Yasmina Khadra : «C’est un sacrifice pour moi d’accepter ce poste»
Ta franchise me rassure, cher frère. Et me touche. Ainsi s'inquiètent les amis pour leurs amis. Mais, crois-moi, il n'y a pas le feu. Cette nomination m'a surpris, moi le premier. Je l'ai acceptée par humilité. Elle ne m'apporte rien de bon, à tous les niveaux. Mais elle est une tâche comme tant d'autres, et j'ai accepté de l'assumer POUR TOUS LES ARTISTES ET LES INTELLECTUELS qui ont besoin de mes services. TOUS LES ARTISTES ET INTELLECTUELS indésirables, persona non grata comme je l'ai été, moi-même, dans ce centre.
Tu ne peux pas imaginer ni mesurer le soulagement de cette élite tant marginalisée depuis qu'elle a appris que j'étais à la direction du CCA. Je reçois tous les jours des appels enthousiastes, des projets ressuscités, des espoirs fous. Comment peut-on être si bas et si stupide pour croire ou faire croire que cette nomination me profiterait personnellement lorsque mon lectorat et mon éditeur craignent de voir leur auteur détourné ? Comment peut-on être si expéditif en parlant de course au "koursi", moi qui dispose d'un trône plus beau que celui des rois : Ma Liberté! ?
Comment peut-on soupçonner une quelconque tentation pécuniaire, à ce poste, quand, en restant au chaud chez moi, confortablement installé dans ma paresse, dormant quand je veux et me levant comme bon me semble, je gagne largement ma vie. Mon problème est que j'aime mon pays. Je n'en ai pas d'autre et je l'ai toujours servi avec mes tripes et mes rêves les plus ridicules. C'est un sacré sacrifice pour moi que d'accepter ce poste, sauf qu'il se trouve que d'autres ont donné plus que leur liberté pour nous tous, qu'ils ont donné leur VIE, en nous léguant leurs veuves et leurs orphelins. J'ignore comment fonctionne l'esprit des nôtres, de certains des nôtres car ils sont nombreux ceux qui ont compris mon geste et s'en réjouissent. Mais ne l'ai-je pas dit mille fois, écrit noir sur blanc ? On ne peut redresser les esprits retors sans les casser. Les gens nobles reconnaissent tout de suite la beauté des engagements sains. Quant aux minables, ils ne sauront déceler la grandeur chez les autres. Ils ignorent ce que c'est. Ils ne peuvent même pas accéder à l'estime qu'ils devraient avoir pour leurs propres personnes.
Je suis ce que j'ai toujours été : un brave fils de l'Algérie. Je n'ai jamais trahi, jamais triché, jamais renié les miens, et j'ai toujours eu le courage de mes convictions. Ce n'est pas le Centre culturel algérien qui rehausse le prestige d'un écrivain comme moi, c'est moi qui lui donne une allure, une vocation, une crédibilité en le ravissant aux prédateurs de tout poil et aux fonctionnaires encroûtés, aussi enclavés culturellement que les enclos à bestiaux.
Par ailleurs, la confiance que m'accorde le président de la République est, à elle seule, une révolution. C'est historique. C'est la première fois qu'un chef d'Etat algérien confie une tâche importante à un écrivain qui n'est pas du sérail et qui a toujours été virulent à l'encontre du régime. Je n'ai pas le droit de condamner cette ouverture.
Peut-être sommes-nous enfin en train d'accéder à la maturité ? Peut-être le pouvoir se rend-il enfin compte que l'élite est là pour l'éclairer et non pour le vilipender, qu'il est temps de la mobiliser autour d'un idéal commun au lieu de la marginaliser avant de la livrer poings et pieds liés à la manipulation étrangère comme c'est le cas d'un important contingent de nos intellectuels en France, dépités d'être ignorés et traités en parias par ceux-là mêmes qui devraient les porter aux nues ?
Etonnant que l'on change d'avis du côté du pouvoir, et pas du côté de ceux qui sont censés incarner l'intelligence et la générosité ? Je ne suis l'ennemi de personne. Ma colère est saine, sans haine ni frustrations. Je suis aussi libre que le vent, aussi intègre que mes serments. Je ne suis ni à vendre ni à louer. Je suis tellement sûr de mon honnêteté que je ne crains ni les pièges ni les récupérations.
Je vais là où mon cœur me dit d'aller, désintéressé parce aucunement dans le besoin, entier parce que j'aime mon pays. Je sais, c'est une rengaine vieille comme le plus vieux métier du monde, mais il se trouve que je suis aussi vieux que la naïveté, aussi vieux que la pureté aussi. Tu me ferais un grand plaisir si tu publiais cette lettre dans le Soir d’Algérie. Il faut que les choses soient claires même si, forcément, les nuisances et les infamies relèvent de la noirceur et des opacités.
Ton ami, Mohammed Moulessehoul,
alias Yasmina Khadra,
bédouin parce qu'authentique,
Algérien parce qu'il sait ce que ça signifie
Ta franchise me rassure, cher frère. Et me touche. Ainsi s'inquiètent les amis pour leurs amis. Mais, crois-moi, il n'y a pas le feu. Cette nomination m'a surpris, moi le premier. Je l'ai acceptée par humilité. Elle ne m'apporte rien de bon, à tous les niveaux. Mais elle est une tâche comme tant d'autres, et j'ai accepté de l'assumer POUR TOUS LES ARTISTES ET LES INTELLECTUELS qui ont besoin de mes services. TOUS LES ARTISTES ET INTELLECTUELS indésirables, persona non grata comme je l'ai été, moi-même, dans ce centre.
Tu ne peux pas imaginer ni mesurer le soulagement de cette élite tant marginalisée depuis qu'elle a appris que j'étais à la direction du CCA. Je reçois tous les jours des appels enthousiastes, des projets ressuscités, des espoirs fous. Comment peut-on être si bas et si stupide pour croire ou faire croire que cette nomination me profiterait personnellement lorsque mon lectorat et mon éditeur craignent de voir leur auteur détourné ? Comment peut-on être si expéditif en parlant de course au "koursi", moi qui dispose d'un trône plus beau que celui des rois : Ma Liberté! ?
Comment peut-on soupçonner une quelconque tentation pécuniaire, à ce poste, quand, en restant au chaud chez moi, confortablement installé dans ma paresse, dormant quand je veux et me levant comme bon me semble, je gagne largement ma vie. Mon problème est que j'aime mon pays. Je n'en ai pas d'autre et je l'ai toujours servi avec mes tripes et mes rêves les plus ridicules. C'est un sacré sacrifice pour moi que d'accepter ce poste, sauf qu'il se trouve que d'autres ont donné plus que leur liberté pour nous tous, qu'ils ont donné leur VIE, en nous léguant leurs veuves et leurs orphelins. J'ignore comment fonctionne l'esprit des nôtres, de certains des nôtres car ils sont nombreux ceux qui ont compris mon geste et s'en réjouissent. Mais ne l'ai-je pas dit mille fois, écrit noir sur blanc ? On ne peut redresser les esprits retors sans les casser. Les gens nobles reconnaissent tout de suite la beauté des engagements sains. Quant aux minables, ils ne sauront déceler la grandeur chez les autres. Ils ignorent ce que c'est. Ils ne peuvent même pas accéder à l'estime qu'ils devraient avoir pour leurs propres personnes.
Je suis ce que j'ai toujours été : un brave fils de l'Algérie. Je n'ai jamais trahi, jamais triché, jamais renié les miens, et j'ai toujours eu le courage de mes convictions. Ce n'est pas le Centre culturel algérien qui rehausse le prestige d'un écrivain comme moi, c'est moi qui lui donne une allure, une vocation, une crédibilité en le ravissant aux prédateurs de tout poil et aux fonctionnaires encroûtés, aussi enclavés culturellement que les enclos à bestiaux.
Par ailleurs, la confiance que m'accorde le président de la République est, à elle seule, une révolution. C'est historique. C'est la première fois qu'un chef d'Etat algérien confie une tâche importante à un écrivain qui n'est pas du sérail et qui a toujours été virulent à l'encontre du régime. Je n'ai pas le droit de condamner cette ouverture.
Peut-être sommes-nous enfin en train d'accéder à la maturité ? Peut-être le pouvoir se rend-il enfin compte que l'élite est là pour l'éclairer et non pour le vilipender, qu'il est temps de la mobiliser autour d'un idéal commun au lieu de la marginaliser avant de la livrer poings et pieds liés à la manipulation étrangère comme c'est le cas d'un important contingent de nos intellectuels en France, dépités d'être ignorés et traités en parias par ceux-là mêmes qui devraient les porter aux nues ?
Etonnant que l'on change d'avis du côté du pouvoir, et pas du côté de ceux qui sont censés incarner l'intelligence et la générosité ? Je ne suis l'ennemi de personne. Ma colère est saine, sans haine ni frustrations. Je suis aussi libre que le vent, aussi intègre que mes serments. Je ne suis ni à vendre ni à louer. Je suis tellement sûr de mon honnêteté que je ne crains ni les pièges ni les récupérations.
Je vais là où mon cœur me dit d'aller, désintéressé parce aucunement dans le besoin, entier parce que j'aime mon pays. Je sais, c'est une rengaine vieille comme le plus vieux métier du monde, mais il se trouve que je suis aussi vieux que la naïveté, aussi vieux que la pureté aussi. Tu me ferais un grand plaisir si tu publiais cette lettre dans le Soir d’Algérie. Il faut que les choses soient claires même si, forcément, les nuisances et les infamies relèvent de la noirceur et des opacités.
Ton ami, Mohammed Moulessehoul,
alias Yasmina Khadra,
bédouin parce qu'authentique,
Algérien parce qu'il sait ce que ça signifie
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