’une façon apaisée sans interférence néfaste. Imaginons l’utopie suivante: une union maghrébine avec un territoire de plus de 5 millions de km² fort d’une population actuelle de 80 millions d’habitants avec une jeunesse exubérante dont l’horizon ne sera pas la fuite du pays. Une intelligentsia avec plusieurs centaines de milliers de diplômés par an, un territoire riche en énergie fossile et avec le plus grand gisement solaire, à telle enseigne qu’une étude allemande affirme très sérieusement que le Sahara peut alimenter l’Europe d’une façon permanente en énergie électrique à partir du solaire et enfin une agronomie multiforme avec, par-dessus tout, une identité culturelle et cultuelle commune forgée par l’histoire. Malgré tous ces atouts, le Maghreb peine à se déployer. Cherchez l’erreur! Elle est autant en nous que par suite des manoeuvres de cette Europe qui, après en avoir tiré le meilleur de nos pays respectifs, de notre sang, de nos bras pour sa reconstruction après la Seconde Guerre mondiale, ne nous fait même pas crédit d’une quelconque reconnaissance sans aller, on l’aura compris, à la repentance. Au contraire, elle veut choisir ceux d’entre nous qui ont de bons neurones...»(3)

    «Pour nous, cette Union européenne est vouée à l’échec. Dernièrement, l’Algérie a été félicitée à Bruxelles pour avoir rassuré l’Europe sur son intention de maintenir ses engagements en termes de ravitaillement en énergie. A-t-on parlé une seule fois de l’aide de l’Europe pour la mise en place d’une politique énergétique algérienne, voire maghrébine sur le long terme grâce notamment à l’électronucléaire? A-t-on parlé d’un Plan Marshall pour les universités algériennes? Il nous faut en toute transparence adosser chaque calorie exportée à un investissement du partenaire Europe dans le domaine de la science et de la recherche. Il y va de l’intérêt de l’Europe d’avoir un Maghreb développé qui sera producteur de richesse et qui frappera à la porte du supermarché européen en tant que partenaire à part entière. Si, réellement, c’est le souhait de l’Europe dans son ensemble, on comprendrait sans peine la phrase du président Sarkozy pour qui "l’avenir de l’Europe se joue en Méditerranée" et la phrase de Fernand Braudel: "La Méditerranée n’est pas une frontière, mais un pont", prendrait, alors, sa pleine signification».(3)

    Union à la carte

    La conclusion que nous tirons du débat est que ce que veut la France est une Union méditerranéenne à la carte, chacun s’inscrit pour les projets qui l’intéresse, elle serait, selon l’expression de plusieurs intervenants du Care, une «Union méditerranéenne à la carte», une sorte «d’auberge espagnole» où on déjeune avec ce que l’on a ramené avec soi. Globalement, les experts algériens sont restés sur leur faim, à tort ou à raison, ils ne voient pas trop comment tout cela va «se goupiller». Les experts du Care ont parlé du sommet de juin 2008, le président français invitera les chefs d’Etat de la rive Sud et leur proposera des projets et c’est à chacun de se déterminer. Plus question d’une Union politique, l’économique et le sécuritaire avant tout; fini les envolées lyriques sur la fraternité de Mare Nostrum.
    Jacques Berque, soucieux du long terme et de l’épreuve du temps, n’appelle pas «à d’indésirables fusions». Il appelle surtout «à des champs de signification qui ne soient pas si brutalement déconcentrés, mais coïncident avec nos paysages héréditaires». Il appelle, enfin, «à des Andalousies toujours recommencées, dont nous portons en nous à la fois les décombres amoncelés et l’inlassable espérance».(4). Cette «utopie créatrice» dont avait rêvé Jacques Berque jusqu’à sa mort en 1995, nous voulons tant y croire. Puisse l’avenir nous permettre de concrétiser cette aspiration.

    1.Hubert Vedrine: La France et la Mondialisation. Rapport au président de la République française. septembre 2007
    2.Hubert Védrine: «5+5=32. Feuille de route pour une union méditerranéenne» Ed..Perrin 2007.
    3.C.E.Chitour: L’Union méditerranéenne Chimère ou utopie? L’Expression 23 Juillet 2007.
    4.Jacques Berque: Andalousies Sindbad, pp.42-43, 1981.

    Par C.E.Chitour, L'Expression

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