Face aux exigences fiscales ou aux risques politiques des pays partenaires, le pétrolier a compris qu'il devait explorer d'autres pistes de ressources. Fini le temps du tout-pétrole !
«Notre pays le plus risqué ? La Norvège.» Yves-Louis Darricarrère, numéro deux de Total, ne déteste pas prendre ses interlocuteurs à revers. La Birmanie s'enflamme, l'Irak est en guerre, l'Iran s'en approche, lui, son problème, c'est Oslo et sa fichue manie d'augmenter, lentement mais sûrement, ses taxes sur le pétrole. Ca dure depuis 2004 et concerne, tout de même, 18% de la production du groupe. De quoi, donc, modifier sérieusement ses équilibres financiers. Beaucoup plus que les 2% tirés du trio Birmanie-Iran-Irak.
La fiscalité, voilà l'ennemi. D'autant que d'autres pays très respectables comme la Grande-Bretagne ou le Canada prennent le même chemin que la Norvège. Bref, l'Europe, qui assure plus d'un tiers de la production de Total, est plus contraignante que les Emirats arabes unis ou le Qatar. Pour l'instant.
Car il y a un dénominateur commun entre tous ces pays : depuis le quadruplement du prix du pétrole en quatre ans, la situation s'est singulièrement compliquée pour Total. Paradoxe ? Non. «Quand les prix montent, le phénomène de nationalisme pétrolier s'amplifie, confie Patrick Pouyanné, le directeur stratégie, croissance et recherche. Les Etats pensent avoir moins besoin des grandes compagnies car ils ont plus d'argent.»
Exemple, l'Arabie Saoudite, hostile à la présence d'étrangers sur son sol, s'est ouverte dans les années 2000, alors que le prix du baril stagnait autour de 20 dollars, pour la prospection gazière. Mais dès que le pétrole s'est envolé, les majors ont été poliment remerciées. «Ensuite, poursuit Patrick Pouyanné, plus il y a d'argent sur un secteur, plus il y a de concurrence.» Résultat, Total peine de plus en plus à trouver chaque année l'équivalent de sa production, soit 1 milliard de barils, pour maintenir ses douze années de réserves. D'où l'interrogation profonde qui secoue l'état-major du groupe depuis plusieurs mois. Faut-il rester tout pétrole ? Et si la réponse est non, comment se diversifier ?
Total a trois bonnes raisons de se diversifier
Nationalisations en vue
C'est en regardant la télévision, l'un de ses passe-temps préférés, qu'un beau jour de 1999 Christophe de Margerie, actuel directeur général du groupe, se forge une religion. Ce soir-là il avait dîné avec son ami Abdallah ben Hamad al-Attiyah, ministre de l'Energie du Qatar. De retour chez lui, à 2 heures du matin, il se plante devant son poste, un whisky à la main. TV5 Monde montre des images de Hugo Châvez, le nouveau président du Venezuela, qui parle d'instaurer une «constitution bolivarienne». Le futur patron de Total (il est alors directeur de l'exploration-production) comprend aussitôt le danger : à terme, c'est la nationalisation du pétrole qui se profile. Or le Venezuela, c'est plusieurs milliards d'euros d'investissement !
Zones à risques
Plus grave encore, même si, à l'époque, la production n'a pas encore démarré au Venezuela, les champs représentent déjà des actifs importants : à lui seul, l'Orénoque «pèse» plusieurs années de réserves. Or, pour une compagnie pétrolière, les réserves sont au moins aussi importantes que les puits en exploitation. Le cours de Bourse est d'ailleurs plus sensible à la quantité de réserves disponibles qu'à la production effective. Finalement, le pire n'a pas encore eu lieu. Les autorités vénézuéliennes se sont contentées pour le moment de prendre 60% des conglomérats internationaux qui exploitent les champs, et Hugo Chavez a répété «qu'un projet nationaliste et révolutionnaire n'était pas incompatible avec la présence d'entreprises internationales».
Mais c'est cette nuit-là de 1999 que Margerie comprend que Total ne peut pas continuer à mettre tous ses oeufs dans le même panier. Non pas à cause d'une pénurie de la matière première, mais parce que le pétrole et le gaz sont enfouis dans des zones politiquement agitées : Russie, Moyen-Orient, Afrique et, désormais, Amérique latine.
Car Chavez n'est pas un cas isolé : Lula au Brésil, Morales en Bolivie sont sur la même longueur d'onde en ce qui concerne le pétrole : les ressources doivent bénéficier d'abord à leur pays. Si bien que les permis d'exploration sont délivrés d'abord aux compagnies nationales, tandis que les majors internationales n'ont que des miettes. Idem en Algérie et en Russie, où des sociétés nationales contrôlent toute l'exploration et la production. Bref, trouver du pétrole devient de plus en plus difficile. La question de la diversification devient cruciale.
Divergences internes
Mais comment convaincre une maison longtemps vouée à un seul produit ? La question agite Total depuis longtemps, et la compagnie est clairement divisée entre les «mineurs» et les «énergéticiens». Chef de file des premiers, Thierry Desmarest, XMines, président du conseil d'administration et ancien numéro un, estime, lui, que Total a un métier, le pétrole, et doit y rester. C'est là son savoir-faire et sa fortune.
A l'autre extrême, Jean-Michel Gires, directeur du développement durable et de l'environnement du groupe, considère au contraire qu'il faut se préparer à l'après-pétrole. «Il y a un vrai défi, climatique et environnemental, explique-t-il. D'abord, nous pouvons limiter la consommation de pétrole. Nous nous sommes appliqué cette règle à nous-mêmes. En améliorant notre efficacité industrielle, nous allons diminuer notre propre consommation et baisser nos dépenses d'énergie de 2% par an pendant les cinq ans à venir.» Mais le vrai défi est plus vaste. Et le groupe a commencé à en prendre la mesure. Total se diversifie d'abord en planchant sur les carburants du futur. «L'Excellium que nous commercialisons, aussi bien dans sa forme gazole que SP 98, permet de réduire la consommation de 3%», affirme Jean-Michel Gires. Bien sûr, ce carburant est plus cher. La stratégie de Total consiste donc à jouer le jeu de la baisse de la consommation en vendant des produits haut de gamme avec un marketing agressif qui joue sur leur caractère prétendu moins polluant.
Le groupe s'est aussi attaqué aux biocarburants dont il distribue 1,2 million de tonnes par an en France, une goutte d'eau par rapport aux 50 millions de tonnes de carburant vendues en France, mais en progression régulière. «Nous préparons la seconde génération, poursuit Jean-Michel Gires, avec des huiles d'origine animale ou végétale. Les quantités vont fortement augmenter. Déjà, nous approchons des 3% de biocarburant dans l'essence et le gazole distribués à la pompe. Nous atteindrons prochainement les 5%.»
Parallèlement, Total étudie la possibilité de fabriquer des carburants liquides de synthèse, à partir du gaz ou du charbon. «La technologie existe, tempère Jean-Michel Gires, mais avec ces carburants la moitié de l'énergie contenue dans le gaz ou le charbon est gaspillée pour la transformation en liquide.»
«Notre pays le plus risqué ? La Norvège.» Yves-Louis Darricarrère, numéro deux de Total, ne déteste pas prendre ses interlocuteurs à revers. La Birmanie s'enflamme, l'Irak est en guerre, l'Iran s'en approche, lui, son problème, c'est Oslo et sa fichue manie d'augmenter, lentement mais sûrement, ses taxes sur le pétrole. Ca dure depuis 2004 et concerne, tout de même, 18% de la production du groupe. De quoi, donc, modifier sérieusement ses équilibres financiers. Beaucoup plus que les 2% tirés du trio Birmanie-Iran-Irak.
La fiscalité, voilà l'ennemi. D'autant que d'autres pays très respectables comme la Grande-Bretagne ou le Canada prennent le même chemin que la Norvège. Bref, l'Europe, qui assure plus d'un tiers de la production de Total, est plus contraignante que les Emirats arabes unis ou le Qatar. Pour l'instant.
Car il y a un dénominateur commun entre tous ces pays : depuis le quadruplement du prix du pétrole en quatre ans, la situation s'est singulièrement compliquée pour Total. Paradoxe ? Non. «Quand les prix montent, le phénomène de nationalisme pétrolier s'amplifie, confie Patrick Pouyanné, le directeur stratégie, croissance et recherche. Les Etats pensent avoir moins besoin des grandes compagnies car ils ont plus d'argent.»
Exemple, l'Arabie Saoudite, hostile à la présence d'étrangers sur son sol, s'est ouverte dans les années 2000, alors que le prix du baril stagnait autour de 20 dollars, pour la prospection gazière. Mais dès que le pétrole s'est envolé, les majors ont été poliment remerciées. «Ensuite, poursuit Patrick Pouyanné, plus il y a d'argent sur un secteur, plus il y a de concurrence.» Résultat, Total peine de plus en plus à trouver chaque année l'équivalent de sa production, soit 1 milliard de barils, pour maintenir ses douze années de réserves. D'où l'interrogation profonde qui secoue l'état-major du groupe depuis plusieurs mois. Faut-il rester tout pétrole ? Et si la réponse est non, comment se diversifier ?
Total a trois bonnes raisons de se diversifier
Nationalisations en vue
C'est en regardant la télévision, l'un de ses passe-temps préférés, qu'un beau jour de 1999 Christophe de Margerie, actuel directeur général du groupe, se forge une religion. Ce soir-là il avait dîné avec son ami Abdallah ben Hamad al-Attiyah, ministre de l'Energie du Qatar. De retour chez lui, à 2 heures du matin, il se plante devant son poste, un whisky à la main. TV5 Monde montre des images de Hugo Châvez, le nouveau président du Venezuela, qui parle d'instaurer une «constitution bolivarienne». Le futur patron de Total (il est alors directeur de l'exploration-production) comprend aussitôt le danger : à terme, c'est la nationalisation du pétrole qui se profile. Or le Venezuela, c'est plusieurs milliards d'euros d'investissement !
Zones à risques
Plus grave encore, même si, à l'époque, la production n'a pas encore démarré au Venezuela, les champs représentent déjà des actifs importants : à lui seul, l'Orénoque «pèse» plusieurs années de réserves. Or, pour une compagnie pétrolière, les réserves sont au moins aussi importantes que les puits en exploitation. Le cours de Bourse est d'ailleurs plus sensible à la quantité de réserves disponibles qu'à la production effective. Finalement, le pire n'a pas encore eu lieu. Les autorités vénézuéliennes se sont contentées pour le moment de prendre 60% des conglomérats internationaux qui exploitent les champs, et Hugo Chavez a répété «qu'un projet nationaliste et révolutionnaire n'était pas incompatible avec la présence d'entreprises internationales».
Mais c'est cette nuit-là de 1999 que Margerie comprend que Total ne peut pas continuer à mettre tous ses oeufs dans le même panier. Non pas à cause d'une pénurie de la matière première, mais parce que le pétrole et le gaz sont enfouis dans des zones politiquement agitées : Russie, Moyen-Orient, Afrique et, désormais, Amérique latine.
Car Chavez n'est pas un cas isolé : Lula au Brésil, Morales en Bolivie sont sur la même longueur d'onde en ce qui concerne le pétrole : les ressources doivent bénéficier d'abord à leur pays. Si bien que les permis d'exploration sont délivrés d'abord aux compagnies nationales, tandis que les majors internationales n'ont que des miettes. Idem en Algérie et en Russie, où des sociétés nationales contrôlent toute l'exploration et la production. Bref, trouver du pétrole devient de plus en plus difficile. La question de la diversification devient cruciale.
Divergences internes
Mais comment convaincre une maison longtemps vouée à un seul produit ? La question agite Total depuis longtemps, et la compagnie est clairement divisée entre les «mineurs» et les «énergéticiens». Chef de file des premiers, Thierry Desmarest, XMines, président du conseil d'administration et ancien numéro un, estime, lui, que Total a un métier, le pétrole, et doit y rester. C'est là son savoir-faire et sa fortune.
A l'autre extrême, Jean-Michel Gires, directeur du développement durable et de l'environnement du groupe, considère au contraire qu'il faut se préparer à l'après-pétrole. «Il y a un vrai défi, climatique et environnemental, explique-t-il. D'abord, nous pouvons limiter la consommation de pétrole. Nous nous sommes appliqué cette règle à nous-mêmes. En améliorant notre efficacité industrielle, nous allons diminuer notre propre consommation et baisser nos dépenses d'énergie de 2% par an pendant les cinq ans à venir.» Mais le vrai défi est plus vaste. Et le groupe a commencé à en prendre la mesure. Total se diversifie d'abord en planchant sur les carburants du futur. «L'Excellium que nous commercialisons, aussi bien dans sa forme gazole que SP 98, permet de réduire la consommation de 3%», affirme Jean-Michel Gires. Bien sûr, ce carburant est plus cher. La stratégie de Total consiste donc à jouer le jeu de la baisse de la consommation en vendant des produits haut de gamme avec un marketing agressif qui joue sur leur caractère prétendu moins polluant.
Le groupe s'est aussi attaqué aux biocarburants dont il distribue 1,2 million de tonnes par an en France, une goutte d'eau par rapport aux 50 millions de tonnes de carburant vendues en France, mais en progression régulière. «Nous préparons la seconde génération, poursuit Jean-Michel Gires, avec des huiles d'origine animale ou végétale. Les quantités vont fortement augmenter. Déjà, nous approchons des 3% de biocarburant dans l'essence et le gazole distribués à la pompe. Nous atteindrons prochainement les 5%.»
Parallèlement, Total étudie la possibilité de fabriquer des carburants liquides de synthèse, à partir du gaz ou du charbon. «La technologie existe, tempère Jean-Michel Gires, mais avec ces carburants la moitié de l'énergie contenue dans le gaz ou le charbon est gaspillée pour la transformation en liquide.»
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