Inquiet, voire un peu alarmé, dans cet entretien exclusif accordé à El Watan, le docteur Sadi fait, avec lucidité, un diagnostic décapant de la situation générale du pays. Il analyse les résultats des dernières élections, explique leur portée et dessine les perspectives qui s’offrent à l’Algérie à la lumière des enjeux politiques à venir. Bien que son parti ait enlevé une dizaine d’APC en dehors de la Kabylie, Dr Sadi, avec son sens habituel de la formule, avertit contre une déconstruction de la nation et tire la sonnette d’alarme quant aux dangers endogènes et exogènes qui, d’après lui, guettent le pays. Le leader du RCD s’exprime également sur la visite du président français Nicolas Sarkozy en Algérie et la polémique qui l’a précédée.
sur le résultat des élections du 29 novembre..Un premier commentaire .
Si vous me le permettez, je voudrais d’abord délivrer un salut patriotique à tous les citoyens qui ont voté pour nous et qui, dans certains cas, ont dû s’exposer physiquement pour protéger leurs voix le soir du 29 face à une Administration chargée d’éliminer les élus non impliqués dans l’allégeance à une secte qui a pris en otage l’Algérie. Des communes RCD enlevées à Chlef, Collo, Djelfa ou Tipaza n’ont été sauvegardées que parce que les agents du pouvoir ont été mis dans l’obligation de recourir à une répression violente qu’à céder. Ces Algériens ont fait accomplir à la nation, le 29 novembre, un sursaut dont peu de gens évaluent l’importance. Le chantage à la menace fiscale, au blocage des projets comme le recours officiel à un régionalisme éhonté, ne sont pas venus à bout de ce qu’il faut bien appeler une insurrection citoyenne contre un tribalisme d’Etat. Malheureusement, ce dévouement patriotique n’a pas suffi partout puisqu’à Tébessa, un militant du RCD, refusant d’abandonner le bureau de vote au moment où le bourrage devait commencer, a été agressé et évacué à l’hôpital dans le coma pour lui apprendre, et ce sont les termes d’agents de l’Etat, « à adhérer à un parti dirigé par un Kabyle ». Le ministre de l’Intérieur et ses relais pourront toujours nous dire que ce sont là des dépassements individuels et marginaux.
C’est, en effet, ce que disent les officiels lorsque les observateurs signalent ce genre de dérapage…
Quand un ministre de l’Intérieur fait une conférence de presse deux semaines avant les élections pour annoncer, sans vergogne, que les listes du RCD ont été refusées parce qu’elles sont constituées de criminels, de militants intégristes voire de personnes décédées, il ne commet pas seulement un mensonge de façon délibérée, il appelle, au minimum, à l’élimination politique de ceux qui, pour lui, sont des sous-citoyens dès lors qu’ils n’ont pas fait la moubayaâ (allégeance). Cela est une constante. C’est, ne l’oublions pas, lui qui a ordonné d’éliminer le syndicaliste Azzi des listes du RCD lors des législatives de mai 2007, alors que la même personne avait été député en 1977. Voilà ce qu’a fait Bouteflika de l’Algérie de Abane et de Ben M’hidi. Je ne veux pas être alarmiste mais ce qui se manifeste contre le RCD représente des signes avant-coureurs de délabrements institutionnels qui sont lourds de conséquences pour la pérennité de la nation.
Quelle lecture politique faites-vous des désordres et autres violences que vous dénoncez à l’occasion de ces élections ?
Si l’on évacue la fracture faite sur le mur du ghetto imposé au RCD – ce qui est symboliquement et politiquement important dans l’hypothèse d’une reconstruction nationale –, je crains que nous ne soyons devant l’expression d’une volonté de déconstruction de la nation pour imposer un ordre politique archaïque fondé sur la brutalité et la prédation. En observant la répartition des quotas faite au profit des cinq partis de l’alliance présidentielle, on note un phénomène inédit dans la fraude : une épuration des acteurs politiques indociles de tous les grands centres urbains où s’élaborent et se traitent les décisions politiques et économiques. Après avoir littéralement colonisé le gouvernement et la haute administration, Bouteflika parachève sa « conquête » par l’occupation clientéliste des espaces de gestion de la richesse nationale. Comment expliquer que le RCD qui a pu préserver des sièges APW à Tamanrasset, Illizi ou Tindouf n’en obtienne aucun à Alger, son fief, Boumerdès ou Sétif ? La secte au pouvoir est fascinée par les conceptions dynastiques de l’autorité. C’est au moment où le Maroc semble vouloir s’orienter vers une monarchie parlementaire que Bouteflika structure une féodalité tribale inspirée par les archaïsmes qui ont paralysé le royaume alaouite pendant toute son histoire d’après-guerre. L’opposition est reléguée dans le monde rural – matrice du mouvement national –, aujourd’hui réprimé politiquement, surveillé politiquement et abandonné économiquement. C’est le blad essiba qui est tenu en suspicion pendant que le makhzen, occupant la cité, accumule pouvoir et richesse. Un tel scénario prétend à la confiscation du pouvoir dans la durée et, bien entendu, annonce une nouvelle Constitution et donc un troisième mandat.
Soyons plus précis, M. Sadi, vous avez dénoncé ce que vous appelez la « secte de Tikrit », à qui faites-vous allusion ?
Mon propos n’a rien de bien original. Il exprime et précise ce que l’opinion publique observe, subit et dénonce au quotidien même si ce qui tient lieu de classe politique a de la peine à embrayer sur la vox populi. Dans l’analyse immédiate, nous sommes bien dans le scénario irakien propre à la fin du règne de Saddam Hussein. Une famille installée au pouvoir par l’armée dans un moment de fragilité nationale accapare la richesse du pays, entretient le marasme social, étouffe les libertés et divise la nation dans un délitement éthique et politique. Quand le régionalisme le plus sectaire structure le pouvoir et que la fraude électorale endémique croise la corruption et la répression d’Etat, l’histoire enseigne que les nations basculent dans un élan libérateur ou s’abîment dans une désintégration chaotique. Ce tribalisme est, ne nous leurrons pas, vécu et compris pour ce qu’il est par les populations algériennes et tous ceux qui s’intéressent à notre pays. Chacun, pour l’instant, à l’intérieur comme à l’extérieur, lui oppose les réactions qui répondent le mieux à ses frustrations ou à ses ambitions. J’étais dans les Aurès pendant cette campagne, l’exaspération accompagne chaque acte et propos politique. L’attaque qu’il y a eu contre l’aérodrome militaire de Djanet a été revendiquée par un embryon du Mouvement de libération du Sud. La déstabilisation politique et économique de la Kabylie ouvre des brèches dans lesquelles peuvent s’engouffrer toutes les surenchères et manipulations. Al Qaïda, après avoir tenté en vain de pénétrer la région Afrique du Nord Sahel par la Tunisie et le Maroc, a définitivement choisi l’Algérie – ventre mou de la zone – pour s’y installer. Nous sommes la proie de toutes sortes de périls : misère sociale, exode de la jeunesse et des cadres qui ne manquera pas d’affaiblir davantage le pays, régionalisme, corruption généralisée. Le tout aggravé par les visées économiques d’acteurs étrangers qui monnaient leur condescendance politique devant les abus despotiques par des contrats hypothéquant le devenir national… Bouteflika a fait de l’Algérie une nation en sursis. Oui, la secte de Tikrit risque de mettre un terme à une épopée née un certain novembre 1954 et traduite par un projet républicain démocratique et social, plus que jamais d’actualité, un certain mois d’août 1956.
sur le résultat des élections du 29 novembre..Un premier commentaire .
Si vous me le permettez, je voudrais d’abord délivrer un salut patriotique à tous les citoyens qui ont voté pour nous et qui, dans certains cas, ont dû s’exposer physiquement pour protéger leurs voix le soir du 29 face à une Administration chargée d’éliminer les élus non impliqués dans l’allégeance à une secte qui a pris en otage l’Algérie. Des communes RCD enlevées à Chlef, Collo, Djelfa ou Tipaza n’ont été sauvegardées que parce que les agents du pouvoir ont été mis dans l’obligation de recourir à une répression violente qu’à céder. Ces Algériens ont fait accomplir à la nation, le 29 novembre, un sursaut dont peu de gens évaluent l’importance. Le chantage à la menace fiscale, au blocage des projets comme le recours officiel à un régionalisme éhonté, ne sont pas venus à bout de ce qu’il faut bien appeler une insurrection citoyenne contre un tribalisme d’Etat. Malheureusement, ce dévouement patriotique n’a pas suffi partout puisqu’à Tébessa, un militant du RCD, refusant d’abandonner le bureau de vote au moment où le bourrage devait commencer, a été agressé et évacué à l’hôpital dans le coma pour lui apprendre, et ce sont les termes d’agents de l’Etat, « à adhérer à un parti dirigé par un Kabyle ». Le ministre de l’Intérieur et ses relais pourront toujours nous dire que ce sont là des dépassements individuels et marginaux.
C’est, en effet, ce que disent les officiels lorsque les observateurs signalent ce genre de dérapage…
Quand un ministre de l’Intérieur fait une conférence de presse deux semaines avant les élections pour annoncer, sans vergogne, que les listes du RCD ont été refusées parce qu’elles sont constituées de criminels, de militants intégristes voire de personnes décédées, il ne commet pas seulement un mensonge de façon délibérée, il appelle, au minimum, à l’élimination politique de ceux qui, pour lui, sont des sous-citoyens dès lors qu’ils n’ont pas fait la moubayaâ (allégeance). Cela est une constante. C’est, ne l’oublions pas, lui qui a ordonné d’éliminer le syndicaliste Azzi des listes du RCD lors des législatives de mai 2007, alors que la même personne avait été député en 1977. Voilà ce qu’a fait Bouteflika de l’Algérie de Abane et de Ben M’hidi. Je ne veux pas être alarmiste mais ce qui se manifeste contre le RCD représente des signes avant-coureurs de délabrements institutionnels qui sont lourds de conséquences pour la pérennité de la nation.
Quelle lecture politique faites-vous des désordres et autres violences que vous dénoncez à l’occasion de ces élections ?
Si l’on évacue la fracture faite sur le mur du ghetto imposé au RCD – ce qui est symboliquement et politiquement important dans l’hypothèse d’une reconstruction nationale –, je crains que nous ne soyons devant l’expression d’une volonté de déconstruction de la nation pour imposer un ordre politique archaïque fondé sur la brutalité et la prédation. En observant la répartition des quotas faite au profit des cinq partis de l’alliance présidentielle, on note un phénomène inédit dans la fraude : une épuration des acteurs politiques indociles de tous les grands centres urbains où s’élaborent et se traitent les décisions politiques et économiques. Après avoir littéralement colonisé le gouvernement et la haute administration, Bouteflika parachève sa « conquête » par l’occupation clientéliste des espaces de gestion de la richesse nationale. Comment expliquer que le RCD qui a pu préserver des sièges APW à Tamanrasset, Illizi ou Tindouf n’en obtienne aucun à Alger, son fief, Boumerdès ou Sétif ? La secte au pouvoir est fascinée par les conceptions dynastiques de l’autorité. C’est au moment où le Maroc semble vouloir s’orienter vers une monarchie parlementaire que Bouteflika structure une féodalité tribale inspirée par les archaïsmes qui ont paralysé le royaume alaouite pendant toute son histoire d’après-guerre. L’opposition est reléguée dans le monde rural – matrice du mouvement national –, aujourd’hui réprimé politiquement, surveillé politiquement et abandonné économiquement. C’est le blad essiba qui est tenu en suspicion pendant que le makhzen, occupant la cité, accumule pouvoir et richesse. Un tel scénario prétend à la confiscation du pouvoir dans la durée et, bien entendu, annonce une nouvelle Constitution et donc un troisième mandat.
Soyons plus précis, M. Sadi, vous avez dénoncé ce que vous appelez la « secte de Tikrit », à qui faites-vous allusion ?
Mon propos n’a rien de bien original. Il exprime et précise ce que l’opinion publique observe, subit et dénonce au quotidien même si ce qui tient lieu de classe politique a de la peine à embrayer sur la vox populi. Dans l’analyse immédiate, nous sommes bien dans le scénario irakien propre à la fin du règne de Saddam Hussein. Une famille installée au pouvoir par l’armée dans un moment de fragilité nationale accapare la richesse du pays, entretient le marasme social, étouffe les libertés et divise la nation dans un délitement éthique et politique. Quand le régionalisme le plus sectaire structure le pouvoir et que la fraude électorale endémique croise la corruption et la répression d’Etat, l’histoire enseigne que les nations basculent dans un élan libérateur ou s’abîment dans une désintégration chaotique. Ce tribalisme est, ne nous leurrons pas, vécu et compris pour ce qu’il est par les populations algériennes et tous ceux qui s’intéressent à notre pays. Chacun, pour l’instant, à l’intérieur comme à l’extérieur, lui oppose les réactions qui répondent le mieux à ses frustrations ou à ses ambitions. J’étais dans les Aurès pendant cette campagne, l’exaspération accompagne chaque acte et propos politique. L’attaque qu’il y a eu contre l’aérodrome militaire de Djanet a été revendiquée par un embryon du Mouvement de libération du Sud. La déstabilisation politique et économique de la Kabylie ouvre des brèches dans lesquelles peuvent s’engouffrer toutes les surenchères et manipulations. Al Qaïda, après avoir tenté en vain de pénétrer la région Afrique du Nord Sahel par la Tunisie et le Maroc, a définitivement choisi l’Algérie – ventre mou de la zone – pour s’y installer. Nous sommes la proie de toutes sortes de périls : misère sociale, exode de la jeunesse et des cadres qui ne manquera pas d’affaiblir davantage le pays, régionalisme, corruption généralisée. Le tout aggravé par les visées économiques d’acteurs étrangers qui monnaient leur condescendance politique devant les abus despotiques par des contrats hypothéquant le devenir national… Bouteflika a fait de l’Algérie une nation en sursis. Oui, la secte de Tikrit risque de mettre un terme à une épopée née un certain novembre 1954 et traduite par un projet républicain démocratique et social, plus que jamais d’actualité, un certain mois d’août 1956.
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