Interview - Khadija Mohsen-Finan, chercheur à l'Ifri, décrypte les nouvelles relations franco-algériennes au moment du voyage du chef de l'Etat.
Nicolas Sarkozy débute ce lundi une visite d'Etat de trois jours, le plus haut degré dans le protocole diplomatique.
Propos recueillis par Fabrice AUBERT Chaine LCI le 02/12/2007 - 14h25
khadija mohsen-finanKhadija Mohsen-Finan est chargée de recherches sur le Mahgreb à l'Institut français des relations internationales. Elle est également enseignante à Sciences-Po Paris.
LCI.fr : Les déclarations du ministre des Anciens combattants sur Sarkozy et le "lobby juif" (cliquez ici pour lire notre article) sont-elles un dérapage personnel ou proviennent-elle d'une stratégie délibérée du pouvoir algérien ?
Khadija Mohsen-Finan : C'est difficile à dire. Mais j'ai du mal à croire que l'on puisse faire de telles déclarations de manière personnelle. Cela ne m'étonnerait pas qu'il ait reçu le feu vert du président Bouteflika lui-même.
LCI.fr : Quel serait l'intérêt du président algérien à agir de la sorte ?
K. M.-F. : Il faut tout d'abord noter, que lors de leur entretien téléphonique, il ne s'est pas excusé auprès de Sarkozy pour les propos du ministre, mais qu'il s'est contenté de dire qu'ils ne réflétaient pas la position officielle de l'Algérie. En fait, Bouteflika essaie ainsi de récréer un nationalisme et de mettre la pression sur le pouvoir français pour obtenir plus de choses. C'est aussi une manière de faire payer à la France le projet d'Union méditérranéenne et les déclarations pro-marocaines sur le conflit au Sahara occidental.
"La relation entre les deux pays évolue dans un sens contraire à l'Algérie"
LCI.fr : Le ministre abordait aussi la question de la repetance sur la période de la colonisation. Comment est perçue la posotion de Sarkozy sur le sujet (ndlr : le chef de l'Etat refuse de reconnaître au nom de la France ce que les autorités algériennes nomment les "crimes" de la guerre) ?
K. M.-F. : C'est évidemment très mal perçu, à la fois par le peuple algérien et par le pouvoir. Ils veulent en effet utiliser l'Histoire dans leurs échanges avec la France. Or en écartant l'Histoire d'un revers de manche comme le fait Sarkozy, il élimine cette carte aux Algériens. Le relation entre les deux pays, modifiée, entrent ainsi dans une ère nouvelle et prend un sens qu'ils ne maîtrisent plus. Que leur reste-t-il en effet pour mettre la pression sur la France sans l'Histoire ? Pas grand-chose.
LCI.fr : Les premiers mois de la présidence Sarkozy ont donc marqué une rupture par rapport à l'ère Chirac ?
K. M.-F. : Tout à fait. On assiste à une reconfiguration des relations dont l'Algérie a peur car elle va être obligée d'adopter un nouveau langage : celui de pays à pays en faisant abstraction de l'Histoire. Le projet d'Union méditérranéenne lancé par Sarkozy au Maroc est le symbole de ces relations nouvelles et renouvellées : l'Algérie devient un pays lambda avec qui Paris discute comme un autre. Elle est donc banalisée.
On est donc bien loin du temps du "traité d'amitié" validé avec Chirac, dans lequel la France traitait l'Algérie comme un grand pays qui avait une place spécifique. A cette époque, la diplomatie française tenait compte de l'Histoire. Par exemple, lors du salon de l'aéronautique du Bourget, des rabais étaient accordés à Alger pour le "prix de la douleur".
"Rien ne lie Sarkozy et Bouteflika"
LCI.fr : Sur le plan personnel, Sarkozy et Bouteflika sont-ils compatibles ?
K. M.-F. : Ce sont tous les deux de fortes personnalités qui privilégient l'action. Mais comme ils sont issus de deux générations différentes, ils fonctionnent de manière différente dans leurs relations avec les autres chefs d'Etat et dans leur manière d'aborder la diplomatie. Rien ne les lie vraiment.
LCI.fr : Malgré les divergences, Sarkozy vient chercher des contrats pendant cette visite d'Etat. Est-ce dire que les relations économiques font abstraction de la diplomatie ?
K. M.-F. : Oui, car même si les deux sont liées, les négociations sont conduites concrétement par des entreprises qui ne sont pas concernées par la diplomatie. Ce fut exactement la même chose lors de ses visites en Russie ou en Chine : malgré les divergences, Sarkozy est revenu avec plusieurs milliards d'euros de contrat pour les sociétés françaises.
Nicolas Sarkozy débute ce lundi une visite d'Etat de trois jours, le plus haut degré dans le protocole diplomatique.
Propos recueillis par Fabrice AUBERT Chaine LCI le 02/12/2007 - 14h25
khadija mohsen-finanKhadija Mohsen-Finan est chargée de recherches sur le Mahgreb à l'Institut français des relations internationales. Elle est également enseignante à Sciences-Po Paris.
LCI.fr : Les déclarations du ministre des Anciens combattants sur Sarkozy et le "lobby juif" (cliquez ici pour lire notre article) sont-elles un dérapage personnel ou proviennent-elle d'une stratégie délibérée du pouvoir algérien ?
Khadija Mohsen-Finan : C'est difficile à dire. Mais j'ai du mal à croire que l'on puisse faire de telles déclarations de manière personnelle. Cela ne m'étonnerait pas qu'il ait reçu le feu vert du président Bouteflika lui-même.
LCI.fr : Quel serait l'intérêt du président algérien à agir de la sorte ?
K. M.-F. : Il faut tout d'abord noter, que lors de leur entretien téléphonique, il ne s'est pas excusé auprès de Sarkozy pour les propos du ministre, mais qu'il s'est contenté de dire qu'ils ne réflétaient pas la position officielle de l'Algérie. En fait, Bouteflika essaie ainsi de récréer un nationalisme et de mettre la pression sur le pouvoir français pour obtenir plus de choses. C'est aussi une manière de faire payer à la France le projet d'Union méditérranéenne et les déclarations pro-marocaines sur le conflit au Sahara occidental.
"La relation entre les deux pays évolue dans un sens contraire à l'Algérie"
LCI.fr : Le ministre abordait aussi la question de la repetance sur la période de la colonisation. Comment est perçue la posotion de Sarkozy sur le sujet (ndlr : le chef de l'Etat refuse de reconnaître au nom de la France ce que les autorités algériennes nomment les "crimes" de la guerre) ?
K. M.-F. : C'est évidemment très mal perçu, à la fois par le peuple algérien et par le pouvoir. Ils veulent en effet utiliser l'Histoire dans leurs échanges avec la France. Or en écartant l'Histoire d'un revers de manche comme le fait Sarkozy, il élimine cette carte aux Algériens. Le relation entre les deux pays, modifiée, entrent ainsi dans une ère nouvelle et prend un sens qu'ils ne maîtrisent plus. Que leur reste-t-il en effet pour mettre la pression sur la France sans l'Histoire ? Pas grand-chose.
LCI.fr : Les premiers mois de la présidence Sarkozy ont donc marqué une rupture par rapport à l'ère Chirac ?
K. M.-F. : Tout à fait. On assiste à une reconfiguration des relations dont l'Algérie a peur car elle va être obligée d'adopter un nouveau langage : celui de pays à pays en faisant abstraction de l'Histoire. Le projet d'Union méditérranéenne lancé par Sarkozy au Maroc est le symbole de ces relations nouvelles et renouvellées : l'Algérie devient un pays lambda avec qui Paris discute comme un autre. Elle est donc banalisée.
On est donc bien loin du temps du "traité d'amitié" validé avec Chirac, dans lequel la France traitait l'Algérie comme un grand pays qui avait une place spécifique. A cette époque, la diplomatie française tenait compte de l'Histoire. Par exemple, lors du salon de l'aéronautique du Bourget, des rabais étaient accordés à Alger pour le "prix de la douleur".
"Rien ne lie Sarkozy et Bouteflika"
LCI.fr : Sur le plan personnel, Sarkozy et Bouteflika sont-ils compatibles ?
K. M.-F. : Ce sont tous les deux de fortes personnalités qui privilégient l'action. Mais comme ils sont issus de deux générations différentes, ils fonctionnent de manière différente dans leurs relations avec les autres chefs d'Etat et dans leur manière d'aborder la diplomatie. Rien ne les lie vraiment.
LCI.fr : Malgré les divergences, Sarkozy vient chercher des contrats pendant cette visite d'Etat. Est-ce dire que les relations économiques font abstraction de la diplomatie ?
K. M.-F. : Oui, car même si les deux sont liées, les négociations sont conduites concrétement par des entreprises qui ne sont pas concernées par la diplomatie. Ce fut exactement la même chose lors de ses visites en Russie ou en Chine : malgré les divergences, Sarkozy est revenu avec plusieurs milliards d'euros de contrat pour les sociétés françaises.
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