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Ces enfants derrière les barreaux en Algérie

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  • Ces enfants derrière les barreaux en Algérie

    Lundi 29 octobre. C'est une journée un peu spéciale pour les jeunes détenus du Centre de détention et de réinsertion pour mineurs de la daïra de Gdyel, dans la wilaya d'Oran. Comme le jeudi, c'est un jour de parloir.

    Un hic tout de même, et il est de taille. Durant toute la nuit du dimanche au lundi, il a plu des cordes sur toute la région d'Oran. Et les épais nuages noirâtres qui couvrent encore le ciel de cette localité de la wilaya, n'annoncent malheureusement pas d'embellie pour les prochains jours. Les jeunes détenus du centre ne se font désormais plus d'illusion. Ils font grise mine. Ils savent qu'avec une pareil météo, rares sont les parents qui viendront en visite.

    Il est presque 9 heures. La ruée de visiteurs à laquelle on pouvait s'attendre pour ce dernier lundi du mois, est finalement illusoire. Face à la petite porte métallique, froide et bien close, un véhicule des éléments de la BMPJ en faction devant le centre. La porte s'ouvre. Un agent nous fait rentrer, puis referme tout de suite après. L'imposant trousseau de clés qu'il tient vigoureusement en main, attire l'attention. Etincelant de dorures, il contraste avec l'image qu'on a habituellement des clés de prison, des clés noircies par l'âge, à la limite de la rouille. D'autres temps, d'autres moeurs. Le bruit sec des serrures ne trompe, pourtant pas. Même si personne parmi les gardiens du centre pénitencier ne porte d'uniforme, on est bel et bien à l'intérieur d'une «prison». Un qualificatif que le personnel du centre n'aime pas du tout utiliser.

    Dans une petite cours, trois visiteurs sont au parloir avec leurs enfants. Contrairement aux majeurs, les mineurs ont droit à des «parloirs rapprochés». Une dame, généreusement drapée en cette matinée glaciale, les épaules couvertes d'un fichu bleu et blanc, est assise en face de son enfant, sirotant tranquillement avec lui un café noir et bien chaud. Un visage d'enfant, le jeune homme, de forte corpulence pour son âge, devient soudainement frêle. Le temps s'est arrêté. Parfaite communion entre la mère et son enfant. Moment privilégié que même les grands mûrs du centre de détention ne pourraient altérer.

    A côté, un père discute avec son fils. A ses pieds, un grand sac est délicatement posé. Des vêtements chauds et quelques provisions ne seront pas de trop en cet hiver qui s'annonce rude. L'air très sérieux derrière sa paire de lunettes de vue, le géniteur écoute attentivement son enfant. De quoi parlent-ils ? Pas le temps de le savoir. Le directeur adjoint, M. Nouh Nachet, nous invite à aller visiter la classe d'informatique, une des fiertés de l'établissement pénitencier.

    QUAND LES DETENUS VONT A L'ECOLE


    «C'est un centre de détention et de réinsertion... surtout de réinsertion», nous explique le directeur adjoint. «C'est presque un internat, tant le volet pédagogique est omniprésent dans nos rapports avec les détenus», ajoute-t-il.

    Fièrement, il illustre ses dires : «nous avons quatorze élèves, dont onze en cycle moyen et trois autres en cycle secondaire, qui suivent des cours par correspondance.» Une scolarisation rendue possible grâce à une convention qui lie désormais l'administration pénitentiaire avec l'Office national de la formation et enseignement à distance (ONFED ex-CNEG). Quatre matières y sont enseignées : arabe, mathématiques, technologie et sciences naturelles. Les frais de cette scolarisation à distance sont pris en charge par le ministère de la Justice, nous explique le professeur qui assure l'enseignement des quatre matières suscitées.

    Des conventions similaires ont été signées également avec le secteur de la Formation professionnelle et les offices d'alphabétisation, précise par ailleurs, M. Nachet. Le centre de détention et de réinsertion de Gdyel dispose dans ce cadre d'une classe de maçonnerie (10 élèves), d'une classe de jardinage (10 élèves) et d'une autre de coiffure (07 élèves), en plus de deux classes d'alphabétisation comprenant chacune 15 élèves. Tous ces cours sont assurés par des enseignants détachés par la direction de la Formation professionnelle et des offices d'alphabétisation. Selon M. Nouh Nachet, le centre dispose également d'une classe d'informatique de dix élèves détenus, mais dont l'encadrement est assuré cette fois-ci, par un enseignant employé par l'administration pénitentiaire. Des formations de six mois qui s'articulent essentiellement sur l'enseignement du «word», de «l'excel», avec tout de même une initiation aux techniques de l'infographie, nous confie le jeune professeur. Pour ce qui est des critères de sélection des élèves, le premier est inévitablement lié à la volonté du candidat à apprendre. «On ne peut pas contraindre un détenu à suivre une quelconque formation s'il ne le désire pas», indique le professeur. Ensuite, il y a le niveau qui, pour l'informatique, doit être, au minimum du cycle moyen, précise-t-il. Un autre paramètre qui a toute son importance : l'élève doit avoir été définitivement condamné, avec un temps d'incarcération restant qui doit impérativement égaler ou dépasser le temps nécessaire à la formation.

    Toutes les formations assurées au niveau du centre de Gdyel sont diplomantes, assure pour sa part le directeur adjoint. «Sur les attestations de réussite qui seront délivrées aux élèves à la fin de leur cursus, aucune mention n'indique que le diplôme a été obtenu au niveau d'un centre pénitentiaire», souligne le même responsable. La réinsertion, à laquelle on aspire, passe aussi par ce souci de ne pas exhiber le passé des jeunes détenus, pour leur faciliter justement un accès facile et paisible à la vie professionnelle, une fois qu'ils sont dehors.

  • #2
    MOHAMED, LE COIFFEUR LE PLUS CELEBRE...DU CENTRE DE GDYEL

    Mohamed, ancien pensionnaire du Centre de détention et de réinsertion pour mineurs de Gdyel, âgé de 17 ans, est devenu carrément une star, un exemple à suivre pour ses anciens co-détenus. Libéré en juillet dernier, avec un diplôme de coiffure en poche, le jeune Mohamed ne tardera pas à faire parler de lui même par des détenus qui ne l'ont pas connu.

    Il est devenu depuis peu, jeune patron d'un salon de coiffure, dans une petite localité de la wilaya qu'on préfère ne pas nommer, pour des raisons évidentes. Son parcours exceptionnel, il le doit surtout à sa discipline et son sérieux, même quand il était détenu au niveau du centre pour une histoire de vol, nous confie le directeur adjoint. «Son statut actuel, il le doit, en grande partie, à sa volonté de vouloir s'en sortir. Grâce au diplôme de coiffure qu'il a pu décrocher au niveau du centre, il a pu avoir un registre de commerce, puis travailler pour son propre compte», indique M. Nachet.

    Depuis que les détenus ont eu vent de cette exemplaire histoire, tout le monde se précipite vers la classe de coiffure. Beaucoup attendent avec impatience la prochaine session pour s'y inscrire. Cette volonté des détenus à vouloir se réinsérer dans la société passe également par un travail de fond, pas toujours évident, de la part des deux psychologues du centre. Durant leurs premières 24 heures de détention, les arrivants doivent systématiquement passer la visite médicale d'entrée, nous confie le psychologue. C'est une visite qui comprend un passage par le médecin généraliste, avec un dépistage obligatoire de certaines maladies contagieuses (HIV, tuberculose), par le dentiste puis le psychologue. La mission de ce dernier, hautement importante vu l'âge difficile des jeunes détenus (entre 15 et 18 ans), comprend également des entretiens cliniques à la demande des détenus en mal-être auxquels, est offerte la possibilité de s'exprimer et d'être écoutés. Le rôle du «psy» est d'observer constamment les détenus, et détecter certains comportements suspects pouvant être exprimés par des tendances à l'isolement ou au silence. Les deux psychologues organisent aussi des thérapies régulières de groupe, ou des «dynamiques de groupes» comme préfère les qualifier notre interlocuteur. «Ce sont des groupes de dix, où les détenus qui peuvent avoir des difficultés à s'adapter, peuvent s'exprimer librement autour de tout et de rien. A l'issue de ces thérapies, on donne des orientations psychologiques, précise-t-il. Beaucoup de détenus peuvent trouver un confort en s'exprimant, soit en faisant du sport, du dessin, de la musique ou encore du théâtre. Ces activités sont assurées en coopération avec des animateurs de la direction de la Jeunesse et des sports dans le cadre d'une convention signée avec les Maisons de jeunes.

    PRES D'UN TIERS DE LA POPULATION CARCERALE EST RECIDIVISTE


    Mais toute cette prise en charge psychologique ne peut prémunir, à elle seule, les détenus d'une probable «rechute» une fois dehors, comme en témoignent les cas de récidive. En effet, près du tiers de la population carcérale est récidiviste. «Nous avons eu un cas, qui est revenu au centre, à peine une semaine après sa libération,» nous confie M. Nachet. Il y a beaucoup de cas sociaux, des jeunes issus de familles monoparentales, des enfants nés sous X, qui, dehors sont complètement désemparés. On a même constaté qu'à la différence de l'été, la population carcérale avait tendance à augmenter durant la saison hivernale. Beaucoup de jeunes provoquent volontairement leur incarcération pour échapper aux conditions difficiles de l'hiver, indique le directeur adjoint.

    « Nous essayons du mieux qu'on peut à préparer nos détenus à leur vie à l'extérieur. La commission de rééducation composée du juge d'application des peines, du directeur du centre, des médecins, du psychologue, du chef des gardes, du greffe judiciaire, du chef du service de réinsertion, en plus de deux représentants du wali et de l'APC accordent dans certains cas, des permissions au profit de certains détenus. Elle peut également prononcer des décisions de liberté conditionnelle pour les détenus dont le comportement est jugé satisfaisant.

    Ilyès, jeune détenu qui vient tout juste de faire ses 17 ans fait justement partie de ces détenus qualifiés de «sérieux et de disciplinés». En plus des cours de coiffure qu'il suit, il est également chargé par l'administration pénitentiaire du centre d'assister les médecins lors des visites médicales aux détenus. Son rôle consiste principalement à organiser le passage des jeunes mineurs pour les différentes visites médicales.

    Comme la majorité des détenus du centre de Gdyel, Ilyès fut incarcéré pour vol. A la cuisine, une demi-douzaine de détenus assiste le chef cuisinier pour la préparation des repas du midi et du soir. Presque tous sont originaires du sud du pays : Oued Souf, El-Bayadh, Tindouf et Béchar entre autres. Ces jeunes gens ont la réputation d'être très calmes et pas du tout violents. Et pour cause : la cuisine est un endroit sensible, vu qu'elle abrite toutes sortes d'ustensiles, qui peuvent être utilisés comme armes, si toutefois, ils tombaient entre de mauvaises mains. Le choix des détenus qui travaillent à la cuisine n'est donc jamais fortuit. Outre cet aspect «sécuritaire», il répond également à un souci qu'on pourrait qualifier d'»humanitaire» vu que ces détenus ne reçoivent pas de visite de leur proches aussi souvent que les détenus originaires du nord du pays. «Oued Souf» comme l'appellent ses codétenus en référence à sa ville d'origine, fait partie des rares détenus mineurs condamnés pour faux et usage de faux. Impliqué dans une histoire de falsification de permis de conduire avec des majeurs, il purge une peine de trois ans de réclusion. Il espère sortir prochainement si toutefois il bénéficie de la prochaine grâce.

    LA REFORME, C'EST AUSSI LA FORMATION DU PERSONNEL PENITENCIER

    C'est le directeur adjoint M. Nachet Nouh, qui assure la gestion du centre des mineurs de Gdyel, en l'absence du directeur, actuellement, nous dit-on, en formation à l'Institut supérieur de la gestion et de la planification (ISGP) de Bordj El-Kifane. La réforme pénitentiaire lancée depuis quelques années par le ministère de la Justice donne une importance primordiale à la formation du personnel, nous confie, M. Nachet. C'est une formation qui concerne l'ensemble du personnel, et pas uniquement les cadres. Issu généralement de l'école de l'administration pénitentiaire de Sour El-Ghozlane, avec ses deux annexes de M'sila et de Kasr Chellala, le personnel pénitencier suit régulièrement des formations cycliques, dont certaines à l'étranger (France, Suisse, et Italie, entre autres). C'est des formations qui s'articulent généralement sur les volets relatifs à la gestion des ressources humaines, management et communication, entre autres.

    Le renforcement de la qualité du personnel mais aussi de son nombre est ainsi inscrit parmi les objectifs de cette réforme.

    Le centre de détention et de réinsertion pour mineurs de Gdyel qui s'étend sur une superficie de 12.600 m² emploie actuellement quelque 80 agents pour autant de détenus, âgés entre 15 et 18 ans. Bâti en 1976, le centre qui accueille les détenus de toute la région ouest du pays, dispose de trois grandes salles dortoirs, d'un terrain de jeu, de trois classes et de plusieurs salles de soins gérées par trois médecins généralistes, un dentiste et deux psychologues.

    Le vol représente 65 % des motifs pour lesquels sont condamnés les mineurs du centre, alors que le meurtre par préméditation en représente entre 8 et 9 %. Le reste des condamnations est soit pour coups et blessures volontaires, détention de stupéfiants, ou encore outrage.

    Tout le défi, pas seulement de l'administration pénitentiaire mais de la société en général, est que ces enfants «tôlards», deviennent un jour des hommes libres de choisir leur propre voie.

    Par Le Quotidien d'Oran

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