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Le mirage des mots

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  • Le mirage des mots

    Je vous propose la lecture d'un texte émanant d'une intellectuelle indienne Musulmane, méconnue du grand public, mais dont la qualité va de pair avec de profondes convictions.


    Le mirage des mots de Saïda Savitri

    Il y a des mots qui poussent le bras de l’homme aux actions les plus sublimes, d’autres qui endorment, annihilent l’énergie, entraînent l’être humain dans les sentiers où la logique n’éclaire plus.

    Un proverbe chinois dit : « Montre-moi l’homme formé par une doctrine, je te dirai ensuite ce qu’elle vaut ! »

    Ce Céleste, dans la sagesse de sa vieille culture, a raison. Si les hommes essayaient de vivre les principes, ils jugeraient plus sainement et discerneraient ceux qui sont pratiquement applicables à la nature humaine. Au lieu de se laisser griser par les mots, ils emploieraient la faculté de s’exprimer en vue d’inspirer des actes utiles à notre progrès culturel et moral.

    « Aimez-vous les uns les autres. Pardonnez à vos ennemis ! ». Ces mots semblent ouvrir la porte à un monde de paix et de douceur ! Etudiez l’histoire des peuples qui adoptèrent cette foi ! Pauvre Jésus ! que de sang n’a-t-on pas fait couler au nom de cet amour pour lequel tu te sacrifias ! Car vois-tu, on n’a conservé que les mots, on ne les a pas transformés en actes. L’homme a besoin de lois et de disciplines basées sur l’immuable nature. Ensuite la poésie du verbe en fait un surhomme.

    L’Eglise voulait dominer. Elle fit comme les gouvernements. Elle grisa les hommes avec des mots. Elle les soumit mais ne les éleva pas. Il en est de même dans la vie laïque. Les hommes souffrent d’un régime, on les grise avec des mots. Ils suffisent à faire les révolutions.

    Liberté, Fraternité, Egalité ! Quelle trinité attirante ! cependant en y réfléchissant, on ne peut accorder ces trois mots ensemble. Car, si tu es vraiment libre, tu ne peux être fraternel. Il faut toujours abandonner de sa liberté pour respecter celle de son frère. Toute vie en commun, toute fraternité véritable est un sacrifice naturel à la liberté individuelle. Et quant à l’égalité, on retombe dans le même dilemme. En niant la supériorité de son frère, on porte atteinte à sa liberté et à celle des autres qui peuvent profiter de son talent. On déséquilibre les lois de la nature. Chez elle, il n’y a pas d’égalité. C’est pourquoi les hommes n’ont pu la réaliser, sauf dans le domaine des mots !

    Montrez-moi un coin de la terre où l’on pratique légalement, effectivement, généralement, l’amour du prochain, poussé jusqu’au pardon des injures. Je me sentirais alors peut-être émue ! Dévoilez-moi un pays où l’on est libre, fraternel et égaux, je deviendrais démocrate ! Menez-moi dans une contrée où le prolétariat défend vraiment, lui-même, ses droits et ses intérêts. Dans l’amour des humbles, je l’adopterais.

    Jusqu’à preuve du contraire, je reste convaincue que la formule de l’Islam de la grande époque est la meilleure. Rois ou chefs responsables sont nés de la loi naturelle qui donne à chaque groupe humain ou animal celui qui, par sa capacité et sa force, la conduit en la protégeant.

    La liberté véritable s’obtient par la connaissance de soi-même. Ce principe est applicable aussi bien à l’individu qu’au peuple. Avant d’essayer de libérer les autres, il faut savoir se libérer soi-même. Il faut apprendre autant à s’estimer qu’à se critiquer. Nous ferions mieux d’employer le temps que nous passons à béer d’admiration devant ce qui nous est étranger, à saisir les causes de notre grandeur et celles de notre décadence. Cherchons la solution à cette dernière, en nous, et jamais au dehors.

    De la rivalité des peuples, naît aussi leur puissance. Mais de l’imitation, on ne peut obtenir que l’amoindrissement de celui qui imite. Il perd ses qualités propres en abandonnant sa personnalité et il ne gagne jamais celles de son modèle. Une copie ne peut égaler l’original.

    Il y a un monde entre la civilisation matérielle mécanique et la culture. Quand on emprunte la première, il n’y a pas d’imitation. On se sert d’un objet plus ou moins utile, il n’a aucune prise sur votre âme.

    Au Moyen âge, nous possédions la culture et la civilisation. L’Occident en nous combattant profita de notre savoir. Aujourd’hui, reprenons avec les intérêts, ce que nous donnâmes jadis. Mais demeurons jaloux de notre culture et de notre langue.

    L’ère de la colonisation comme on la comprenait il y a quelques années est passée. Mais les conquérants comptent sur leur culture pour rester nos « protecteurs ». Laissons-leur l’illusion de l’infiltration intellectuelle, et répondons par la floraison de notre culture retrouvée et par son extension. Notre philosophie, notre doctrine, sont trop fortes et trop logiques pour craindre la comparaison. Dans le domaine culturel, malgré notre long sommeil, l’Occident nous craint plus que nous n’avons à le craindre. Lisez les livres sur nous. Les auteurs se donnent beaucoup de mal pour prouver la fausseté ou le danger des principes islamiques. Leur zèle est la preuve flagrante de notre puissance engourdie. Deux chemins s’ouvrent à nous. Ou déserter notre idéal en adoptant des principes qui ne sont pas nôtres, ou nous réveiller à la vie moderne en respectant la tradition. Avec la première formule, nous deviendrons supportables, avec la seconde nous retrouverons la grandeur qui ne nous aurait jamais quittés si nous avions suivi fidèlement le chemin que les premiers Khalifes nous avaient frayé.


    Article paru le 27 janvier 1949 dans la revue « Légendes ».

    Saïda Savitri était une intellectuelle musulmane d’origine indienne, favorable à une adaptation du monde arabo-islamique à la modernité, tout en respectant la tradition islamique. Elle a écrit un livre : L’Islam et les Temps modernes (1938) et une brochure remarquable : L’Islam devant le national-socialisme (1943). Après la guerre, elle s’établit en Egypte.
    Contrairement a la douleur, le bonheur ne s'écrit, pas il se vit... Moi je ne sais qu'écrire
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