Les brandons de la discorde brûlent
Il a suffi de quelques propos, peut-être et sans jeu de mots, bien mal à propos, le moment n’étant pas du tout propice, du ministre algérien des Moudjahidine qui n’a pas raté l’occasion d’incriminer la presse de son pays, pour que la classe politique française, comme un seul homme, s’insurge et déverse une charge d’invectives, exagérément virulente à l’endroit de l’Algérie, des Algériens et de ses dirigeants.
Si l’on s’en tenait de ce côté-ci de la mer aux clabaudages inconsidérés de certains membres, heureusement minoritaires, de cette même classe politique, il y a longtemps que les diplomates accrédités dans les deux capitales auraient bouclé leurs valises. Peut-être qu’il serait grand temps de dépassionner les relations entre les deux pays qui jouent au yoyo depuis un demi-siècle. La raison de ce phénomène physique d’attraction-répulsion, qui anime les deux Etats, demeure incrustée dans l’histoire violente qui les a marqués et pour toujours. C’est dans ce passé embrasé que brûlent les brandons de la discorde. Il faut beaucoup de courage pour l’ancienne puissance colonisatrice qu’est la France et son ancienne colonie qu’est l’Algérie pour s’offrir un voyage dans le temps et le revisiter pour un examen sans complaisance. L’une y trouvera les forfaits d’un système inique qui a fait de la négation de l’autre sa raison d’exister. « (…) Toute nation coloniale porte… en son sein les germes de la tentation fasciste », écrit Albert Memmi. « Qu’est-ce que le fascisme, s’interroge-t-il, sinon un régime d’oppression au profit de quelques-uns ? Or toute la machine administrative et politique de la colonie n’a pas d’autre fin. Les relations humaines sont issues d’une exploitation aussi poussée que possible, fondées sur l’inégalité et le mépris, garanties par l’autoritarisme policier. Il ne fait aucun doute, pour qui l’a vécu, que le colonialisme est une variété du fascisme. » Il n’appartient pas à l’Algérie, pas plus qu’aux autres nations, anciennement sous le joug, de dicter aux Français leur conduite par rapport à leur propre histoire et la manière de l’enseigner à leurs enfants.
Curieuse conception de la franchise !
Elle leur appartient même si elle a été à un moment partagée avec d’autres peuples au Maghreb, en Afrique, en Asie et ailleurs. Ces derniers ne peuvent pas, et ne doivent pas placer en concomitance ce passé et les contrats que dictent les nécessités économiques modernes. L’histoire du peuple algérien n’est pas une marchandise qu’on troque. Si les choses doivent en rester là avec la France, parce que celle-ci se refuse à aller à Canossa, ce n’est du reste pas du tout ce qui lui demandé, alors qu’on fasse du commerce et exclusivement ainsi que le pense et le dit une partie de l’opinion française. Celle « vaincus de la guerre d’indépendance », autrement dit les rapatriés, les harkis et les officiers antigaullistes ainsi que l’historien Mohamed Harbi, désignent les nostalgériques de tous poils. Mais il est utile de rappeler que c’est le chef de l’Etat français, Nicolas Sarkozy, en visite à Alger, l’été dernier qui, au nom d’une curieuse conception de la franchise des mots, a contrevenu aux pratiques diplomatiques en usage entre les Etats, depuis qu’on ne retourne pas la tête des ambassadeurs dans un panier, pour marquer son désaccord. Il a, en effet, décidé de nous dire tout de go et cash : « Je ne suis pas là pour demander des excuses. » Lui qui n’a rien connu d’autre de ce passé, que ce qu’il a appris sur les bancs de l’école ou de l’université et ce qu’il a dû lire dans des livres, endosse ainsi d’une certaine manière les crimes commis par les Aussaress, Le Pen et autres tortionnaires patentés depuis les Saint-Arnaud, Montagnac, Yusuf, Pélissier etc. (voir encadré). Après tout, la jeunesse de France n’a pas à prendre sur elle les crimes contre l’humanité commis par les généraux « enfumeurs » du Dahra. Mais passons… Quoi qu’il en soit, c’était la première fois qu’un chef d’Etat français en visite en Algérie, depuis Valéry Giscard d’Estaing jusqu’à Jacques Chirac, qui a fait la guerre du côté d’Oran en passant par M. Mitterrand qui nous disait en 1954 que la seule négociation avec les rebelles c’est la guerre, tenait de tels propos. Il nous apprenait qu’il était là pour ne pas s’excuser. Sans doute ses conseillers lui auraient soufflé que depuis le 3 juillet 1962, date de la reconnaissance officielle de la République algérienne par la France, nous n’en dormions pas ! Dans l’absolu pourquoi l’Algérie demanderait-elle des excuses, après tout elle est sortie victorieuse de la guerre qu’elle a menée contre le colonialisme. Parce que nous, nous savons ce que ce mot recouvre depuis 1830. « La conquête, écrivait Jean Paul Sartre, s’est faite par la violence ; la surexploitation et l’oppression exigent le maintien de la violence, dont la présence de l’armée (…). Le colonialisme refuse les droits de l’homme à des hommes qu’il a soumis par la violence, qu’il maintient de force dans la misère et l’ignorance, donc, comme dirait Marx, en état de ‘‘sous-humanité’’. Dans les faits eux-mêmes, dans les institutions, dans la nature des échanges et de la production, le racisme est inscrit. » C’est contre ce système dépourvu d’humanité que l’humanité entière, la France et les autres colonisateurs en particulier, devrait s’insurger pour le bannir à jamais, tout comme ils l’ont fait contre l’esclavage, le nazisme, l’antisémitisme, le racisme, etc. avec les instruments intellectuels du XXIe siècle. Le colonialisme est le mal absolu. L’article 4 de la loi de février 2005, excusez-nous d’insister, même s’il a été retiré, n’est pas une contrevérité, c’est une ignominie. Le fait même de l’avoir pensé est une injure à la mémoire des millions d’êtres humains qui ont connu et subi le système colonial. En préface aux Damnés de la terre de son ami Frantz Fanon, le même Sartre écrivait : « (…) Ordre est donné de ravaler les habitants du territoire annexé au niveau du singe supérieur pour justifier le colon de les traiter en bêtes de somme. La violence coloniale ne se donne pas seulement le but de tenir en respect ces hommes asservis, elle cherche à les déshumaniser. Rien ne sera ménagé pour liquider leurs traditions, pour substituer nos langues aux leurs, pour détruire leur culture sans leur donner la nôtre ; on les abrutira de fatigue. » Partout où il a sévi, le colonialisme a été synonyme de dévastation. Les archives de toutes les puissances impérialistes révèlent aujourd’hui que ce sont des millions de personnes qui tombaient à travers tous les pays qui croupissaient sous la domination, victimes des épidémies et des exactions qui les emportaient encore à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Et souligne l’historien Mike Davis : « Avec une rapacité sans égale, les empires européens, imités en cela par le Japon et les Etats-Unis, saisirent l’occasion pour se tailler de nouvelles colonies, exproprier des terres communales et accaparer de nouvelles ressources minières et agricoles. Ce qui, du point de vue des métropoles, pouvait passer pour l’ultime éclat crépusculaire d’un siècle de gloire impériale se présentait aux yeux des masses africaines ou asiatiques sous la lumière sinistre d’un immense bûcher funéraire. » En d’autres termes, poursuit-il, il ne s’agit pas de « terres de famines » échouées dans les eaux stagnantes de l’histoire mondiale, mais du sort de l’humanité tropicale au moment précis (1870-1914) où sa force de travail est ses ressources sont absorbées par la dynamique d’une économie-monde centrée sur Londres.
Il a suffi de quelques propos, peut-être et sans jeu de mots, bien mal à propos, le moment n’étant pas du tout propice, du ministre algérien des Moudjahidine qui n’a pas raté l’occasion d’incriminer la presse de son pays, pour que la classe politique française, comme un seul homme, s’insurge et déverse une charge d’invectives, exagérément virulente à l’endroit de l’Algérie, des Algériens et de ses dirigeants.
Si l’on s’en tenait de ce côté-ci de la mer aux clabaudages inconsidérés de certains membres, heureusement minoritaires, de cette même classe politique, il y a longtemps que les diplomates accrédités dans les deux capitales auraient bouclé leurs valises. Peut-être qu’il serait grand temps de dépassionner les relations entre les deux pays qui jouent au yoyo depuis un demi-siècle. La raison de ce phénomène physique d’attraction-répulsion, qui anime les deux Etats, demeure incrustée dans l’histoire violente qui les a marqués et pour toujours. C’est dans ce passé embrasé que brûlent les brandons de la discorde. Il faut beaucoup de courage pour l’ancienne puissance colonisatrice qu’est la France et son ancienne colonie qu’est l’Algérie pour s’offrir un voyage dans le temps et le revisiter pour un examen sans complaisance. L’une y trouvera les forfaits d’un système inique qui a fait de la négation de l’autre sa raison d’exister. « (…) Toute nation coloniale porte… en son sein les germes de la tentation fasciste », écrit Albert Memmi. « Qu’est-ce que le fascisme, s’interroge-t-il, sinon un régime d’oppression au profit de quelques-uns ? Or toute la machine administrative et politique de la colonie n’a pas d’autre fin. Les relations humaines sont issues d’une exploitation aussi poussée que possible, fondées sur l’inégalité et le mépris, garanties par l’autoritarisme policier. Il ne fait aucun doute, pour qui l’a vécu, que le colonialisme est une variété du fascisme. » Il n’appartient pas à l’Algérie, pas plus qu’aux autres nations, anciennement sous le joug, de dicter aux Français leur conduite par rapport à leur propre histoire et la manière de l’enseigner à leurs enfants.
Curieuse conception de la franchise !
Elle leur appartient même si elle a été à un moment partagée avec d’autres peuples au Maghreb, en Afrique, en Asie et ailleurs. Ces derniers ne peuvent pas, et ne doivent pas placer en concomitance ce passé et les contrats que dictent les nécessités économiques modernes. L’histoire du peuple algérien n’est pas une marchandise qu’on troque. Si les choses doivent en rester là avec la France, parce que celle-ci se refuse à aller à Canossa, ce n’est du reste pas du tout ce qui lui demandé, alors qu’on fasse du commerce et exclusivement ainsi que le pense et le dit une partie de l’opinion française. Celle « vaincus de la guerre d’indépendance », autrement dit les rapatriés, les harkis et les officiers antigaullistes ainsi que l’historien Mohamed Harbi, désignent les nostalgériques de tous poils. Mais il est utile de rappeler que c’est le chef de l’Etat français, Nicolas Sarkozy, en visite à Alger, l’été dernier qui, au nom d’une curieuse conception de la franchise des mots, a contrevenu aux pratiques diplomatiques en usage entre les Etats, depuis qu’on ne retourne pas la tête des ambassadeurs dans un panier, pour marquer son désaccord. Il a, en effet, décidé de nous dire tout de go et cash : « Je ne suis pas là pour demander des excuses. » Lui qui n’a rien connu d’autre de ce passé, que ce qu’il a appris sur les bancs de l’école ou de l’université et ce qu’il a dû lire dans des livres, endosse ainsi d’une certaine manière les crimes commis par les Aussaress, Le Pen et autres tortionnaires patentés depuis les Saint-Arnaud, Montagnac, Yusuf, Pélissier etc. (voir encadré). Après tout, la jeunesse de France n’a pas à prendre sur elle les crimes contre l’humanité commis par les généraux « enfumeurs » du Dahra. Mais passons… Quoi qu’il en soit, c’était la première fois qu’un chef d’Etat français en visite en Algérie, depuis Valéry Giscard d’Estaing jusqu’à Jacques Chirac, qui a fait la guerre du côté d’Oran en passant par M. Mitterrand qui nous disait en 1954 que la seule négociation avec les rebelles c’est la guerre, tenait de tels propos. Il nous apprenait qu’il était là pour ne pas s’excuser. Sans doute ses conseillers lui auraient soufflé que depuis le 3 juillet 1962, date de la reconnaissance officielle de la République algérienne par la France, nous n’en dormions pas ! Dans l’absolu pourquoi l’Algérie demanderait-elle des excuses, après tout elle est sortie victorieuse de la guerre qu’elle a menée contre le colonialisme. Parce que nous, nous savons ce que ce mot recouvre depuis 1830. « La conquête, écrivait Jean Paul Sartre, s’est faite par la violence ; la surexploitation et l’oppression exigent le maintien de la violence, dont la présence de l’armée (…). Le colonialisme refuse les droits de l’homme à des hommes qu’il a soumis par la violence, qu’il maintient de force dans la misère et l’ignorance, donc, comme dirait Marx, en état de ‘‘sous-humanité’’. Dans les faits eux-mêmes, dans les institutions, dans la nature des échanges et de la production, le racisme est inscrit. » C’est contre ce système dépourvu d’humanité que l’humanité entière, la France et les autres colonisateurs en particulier, devrait s’insurger pour le bannir à jamais, tout comme ils l’ont fait contre l’esclavage, le nazisme, l’antisémitisme, le racisme, etc. avec les instruments intellectuels du XXIe siècle. Le colonialisme est le mal absolu. L’article 4 de la loi de février 2005, excusez-nous d’insister, même s’il a été retiré, n’est pas une contrevérité, c’est une ignominie. Le fait même de l’avoir pensé est une injure à la mémoire des millions d’êtres humains qui ont connu et subi le système colonial. En préface aux Damnés de la terre de son ami Frantz Fanon, le même Sartre écrivait : « (…) Ordre est donné de ravaler les habitants du territoire annexé au niveau du singe supérieur pour justifier le colon de les traiter en bêtes de somme. La violence coloniale ne se donne pas seulement le but de tenir en respect ces hommes asservis, elle cherche à les déshumaniser. Rien ne sera ménagé pour liquider leurs traditions, pour substituer nos langues aux leurs, pour détruire leur culture sans leur donner la nôtre ; on les abrutira de fatigue. » Partout où il a sévi, le colonialisme a été synonyme de dévastation. Les archives de toutes les puissances impérialistes révèlent aujourd’hui que ce sont des millions de personnes qui tombaient à travers tous les pays qui croupissaient sous la domination, victimes des épidémies et des exactions qui les emportaient encore à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Et souligne l’historien Mike Davis : « Avec une rapacité sans égale, les empires européens, imités en cela par le Japon et les Etats-Unis, saisirent l’occasion pour se tailler de nouvelles colonies, exproprier des terres communales et accaparer de nouvelles ressources minières et agricoles. Ce qui, du point de vue des métropoles, pouvait passer pour l’ultime éclat crépusculaire d’un siècle de gloire impériale se présentait aux yeux des masses africaines ou asiatiques sous la lumière sinistre d’un immense bûcher funéraire. » En d’autres termes, poursuit-il, il ne s’agit pas de « terres de famines » échouées dans les eaux stagnantes de l’histoire mondiale, mais du sort de l’humanité tropicale au moment précis (1870-1914) où sa force de travail est ses ressources sont absorbées par la dynamique d’une économie-monde centrée sur Londres.
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