Pourquoi Sebta et Mellilia ne sont pas espagnoles
Une tribune de Mouna Hachim, écrivain et chercheur marocaine
En logique aristotélicienne, on peut présenter les faits par un syllogisme : Sebta et Mellilia (Ceuta et Melilla) sont en Afrique. Or, l’Espagne n’est pas en Afrique. Donc Sebta et Mellilia ne sont pas espagnoles. Loin de toute philosophie scolastique cette fois, sur le plan strictement géographique, même un enfant, en cherchant bien sur une mappemonde, fixera Sebta et Mellilia sur la côte nord du Maroc. D’où la question : mais que vient donc faire l’Espagne sur le continent africain en ce XXIe siècle ?
Entre alors en action un bref précis d’histoire pour nous éclairer sur cette survivance anachronique de colonies en Afrique, vestiges d’un empire expansionniste datant du temps de la Reconquista, en contradiction totale avec les principes universels, brandis à l’ère moderne, sur la liberté des peuples et la souveraineté des nations. Nous aurions pu démarrer notre histoire avec la genèse du problème, depuis l’occupation ibérique au XVe siècle, mais pourquoi nous priver de cette plongée révélatrice aux sources de l’histoire. Osons même pénétrer au fond des âges, du temps où la réalité se mêlait à la fable… Sebta nous dira alors la légende tire son nom de Sebt, fils de Kouch, fils de Ham, fils de Noé, ainsi que le relate l’historien Zayani dans son « Torjmana al-Kobra ». D’autres y voient un dérivé du grec « Septem Fratres », les Sept frères, en référence aux sept collines qui entourent la cité et dont l’une des plus célèbres est le Jbel Moussa. Domaine de la nymphe Calypso, fille d’Atlas, reine de la mystérieuse île d’Ogygie dont d’autres cités revendiquent la paternité, Sebta aurait accueilli pendant sept années, Ulysse après son naufrage, comme le raconte Homère dans son « Odyssée ».
Une histoire tumultueuse
Après ce petit périple dans la mythologie, entrons maintenant dans l’histoire de la cité antique à l’emplacement stratégique. Ses habitants autochtones sont les Berbères Ghomara dont le nom peut être apparenté à celui des peuples Moroi des Grecs résidant au Maroc depuis la plus Haute Antiquité. Sédentaires d’origine Masmouda, les Ghomara peuplaient un territoire vaste qui couvrait dans un premier temps tout le Rif, pour s’étendre le long de la côte méditerranéenne, de la Moulouya jusqu’à l’Atlantique ; et de là, descendait jusqu’à avoisiner l’actuelle Chaouia, près de leurs frères Berghwata. Le territoire des Ghomara couvrait de ce fait plusieurs tribus, comme les Beni Hamid, Mtiwa, Beni Nal, Ghzaoua, Beni Zeroual, Majkasa, Béni Hassan… Sans oublier les villes nombreuses qui y fleurissaient telles que Ghssassa, Nekkour, Badis, Tiguissas, Tétouan, Tanger, Ksar Kebir... Sebta et Mellilia.
Avec l’avancée des « envahisseurs barbares », Sebta, de par sa position stratégique, devient la cible en 429 des germaniques orientaux Vandales, refoulés qu’ils étaient par les non moins germaniques Goths d’Espagne qui sonnent tous le glas pour l’Empire romain d’Occident. Les Vandales apportent avec eux notamment, l’hérésie chrétienne arianiste adoptée par les Berbères, transformée en révolte locale contre la mainmise impériale de Rome. Mais fidèles à leur réputation, les Vandales mènent une politique d’extorsion des terres et de pillages. Ils ne daignent pas se mélanger avec les autochtones qui leur livrent de farouches combats jusqu’à condamner définitivement leur existence. Au milieu du VIe siècle arrivent les Roums ou Byzantin, maîtres de l’Empire romain d’Orient, chantres de l’orthodoxie chrétienne à la mode de Byzance. Sebta est alors donnée à un gouverneur berbère nommé Ilyan ou Yulyan (le comte Julien de l’historiographie chrétienne) qui gouvernait aussi Tanger, soit les deux derniers bastions byzantins au Maroc avant l’Islam.
La tradition et les chroniques anciennes rapportent que cet exarque berbère, d’obédience chrétienne, avait facilité en 711 l’entrée en Andalousie, alors sous domination wisigothe, des troupes arabo-berbères, sous le commandement de Tariq Ibn Ziyad. La légende, perpétuée par les récits romanesques d’un Alexandre Dumas, poursuit que Youlian l’aurait fait pour venger l’honneur de sa fille Florinda, déshonorée par Roderic, roi des Goths à Tolède. Des historiens modernes comme l’Espagnol Pedro Chalmeta soutiennent les théories d’aide à la Conquête d’Espagne par les chefs berbères autochtones dont Youlian. Les musulmans sont arrivés eux-mêmes au Maroc, « Occident le plus extrême », avec des Berbères dits Orientaux du grand groupe Zenata. Premiers islamisés parmi les Berbères, issus initialement du désert égyptien, de Libye ou de Tunisie, un des leurs est Tariq Ibn Ziyad, de la tribu Nefzaoua, affranchi du gouverneur omeyyade Moussa Ibn Noussair et vainqueur des Wisigoths d’Espagne.
Avec l’avènement des premières troupes musulmanes, les autochtones Ghomara adoptent l’Islam. Ils s’illustrent sous le règne des Omeyyades par l’adoption de quelques schismes, interprétés comme une révolte contre l’oppression, notamment fiscale des gouverneurs. Au début du règne des Idrissides, fondateurs en 788 du premier royaume du Maroc musulman, Qassem, petit-fils de l’Oriental Idris et de Kenza la Berbère, reçoit une principauté en apanage, comme ses onze frères en 828 à la mort de leur père. Son territoire englobe Sebta, Tanger, Tétouan, Hajar Nesr, le pays Masmouda et Basra, comme l’indiquent de nombreux chroniqueurs dont Ibn Abi Zar’ dans son « Rawd al-Qirtàs » au XIIIe siècle. En butte à des rivalités internes et aux visées expansionnistes des Fatimides chiites de Tunisie et des Omeyyades d’Andalousie ; le royaume idrisside, morcelé, peine à résister. Comme ailleurs dans le Royaume, Sebta devient une possession omeyyade. Elle revient en 1010 aux Hammoudides idrissides dont l’un des plus doctes représentants est le grand géographe El-Idrissi.
Une tribune de Mouna Hachim, écrivain et chercheur marocaine
En logique aristotélicienne, on peut présenter les faits par un syllogisme : Sebta et Mellilia (Ceuta et Melilla) sont en Afrique. Or, l’Espagne n’est pas en Afrique. Donc Sebta et Mellilia ne sont pas espagnoles. Loin de toute philosophie scolastique cette fois, sur le plan strictement géographique, même un enfant, en cherchant bien sur une mappemonde, fixera Sebta et Mellilia sur la côte nord du Maroc. D’où la question : mais que vient donc faire l’Espagne sur le continent africain en ce XXIe siècle ?
Entre alors en action un bref précis d’histoire pour nous éclairer sur cette survivance anachronique de colonies en Afrique, vestiges d’un empire expansionniste datant du temps de la Reconquista, en contradiction totale avec les principes universels, brandis à l’ère moderne, sur la liberté des peuples et la souveraineté des nations. Nous aurions pu démarrer notre histoire avec la genèse du problème, depuis l’occupation ibérique au XVe siècle, mais pourquoi nous priver de cette plongée révélatrice aux sources de l’histoire. Osons même pénétrer au fond des âges, du temps où la réalité se mêlait à la fable… Sebta nous dira alors la légende tire son nom de Sebt, fils de Kouch, fils de Ham, fils de Noé, ainsi que le relate l’historien Zayani dans son « Torjmana al-Kobra ». D’autres y voient un dérivé du grec « Septem Fratres », les Sept frères, en référence aux sept collines qui entourent la cité et dont l’une des plus célèbres est le Jbel Moussa. Domaine de la nymphe Calypso, fille d’Atlas, reine de la mystérieuse île d’Ogygie dont d’autres cités revendiquent la paternité, Sebta aurait accueilli pendant sept années, Ulysse après son naufrage, comme le raconte Homère dans son « Odyssée ».
Une histoire tumultueuse
Après ce petit périple dans la mythologie, entrons maintenant dans l’histoire de la cité antique à l’emplacement stratégique. Ses habitants autochtones sont les Berbères Ghomara dont le nom peut être apparenté à celui des peuples Moroi des Grecs résidant au Maroc depuis la plus Haute Antiquité. Sédentaires d’origine Masmouda, les Ghomara peuplaient un territoire vaste qui couvrait dans un premier temps tout le Rif, pour s’étendre le long de la côte méditerranéenne, de la Moulouya jusqu’à l’Atlantique ; et de là, descendait jusqu’à avoisiner l’actuelle Chaouia, près de leurs frères Berghwata. Le territoire des Ghomara couvrait de ce fait plusieurs tribus, comme les Beni Hamid, Mtiwa, Beni Nal, Ghzaoua, Beni Zeroual, Majkasa, Béni Hassan… Sans oublier les villes nombreuses qui y fleurissaient telles que Ghssassa, Nekkour, Badis, Tiguissas, Tétouan, Tanger, Ksar Kebir... Sebta et Mellilia.
Avec l’avancée des « envahisseurs barbares », Sebta, de par sa position stratégique, devient la cible en 429 des germaniques orientaux Vandales, refoulés qu’ils étaient par les non moins germaniques Goths d’Espagne qui sonnent tous le glas pour l’Empire romain d’Occident. Les Vandales apportent avec eux notamment, l’hérésie chrétienne arianiste adoptée par les Berbères, transformée en révolte locale contre la mainmise impériale de Rome. Mais fidèles à leur réputation, les Vandales mènent une politique d’extorsion des terres et de pillages. Ils ne daignent pas se mélanger avec les autochtones qui leur livrent de farouches combats jusqu’à condamner définitivement leur existence. Au milieu du VIe siècle arrivent les Roums ou Byzantin, maîtres de l’Empire romain d’Orient, chantres de l’orthodoxie chrétienne à la mode de Byzance. Sebta est alors donnée à un gouverneur berbère nommé Ilyan ou Yulyan (le comte Julien de l’historiographie chrétienne) qui gouvernait aussi Tanger, soit les deux derniers bastions byzantins au Maroc avant l’Islam.
La tradition et les chroniques anciennes rapportent que cet exarque berbère, d’obédience chrétienne, avait facilité en 711 l’entrée en Andalousie, alors sous domination wisigothe, des troupes arabo-berbères, sous le commandement de Tariq Ibn Ziyad. La légende, perpétuée par les récits romanesques d’un Alexandre Dumas, poursuit que Youlian l’aurait fait pour venger l’honneur de sa fille Florinda, déshonorée par Roderic, roi des Goths à Tolède. Des historiens modernes comme l’Espagnol Pedro Chalmeta soutiennent les théories d’aide à la Conquête d’Espagne par les chefs berbères autochtones dont Youlian. Les musulmans sont arrivés eux-mêmes au Maroc, « Occident le plus extrême », avec des Berbères dits Orientaux du grand groupe Zenata. Premiers islamisés parmi les Berbères, issus initialement du désert égyptien, de Libye ou de Tunisie, un des leurs est Tariq Ibn Ziyad, de la tribu Nefzaoua, affranchi du gouverneur omeyyade Moussa Ibn Noussair et vainqueur des Wisigoths d’Espagne.
Avec l’avènement des premières troupes musulmanes, les autochtones Ghomara adoptent l’Islam. Ils s’illustrent sous le règne des Omeyyades par l’adoption de quelques schismes, interprétés comme une révolte contre l’oppression, notamment fiscale des gouverneurs. Au début du règne des Idrissides, fondateurs en 788 du premier royaume du Maroc musulman, Qassem, petit-fils de l’Oriental Idris et de Kenza la Berbère, reçoit une principauté en apanage, comme ses onze frères en 828 à la mort de leur père. Son territoire englobe Sebta, Tanger, Tétouan, Hajar Nesr, le pays Masmouda et Basra, comme l’indiquent de nombreux chroniqueurs dont Ibn Abi Zar’ dans son « Rawd al-Qirtàs » au XIIIe siècle. En butte à des rivalités internes et aux visées expansionnistes des Fatimides chiites de Tunisie et des Omeyyades d’Andalousie ; le royaume idrisside, morcelé, peine à résister. Comme ailleurs dans le Royaume, Sebta devient une possession omeyyade. Elle revient en 1010 aux Hammoudides idrissides dont l’un des plus doctes représentants est le grand géographe El-Idrissi.
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