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On est ce qu'on veut devenir...

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  • On est ce qu'on veut devenir...

    ON EST CE QU’ON VEUT DEVENIR
    Abdelkrim DJAAD - Lundi 10 Décembre 2007 - Page : 13 in L'expression

    Reparler de culture aux prunes est peut-être de l’audace. Il faut être téméraire comme nos jeunes confrères pour aborder la chose avec de l’émotion et des trémolos. L’autre jour, dans une émission radiophonique, une consoeur est tombée en pâmoison devant un cinéaste qui n’a pas fait de film depuis au moins vingt-cinq ans. Elle était toute chose devant cette peau parcheminée comme si elle avait rencontré les restes d’un aborigène dans un musée des arts primitifs. Mais, enfin! Sans doute n’a-t-elle jamais rencontré de cinéaste...Et puis, évoquer les survivances culturelles juste après une émission consacrée aux embouteillages, «ça vous bouche un trou», comme dirait l’animateur. Et pas seulement, mon vieux!
    Alors, qu’est notre culture devenue? Mais en avions-nous seulement une? Le politique a tout phagocyté. Tout négligé. Tout ratatiné. Comment, par exemple, expliquer qu’une école primaire soit devenue le siège d’un parti politique, que l’Office national du cinéma abrite un autre parti et qu’on ait fermé un CEM pour que des adolescents qui sniffent du patex cramé dans des sachets Orlac ne le fassent sous les balcons d’un haut responsable? Inculte, le politique ne s’embarrasse de rien. Pas même, au demeurant, il ne songe à se mettre au niveau des exigences de sa fonction. De retour de mission, un collaborateur d’un ancien Premier ministre a cru bon d’offrir deux livres payés, s’il vous plaît, en euros au dit chef du Gouvernement. Ce dernier, offusqué, a refusé les bouquins en déclarant raide qu’il «n’avait pas le temps de lire» et qu’il «était là pour travailler». Travailler et lire c’est tellement antinomique...Un autre Premier ministre qui a disparu mystérieusement après une présidentielle, où il a servi de lièvre, a expliqué son échec par ses lacunes culturelles. Il reviendra sur scène, a-t-il juré par ses saints, après avoir ingurgité des tonnes de livres, Coran, y compris. Ah! Si Belkhadem pouvait subir un échec...

    Le tournis de Khalida

    Dans ce contexte, notre amie Khalida, ministre de la Culture, doit avoir franchement le tournis! Vous l’avez vue pleurer quand un wali mal embouché donna la charge héroïque contre le tombeau de Massinissa. Dans la «République des walis» où l’on est sommé de faire du chiffre, il y a peu de place pour les choses de l’esprit. Mais, question obsédante, est-ce qu’un wali sait qu’il y a des esprits qui peuvent parfois penser? Khalida ne gère pas seulement les bulls et les excavatrices des walis, elle a aussi fort à faire avec ces artistes revêches, peut-être même hallucinés qui ont décidé de refonder les arts. Un architecte, à qui l’on a reproché d’avoir recouvert les boiseries des anciennes Galeries Algériennes de «peinture irréversible», a répliqué, pète-sec, qu’«il a utilisé de la peinture réversible». La science quand elle s’exprime...! Et dire que ceux de ma génération sont encore à la peinture à l’eau et à la peinture à l’huile. Dieu, quel progrès, ou plutôt quel retard abyssal! Mais voilà, on ne va pas ergoter sur de pareilles vétilles. On oublie juste de dire de quelle peinture moderne il s’agit. Sont-ce ces coups de pinceau désordonnés qu’on a érigés en art majeur? Les arts modernes sont l’aboutissement d’une construction intellectuelle et culturelle d’un pays. Pas, assurément, ces malheureuses toiles badigeonnées par des peintres autoproclamés modernes. Au vrai, notre amie Khalida aurait été mieux inspirée si elle avait songé à la peinture orientaliste. Dinet, Fromentin, Delacroix, Noiré, Racim,...c’est de la consistance, de l’histoire culturelle et de l’art. Un chanteur, autre cas de l’évolution de l’espèce, renvoya l’autre jour sur les ondes, tous les auditeurs à leurs chères études. S’ils appréciaient El Anka et ses dérivés c’est que précisément, ils ne connaissaient rien à la chanson, déclara-t-il. L’animatrice, un peu perfide, nous fit écouter le dernier tube de ce génie de Soustara. Du chaâbi sur lequel il a plaqué des gazouillis et des chants d’oiseaux! A croire, le temps d’une chanson, que le jardin Marengo de Bab El Oued est devenu une rizière et la plage de Padovani une mangrove. Pauvre Khalida! Si vous écoutiez la radio (je vous fais l’économie de la lecture des journaux, c’est mortel) vous entendriez de bien belles. On se marre, sincèrement! L’autre jour encore, une consoeur nous fit une amusante visite guidée au Jardin d’essais. On apprend qu’à l’indépendance, ce célèbre espace d’acclimatation d’espèces rares en recelait 8600. Combien en reste-t-il maintenant? On ne le sait!
    Le directeur qui se définit comme «un ingénieur qui a géré pendant 25 ans des espaces verts» n’en sait pas trop, non plus. Sauf qu’il a évoqué avec tristesse la mort de deux sujets, la veille de l’émission. Comment dénomme-t-on toutes ces plantes, ces arbres, ces arbustes? On ne le sait aussi. Juste que celui qui préside à ce «monde faunesque et floristique» nous rassure qu’il mettra très bientôt un conseil scientifique en place qui sera chargé de lancer un appel d’offres pour trouver des gens astucieux sachant faire la différence entre un pin d’Alep et une fougère. 45 ans après l’Indépendance, on est encore à se demander si un sapin est un résineux.
    Autre joyeuseté concoctée cette fois dans un quotidien. Dans un échange épistolaire assez vif, deux anciens colonels ont un peu lavé le linge de l’armée avec la circonspection d’usage. Le premier reprochant au second d’être allé trop vite à la soupe. Celle que sert pour ses temps d’hiver, le Centre culturel algérien à Paris.
    Dressé sur ses ergots, le célèbre écrivain incriminé, Yasmina Khadra (c’est de lui qu’il s’agit), réfute d’un mouvement de menton l’argumentation, pourtant brillante, de Chafik Mesbah. Après l’inoxydable litanie du «patriotisme pour tous» que récita à tue-tête l’écrivain, il en vint, ce faisant, à dire qu’il a accepté ce poste pour sortir la culture algérienne de l’ornière (rien que cela!) et pour inaugurer de la sorte cette espèce d’osmose entre l’intellectuel et la responsabilité. Accessoirement, il avait évacué cette histoire sordide de subsides. L’argent ne l’obnubile point. Mais, oui...!
    Tout est faux ou presque. Sur le rayonnement de la culture algérienne, il ne faut, en l’occurrence, rien exagérer. M.Yasmina Khadra, malgré l’aura et le talent qu’on lui connaît, aura, comme ses prédécesseurs, à organiser des conférences plus ou moins intelligentes avec des salles plus ou moins clairsemées. Durant le mois de Ramadhan, il commandera, comme ses prédécesseurs, des tonnes de gâteaux orientaux à Barbès pour des émigrés qui viendraient s’ébaudir devant l’inusable Behidja Rahal. Pour ce qui est de l’entrisme de l’intellectuel organique, selon la formule de Gramsci, bien avant Yasmina Khadra, il y eut tout de même, en Algérie un certain Kateb Yacine comme directeur régional du théâtre de Sidi Bel Abbès, Mouloud Mammeri, excusez du peu, au Crape, Malek Haddad, au ministère de l’Information et cætera. Quant aux moyens, on ne sait trop du bas de laine de M.Yasmina Khadra. Sauf qu’un magazine parisien vient, dans une récente livraison, édifier le lecteur sur le train de vie des écrivains de langue française. Sur 28.000 écrivains, seuls sept vivent de leur art! M.Khadra fait-il partie, avec Marc Levi, Jean d’Ormesson, Bernard Henry Levy, Max Gallo, Jaques Attali, Phillipe Sollers,...de ce panthéon? Bah, qu’importe! Retenons seulement que la littérature vient sans doute de perdre un grand écrivain et que l’Etat a recruté un néophyte du formulaire administratif. En matière de déliquescence culturelle, on n’a pas atteint encore le pire, il faut le craindre. Les valeurs essentielles qui sont constitutives de la culture nationale sont perverties par une école désagrégée, par une classe politique dont le niveau intellectuel est tragiquement bas et par une constellation d’imposteurs en tout genre.
    Dans ce pays où du mot culture ne subsiste plus que la première syllabe, la panse tendue reste invariablement l’objectif national. Dévitalisée, déconsidérée, la culture (voire ses miasmes) n’est même plus cet étai sur lequel s’appuie le pouvoir quand il est de sortie sur la scène internationale. Elle est, en vérité, son cancer. Mais s’en rend-il seulement compte?

  • #2

    ( suite)


    Gardiens du temple

    Les quelques perles citées plus haut, où l’on n’a pas eu à forcer le trait, disent bien cette déliquescence dont tout le monde, au demeurant, s’accommode. Mais, gardons-nous des effets cosmétiques. Ce n’est pas en augmentant le volume de la production artistique, que l’on pourra raviver la chose. Faire des films, des pièces de théâtre, des expositions de peinture..., quand plus de la moitié de nos concitoyens refusent de les voir par idéologie, c’est, paradoxalement, compliquer davantage l’identité culturelle.
    Il faut s’y résoudre. En Algérie, il n’y a ni un grand dénominateur, ni petit multiple communs. Développer des arts élaborés, c’est juste tendre à vivre les joies froides des jeux du cirque de la Rome antique. C’est nécessaire, mais point suffisant. La problématique de la culture, n’en déplaise aux gardiens du temple, se pose plutôt en termes d’identité et de projet de société. Qu’est-on? Que veut-on être? On est ce qu’on veut devenir. Voilà tout! Alors, au lieu de rapiécer notre sociologie éclatée, faut-il sans doute, dans l’humilité, songer à construire demain. Les lignes de fracture sont nombreuses et ne peuvent être réduites par les aphorismes contenus dans la Charte de la réconciliation nationale ou dans celle de la Concorde civile.
    Un bilinguisme abhorré, une modernité invariablement battue en brèche par l’obscurantisme religieux, la dichotomie entre le monde du travail et celui du savoir laissant des millions d’Algériens sur les bas- côtés, la liquéfaction des valeurs, (la solidarité, le travail, l’égalité et la tolérance), tout ceci a fait voler en éclats le tissu social.
    De ce cataclysme sociologique sont nés deux peuples, l’un qui prend du gras à vue d’oeil et l’autre qui rétrécit jusqu’à une extinction attendue. Ces dégâts ne peuvent se réparer par quelque production artistique, fût-elle consistante, mais ils peuvent être résorbés par l’école où doit se forger cette culture nationale.
    Mais que distille ce «creuset» où sont formés, selon la formule repassée, «les hommes de demain»? Une passion démesurée pour un Islam corrosif, une haine des langues, de la structure familiale et des valeurs universelles et un surdimensionnement du «moi» national. Les pauvres enfants algériens dressés en batteries de poulets seront destinés à la cheville, à l’exil ou au chômage. Sans conscience, sans esprit de discernement, sans facultés de jugement, ils sont conséquemment sans culture. Alors, ne nous défaussons pas aussi légèrement sur les arts élaborés. Ils ne sont pas la panacée. Le citoyen enthousiaste qui est venu égorger un coq lors de l’inauguration du Musée des Arts modernes, devant une ministre médusée, renseigne sur cette schizophrénie nationale.
    Cela nous rappelle la colère de feu Boumediène quand un fellah à qui il vient d’attribuer de la terre et un logement dans un «village agricole» à Mascara, réclama la construction...d’une unité industrielle! Trente ans d’écart et tout est en plan incliné. Les inepties citées plus haut sont en vérité les filles naturelles de cette école. Si les arts peuvent contribuer à la formation de l’homme, c’est avant tout à l’école qu’échoit cette mission. Rien ne peut se faire sans elle. Alors, oui, reparler de culture, c’est vraiment une audace.
    On rêve d’avoir ces avocats d’Islamabad qui ont déculotté une baderne. Ces économistes de Gdansk qui ont porté au pouvoir un électricien! Oui...Nelson Mandela, Vaclav Havel, Wolé Soyinka...
    Mais, enfin...! Et au demeurant, quel sens donner à ce mot à la fois, concept théorique, mode de vie et art? Bien des essayistes, des philosophes et des hommes politiques ont tenté de le détourner et de l’expliquer en des formules parfois lumineuses, mais sans jamais convaincre.
    Alors, des fins fonds de la jungle colombienne, nous est parvenue, miraculeusement, cette voix ténue d’un otage, Mme Ingrid Betancourt, qui définit avec concision et hauteur de vue ce qu’est la vraie culture. Voilà ce qu’elle a écrit: «Moi, j’aspire à ce qu’un jour nous ayons la soif de grandeur qui fait surgir les peuples du néant pour atteindre le soleil. Quand nous serons inconditionnels face à la défense de la vie et de la liberté des nôtres, c’est-à-dire quand nous serons moins individualistes et plus solidaires, moins indifférents et plus engagés, moins intolérants et plus compatissants, alors, ce jour-là, nous serons la grande nation que nous voulons être.»(1) On ne peut mieux dire.

    (1) Le Monde du 4/12/2007

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