De la faiblesse de l’OLP, de la sincérité d’Israël
Jean-François Legrain
CNRS/Centre d'Études et de Recherches sur le Moyen-Orient Contemporain (CERMOC), Amman.
Auteur de Les Voix du soulèvement, Le Caire, CEDEJ (BP 494, Dokki), 1991.
A la veille de l'annonce spectaculaire de l'imminence d'une reconnaissance mutuelle entre l'État d'Israël et l'OLP, et de la signature d'un accord d'autonomie sur "Gaza-Jéricho d’abord", le constat que l'on pouvait dresser de la situation palestinienne tournait alors autour de trois idées forces:
1 - Mort de l'intifada. D'un mouvement de masse qui s'était donné pour champ géographique l'ensemble des Territoires occupés en 67 mais pas au-delà, et qui s'était auto-limité dans l'utilisation de la violence ("révolte des pierres"), on était, en effet, passé à une violence exercée par de petits commandos de guérilla, échappant pour la plupart au contrôle des états-majors politiques, ou par des individus désespérés, en Israël dans bien des cas et à l'aide d'armes à feu et d'armes blanches. La désobéissance civile, coeur politique du soulèvement, n'était plus qu'un mythe: les policiers et fonctionnaires palestiniens n'avaient certes pas repris leur démission, mais les files d'attente devant les bureaux de l'administration "civile" étaient la preuve manifeste du renforcement de l'emprise de l'occupant via l'allongement de la liste des actes de la vie quotidienne sujets à autorisation préalable; la consommation des produits israéliens avait repris. L'intifada se trouvait ainsi piégée entre un sentiment de défaite et une routine absurde de symboles vidés de tout sens: alors que tout le monde s'accordait sur l'inefficacité politique de la grève générale dans les conditions du moment comme sur les ravages économiques qu'elle entraînait, personne n'était en mesure de mettre fin à ce mode de mobilisation qui, en effet, avait constitué l'une des premières manifestations massives de la rupture avec l'occupation normalisée. Dans un tel contexte, il fallait bien parler de mort de l'intifada au sens politique du terme, mort dont le signe clinique le plus décisif était apparu dès la Guerre du Golfe. En remettant leur sort entre les mains de Saddam Hussein, en effet, les Palestiniens avaient renoncé à parvenir à un règlement politique de leur sort tel que le soulèvement le revendiquait; ils renouaient ainsi non pas avec le modèle de libération immédiatement antérieur à l'intifada, là où les Palestiniens eux-mêmes étaient censés mener leur propre combat politique et militaire, mais avec le modèle éculé des années 50-70 durant lesquelles ils s'étaient abandonnés entre les mains des régimes arabes.
2 - Multiplication et aggravation des crises de l'OLP. La vague récente de défections a servi de révélateur à la profondeur de la crise des instances dirigeantes de l'extérieur. Tous les démissionnaires, plus ou moins ouvertement, dénonçaient le mépris affiché par Yasser Arafat envers les structures institutionnelles de l'OLP qui n'étaient plus réunies ou, convoquées, n'étaient appelées qu'à entériner des décisions. Depuis les assassinats d'Abou Jihad en avril 88 et d'Abou Iyad en janvier 91, ses compagnons de combat fondateurs du Fatah, Arafat agissait seul, entouré de quelques rares conseillers, Abou Mazen, Yasser Abd Rabbo, Nabil Chaath et Abou Ala. Les critiques internes ébranlaient la cohésion de l'édifice sans toutefois amener le président à opérer de profondes réformes de fonctionnement de sa centrale. L'opposition hostile au processus de paix, pour sa part, s'était certes regroupée à 10 organisations mais se montrait incapable de se trouver une cohérence, éclatée entre ceux qui contestaient la seule forme des négociations et ceux qui en refusaient la légitimité de principe, entre les forces laïques et marxistes, d'une part, et les islamistes de l'autre.
Dans les Territoires occupés, l'OLP connaissait un quasi effondrement de ses structures, clandestines comme officielles. "Coalition de combat" des 4 plus grandes organisations membres de l'OLP constituée début 1988 à l'initiative de militants de l'intérieur de second rang, le Commandement national unifié du soulèvement (CNU) avait su donner corps à la revendication populaire de contestation immédiate et générale de l'occupation; depuis la guerre du Golfe, ses activités se réduisaient à la publication mensuelle d'un communiqué de mobilisation, ne suscitant plus aucun intérêt ni auprès de la population qui n'observait qu'à contrecœur son calendrier de grèves, ni auprès des autorités israéliennes qui, depuis belle lurette déjà, ne daignaient même plus chercher à le démembrer.
L'ensemble de l'appareil institutionnel public de l'OLP (presse, universités, hôpitaux, associations de bienfaisance, etc.) se trouvait, par ailleurs, en situation de cessation de paiement suite aux réductions drastiques de financement en provenance de l'extérieur. L'appareil politique de l'intérieur (mis à part le parti du peuple ex-communiste) connaissait également une crise due à l'incapacité de ses membres, émanations d'organisations de guérilla à l'origine, à se transformer en véritables partis politiques, alors même que la lutte armée était devenue un mythe, limitée à quelques opérations ponctuelles dont la légitimité par rapport à la politique générale de l'OLP à obtenir libération de la Palestine par les moyens diplomatiques n'avait jamais été éclaircie. Deux timides tentatives, au Fath avec les "Comités d'action politique" et au FDLP-Abd Rabbo, ont eu lieu sans cependant déboucher sur une prise en main des anciennes structures.
La seule réussite de l'OLP de l'intérieur avait été la mise en place, à l'initiative de Sari Nusseibeh, de "Comités techniques" dans le cadre desquels plus de 400 personnes, engagées, pour la plupart à titre bénévole, au titre de leur seule compétence professionnelle individuelle, travaillaient sur tous les dossiers techniques (électricité, routes, eau, santé, éducation, logement, etc.) en vue de l'autonomie; devenus les interlocuteurs des États dans leur coopération, ils servaient également de bureaux d'étude pour les délégués aux négociations multilatérales. Confinés dans leur domaine d'expertise et leurs réseaux internationaux, ils échouaient cependant à se forger une forte légitimité au sein de la population plus que réticente à l'idée d'autonomie.
Les tensions au sein de la délégation palestinienne, enfin, depuis de longs mois déjà débordaient dans le domaine public. Une hétérogénéité de départ - notables survivant d'un autre temps, politiques organiques sans légitimité populaire et personnalités respectées- n'avait fait, en l'absence de concertation institutionnelle, qu'approfondir les divergences de fond, débouchant sur 1 - un rapide abandon de leur participation par les notables; 2 - le gel de la participation puis le retrait des communistes; 3 - la tension politique et personnelle des "têtes médiatiques" entre elles d'une part, et entre elles et Yasser Arafat d'autre part, dont les méthodes de travail se trouvaient publiquement dénoncées par la démission de trois de ses plus fidèles lieutenants.
Jean-François Legrain
CNRS/Centre d'Études et de Recherches sur le Moyen-Orient Contemporain (CERMOC), Amman.
Auteur de Les Voix du soulèvement, Le Caire, CEDEJ (BP 494, Dokki), 1991.
A la veille de l'annonce spectaculaire de l'imminence d'une reconnaissance mutuelle entre l'État d'Israël et l'OLP, et de la signature d'un accord d'autonomie sur "Gaza-Jéricho d’abord", le constat que l'on pouvait dresser de la situation palestinienne tournait alors autour de trois idées forces:
1 - Mort de l'intifada. D'un mouvement de masse qui s'était donné pour champ géographique l'ensemble des Territoires occupés en 67 mais pas au-delà, et qui s'était auto-limité dans l'utilisation de la violence ("révolte des pierres"), on était, en effet, passé à une violence exercée par de petits commandos de guérilla, échappant pour la plupart au contrôle des états-majors politiques, ou par des individus désespérés, en Israël dans bien des cas et à l'aide d'armes à feu et d'armes blanches. La désobéissance civile, coeur politique du soulèvement, n'était plus qu'un mythe: les policiers et fonctionnaires palestiniens n'avaient certes pas repris leur démission, mais les files d'attente devant les bureaux de l'administration "civile" étaient la preuve manifeste du renforcement de l'emprise de l'occupant via l'allongement de la liste des actes de la vie quotidienne sujets à autorisation préalable; la consommation des produits israéliens avait repris. L'intifada se trouvait ainsi piégée entre un sentiment de défaite et une routine absurde de symboles vidés de tout sens: alors que tout le monde s'accordait sur l'inefficacité politique de la grève générale dans les conditions du moment comme sur les ravages économiques qu'elle entraînait, personne n'était en mesure de mettre fin à ce mode de mobilisation qui, en effet, avait constitué l'une des premières manifestations massives de la rupture avec l'occupation normalisée. Dans un tel contexte, il fallait bien parler de mort de l'intifada au sens politique du terme, mort dont le signe clinique le plus décisif était apparu dès la Guerre du Golfe. En remettant leur sort entre les mains de Saddam Hussein, en effet, les Palestiniens avaient renoncé à parvenir à un règlement politique de leur sort tel que le soulèvement le revendiquait; ils renouaient ainsi non pas avec le modèle de libération immédiatement antérieur à l'intifada, là où les Palestiniens eux-mêmes étaient censés mener leur propre combat politique et militaire, mais avec le modèle éculé des années 50-70 durant lesquelles ils s'étaient abandonnés entre les mains des régimes arabes.
2 - Multiplication et aggravation des crises de l'OLP. La vague récente de défections a servi de révélateur à la profondeur de la crise des instances dirigeantes de l'extérieur. Tous les démissionnaires, plus ou moins ouvertement, dénonçaient le mépris affiché par Yasser Arafat envers les structures institutionnelles de l'OLP qui n'étaient plus réunies ou, convoquées, n'étaient appelées qu'à entériner des décisions. Depuis les assassinats d'Abou Jihad en avril 88 et d'Abou Iyad en janvier 91, ses compagnons de combat fondateurs du Fatah, Arafat agissait seul, entouré de quelques rares conseillers, Abou Mazen, Yasser Abd Rabbo, Nabil Chaath et Abou Ala. Les critiques internes ébranlaient la cohésion de l'édifice sans toutefois amener le président à opérer de profondes réformes de fonctionnement de sa centrale. L'opposition hostile au processus de paix, pour sa part, s'était certes regroupée à 10 organisations mais se montrait incapable de se trouver une cohérence, éclatée entre ceux qui contestaient la seule forme des négociations et ceux qui en refusaient la légitimité de principe, entre les forces laïques et marxistes, d'une part, et les islamistes de l'autre.
Dans les Territoires occupés, l'OLP connaissait un quasi effondrement de ses structures, clandestines comme officielles. "Coalition de combat" des 4 plus grandes organisations membres de l'OLP constituée début 1988 à l'initiative de militants de l'intérieur de second rang, le Commandement national unifié du soulèvement (CNU) avait su donner corps à la revendication populaire de contestation immédiate et générale de l'occupation; depuis la guerre du Golfe, ses activités se réduisaient à la publication mensuelle d'un communiqué de mobilisation, ne suscitant plus aucun intérêt ni auprès de la population qui n'observait qu'à contrecœur son calendrier de grèves, ni auprès des autorités israéliennes qui, depuis belle lurette déjà, ne daignaient même plus chercher à le démembrer.
L'ensemble de l'appareil institutionnel public de l'OLP (presse, universités, hôpitaux, associations de bienfaisance, etc.) se trouvait, par ailleurs, en situation de cessation de paiement suite aux réductions drastiques de financement en provenance de l'extérieur. L'appareil politique de l'intérieur (mis à part le parti du peuple ex-communiste) connaissait également une crise due à l'incapacité de ses membres, émanations d'organisations de guérilla à l'origine, à se transformer en véritables partis politiques, alors même que la lutte armée était devenue un mythe, limitée à quelques opérations ponctuelles dont la légitimité par rapport à la politique générale de l'OLP à obtenir libération de la Palestine par les moyens diplomatiques n'avait jamais été éclaircie. Deux timides tentatives, au Fath avec les "Comités d'action politique" et au FDLP-Abd Rabbo, ont eu lieu sans cependant déboucher sur une prise en main des anciennes structures.
La seule réussite de l'OLP de l'intérieur avait été la mise en place, à l'initiative de Sari Nusseibeh, de "Comités techniques" dans le cadre desquels plus de 400 personnes, engagées, pour la plupart à titre bénévole, au titre de leur seule compétence professionnelle individuelle, travaillaient sur tous les dossiers techniques (électricité, routes, eau, santé, éducation, logement, etc.) en vue de l'autonomie; devenus les interlocuteurs des États dans leur coopération, ils servaient également de bureaux d'étude pour les délégués aux négociations multilatérales. Confinés dans leur domaine d'expertise et leurs réseaux internationaux, ils échouaient cependant à se forger une forte légitimité au sein de la population plus que réticente à l'idée d'autonomie.
Les tensions au sein de la délégation palestinienne, enfin, depuis de longs mois déjà débordaient dans le domaine public. Une hétérogénéité de départ - notables survivant d'un autre temps, politiques organiques sans légitimité populaire et personnalités respectées- n'avait fait, en l'absence de concertation institutionnelle, qu'approfondir les divergences de fond, débouchant sur 1 - un rapide abandon de leur participation par les notables; 2 - le gel de la participation puis le retrait des communistes; 3 - la tension politique et personnelle des "têtes médiatiques" entre elles d'une part, et entre elles et Yasser Arafat d'autre part, dont les méthodes de travail se trouvaient publiquement dénoncées par la démission de trois de ses plus fidèles lieutenants.
Commentaire