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Contre les ghettos linguistiques, par Alain Bentolila

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  • Contre les ghettos linguistiques, par Alain Bentolila

    Le Monde.

    Par Alain Bentolila est professeur de linguistique à Paris-V - Sorbonne.

    Depuis plus de trente ans, nous avons accepté - et parfois aveuglément encouragé - le regroupement dans des lieux enclavés de populations qui avaient en commun d'être pauvres et, pour la plupart, de venir d'un ailleurs estompé et confus. Elles se sont rassemblées sur ces territoires de plus en plus isolés non pas parce qu'elles partageaient un héritage culturel et historique, mais au contraire parce que, année après année, elles savaient de moins en moins qui elles étaient, d'où elles venaient et où elles allaient. Dans ces lieux confinés, bien des jeunes adultes de langue maternelle française vivent une situation linguistique particulière que certains trouvent pittoresque alors qu'elle révèle et renforce marginalisation et exclusion sociales.



    Pour les jeunes de ces quartiers-ghettos, l'imprécision et la pénurie des mots va de pair avec l'enfermement qu'ils subissent ; elles constituent leur lot réduit parce que ni l'école ni la famille ne leur ont transmis l'ambition d'élargir le cercle des choses à dire et celui de ceux à qui on les dit. Cantonnés à une communication de proximité, prisonniers d'une situation d'extrême connivence, ils n'ont jamais eu besoin de mots justes et nombreux pour communiquer ensemble. En bref, n'ayant à s'adresser qu'à des individus qui vivent comme eux, qui croient en le même Dieu qu'eux, qui ont les mêmes soucis et la même absence de perspectives sociales, tout "va sans dire".

    Ils n'ont pas besoin de mettre en mots précis et soigneusement organisés leur pensée parce que, partageant tellement de choses, subissant tellement de contraintes et de frustrations identiques, l'imprécision est devenue la règle d'un jeu linguistique socialement perverti. Les mots qu'ils utilisent sont toujours porteurs d'un sens exagérément élargi et par conséquent d'une information d'autant plus imprécise.

    Tant que le nombre de choses à dire est réduit, tant que le nombre de gens à qui ils s'adressent est faible, l'approximation n'empêche certes pas la communication. Mais lorsqu'ils doivent s'adresser à des gens qu'ils ne connaissent pas, lorsque ces gens ne savent pas à l'avance ce qu'ils vont leur dire, cela devient alors un tout autre défi. Un vocabulaire exsangue et une organisation approximative des phrases ne leur donnent pas la moindre chance de le relever. Ces mots de la communion plutôt que de la communication condamnent ceux dont ils constituent l'essentiel du vocabulaire à renoncer à imposer leur propre pensée à l'intelligence des autres.

    La ghettoïsation engendre, certes, des innovations linguistiques originales. Mais ces créations contribuent-elles à enrichir un trésor linguistique disponible pour tous ? Non ! Cette vision idyllique est celle des faiseurs de dictionnaires à la mode qui voudraient nous faire croire à une langue française quotidiennement renouvelée et équitablement redistribuée. La réalité, c'est que la langue française s'incarne aujourd'hui dans le langage d'hommes et de femmes dont les pouvoirs linguistiques respectifs sont devenus tellement inégaux que la notion même d'intelligence collective risque de se trouver gravement mise en cause. Les différents registres du langage ne s'additionnent que pour ceux qui, les possédant tous, en jouent en virtuoses ; pour beaucoup, ils séparent, cantonnent, opposent, excluent.

    Dans cette situation d'inégalité linguistique, l'enrichissement produit par la création de nouveaux mots ou structures se fait le plus souvent au seul profit de ceux qui, possédant déjà un vocabulaire varié, une syntaxe précise, vont alors donner à leur langage un petit coup de jeunesse et de modernité. Certains enfants, que l'on a pris soin de doter d'armes linguistiques tout terrain, peuvent sans risque enrichir leur panoplie linguistique de quelques "perles de banlieues".

    Certains parents "trop cool" ponctuerons parfois leurs discours parfaitement standardisés de quelques audaces verlanesques du plus bel effet, suivant en cela l'exemple des médias soucieux de se donner une image jeune et dynamique. Les "nantis du langage" s'encanaillent linguistiquement sans risque et avec la meilleure conscience du monde. Mais ceux dont le vocabulaire est limité et imprécis ont-ils un réel pouvoir linguistique ? Non, ce sont les "pauvres du langage" condamnés à ne communiquer que dans l'immédiat et la proximité.

    Comprenons-nous bien ! Il n'est pas question de tenir, sur le langage dit des cités, des banlieues ou des jeunes, un discours de mépris ; mais il n'est pas non plus question, au nom de je ne sais quel droit à la différence (ou à l'indifférence), d'ignorer qu'il prive ceux dont il est le seul instrument de parole d'exercer leur droit légitime de laisser sur les autres une trace singulière.

    La vraie question, la seule qui doit nous mobiliser, est de savoir comment distribuer de manière plus équitable le pouvoir linguistique afin que la majorité des enfants de ce pays puissent exprimer leur pensée au plus juste de leurs intentions et recevoir la pensée des autres avec discernement. C'est dès l'école maternelle que doit être mené ce juste combat.

    Publié le 21 Déc 2007.
    “La vérité est rarement enterrée, elle est juste embusquée derrière des voiles de pudeur, de douleur, ou d’indifférence; encore faut-il que l’on désire passionnément écarter ces voiles” Amin Maalouf

  • #2
    En bref, n'ayant à s'adresser qu'à des individus qui vivent comme eux, qui croient en le même Dieu qu'eux, qui ont les mêmes soucis et la même absence de perspectives sociales, tout "va sans dire".
    C'est assez discutable.

    Linguistique sociale plutôt que linsguitique pure: question de pouvoir et système de groupe
    merci pour cet article!

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    • #3
      Elles se sont rassemblées sur ces territoires de plus en plus isolés non pas parce qu'elles partageaient un héritage culturel et historique, mais au contraire parce que, année après année, elles savaient de moins en moins qui elles étaient, d'où elles venaient et où elles allaient.

      Déjà, il n'est pas sociologue ni historien et encore moins anthropologue pour dire ça ...


      -----------

      J'ai plus l'impression de lire quelqu'un qui méprise le langage des "téc" ... Faut le dire clairement au lieu de jouer la carte de la transparence ...

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      • #4
        Bonsoir miss nuages

        Envoyé par minipouce015
        Déjà, il n'est pas sociologue ni historien et encore moins anthropologue pour dire ça ...

        Avant d'avancer quoique ce soit prend le temps de savoir de Qui tu parle.

        La refléxion ma petite miss nuages, la réflexion Miss Nuages, prends toi le temps et le recule qu'il faut .

        Alain Bentolila
        Dernière modification par l'imprevisible, 22 décembre 2007, 22h56.
        “La vérité est rarement enterrée, elle est juste embusquée derrière des voiles de pudeur, de douleur, ou d’indifférence; encore faut-il que l’on désire passionnément écarter ces voiles” Amin Maalouf

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        • #5
          Béh j'ai lu ...et je reste sur ma position ...

          Je trouve fausse la phrase que j'ai cité. Et il a effectué tout ses travaux sur la linguistique. Certes, il y a une énorme part de culture dont il a du comprendre l'histoire....de là à dire qu'en France, les gens se sont retrouvés parce qu'au contraire ils ne savaient pas d'où ils venaient ...et que ce n'est pas leur culture qui les a rapproché, je suis pas d'accord...

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          • #6
            Héhé L'imprévisible!

            En tout cas, l'article est très interréssant...

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