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Comment parler des livres qu’on n’a pas lus ?

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  • Comment parler des livres qu’on n’a pas lus ?

    Radio France Internationale.

    Lectures pour tous
    par Elisabeth Bouvet


    Nul besoin d’avoir lu un livre pour en parler. Chacun d’entre nous en a fait un jour l’expérience. C’est en partant de cette observation que Pierre Bayard a écrit Comment parler des livres qu’on n’a pas lus ?, un essai publié aux Editions de Minuit. Ne pas se fier cependant au titre bravache de cet essai qui n’a rien d’une blague. C’est même tout le contraire. L’auteur prône plutôt une lecture pour tous. A l’appui de sa démonstration, une cohorte d’hommes de Lettres, de Valéry à Montaigne en passant par Oscar Wilde et David Lodge. tous pris en flagrant délit de lectures-flâneries. Bref, un essai à conseiller à tous ceux que la Littérature avec un grand «L» a trop souvent, sinon paralysés, du moins impressionnés.


    Pierre Bayard, professeur de littérature française à l'université de Paris VIII et psychanalyste.(Photo : Hélène Bamberger)

    Comment parler des livres qu’on n’a pas lus ? Avec pareil titre, Pierre Bayard, l’auteur de cet essai provocateur ne pouvait qu’attirer… le lecteur : 28 500 exemplaires vendus depuis sa publication au début de cette année aux éditions de Minuit. Jamais auparavant ce professeur de littérature à l’université Paris VIII, psychanalyste et auteur d’ouvrages de théorie littéraire n’avait connu pareil succès.

    Très étonné (voire pas dupe), Pierre Bayard imagine même que cet engouement puisse reposer sur un quiproquo. Et que des acheteurs aient pu «imaginer trouver [dans cet ouvrage] des recettes pour briller en société». Erreur fatale. Quoi qu’il en soit, son essai, qu’il ait été lu ou non, a fait jaser. Il a surtout délié les langues. Ainsi celles de quelques-uns de nos écrivains en vogue, confessant subitement, ici ou là, leurs «trous de lectures» non sans éprouver une certaine forme de soulagement à avouer ce qui, grâce à Pierre Bayard, n’est plus désormais perçu comme un forfait, un délit, un crime.

    En finir avec l’hypocrisie


    De l’aveu de Pierre Bayard, l’une des deux raisons qui ont motivé l’écriture de cet essai tient effectivement à ce souci d’en finir avec «une forme d’hypocrisie» car, poursuit-il, «nous savons bien, nous autres professionnels de la culture, que nous n’avons pas lu tous les livres dont nous parlons». Mission inévitablement vouée à l’échec que celle qui consisterait en effet à vouloir épuiser la bibliothèque mondiale.

    Tout lecteur, aussi boulimique soit-il, est donc condamné à la non-lecture. Pour étayer son propos, l’auteur convoque d’ailleurs un certain nombre d’écrivains, et pas des moindres. De Musil à Paul Valéry, intarissable sur Proust qu’il a pourtant à peine lu, de David Lodge à Umberto Eco sans oublier Montaigne et son aptitude à l’oubli (y compris de ses propres œuvres), se dessine petit à petit une définition de la lecture aux multiples facettes. «Il n’y a pas qu’une manière de lire un livre.

    Il n’y a pas uniquement que le trajet rectiligne de la première à la dernière ligne, il existe toute une série de trajets buissonniers», confirme Pierre Bayard qui, pour écrire Comment parler des livres qu’on n’a pas lus ?, s’est lui-même, durant une année, livré à des dizaines de lectures vagabondes. Recherches menées en diagonale, de livres en romans, et qui, de détours en fausses routes, l’ont finalement mené à cette réflexion qui, pour être volage, n’en demeure pas moins créative.

    Décomplexer les lecteurs

    C’est l’idée si chère à Valéry selon laquelle un écrivain se doit de ne pas trop fréquenter les œuvres de ses collègues pour ne pas être contaminé. Oscar Wilde va même plus loin expliquant que c’est rendre service à un livre dont on doit faire la critique que de ne pas le lire. «On se laisse tellement influencer», conclut l’auteur britannique, volontiers provocateur. Même Montaigne avait fini par faire de ses pertes de mémoire, un enrichissement. C’est dire l’extrême variété de vies d’un livre. «La connaissance qu’on a des livres est beaucoup plus fragmentaire, fugace, indécise que l’image que nous en donnons en général. Autant la gérer avec un maximum de créativité», précise Pierre Bayard qui regrette qu’«on ait trop souvent tendance à transmettre une image de la culture compacte, pleine et, de ce fait, terrifiante».

    Décomplexer les amateurs de lecture, le second élément qui a prévalu à l’élaboration de cette réflexion. Et quitte à appliquer à la lettre les conseils de l’auteur, reprenons son essai à rebours pour revenir aux toutes premières lignes. «Né dans un milieu où on lisait peu, ne goûtant guère cette activité […] je me suis fréquemment retrouvé […] dans des situations délicates où j’étais contraint de m’exprimer à propos de livres que je n’avais pas lus». Si «je est un autre», comme tient à le souligner Pierre Bayard, ce dernier admet être par certains côtés proche de son narrateur. En commun, notamment, le fait de ne pas être «né dans une bibliothèque». Pas de capital «livresque» dans le berceau, Pierre Bayard s’est donc retrouvé dans la situation de l’étranger qui doit appréhender une nouvelle culture. Avec ce que cela suppose d’effroi et de terreur.

    Apprendre à vivre avec les livres


    Depuis la parution de son livre, Pierre Bayard recueille régulièrement des témoignages sur ce qu’il appelle des «blessures culturelles» autrement dit «comment des personnes ont été découragées de lire Proust, Joyce ou Zola parce qu’on leur a expliqué qu’il fallait lire la totalité». «Vaincre sa peur de la culture», écrit d’ailleurs le narrateur en guise de conclusion à son essai. Ce qui nous ramène à la seule et unique question qui tienne derrière celle affriolante, du titre : qu’appelle-t-on lire ? Car, insiste Pierre Bayard, ce livre est celui «d’un amoureux de la lecture […] qui veut ramener un maximum de gens vers la lecture en leur expliquant ces clés que connaissent bien les gens cultivés à savoir ce droit qu’ils se donnent d’inventer une multiplicité de promenades dans les livres».

    Une invitation, au bout du compte, à ne pas demeurer passif avec les livres pour la simple et bonne raison, explique l’auteur, qu’«on vit davantage avec les livres qu’on ne les lit». A chacun ainsi de puiser dans la «bibliothèque collective» pour construire sa «bibliothèque personnelle» et, partant, de puiser dans ces lectures flâneuses ce qui le constituera. Sans plus, sans honte ni culpabilité.

    Si Comment parler des livres qu’on n’a pas lus ? souhaite tendre la main à ceux qui restent paralysés devant la culture, il se lit aussi comme un hommage aux livres et à leur contenu, matière décidément inépuisable que personne, quelle que soit sa manière de lire ou sa qualité de lecture, ne réussira à épuiser. Façon finalement de laisser ouvertes, les portes des bibliothèques et d’inviter à pousser celles des librairies, sans retenue.



    Comment parler des livres qu’on n’a pas lus ?
    de Pierre Bayard, Les Editions de Minuit, collection Paradoxe.
    “La vérité est rarement enterrée, elle est juste embusquée derrière des voiles de pudeur, de douleur, ou d’indifférence; encore faut-il que l’on désire passionnément écarter ces voiles” Amin Maalouf
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