Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Les Algériens et leur(s) langue(s) de la période coloniale à nos jours

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Les Algériens et leur(s) langue(s) de la période coloniale à nos jours

    J'espère que cela va nous changer de l'over-dose sarkozienne.


    -----------------------------------------------------------------------------------------------------------
    Les Algériens et leur(s) langue(s) de la période coloniale à nos jours

    TALEB-IBRAHIMI Khaoula
    Université d’Alger


    Le paysage linguistique de l’Algérie, produit de son histoire et de sa géographie, est caractérisé par la coexistence de plusieurs variétés langagières - du substrat berbère aux différentes langues étrangères qui l’ont plus ou moins marquée en passant par la langue arabe, vecteur de l’islamisation et de l’arabisation de l’Afrique du Nord. Cette coexistence est dynamique dans les pratiques et les conduites des locuteurs qui adaptent cette diversité à leurs besoins expressifs mais elle est houleuse, fluctuante et parfois conflictuelle, dans le champ symbolique et culturel traversé par des rapports de domination et de stigmatisation linguistique aggravés par les effets d’une politique unanimiste, volontariste et centralisatrice qui exacerbe les enjeux d’une problématique identitaire fortement malmenée par les vicissitudes de l’histoire.

    La société algérienne est une société plurilingue
    Le plurilinguisme, en Algérie, s’organise autour de trois sphères langagières.

    La sphère arabophone
    Elle est la plus étendue par le nombre de locuteurs mais aussi par l’espace qu’elle occupe. En Algérie mais aussi dans le monde arabe, elle aurait tendance à se structurer dans un continuum de registres - variétés langagières - qui s’échelonnent du registre le plus normé au moins normé, en premier lieu vient l’arabe fusha (classique)[1], puis l’arabe standard ou moderne, véritable langue d’intercommunication entre tous les pays arabophones, ensuite ce que nous appelons le « dialecte des cultivés » ou l’arabe parlé par les personnes scolarisées, enfin le registre dont l’acquisition et l’usage sont les plus spontanés, ce que l’on nomme communément les dialectes ou parlers qui se distribuent dans tous les pays en variantes locales et régionales.

    Cette répartition permet de distinguer, en Algérie, les parlers ruraux des parlers citadins - en particulier ceux d’Alger, Constantine, Jijel, Nedroma et Tlemcen - et de voir se dessiner quatre grandes régions dialectales : l’Est autour de Constantine ; l’Algérois et son arrière-pays ; l’Oranie puis le Sud, de l’Atlas Saharien aux confins du Hoggar, qui connaît lui-même une grande diversité dialectale d’Est en Ouest.
    Ces dialectes constituent la langue maternelle de la majorité des Algériens et sont le véhicule d’une culture populaire riche et variée. Par leur étonnante vitalité, les parlers algériens témoignent d’une formidable résistance face à la stigmatisation et au rejet que véhiculent à leur égard les normes culturelles dominantes.

    À l’heure actuelle, nous initions avec nos étudiants de post-graduation des travaux visant à réaliser des monographies de ces parlers[2]. Par ailleurs, nous assistons à un renouveau des études en culture populaire qui tendent à sortir du ghetto de la folklorisation, des laboratoires de recherche sont créés afin de réhabiliter le patrimoine culturel algérien dans toute sa diversité.
    Dans le même temps l’Algérie tente de promouvoir la langue arabe dans sa version standard - langue de l’école, des médias, de la production intellectuelle - en se dotant d’institutions telles que le Haut conseil de la langue arabe (HCLA) en 1998 et l’Académie algérienne de la langue arabe créée en 1986. Il semble que le bilan de ces deux institutions ne soit des plus probants en matière de promotion de la langue arabe[3] d’autant plus que la question n’est pas particulière à notre pays, elle concerne tous les pays arabes. En réalité, la recherche en langue arabe et/ou sur la langue arabe à l’échelle panarabe, sinon à l’échelle de chaque pays, reste à entreprendre. Elle est malheureusement tributaire des fluctuations politiques et de l’incapacité des Arabes à transcender leurs désaccords et à penser leur union.
    En attendant, les problèmes de l’adaptation de l’arabe et sa modernisation sont toujours d’une actualité aiguë. Si la question de la graphie n’est plus pertinente depuis le recours à la publication assistée par ordinateur, celle de la création néologique et de la terminologie scientifique, sinon l’adaptation du lexique arabe à la vie moderne, demeure inextricable. En revanche, la polémique sur la réforme et la simplification de la grammaire trahit une grande confusion entre grammaire scientifique et grammaire pédagogique.

    Mais s’il est vrai qu’une langue peut bénéficier des travaux des spécialistes, elle est, également, amenée à évoluer de par l’utilisation qu’en font ses usagers dans tous les secteurs de la vie et de son implication dans le mouvement de production des idées et du sens. Et c’est justement dans ce domaine que le déficit est encore trop élevé si nous considérons la part infime qu’occupe la production intellectuelle arabe dans le monde[4].

    Par ailleurs, il faudrait que les spécialistes de langue arabe (linguistes, lexicologues, lexicographes, etc.) se libèrent des réflexes de purisme et de normativité extrêmes pour mener une réflexion hardie sur la manière d’aborder les problèmes de leur langue pour en faire un outil efficace pour le développement et la modernisation de leurs sociétés.

    La sphère berbérophone
    Elle est constituée par les dialectes berbères actuels, prolongement des plus anciennes variétés connues dans le Maghreb, ou plutôt dans l’aire berbérophone qui s’étend en Afrique de l’Égypte au Maroc et de l’Algérie au Niger. Ces parlers amazighs comme on les dénomme maintenant, constituent le plus vieux substrat linguistique de cette région et sont, de ce fait, la langue maternelle d’une partie de la population. Nous ne sommes, malheureusement, pas en mesure d’avancer des chiffres précis sur le nombre de locuteurs berbérophones tant ceux déjà publiés ont été contestés et surtout en raison de l’absence de statistiques récentes et fiables[5].

    Au-delà des chiffres, le plus important à nos yeux est d’intégrer ces parlers dans le paysage sociolinguistique algérien au même titre que les parlers arabes auxquels ils sont apparentés puisqu’ils appartiennent à la même famille chamito-sémitique.

    Face à l’islamisation et à l’arabisation du Maghreb, ces parlers ont reculé et se sont réfugiés dans les contrées au relief et à l’accès difficile : Aurès, Djurdjura (Kabylie), Gouraya, Hoggar et Mzab ainsi que quelques îlots disséminés ici et là dans le pays.

    À cette extension géographique répond une diversité étonnante et parfois préjudiciable à l’intercompréhension. Les principaux parlers amazighs algériens sont le kabyle ou taqbylit (Kabylie), le chaoui ou tachaouit (Aurès), le mzabi (Mzab) et le targui ou tamachek des Touaregs du grand Sud (Hoggar et Tassili).

    Minoritaires par le nombre des locuteurs, confinés à un usage strictement oral, ces dialectes, bien que vecteurs d’une tradition vivace et très ancienne, n’ont été soumis que tardivement à des tentatives de codification et d’uniformisation - avec peut-être à la clé, la création d’une variété normée, standardisée, le tamazight ; mais ils ont été, depuis toujours, victimes d’une domination et d’une marginalisation certaines que la scolarisation massive et les progrès de l’arabisation ont encore accentuées ces dernières années.

    Toutefois, depuis les années 1970, nous assistons à des tentatives de revalorisation de ces parlers et de la culture berbère associées à la revendication - tantôt larvée, tantôt violente - de la reconnaissance de la spécificité berbère. Depuis les événements du Printemps berbère de 1980, la création du Mouvement culturel berbère (MCB) et la répression féroce de toute expression de la diversité algérienne - et, en réalité de toute expression libre -, la revendication culturaliste s’est nourrie du déficit démocratique du pouvoir algérien et a maintenu la pression matérialisée au cours de l’année scolaire 1994-1995 par le boycott de l’école qui a trouvé son dénouement par la décision prise en mai 1995 en faveur de l’introduction du tamazight à l’école et la création du Haut conseil à l’amazighité.

    Le pouvoir algérien semblait avoir obtenu un peu de répit, les écoliers kabyles reprirent le chemin de l’école même si, par ailleurs, et à l’épreuve des faits, l’entreprise se révéla beaucoup plus difficile que prévue, les maîtres qualifiés manquaient alors que les outils didactiques faisaient cruellement défaut, et que, se posait avec une acuité remarquable le problème de la norme à enseigner alors même que cette sphère linguistique connaît une diversité dialectale très peu décrite par les spécialistes. Un pas était franchi dans la reconnaissance du fait berbère par l’inscription dans le préambule de la Constitution algérienne du triptyque, base et fondement de l’identité algérienne à savoir l’islamité, l’arabité et l’amazighité. Mais la question restait en suspens, le caractère national du tamazight n’étant pas consacré par le texte fondamental du pays.

    Elle va ressurgir d’une manière dramatique au cours des événements du Printemps noir, en avril 2001, au cours desquels plus d’une centaine de jeunes ont été victimes de la répression d’un pouvoir peu enclin à céder à la fronde d’une région rebelle mais peut-être aussi manipulée par des courants partitifs tapis dans l’ombre.
    Dernière modification par jawzia, 03 décembre 2007, 16h32.

  • #2
    Elle va ressurgir d’une manière dramatique au cours des événements du Printemps noir, en avril 2001, au cours desquels plus d’une centaine de jeunes ont été victimes de la répression d’un pouvoir peu enclin à céder à la fronde d’une région rebelle mais peut-être aussi manipulée par des courants partitifs tapis dans l’ombre.

    Après une année de troubles qui ont anéanti les espoirs de développement de la région pour des années, après des sessions de dialogues « avortés » butant sur des présupposés et des malentendus apparemment irréductibles, le pouvoir lâche du lest en reconnaissant lors d’une session exceptionnelle des deux chambres du parlement algérien, le caractère national du tamazight, le 8 avril 2002, en amendant l’article 3 de la Constitution algérienne. C’est une énorme injustice qui est réparée, une situation de fait est, enfin, inscrite juridiquement dans le texte fondamental du pays. La décision a été longue à venir mais enfin, elle est là même si des voix se sont élevées pour discuter de l’opportunité et des circonstances dans lesquelles elle fut prise. Il faut reconnaître le courage du président Abdelaziz Bouteflika qui est allé à l’encontre de sa propre culture politique et celle de ses partisans et/ou partenaires, ses alliés politiques pour être plus claire, et a tenté d’éteindre l’incendie kabyle qui aurait pu déstabiliser encore plus le pays et même, mettre en danger la cohésion et l’unité nationales.

    Nous étions, donc, en droit d’espérer que l’événement soit perçu dans sa véritable dimension et sa portée historique par ceux-là même qui ont porté la revendication de la reconnaissance du tamazight, malheureusement cela ne fut pas vraiment le cas. Il aurait fallu qu’ils dépassent leurs tendances hégémoniques pour s’accorder, entre eux et avec les autres berbérophones du pays, sur un minimum consensuel qui leur permette de trouver des solutions à un certain nombre de problèmes d’aménagement d’une langue qui, pour le moment, dans les faits et concrètement, se réalise dans une très grande diversité dialectale. Ces problèmes n’auront, à notre humble avis, justement en raison de cette diversité mais aussi des positions des uns et des autres, que des solutions partielles à l’échelle des aires de diversité régionale. La définition d’une norme linguistique commune étant un objectif qui nous semble relever plus de l’utopie que de l’appréhension réaliste des faits et de leur déroulement historique.

    Mais dès lors que la décision politique a été validée, le complexe levé, pourquoi s’entêter à revendiquer une officialisation qui suppose que les questions d’aménagement linguistique soient définitivement réglées. Ce n’est pas le cas car le plus important reste à faire. Il faut donner à cette langue ou du moins à ces variantes régionales, les moyens nécessaires pour qu’elle(s) puisse(ent) occuper pleinement sa (leurs) place(s) dans le paysage linguistique et culturel du pays.

    C’est un énorme chantier qui devait être ouvert et nous espérions qu’il serait réellement pris en charge d’une manière rationnelle, sans précipitation aucune et sans démagogie, sinon les mêmes dégâts et échecs que nous avons relevés et observés dans la mise en œuvre de la politique d’arabisation dans les années 1970 et 1990 se reproduiront.

    Des normes d’écriture devaient être dégagées car elles conditionnent la création de tous les autres instruments de codification et de normativisation comme les dictionnaires, les grammaires, les règles d’orthographe, etc. Là aussi force est de constater que, faute de consensus, aucune solution n’a été proposée. C’est le règne du bricolage, des surenchères et des propositions individuelles ou parcellaires qui ajoutent à la cacophonie alors que la société attend des réponses linguistiques et didactiques adéquates aux problèmes que pose l’enseignement de cette langue faute de quoi, la désaffection pour les cours de tamazight va mettre en péril les acquis d’une lutte longue et difficile, et compromettre les efforts consentis pour la reconnaissance de notre diversité pour en faire un atout dans la construction d’un « vivre ensemble » qui nous ouvre les portes du développement afin d’affronter la déferlante d’une mondialisation implacable qui veut nous enfermer dans un seul moule, celui de la culture marchande et mercantile du néolibéralisme triomphant.

    Pour ce faire, l’Algérie dispose d’un autre atout important, celui que son histoire mouvementée lui a donné à travers le passage sur son territoire de plusieurs civilisations et peuples différents qui ont, chacune et chacun à sa façon, laissé leurs empreintes, leurs traces, leurs cultures et leurs langues. Ce sont ces autres langues qui vont structurer la dernière sphère du plurilinguisme algérien.

    La sphère des langues étrangères
    Depuis l’Antiquité où la présence du punique et du latin était attestée, en passant par le long séjour des Ottomans qui, sans bouleverser le paysage linguistique désormais partagé entre régions berbérophones et régions arabophones, va sensiblement influer sur les variétés urbaines (Alger, Béjaia, Médéa, Constantine et Tlemcen) qui ont emprunté nombre de vocables turcs dans des domaines divers de la vie quotidienne (cuisine, habillement, noms de métiers, patronymes, etc.).

    Au cours de cette période et même avant l’arrivée des Ottomans, les Algériens ont été en contact avec d’autres langues européennes. Ce fut notamment le cas de l’espagnol dans l’Ouest du pays - en raison d’abord de la présence coloniale espagnole durant trois siècles dans la ville d’Oran puis beaucoup plus tard de la présence d’une forte proportion de colons d’origine espagnole, réfugiés républicains fuyant la répression franquiste ou encore, et depuis l’occupation française, réfugiés économiques profitant des opportunités offertes par le développement de la nouvelle colonie -, mais aussi, de l’italien dans les villes côtières de l’Est longtemps en contact avec les grands ports italiens - échanges commerciaux, rivalités entre marins italiens et corsaires algériens - et par la suite, villes d’accueil de colons d’origine italienne attirés, eux aussi, par la colonisation française.
    Toutefois, c’est le français qui a le plus perduré et influencé les usages, bouleversé l’espace linguistique et culturel algérien pour être plus exacte et précise. Les circonstances de son intrusion dans cet espace lui ont conféré un statut particulier dans la société algérienne coloniale et post-coloniale.

    Le français, langue imposée au peuple algérien par le feu et le sang, a constitué un des éléments fondamentaux utilisés par le pouvoir colonial pour parfaire son emprise sur le pays conquis et accélérer l’entreprise de déstructuration, de dépersonnalisation et d’acculturation d’un territoire devenu partie intégrante de la « mère patrie », la France.

    Nous ne reviendrons pas sur toutes les mesures mises en œuvre dans le cadre de cette entreprise de francisation qui a abouti à une véritable « désarabisation » des Algériens, confinant la majorité d’entre eux dans l’oralité, l’analphabétisme et l’ignorance[6].

    Cela, même si dès 1880, l’attitude des Algériens envers l’école française va sensiblement évoluer, passant du refus farouche à la revendication du droit à l’instruction. L’école, désormais dissociée des autres aspects de la colonisation, sera bientôt considérée comme une nécessité et un moyen de promotion économique. Les Algériens vont mesurer, dès lors, l’« avantage qu’ils peuvent retirer de la solarisation pour leur inscription sociale dans l’ordre colonial, accès à la fonction publique, aux professions libérales, aux emplois économiques »[7].

    Mais plus encore, ils ont compris qu’il fallait s’approprier la langue de l’occupant et son mode de pensée pour le contrer sur son propre terrain, qu’il fallait s’armer de ses propres armes pour entrer dans le monde moderne, pour mieux s’opposer à la présence coloniale et se défendre contre l’oppression et l’injustice. Le pays devait, à tout prix, sortir du monde de l’ignorance dans lequel vivait la majorité du peuple.

    Il faut, tout de même, noter que les résultats ont été bien modestes. La scolarisation n’a finalement touché qu’une faible partie de la population : 2 % en 1888, 3,5 % en 1902, 4,5 % en 1912, 5 % à peine en 1914, 8,9 % en 1938 et seulement 15 % en 1954, avec 85 % d’analphabètes, taux pouvant atteindre 98 % pour la population féminine dans certaines régions[8].
    En outre les disparités sociales et régionales et régionales sont restées très fortes : scolarisation relativement élevée dans les grands centres urbains mais résultats différenciés dans le milieu rural s’expliquant par la forte opposition des colons à tout effort d’instruction des « indigènes »[9], mais aussi par la sélection brutale à l’entrée dans l’école.

    Celle-ci, ouvrant ses portes aux enfants des couches de la grande et petite bourgeoisie, a favorisé l’émergence d’une élite francisée et dans l’ensemble francophile qui formera l’ossature du jeune État après l’indépendance.

    Paradoxalement, c’est après 1962 que l’usage du français s’est étendu, les immenses efforts de scolarisation déployés par le jeune État expliquant aisément l’expansion de l’utilisation de la langue française devenue par la force des choses la langue de l’administration - la proportion de lettrés dans cette langue dépassant de loin celle des lettrés en langue arabe.

    Commentaire


    • #3
      Jusqu’en 1978, date effective de l’application de l’école fondamentale totalement arabisée, la dualité linguistique caractérisait le système scolaire, pour un tiers des classes l’enseignement se faisait entièrement en langue arabe alors que pour les deux tiers restants, en langue arabe pour les matières littéraires et en langue française pour les matières scientifiques.

      Après cette date, le français ne fut plus enseigné qu’à partir de la troisième année primaire, puis un peu plus tard à partir de la quatrième année. Quant à l’enseignement secondaire, il sera entièrement arabisé à la fin de l’année scolaire 1988-1989. L’enseignement du français comme langue étrangère va énormément péricliter et même pratiquement disparaître dans certaines régions de l’intérieur et du Sud.

      Par ailleurs, un décalage important persiste entre l’enseignement secondaire arabisé et l’enseignement supérieur où le français reste la langue d’enseignement pour de nombreuses filières scientifiques. Un problème de mise à niveau des étudiants est nécessaire, les déperditions sont énormes et le taux de redoublement est particulièrement élevé.

      C’est pour tenter de remédier à cette situation que les autorités ont entamé un vaste programme de réhabilitation de l’enseignement de la langue française mais aussi, des autres langues étrangères dans le cadre de la réforme de l’école algérienne initiée au début des années 2000. Il s’agit pour ce qui concerne l’enseignement supérieur d’engager des actions de formation intensive pour les étudiants de médecine et des autres formations scientifiques et techniques - actions menées en coopération avec les Affaires culturelles françaises. Cependant, c’est l’introduction de l’enseignement du français, dès la deuxième année primaire, qui a constitué la mesure la plus spectaculaire. Cette mesure, appliquée en septembre 2004, a été très vite remise en cause par les contraintes du terrain - manque d’instituteurs qualifiés pour enseigner la langue à de très jeunes enfants, manque d’ouvrages et de matériels didactiques adéquats. Son introduction se fera désormais en troisième année primaire[10] à partir de la rentrée prochaine 2006-2007.

      Toutes ces mesures ont contribué, d’une manière constante, mais sans être intégrées ni dans une vision ni dans une politique ouvertement assumées et reconnues, à instaurer un état de bilinguisme de fait sinon de droit dans le système éducatif et dans toute la société[11].

      Nous constatons, par exemple, que la langue française occupe, encore, une place importante dans les médias écrits. Ce sont les quotidiens et périodiques de langue française qui, ensemble, ont la plus large audience, même s’ils sont de plus en plus chahutés par la presse arabophone qui bénéficie du lectorat scolarisé en masse depuis les années 1980, - le quotidien El Khabar est devenu, aujourd’hui, le quotidien le plus diffusé avec 400 000 exemplaires.

      Nos propres pratiques de lectrice bilingue et l’observation assidue des
      pratiques de nos collègues arabisants nous font dire que les arabisants lisent dans les deux langues beaucoup plus que les francisants qui souvent ne lisent qu’en langue française[12].

      Parmi les médias audiovisuels, la chaîne francophone de la radio jouit d’un succès et d’une audience remarquables. Depuis quelques années, nous assistons à la prolifération des antennes paraboliques qui permettent à nombre de foyers d’être constamment branchés sur les chaînes occidentales et plus particulièrement les chaînes françaises - ntamment TF1 -, mais là aussi, nous notons que les chaînes satellitaires arabes comme Al Djazira sont de plus en plus regardées.

      Dans le domaine de l’édition et de la diffusion du livre, la langue française continue à bénéficier d’une place non négligeable, même si d’énormes efforts sont consentis pour la promotion du livre en langue arabe, à travers la traduction et l’ouverture du marché au livre édité par les pays arabes.
      Toutes ces données nous amènent à poser la question de la place de la langue française dans la société algérienne depuis l’indépendance. Elle oscille constamment entre le statut de langue seconde ou véhiculaire et celui de langue étrangère privilégiée, partagée entre le déni « officiel » d’une part et la prégnance de son pouvoir symbolique d’autre part consacrant un état de bilinguisme de fait sinon de droit - comme nous l’avons déjà souligné ci-dessus - qui traduit l’ambivalence de la position d’un pays qui est le plus grand pays francophone après la France mais ne fait pas officiellement partie du monde de la francophonie. L’ambiguïté de la place de la langue de l’ancienne puissance colonisatrice est un des traits des sociétés post-coloniales dont l’Algérie constitue, peut-être, le cas le plus exemplaire.

      Pratiques dynamiques et rapports de force à l’intérieur du champ linguistique
      La place du français, ses rapports avec les autres langues couplés aux relations qu’entretiennent les autres variétés langagières entre elles font que nous sommes confrontés, en Algérie, à une situation de plurilinguisme complexe par l’imbrication des variétés en présence tant sur le plan des domaines d’utilisation que sur celui des pratiques effectives des locuteurs. Cette imbrication rend inopérants les schémas classiques de description des situations de plurilinguisme.

      Car on a souvent évoqué, pour décrire la situation algérienne, les notions de bilinguisme et de diglossie, notions qui ne résistent pas à l’épreuve des faits. Sans entrer dans les détails d’une discussion que nous avons développée ailleurs[13]. Nous croyons pouvoir affirmer qu’il est nécessaire d’appréhender cette situation d’un point de vue dynamique qui mette en évidence la capacité des locuteurs algériens à se mouvoir dans leur espace linguistique.
      Notre hypothèse est que les pratiques de ces locuteurs tendent à s’organiser selon un continuum de registres et d’idiomes incluant toutes les sphères langagières. Dans le même temps, elles connaissent une formidable évolution sous l’effet de la scolarisation massive, de l’arabisation et de l’influence des médias. Cependant, il est encore tôt pour évaluer les changements induits par l’introduction du tamazight à l’école et à la télévision.
      Ces locuteurs ont, à leur disposition, un riche répertoire verbal et ils savent en user et abuser, à leur convenance, en modulant cette utilisation selon les différents contextes, les interlocuteurs, les sujets et les objets de la communication ainsi que de ses enjeux.

      Ce faisant, ils font montre d’une grande liberté dans leur utilisation de ces ressources et une formidable capacité à créer du sens, des mots, « des langues », en jouant justement avec elles, en se jouant d’elles, en opérant un continuel va-et-vient entre elles, en les faisant se heurter, se chevaucher, se traverser et même s’épouser dans une fusion toujours stigmatisée par les bien-pensants et les gardiens du temple et du dogme car illicite, anormale et déviante faisant fi du bon usage.

      Les exemples foisonnent, qui sont autant de manifestations et d’indices de la faculté qu’ont les Algériens de s’adapter et à traduire la réalité de leur vie quotidienne en mettant à profit toutes les possibilités que leur offre cette réalité dans sa pluralité et sa diversité[14].

      Mais, et là n’est pas le moindre des paradoxes pour qui s’intéresse à la situation algérienne, ces pratiques contrastent, par leur vitalité et leur souplesse, avec le fonctionnement rigide et cloisonné des représentations langagières, des attitudes aux langues développées par les Algériens d’une part et avec, d’autre part, les statuts assignés à chaque variété dans la société.

      Car les locuteurs algériens semblent plus conformistes dans leurs attitudes face à ces variétés langagières en intériorisant d’une manière remarquable le modèle inégal imposé à la société par le pouvoir symbolique qui assigne à chaque variété sa position dans le champ langagier, culturel, politique et économique.

      Cette place est dominante et valorisée, position confortée par la politique linguistique se confondant avec les mesures prises dans le cadre de l’arabisation, mesures tatillonnes, unanimistes, dirigistes à la limite du chauvinisme[15] ainsi que pour le français jouissant d’une position prééminente dans le marché linguistique de par sa prépondérance dans le monde du travail et de l’économie.

      Elle est dominée et minorée pour les parlers arabes et amazighs : les premiers victimes d’une vision méprisante, présente dans la culture arabe depuis des siècles, à l’encontre de tous les usages populaires de la langue arabe ; les seconds sont victimes d’une marginalisation millénaire dont nous avons pu mesurer les incidences ci-dessus.

      Commentaire


      • #4
        Rapports aux langues et pouvoir symbolique
        C’est toute la société qui est traversée par deux grands rapports de domination :

        - Le premier oppose les deux langues d’écriture, l’arabe et le français, l’une qui s’efforce de recouvrer sa place dans la société[16], l’autre d’asseoir son image de langue de la science et de la modernité. Ces deux langues se livrent une compétition acharnée pour le contrôle du champ culturel mais aussi économique et politique du pays.

        - Le second oppose les deux normes dominantes - l’une par son statut de langue officielle, l’autre « étrangère » mais « légitimée » par son statut privilégié dans la vie économique - aux parlers arabes et amazighs, disqualifiés, stigmatisés comme si les Algériens, élites et masses populaires, voulaient chasser à jamais le spectre de la dialectalisation[17] qu’avait voulu imposer, en son temps, la puissance coloniale dans son entreprise de déculturation du peuple algérien.

        Alors que les masses populaires ne semblent pas remettre en question le modèle de fonctionnement diglossique partagé par tous les arabophones tant le prestige de l’arabe fusha est grand et prégnant et leur jugement sévère à l’encontre des parlers jugés vulgaires, pauvres et indigents - quand, bien même, ils restent, dans leur for intérieur très attachés à ces parlers qui traduisent leur attachement à leur terroir et expriment l’ancrage premier de leur identité -, leur attitude concrète à l’égard du français semble plus mitigée. Elle est partagée entre le sentiment que l’utilisation de cette langue dénote une certaine élévation du niveau social et que, dans le même temps, son rejet permettra à leurs enfants, ayant fait leurs études secondaires en langue arabe, l’accès aux filières nobles de l’enseignement supérieur dès lors que tout le système de formation sera arabisé. Toutefois, leurs stratégies ont depuis sensiblement évolué, étant donné que le français reste la langue d’enseignement dans l’enseignement supérieur. Ils vont désormais aller vers l’apprentissage de cette langue, gage de l’accès à l’Université et aux emplois gratifiants. Et même si l’enseignement privé - ayant fait le choix du bilinguisme - semble être l’apanage des couches aisées de la population, il attire, parfois, des enfants issus des couches populaires, mais il faut dire que la motivation n’est pas uniquement linguistique, elle est aussi liée à l’échec patent de l’école publique, incapable jusqu’à présent de répondre aux défis que doit relever le pays.

        Ce sont surtout les élites[18] qui vont développer des attitudes contrastées et porteuses de contradictions graves cristallisant, par leur extrémisme, des phénomènes de rupture dans le champ symbolique et culturel qui ont empêché l’émergence d’une intelligentsia nationale. Cela va de l’anti-arabisme de certains berbéristes, l’anathème porté sur les francophiles soupçonnés de sympathie chronique pour l’ancienne puissance coloniale en passant par les qualificatifs méprisants assénés aux arabisants jugés rétrogrades, archaïques ou encore intégristes dénotant une ignorance réciproque de la diversité de chaque formation culturelle qui trahit la pluralité des parcours culturels individuels et collectifs.

        Partagée entre l’attirance-adhésion et le rejet-répulsion vis-à-vis de l’arabe si elles sont de culture française, vis-à-vis du français si elles sont de culture arabe, leur goût pour l’hégémonie ne leur a pas permis de rester à l’écoute des pulsations profondes de la société et de répondre aux aspirations et frustrations de cette masse de jeunes confrontés quotidiennement à l’échec scolaire - deux élèves sur dix arrivent au baccalauréat -, au chômage qui touche 30 % de la population active - 80 % pour les jeunes non qualifiés -, à la misère, au manque de perspectives et d’espoir ainsi qu’aux modèles venus d’ailleurs entretenant le mythe du salut vers cet ailleurs chimérique, mais si présent par la grâce de la télévision et qui vont, du moins pour une partie d’entre eux, basculer dans le monde de la délinquance, de la violence et de l’anomie.

        En définitive, c’est tout le corps social qui se trouve soumis, par les effets conjugués et pervers de la déculturation coloniale aggravés, après l’indépendance, par une politique inique fondée sur la surenchère idéologique et la démagogie, à un télescopage d’attitudes et représentations contradictoires induisant des ruptures et des conflits qui peuvent mettre à mal la cohésion et l’unité nationales tant que la question des langues ne sera ni politiquement ni socialement tranchée et qu’elle restera, et à notre avis, pour encore longtemps, au centre des problèmes épineux que connaît le pays.

        L’Algérie, pays plurilingue, riche de sa diversité, de ses références culturelles plurielles, semble, malheureusement, ne pas pouvoir échapper à ses démons et sortir de l’impasse tant les ferments de l’exclusion sont toujours aussi forts et porteurs de lendemains incertains. Nous demeurons, toutefois, convaincue, que la seule voie possible pour sortir de cette impasse meurtrière consiste en l’ouverture du champ symbolique et bien sûr politique à toutes les expressions, dans le respect des différences, en un mot, dans l’accès du pays à la démocratie

        Commentaire


        • #5
          Article très intéréssant. Merci jawzia.

          Comme il est dit dans l'article, "le plurilinguisme" algérien est un substrat de plusieurs langues (berbère, arabe, français et même turc si on veut élargir) qui aurait pu être un véritable atout si les autorités successives ne s'étaient pas evertuées à biaiser et à occulter l'histoire avant toute autre chose.

          Malheureusement, la volonté constante de domination des uns par rapport aux autres fait que, à défaut de grives, l'algérien doit se contenter de merles, lui qui n'a d'autres choix aujourd'hui que de pratiquer un patchwork linguistique unique en son genre pour s'exprimer.

          J'y vois là à la fois un délicieux exotisme d'une part, mais également un flagrant manque de codification qui nous a emmenés à être sans cesse taxés d'analphabètes trilingues, d'autre part. C'est donc la déception qui prévaut car comment expliquer qu'on n'ait pas pu aboutir à une cohérence dans le langage en tirant la quintescence de ces 3 langues dominantes alors qu'il y a des pays qui ont su ériger une langue maîtresse comprise de tous, et ce malgré des dialectes qui se comptent souvent par centaines.
          Kindness is the only language that the deaf can hear and the blind can see - Mark Twain

          Commentaire


          • #6
            Deux extraits que je trouve justes et pertinents
            Sur la promotion de Tamazight

            Il faut donner à cette langue ou du moins à ces variantes régionales, les moyens nécessaires pour qu’elle(s) puisse(ent) occuper pleinement sa (leurs) place(s) dans le paysage linguistique et culturel du pays.

            C’est un énorme chantier qui devait être ouvert et nous espérions qu’il serait réellement pris en charge d’une manière rationnelle, sans précipitation aucune et sans démagogie, sinon les mêmes dégâts et échecs que nous avons relevés et observés dans la mise en œuvre de la politique d’arabisation dans les années 1970 et 1990 se reproduiront.

            Des normes d’écriture devaient être dégagées car elles conditionnent la création de tous les autres instruments de codification et de normativisation comme les dictionnaires, les grammaires, les règles d’orthographe, etc. Là aussi force est de constater que, faute de consensus, aucune solution n’a été proposée. C’est le règne du bricolage, des surenchères et des propositions individuelles ou parcellaires qui ajoutent à la cacophonie alors que la société attend des réponses linguistiques et didactiques adéquates aux problèmes que pose l’enseignement de cette langue faute de quoi, la désaffection pour les cours de tamazight va mettre en péril les acquis d’une lutte longue et difficile, et compromettre les efforts consentis pour la reconnaissance de notre diversité pour en faire un atout dans la construction d’un « vivre ensemble » qui nous ouvre les portes du développement afin d’affronter la déferlante d’une mondialisation implacable qui veut nous enfermer dans un seul moule, celui de la culture marchande et mercantile du néolibéralisme triomphant.
            L'inter-pénetrabilité des différentes sphères langagières

            Notre hypothèse est que les pratiques de ces locuteurs tendent à s’organiser selon un continuum de registres et d’idiomes incluant toutes les sphères langagières. Dans le même temps, elles connaissent une formidable évolution sous l’effet de la scolarisation massive, de l’arabisation et de l’influence des médias. Cependant, il est encore tôt pour évaluer les changements induits par l’introduction du tamazight à l’école et à la télévision.

            Ces locuteurs ont, à leur disposition, un riche répertoire verbal et ils savent en user et abuser, à leur convenance, en modulant cette utilisation selon les différents contextes, les interlocuteurs, les sujets et les objets de la communication ainsi que de ses enjeux.

            Ce faisant, ils font montre d’une grande liberté dans leur utilisation de ces ressources et une formidable capacité à créer du sens, des mots, « des langues », en jouant justement avec elles, en se jouant d’elles, en opérant un continuel va-et-vient entre elles, en les faisant se heurter, se chevaucher, se traverser et même s’épouser dans une fusion toujours stigmatisée par les bien-pensants et les gardiens du temple et du dogme car illicite, anormale et déviante faisant fi du bon usage.

            Les exemples foisonnent, qui sont autant de manifestations et d’indices de la faculté qu’ont les Algériens de s’adapter et à traduire la réalité de leur vie quotidienne en mettant à profit toutes les possibilités que leur offre cette réalité dans sa pluralité et sa diversité[14].

            Commentaire

            Chargement...
            X