Du 10 au 12 novembre s’est tenu à Alger à la Bibliothèque nationale du Hamma le Colloque «Savoir et société» qui a vu la participation d’une vingtaine de conférenciers maghrébins, arabes et français. Dans son introduction, le professeur Yassine Ferfera, directeur du Cread, a tenu à situer le but et les enjeux de ce colloque. «Une révolution comparable par son ampleur et ses effets à la révolution industrielle se déroule devant nos yeux, la révolution du savoir. Des sociétés sont en train de passer de la civilisation industrielle à la civilisation du savoir. Dans ces sociétés dites désormais sociétés du savoir, le savoir s’applique tout à la fois à l’outil, au travail et au savoir lui-même. Il est au principe de la vie économique, sociale et de la vie quotidienne elle-même. Il s’impose comme facteur structurant de la société et facteur discriminant entre sociétés. Il y a les sociétés du savoir et il y a les autres et, bien évidemment, les premières sont hégémoniques et les secondes subordonnées. Dans les sociétés du savoir, les ressources immatérielles, créations des hommes, sont à la base du seul développement qui vaille: le développement humain. Dans les pays du Sud, le déficit en savoir est énorme. Ni les savoirs scientifiques modernes ne sont réellement appropriés ni les savoirs autochtones ne sont franchement reconnus. Pourtant il y a consensus pour lier développement du savoir et développement tout court. En décrétant prioritaires l’action d’éradiquer la pauvreté et l’action d’édifier la société du savoir, l’Unesco suggère bien le lien très fort qui les unit, en fait, le rôle primordial du savoir dans le développement».(1)
Dans la sphère arabe, le savoir n’est pas un inconnu et tout le monde connaît la contribution exceptionnelle de la civilisation arabo-islamique dans la production, la transmission et le développement des sciences et de la philosophie. Cette expérience historique nous enseigne que la «grande transformation» tant attendue aujourd’hui passe immanquablement par l’appropriation, en langue arabe, des savoirs produits par les autres. Elle appelle aussi à un important travail sur les savoirs et savoir-faire locaux en vue de leur analyse, leur codification et leur mobilisation au service du développement. De par sa centralité dans le monde d’aujourd’hui et son continuel renouvellement et de par les effets incontestables qu’il produit sur tous les segments de la vie en société, le savoir s’impose de plus en plus comme l’affaire de tous, essentiellement des pouvoirs publics et de la société civile. (1)
La recherche à la traîne
Huit thèmes ont été abordés. Le Savoir est décliné sous toutes formes. Nous en avons retenu quatre qui ont jalonné ces trois jours. Sans pouvoir citer la vingtaine de contributions de haut niveau, il nous faut rapporter les contributions des professeurs Abdelhamid Aberkane avec une communication intitulée: «Du bon usage des savoirs pour la santé», celle de Djamel Guerid: «De l’université de la société industrielle...à l’université de la société du savoir»; celle de Mohamed Ghlamallah, «Université et pouvoir en Algérie: le défi de la société de la connaissance» et celle du professeur Ahmed Bouyacoub intitulée: «Dépenses en recherches-développement et production scientifique». Il montre par une étude fouillée et sans complaisance l’état de déliquescence de la «recherche arabe» en général par rapport à la recherche occidentale et la mascarade en termes de moyens de recherche en Algérie.
En 2005, la plupart des pays occidentaux consacrent entre 2 et 3% à la recherche. En Algérie 0,16%, le Maroc 0,76% et la Tunisie 1%. L’Algérie consacre 10,8$ en PPA, trois fois plus au Maroc, et huit fois plus en Tunisie et 130 en Israël. En Algérie, écrit-il, le volume des publications scientifiques reflète le très faible niveau relatif des dépenses en R&D, avec, cependant, un niveau appréciable de la productivité de ses chercheurs.(2).
Le professeur Ali Farid Belkadi, auteur d’une communication remarquable s’est interrogé sur cette propension à croire tout ce que dicte la science coloniale. Peut-on parler de diffusion du savoir lorsqu’un groupe de culture défini, amoindri par les mauvaises fortunes de l’histoire, abjure sa propre culture en s’imprégnant des traits culturels de l’occupant? L’étude zoologique de l’homme colonisé, asservi et nié dans sa vie ordinaire, selon l’usage oppressif colonial, ne pouvait pas mener à l’exaltation de la culture ou du savoir héréditaires des autochtones. Du nord au sud du Maghreb, des stèles et des inscriptions puniques, sahariennes ou libyques témoignent par milliers d’un savoir qui remonte à la haute antiquité, de nos jours négligé et désocialisé. C’est avec des règles d’équité intellectuelles forgées ou falsifiées que fut abordée l’exploration du passé des colonies. C’est ainsi que l’histoire antique de l’Algérie a été inopportunément biffée par des mains rompues à la dénaturation. Entre culte du secret et rétention d’informations, l’accumulation de documents «exotiques» par les militaires français, les missionnaires et d’obscurs aventuriers perpétua par étapes successives des courants idéologiques outranciers dont les fondements exaltés remontaient au Moyen-Age. Le savoir local et autochtone est aussi un reflet de la connaissance et de la culture universelle. En tant que tel, il fait partie de l’enchaînement dialectique souverain menant à l’universelle sagesse. Il suffit d’élargir les passages, en rétablissant les anciennes passerelles du savoir, démantelées par les savants coloniaux.(3)
Deux exemples parmi tant d’autres ont servi de plaidoyer au professeur Belkadi pour convaincre de l’existence d’une science et d’une culture à ces autochtones à qui la science coloniale a dénié toute légitimité culturelle et scientifique. «La propension au savoir rationnel et universel est attestée en Algérie, il y a 7000 ans, durant l’ère néolithique dite de tradition capsienne, bien avant l’apparition des civilisations de Sumer, de Akkad ou celle de l’Egypte. Le site de Faïd Souar II, situé à 70km au sud-est de Constantine, a fourni en 1954 (G.Laplace) un crâne d’homo sapiens -ancêtre direct de l’homme moderne- dont le maxillaire dévoilait une prothèse dentaire. Cette originalité préhistorique annonciatrice de l’orthodontie est la seule du genre connue à ce jour dans le monde. Ce crâne appartient à un sujet de sexe féminin, âgé entre 18 et 25 ans. La mâchoire a subi l’avulsion de quatre incisives, selon l’usage bien établi chez les hommes d’Afalou-bou-Rhummel. La deuxième prémolaire supérieure droite de la femme préhistorique de Faïd Souar a été remplacée par un élément dentaire fabriqué à partir de l’os d’une phalange qui a été finement taillé et lissé avant d’être réuni à l’alvéole. Ce qui lui donne l’apparence irréprochable d’une couronne dentaire conforme aux dents voisines. Son ajustage est si parfait qu’il nous semble impossible que cette prothèse ait été exécutée, en bouche, du vivant du sujet. Mais ce n’est qu’une hypothèse», affirme le professeur H.V.Vallois qui a étudié en 1971 cet implant. La radiographie montre une grande proximité entre la paroi alvéolaire radiculaire du crâne et l’implant préhistorique. «Quelle précision dans ce travail pour ne pas faire éclater l’os!», écrivent Jean Granat et Jean-Louis Heim du Musée de l’homme à Paris qui ajoutent: «Alors, les tentatives de greffes osseuses ou d’implantologie, réalisées par ce praticien d’alors, auraient 7 000 ans!(...)»(3)(4)
Et pourtant c’est ce peuple qu’E.F.Gautier méprise: «Le Maghrébin, parmi les races blanches méditerranéennes, représente assurément le traînard resté loin en arrière, cette race n’a aucune individualité positive.» Gabriel Camps n’est pas en reste, il écrivait dans les années 1950: «L’acharnement mis à tirer, de documents peu nombreux et d’une pauvreté insigne, des enseignements ou des conclusions qui peuvent paraître abusives ne doit pas rebuter le lecteur. Ce livre est un livre d’archéologie.»(5) Par ailleurs, par un argumentaire à la fois captivant et scientifique, il nous convainc qu’il y avait bien une culture berbère plus de 9 siècles avant J.-C., en tout cas antérieure à la venue des Phéniciens. «Selon nous, poursuit le professeur Belkadi, la plus ancienne trace parlée de la langue berbère remonte au VIIIe siècle avant J.-C. Elle figure dans le sobriquet Dido, qui fut attribué à la reine phénicienne Elissa-Elisha par les anciens Berbères de la côte tunisienne. Ce surnom, Dido, qui sera transcrit par la suite Didon, replacé dans le cadre du système morpho-syntaxique berbère, est un dérivé nominal de sa racine Ddu, qui signifie: "marcher", "cheminer", "flâner", "errer". Il indique dans les parlers berbères de nos jours, la "pérégrination", synonyme de voyage, et de périple. En conséquence, la plus ancienne trace de la langue des Berbères remonte à l’arrivée de cette reine sur le rivage tunisien. Ce pseudonyme Dido n’est pas attesté à Carthage ni à El Hofra (Constantine). Il ne figure pas dans l’anthroponymie et l’épigraphie funéraire des Puniques. Certainement parce qu’il était jugé dévalorisant. Le sens Tin Ed Yeddun "l’errante", "celle qui erre", et ses passim "vadrouiller", "vagabonder" Eddu appliqué à cette reine ne convenant pas à la société punique».(3)
Dans la sphère arabe, le savoir n’est pas un inconnu et tout le monde connaît la contribution exceptionnelle de la civilisation arabo-islamique dans la production, la transmission et le développement des sciences et de la philosophie. Cette expérience historique nous enseigne que la «grande transformation» tant attendue aujourd’hui passe immanquablement par l’appropriation, en langue arabe, des savoirs produits par les autres. Elle appelle aussi à un important travail sur les savoirs et savoir-faire locaux en vue de leur analyse, leur codification et leur mobilisation au service du développement. De par sa centralité dans le monde d’aujourd’hui et son continuel renouvellement et de par les effets incontestables qu’il produit sur tous les segments de la vie en société, le savoir s’impose de plus en plus comme l’affaire de tous, essentiellement des pouvoirs publics et de la société civile. (1)
La recherche à la traîne
Huit thèmes ont été abordés. Le Savoir est décliné sous toutes formes. Nous en avons retenu quatre qui ont jalonné ces trois jours. Sans pouvoir citer la vingtaine de contributions de haut niveau, il nous faut rapporter les contributions des professeurs Abdelhamid Aberkane avec une communication intitulée: «Du bon usage des savoirs pour la santé», celle de Djamel Guerid: «De l’université de la société industrielle...à l’université de la société du savoir»; celle de Mohamed Ghlamallah, «Université et pouvoir en Algérie: le défi de la société de la connaissance» et celle du professeur Ahmed Bouyacoub intitulée: «Dépenses en recherches-développement et production scientifique». Il montre par une étude fouillée et sans complaisance l’état de déliquescence de la «recherche arabe» en général par rapport à la recherche occidentale et la mascarade en termes de moyens de recherche en Algérie.
En 2005, la plupart des pays occidentaux consacrent entre 2 et 3% à la recherche. En Algérie 0,16%, le Maroc 0,76% et la Tunisie 1%. L’Algérie consacre 10,8$ en PPA, trois fois plus au Maroc, et huit fois plus en Tunisie et 130 en Israël. En Algérie, écrit-il, le volume des publications scientifiques reflète le très faible niveau relatif des dépenses en R&D, avec, cependant, un niveau appréciable de la productivité de ses chercheurs.(2).
Le professeur Ali Farid Belkadi, auteur d’une communication remarquable s’est interrogé sur cette propension à croire tout ce que dicte la science coloniale. Peut-on parler de diffusion du savoir lorsqu’un groupe de culture défini, amoindri par les mauvaises fortunes de l’histoire, abjure sa propre culture en s’imprégnant des traits culturels de l’occupant? L’étude zoologique de l’homme colonisé, asservi et nié dans sa vie ordinaire, selon l’usage oppressif colonial, ne pouvait pas mener à l’exaltation de la culture ou du savoir héréditaires des autochtones. Du nord au sud du Maghreb, des stèles et des inscriptions puniques, sahariennes ou libyques témoignent par milliers d’un savoir qui remonte à la haute antiquité, de nos jours négligé et désocialisé. C’est avec des règles d’équité intellectuelles forgées ou falsifiées que fut abordée l’exploration du passé des colonies. C’est ainsi que l’histoire antique de l’Algérie a été inopportunément biffée par des mains rompues à la dénaturation. Entre culte du secret et rétention d’informations, l’accumulation de documents «exotiques» par les militaires français, les missionnaires et d’obscurs aventuriers perpétua par étapes successives des courants idéologiques outranciers dont les fondements exaltés remontaient au Moyen-Age. Le savoir local et autochtone est aussi un reflet de la connaissance et de la culture universelle. En tant que tel, il fait partie de l’enchaînement dialectique souverain menant à l’universelle sagesse. Il suffit d’élargir les passages, en rétablissant les anciennes passerelles du savoir, démantelées par les savants coloniaux.(3)
Deux exemples parmi tant d’autres ont servi de plaidoyer au professeur Belkadi pour convaincre de l’existence d’une science et d’une culture à ces autochtones à qui la science coloniale a dénié toute légitimité culturelle et scientifique. «La propension au savoir rationnel et universel est attestée en Algérie, il y a 7000 ans, durant l’ère néolithique dite de tradition capsienne, bien avant l’apparition des civilisations de Sumer, de Akkad ou celle de l’Egypte. Le site de Faïd Souar II, situé à 70km au sud-est de Constantine, a fourni en 1954 (G.Laplace) un crâne d’homo sapiens -ancêtre direct de l’homme moderne- dont le maxillaire dévoilait une prothèse dentaire. Cette originalité préhistorique annonciatrice de l’orthodontie est la seule du genre connue à ce jour dans le monde. Ce crâne appartient à un sujet de sexe féminin, âgé entre 18 et 25 ans. La mâchoire a subi l’avulsion de quatre incisives, selon l’usage bien établi chez les hommes d’Afalou-bou-Rhummel. La deuxième prémolaire supérieure droite de la femme préhistorique de Faïd Souar a été remplacée par un élément dentaire fabriqué à partir de l’os d’une phalange qui a été finement taillé et lissé avant d’être réuni à l’alvéole. Ce qui lui donne l’apparence irréprochable d’une couronne dentaire conforme aux dents voisines. Son ajustage est si parfait qu’il nous semble impossible que cette prothèse ait été exécutée, en bouche, du vivant du sujet. Mais ce n’est qu’une hypothèse», affirme le professeur H.V.Vallois qui a étudié en 1971 cet implant. La radiographie montre une grande proximité entre la paroi alvéolaire radiculaire du crâne et l’implant préhistorique. «Quelle précision dans ce travail pour ne pas faire éclater l’os!», écrivent Jean Granat et Jean-Louis Heim du Musée de l’homme à Paris qui ajoutent: «Alors, les tentatives de greffes osseuses ou d’implantologie, réalisées par ce praticien d’alors, auraient 7 000 ans!(...)»(3)(4)
Et pourtant c’est ce peuple qu’E.F.Gautier méprise: «Le Maghrébin, parmi les races blanches méditerranéennes, représente assurément le traînard resté loin en arrière, cette race n’a aucune individualité positive.» Gabriel Camps n’est pas en reste, il écrivait dans les années 1950: «L’acharnement mis à tirer, de documents peu nombreux et d’une pauvreté insigne, des enseignements ou des conclusions qui peuvent paraître abusives ne doit pas rebuter le lecteur. Ce livre est un livre d’archéologie.»(5) Par ailleurs, par un argumentaire à la fois captivant et scientifique, il nous convainc qu’il y avait bien une culture berbère plus de 9 siècles avant J.-C., en tout cas antérieure à la venue des Phéniciens. «Selon nous, poursuit le professeur Belkadi, la plus ancienne trace parlée de la langue berbère remonte au VIIIe siècle avant J.-C. Elle figure dans le sobriquet Dido, qui fut attribué à la reine phénicienne Elissa-Elisha par les anciens Berbères de la côte tunisienne. Ce surnom, Dido, qui sera transcrit par la suite Didon, replacé dans le cadre du système morpho-syntaxique berbère, est un dérivé nominal de sa racine Ddu, qui signifie: "marcher", "cheminer", "flâner", "errer". Il indique dans les parlers berbères de nos jours, la "pérégrination", synonyme de voyage, et de périple. En conséquence, la plus ancienne trace de la langue des Berbères remonte à l’arrivée de cette reine sur le rivage tunisien. Ce pseudonyme Dido n’est pas attesté à Carthage ni à El Hofra (Constantine). Il ne figure pas dans l’anthroponymie et l’épigraphie funéraire des Puniques. Certainement parce qu’il était jugé dévalorisant. Le sens Tin Ed Yeddun "l’errante", "celle qui erre", et ses passim "vadrouiller", "vagabonder" Eddu appliqué à cette reine ne convenant pas à la société punique».(3)
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