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Culture: luxe pour les Arabes, ou culte pour les musulmans ?

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  • Culture: luxe pour les Arabes, ou culte pour les musulmans ?

    «La culture, disait Herriot, c'est ce qui reste après avoir tout oublié». Ce qui laisse supposer que l'humanité entière est créée pour vivre en état, mais aussi dans un état de culture en tant que capital humain. Ceci est confirmé par le Saint Coran: «Lis au nom de Ton Dieu» (1).

    Certains penseurs ont tenté d'opposer Culture et Civilisation.

    Cette dernière (civilisation), en tant que progrès intellectuel et technique, est un ensemble de procédés d'action employés sur (mais non contre) la nature au moyen de machinisme pour l'exploiter et l'adapter aux besoins de l'Homme, tout en la préservant.

    Pour d'aucuns, la culture relève du spirituel et/ou traditionnel de la vie sociale. Or, la culture est un tout organique. Dresser des frontières entre elles (Culture et Civilisation) ou tenter de les cloisonner n'est pas chose aisée, tellement elles sont inhérentes l'une à l'autre. Exemple: la civilisation païenne, musulmane, occidentale, voire mécanicienne. Si la culture est un tout organique, la Science, quant à elle, est un savoir organisé qui nécessite un capital cognitif important. Pour Boutroux: «L'esprit scientifique n'est pas quelque chose du tout fait ou de donné, mais il se forme à mesure que la science se crée et progresse» (2).

    Notons que l'esprit scientifique a plus besoin de comprendre que de connaître. C'est en somme l'esprit positif qui refuse les «a priori» et les «a peu près». Il repose sur la précision d'une connaissance objective. C'est pourquoi il est impératif, de nos jours, de réhabiliter les hommes du Savoir et exclure les incultes, voire les analphabètes des postes de grandes décisions qu'ils occupent indûment. Parce que l'intellectuel est le véritable levier sur lequel reposent toutes les chances de réussite nationale, à savoir, sociale, économique, culturelle et même politique. L'avenir, voire la survie de notre société est directement tributaire du développement d'un Savoir capable d'assurer une flexibilité d'esprit, et donc d'endiguer toute forme de rigorisme austère qui empêche la société d'évoluer et de suivre la marche du temps.

    Les pays qui ont atteint le degré actuel de technologie ont mobilisé le savoir pour en faire une seconde religion. La culture est une dynamique qui fait bouger la société et la met en valeur. Le rôle des experts est d'une importance vitale pour l'ensemble de la société. Les décisions, lorsqu'elles sont concertées conjointement par les décideurs et les experts, sont réellement des «macro-décisions» réfléchies et justifiées en ce qu'elles permettent au pays d'avancer sur un terrain ferme. Elles sont à même de décloisonner les différentes strates du pouvoir et doter les décideurs d'outils scientifiques fiables au profit du bien-être social. De ce fait, seule la conjugaison rationnelle du Savoir et de la Ressource humaine peut garantir la prospérité, à la fois pour la génération présente et la postérité.

    L'intervention des partis politiques, aussi entreprenants et actifs soient-ils, ne peut avoir un rôle déterminant sans l'action effective de la Science et de ses détenteurs. Le devenir de la nation, voire de l'humanité entière, en dépend. Notre société ne peut évoluer sur les plans temporel et spirituel que si elle est consolidée par une bonne Culture. Elle pourra, alors, cesser d'être une masse informe (ou, selon l'expression populaire, un simple «ghachi») pour devenir une société organisée à l'instar des sociétés développées. Au temps du Prophète (QSSL), la société musulmane était très organisée parce que soudée. C'est pourquoi Il a dit: «La société musulmane est comme un corps humain: si un membre est malade, tout le corps souffre de la fièvre».

    Qu'en est-il aujourd'hui ?

    La crise que vit actuellement la nation arabe est que ses dirigeants accordent la prééminence aux objectifs idéologiques - (nous sommes presque enclins à dire «idiologiques») - sur lesquels reposent leurs systèmes respectifs plutôt que sur une action intellectuelle concertée. Celle-ci est considérée par nombre de régimes arabes comme une forme de rébellion contre le Pouvoir car elle comporte en elle une volonté de changement, donc une menace. Ce qui explique, en partie peut-être, le contrôle draconien des activités intellectuelles par les Pouvoirs en place.

    Cependant, priver un corps social du renouvellement intellectuel, cela revient à priver un corps vivant de l'oxygène. Il y a, à la fois, dépérissement de l'Etat et étiolement de la société. C'est une des raisons qui explique l'exode massif de l'élite intellectuelle arabo-musulmane vers l'étranger (l'Occident, en particulier) à la recherche de la liberté de penser.

    Notre nation reste privée, hélas, des bienfaits de la technologie que connaissent les autres pays développés et émergents. Ce qui justifie la stagnation économique, et donc la régression sociale et surtout culturelle. Le monde musulman n'a pas participé aux inventions technologiques depuis plus de sept siècles. Depuis la chute de Grenade, notre nation a connu un vide culturel abyssal.

    Une politique fondée sur la science, en tant qu'unique valeur capitalisée, produit de la richesse, donc de la productivité. Tandis que celle motivée par la seule rente pétrolière est, en soi, une politique d'échec.

    Nous autres musulmans, sommes-nous inaptes ou allergiques au progrès ? Bien sûr, que non, si certaines conditions sont réunies. Le développement comme le sous-développement sont affaire de systèmes politiques. Certes, tout système, dans le temps et dans l'espace, comporte des gènes vicieux parce qu'il est composé d'hommes soucieux de préserver leurs privilèges personnels. Mais faut-il que ce système soit composé d'un staff compétent capable d'éluder des crises qui peuvent éventuellement surgir. Ce qui donnera, à coup sûr, des résultats probants qui satisferont tout le monde, gouvernants et gouvernés à court et moyen termes.

    Cette situation n'augure aucune avenir. Le sous-développement et la situation actuelle de dépendance (pétrole contre nourriture) ne sont pas une fatalité. Mais devrait-on rappeler, aussi, que les politiques fausses et mensongères engendrent l'échec. Alors, nos dirigeants ont-ils suffisamment d'esprit nationaliste pour sacrifier leurs intérêts personnels au profit de l'intérêt de la nation qu'ils dirigent ? Pourront-ils remplacer cette politiques de douleur (hogra, cherté de la vie, harraga, qui payent parfois de leur vie pour atteindre d'autres rivages dont ils rêvent...) par une politique de bonheur où tous les Algériens se sentent des Algé-Rois parce qu'ils sont chez eux et fiers d'y être ? L'avenir répondra.

    Terminons enfin cette réflexion par cette belle pensée de Voltaire: «Un gouvernement sage (est un gouvernement) où le prince, tout-puissant pour faire du bien, a les mains liées pour faire le mal, où les seigneurs sont grands sans insolence et sans vassaux et où le peuple partage le gouvernement sans confusion». Dans un pareil système, le chef suprême n'est pas un guide mais un arbitre de la nation. Il appartient à nos gouvernants de méditer la teneur morale de cette réflexion pour mieux servir leur société sans se servir, dans l'unique espoir, après leur mort, d'être très bien servis le jour du Jugement Dernier. C'est ce que j'appelle...» réussir sa vie» (sans jeu de mots).

    1) Soura 96, Verset 1

    2) Cité par Armand Cuvillier in «Nouveau Précis de Philosophie» (La Connaissance),

    Ed. Armand Colin. 1969, p. 207.


    Par Mohammed Guetarni, Docteur ès lettres, Université de Chlef- Quotidien d'Oran
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