En Algérie, les généraux continuent de tirer toutes les ficelles et s’adonnent toujours avec autant de plaisir à leur rôle de faiseurs de présidents.
Les Européens en poste à Alger se grattent la tête. Comment diable interpréter cet éditorial du quotidien El Moudjahid, la Pravda locale, qui appelle à un 3ème mandat d’Abdelaziz Bouteflika ? Si ce dernier rempilerait bien, n’est-il pas censé être très malade ? Les “décideurs”, comme on appelle pudiquement les vrais patrons de l’Algérie à savoir les militaires, n’avaient-il pas fait taire ceux qui, au premier semestre 2007, réclamaient une modification de la Constitution pour permettre à Bouteflika de se faire “réélire” ? Comme d’habitude, le pouvoir algérien brouille les cartes. Exactement comme il l’a fait en avril 2006, faisant circuler les noms de successeurs potentiels de Bouteflika alors hospitalisé au Val de Grâce. En l’occurrence les anciens premiers ministres Mouloud Hamrouche, Ahmed Ouyahyia et Sid Ahmed Ghozali. Ou encore en distillant l’idée que le prochain président sera kabyle, pour mettre fin à l’agitation de certains leaders politiques de cette ethnie.
Réunion chez le général Nezzar
Pour autant, la désignation du président algérien n’est ni une mince affaire ni un sujet que les “décideurs” traitent pas dessus la jambe. Ils s’y prennent toujours à l’avance et agissent dans la clandestinité. Selon la Constitution, l’armée dépend de la Présidence de la République et il convient de ménager les apparences. C’est ainsi que le 12 août dernier, une réunion s’est tenue dans la belle villa de l’ancien ministre de la Défense, Khaled Nezzar, dans le quartier huppé d’Hydra, à Alger.
Pour la troisième fois en 2007, les généraux ont remis le sujet sur le tapis discutant des cadres « en réserve de la République » qu’ils pourraient coopter. Tous les « décideurs » étaient présents : le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état major de l’armée ; le général Mohamed Mediène, alias Tewfic, chef du DRS (département du renseignement et de la sécurité) et véritable patron de l’Algérie ; le général Abdelmalek Guenaïzia, ministre délégué auprès du ministère de la Défense ; Nourredine Yazid Zerhouni, ministre de l’Intérieur, n°2 du gouvernement et l’un des fondateurs des services secrets ; ainsi qu’un mystérieux colonel-major qu’on appelle le « petit Smaïn » car il remplaçait le général Smaïn Lamari (dit El Hadj et ex-chef de la direction du contre-espionnage) lorsque, très malade et avant de décéder fin août, il ne pouvait plus rencontrer ses pairs. Sans oublier les chefs des six régions militaires que compte le pays et qui ont leur mot à dire dans le processus de décision. Certains pèsent toutefois plus que d’autres. C’est le cas du commandant de la 1ère région, le général Lahbib Chentouf, considéré comme la soupape de sécurité de l’armée ou du général Ben Ali Ben Ali, en charge de la 5è région, et qui joue les messagers auprès des Américains du Pentagone.
Abdelaziz Bouteflika n’était bien sûr pas de la partie. Même si le vénérable président milite pour introduire une dose de pouvoir “civil”, il n’a jamais été en mesure de faire plier les généraux. Ainsi, lors de son premier mandat, il s’était opposé à la présence du général Abdelmalek Guenaïzia au poste clé de ministre délégué à la Défense avant de battre en retraite. Aujourd’hui, non seulement Guenaïzia occupe le poste mais a plus de pouvoir que le chef d’Etat-major de l’armée et exerce de surcroît son autorité sur la Gendarmerie nationale !
Casting présidentiel
Le choix de Bouteflika à la tête de l’Etat algérien n’a pourtant pas été de tout repos pour les « décideurs ». Vivant alors à Abou Dhabi, il avait posé ses conditions et notamment celle de lui laisser les mains libres pour ramener son pays sur la scène internationale. Des accords sur les grandes lignes avaient été conclus avec les généraux.
Pour eux, le successeur de Liamine Zéroual devait être une personnalité civile tirant formellement sa légitimité de l’élection et réellement du soutien de l’armée. A cet égard, les candidats officiels devaient avoir appartenus au régime, auquel ils devaient être restés fidèles, même avec des orientations politiques différentes. A l’époque, trois hommes étaient capables de rallier les différents courants de l’armée : Abdelaziz Bouteflika, ancien ministre de Boumédiène, Ahmed Taleb Ibrahimi, fils du chef des oulémas des années 40 et 50, et Mouloud Hamrouche, ancien premier ministre de Chadli Bendjedid. Bouteflika l’avait finalement emporté pour deux raisons. D’abord en sa qualité de compagnon de route de Boumédiène dont, en 1978, il a prononcé l’oraison funèbre. Cela en fait en effet le dépositaire du populisme nationaliste qui séduit encore une frange de la caste dirigeante tentée de revenir à la période du parti unique durant laquelle le régime était craint et respecté. Mais surtout parce qu’il dispose de solides appuis dans l’armée, notamment de mister Tewfic en personne. Un soutien décisif quand on sait que le patron du DRS est l’homme le plus puissant d’Algérie et le principal faiseur de président depuis que le général Larbi Belkheir a été “nommé” anbassadeur d’Algérie au royaume du Maroc. Parvenu à son poste actuel en 1990, ce n’est tout de même pas un hasard si Tewfic a vu défiler cinq présidents de la République !
Tous d’accord sur le fond : l’argent du pétrole
En 2004, Abdelaziz Bouteflika a de nouveau fait parler de lui dans les chaumières des « décideurs », au moment de rempiler pour un deuxième mandat, ce qui était de toutes les façons prévu. L’ancien chef d’état-major, le général Mohamed Lamari, en sait quelque chose. Ce dernier avait tenté de se la jouer perso en mettant ses congénères devant le fait accompli. Comment ? En jouant la carte de l’ancien premier ministre et secrétaire général du FLN, Ali Benflis, à la présidence. L’appui de Tewfic à Bouteflika avait été décisif et conduit à la démission du général Lamari. Notons au passage que depuis son départ, la fonction de chef d’Etat-major de l’armée à perdu de sa superbe.
Toutefois, si la montée en flèche ou la descente aux enfers de l’un ou l’autre des décideurs dépend des circonstances et des alliances au sein de l’institution militaire, les divergences de fond restent rarissimes. Tous en effet profitent d’un quota de répartition de la manne des hydrocarbures. De quoi s’arranger entre “amis”.
par Catherine Graciet
Les Européens en poste à Alger se grattent la tête. Comment diable interpréter cet éditorial du quotidien El Moudjahid, la Pravda locale, qui appelle à un 3ème mandat d’Abdelaziz Bouteflika ? Si ce dernier rempilerait bien, n’est-il pas censé être très malade ? Les “décideurs”, comme on appelle pudiquement les vrais patrons de l’Algérie à savoir les militaires, n’avaient-il pas fait taire ceux qui, au premier semestre 2007, réclamaient une modification de la Constitution pour permettre à Bouteflika de se faire “réélire” ? Comme d’habitude, le pouvoir algérien brouille les cartes. Exactement comme il l’a fait en avril 2006, faisant circuler les noms de successeurs potentiels de Bouteflika alors hospitalisé au Val de Grâce. En l’occurrence les anciens premiers ministres Mouloud Hamrouche, Ahmed Ouyahyia et Sid Ahmed Ghozali. Ou encore en distillant l’idée que le prochain président sera kabyle, pour mettre fin à l’agitation de certains leaders politiques de cette ethnie.
Réunion chez le général Nezzar
Pour autant, la désignation du président algérien n’est ni une mince affaire ni un sujet que les “décideurs” traitent pas dessus la jambe. Ils s’y prennent toujours à l’avance et agissent dans la clandestinité. Selon la Constitution, l’armée dépend de la Présidence de la République et il convient de ménager les apparences. C’est ainsi que le 12 août dernier, une réunion s’est tenue dans la belle villa de l’ancien ministre de la Défense, Khaled Nezzar, dans le quartier huppé d’Hydra, à Alger.
Pour la troisième fois en 2007, les généraux ont remis le sujet sur le tapis discutant des cadres « en réserve de la République » qu’ils pourraient coopter. Tous les « décideurs » étaient présents : le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état major de l’armée ; le général Mohamed Mediène, alias Tewfic, chef du DRS (département du renseignement et de la sécurité) et véritable patron de l’Algérie ; le général Abdelmalek Guenaïzia, ministre délégué auprès du ministère de la Défense ; Nourredine Yazid Zerhouni, ministre de l’Intérieur, n°2 du gouvernement et l’un des fondateurs des services secrets ; ainsi qu’un mystérieux colonel-major qu’on appelle le « petit Smaïn » car il remplaçait le général Smaïn Lamari (dit El Hadj et ex-chef de la direction du contre-espionnage) lorsque, très malade et avant de décéder fin août, il ne pouvait plus rencontrer ses pairs. Sans oublier les chefs des six régions militaires que compte le pays et qui ont leur mot à dire dans le processus de décision. Certains pèsent toutefois plus que d’autres. C’est le cas du commandant de la 1ère région, le général Lahbib Chentouf, considéré comme la soupape de sécurité de l’armée ou du général Ben Ali Ben Ali, en charge de la 5è région, et qui joue les messagers auprès des Américains du Pentagone.
Abdelaziz Bouteflika n’était bien sûr pas de la partie. Même si le vénérable président milite pour introduire une dose de pouvoir “civil”, il n’a jamais été en mesure de faire plier les généraux. Ainsi, lors de son premier mandat, il s’était opposé à la présence du général Abdelmalek Guenaïzia au poste clé de ministre délégué à la Défense avant de battre en retraite. Aujourd’hui, non seulement Guenaïzia occupe le poste mais a plus de pouvoir que le chef d’Etat-major de l’armée et exerce de surcroît son autorité sur la Gendarmerie nationale !
Casting présidentiel
Le choix de Bouteflika à la tête de l’Etat algérien n’a pourtant pas été de tout repos pour les « décideurs ». Vivant alors à Abou Dhabi, il avait posé ses conditions et notamment celle de lui laisser les mains libres pour ramener son pays sur la scène internationale. Des accords sur les grandes lignes avaient été conclus avec les généraux.
Pour eux, le successeur de Liamine Zéroual devait être une personnalité civile tirant formellement sa légitimité de l’élection et réellement du soutien de l’armée. A cet égard, les candidats officiels devaient avoir appartenus au régime, auquel ils devaient être restés fidèles, même avec des orientations politiques différentes. A l’époque, trois hommes étaient capables de rallier les différents courants de l’armée : Abdelaziz Bouteflika, ancien ministre de Boumédiène, Ahmed Taleb Ibrahimi, fils du chef des oulémas des années 40 et 50, et Mouloud Hamrouche, ancien premier ministre de Chadli Bendjedid. Bouteflika l’avait finalement emporté pour deux raisons. D’abord en sa qualité de compagnon de route de Boumédiène dont, en 1978, il a prononcé l’oraison funèbre. Cela en fait en effet le dépositaire du populisme nationaliste qui séduit encore une frange de la caste dirigeante tentée de revenir à la période du parti unique durant laquelle le régime était craint et respecté. Mais surtout parce qu’il dispose de solides appuis dans l’armée, notamment de mister Tewfic en personne. Un soutien décisif quand on sait que le patron du DRS est l’homme le plus puissant d’Algérie et le principal faiseur de président depuis que le général Larbi Belkheir a été “nommé” anbassadeur d’Algérie au royaume du Maroc. Parvenu à son poste actuel en 1990, ce n’est tout de même pas un hasard si Tewfic a vu défiler cinq présidents de la République !
Tous d’accord sur le fond : l’argent du pétrole
En 2004, Abdelaziz Bouteflika a de nouveau fait parler de lui dans les chaumières des « décideurs », au moment de rempiler pour un deuxième mandat, ce qui était de toutes les façons prévu. L’ancien chef d’état-major, le général Mohamed Lamari, en sait quelque chose. Ce dernier avait tenté de se la jouer perso en mettant ses congénères devant le fait accompli. Comment ? En jouant la carte de l’ancien premier ministre et secrétaire général du FLN, Ali Benflis, à la présidence. L’appui de Tewfic à Bouteflika avait été décisif et conduit à la démission du général Lamari. Notons au passage que depuis son départ, la fonction de chef d’Etat-major de l’armée à perdu de sa superbe.
Toutefois, si la montée en flèche ou la descente aux enfers de l’un ou l’autre des décideurs dépend des circonstances et des alliances au sein de l’institution militaire, les divergences de fond restent rarissimes. Tous en effet profitent d’un quota de répartition de la manne des hydrocarbures. De quoi s’arranger entre “amis”.
par Catherine Graciet
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