n'est pas superflu de rappeler qu'en Algérie le djihâd fut le mot d'ordre le plus mobilisateur durant la guerre de libération. Pendant toute l'histoire du mouvement national, cette catégorie a structuré les discours et informé les consciences. Le lexique politique national est encore largement tributaire de sa conception millénariste de l'histoire de la guerre de libération nationale, base de la légitimation du pouvoir. Ses soldats sont des mudjâhidîn-s (combattants de la guerre sainte), leurs compagnons morts en actions, sont des shuhâda-s (martyrs). Le terme ikhwa' (frères) lui même, qui constitue aujourd'hui un qualificatif générique de l'ensemble des membres de la mouvance islamique, la guerre de libération l'avait adopté et "localisé" par le mot khawâ, pour désigner les compagnons d'armes. L'organe même de "la révolution nationale" s'appelait El Moudjahid, l'Etat indépendant le reprendra comme capital symbolique.
C'est pourquoi, si choquante soit-elle, cette militarisation du régime, ne gêne pas outre mesure, les citoyens de l'ensemble du monde arabe qui l'ont suffisamment intégré. Elle est une caractéristique de leur façon de vivre. Le souverain, dans leur imaginaire est d'abord un mudjâhid. Il n'y a pas anthropologiquement de scission entre civil et militaire. Tout adulte est potentiellement un porteur d'armes, contrairement à ce qu'a connu le monde occidental avec ce qui était un privilège réservé à un seul groupe: les "gens d'armes" .
Mieux encore, en terre arabo-islamique, la citoyenneté s'acquiert essentiellement par l'acte guerrier. A l'époque des ghazw-s déjà, le butin était déterminé par le degré de participation guerrière et c'est ce butin qui fondait et structurait la citoyenneté. Ahl Al qalam (les gens de la plume) et ahl as sayf (les hommes d'épée), tous les deux combattants de la foi, appartenaient à la khâssa, ces citoyens... d'élite, dont le premier privilège est leurs parts du fay' (butin).
Aujourd'hui encore, l'ancien mudjâhid Algérien est considéré comme un citoyen de première zone, par rapport au reste de la population; et ses privilèges(3), sont théoriquement fonction de sa plus ou moins proximité des faits d'armes. Le mudjâhid (guerrier) passe avant le fidâ'î (4) (et le mussabbil (auxiliaires civils). Tout le discours politique de légitimation du pouvoir est fondé sur la guerre de libération; et l'entreprise politique prend des allures et des consonances bellicistes. L'effort de développement devient une bataille, et le dévouement dans l'accomplissement d'une tâche, un sacrifice.
Manifestement, la jeunesse est saturée par un discours, qui n'a pas su se renouveler. Comme le faisait remarquer cette jeune de 29 ans "Ce qui m'a le plus marqué durant ces années est le reproche qu'on nous fait, à nous les jeunes, de ne pas avoir participé à cette guerre. C'est comme si on avait choisi de naître après l'indépendance"(5)
Pour se "racheter", les jeunes se donnent l'occasion de rééditer l'exploit ici ou ailleurs (en Afghanistan par exemple), contre ceux-là même qui les culpabilisent tant. Naturellement, le djihâd qui les interpelle aujourd'hui, a un goût de compensation face à ce discours politique culpabilisant. Les choses vont plus vite encore, quand de telles prédispositions psychologiques trouvent de fins idéologues pour établir une filiation entre la violence d'aujourd'hui et les actions d'éclats de la "glorieuse révolution" de la veille.
La jeunesse est ainsi séduite par ce djihâd qui, à la fois, constitue un exutoire à un malaise oppressif et se présente comme moyen de rétablir les liens avec un passé glorieux. La jeunesse n'est pas prête à rater l'occasion, qui lui est enfin offerte, de prouver sa digne descendance des valeureux mudjâhidîn-s et des nobles shuhadâ'-s. Le discours islamiste, ne manque jamais de rappeler que A.MADANI est un ancien moudjahid de la première heure et que A.BENHADJ est un fils de shahîd. A ce titre ils ont droit, non seulement de manifester leurs opinions politiques, mais doivent également bénéficier des égards particuliers dans un pays où les privilèges (parfois frôlant l'indécence) de ceux qui ont fait la guerre paraissent tout a fait légitimes.
Au delà de l'Algérie, toute l'histoire de l'islam est une histoire de guerres, l'école se chargera de la faire découvrir. Sommée de (ré)apprendre son patrimoine culturel, pour parfaire son indépendance politique, la jeunesse algérienne découvrira un patrimoine arabe où la guerre figure en bonne place. Elle a ses règles et même son esthétique. Hassan Al Banna, le fondateur (en Égypte) et le guide suprême des "Frères musulmans", en bon théoricien de la guerre sainte, n'a pas manqué de nous léguer sa conception en la matière dans deux écrits, aux titres éminemment évocateurs: "sinâ'at al mawt" (l'industrie de la mort) et "fann al mawt" (l'art de la mort). Parmi les oeuvres littéraires les plus prestigieuses du patrimoine arabo-islamique se trouvent en bonne place ayyâm al 'arab, ces chroniques de guerres.
Grandie dans cette culture du djihâd, la jeunesse Algérienne est prête au grand sacrifice pour régler sa dette, (au sens psychanalytique du terme) et pouvoir enfin se réaliser.
Par Abderrahmane MOUSSAOUI
C'est pourquoi, si choquante soit-elle, cette militarisation du régime, ne gêne pas outre mesure, les citoyens de l'ensemble du monde arabe qui l'ont suffisamment intégré. Elle est une caractéristique de leur façon de vivre. Le souverain, dans leur imaginaire est d'abord un mudjâhid. Il n'y a pas anthropologiquement de scission entre civil et militaire. Tout adulte est potentiellement un porteur d'armes, contrairement à ce qu'a connu le monde occidental avec ce qui était un privilège réservé à un seul groupe: les "gens d'armes" .
Mieux encore, en terre arabo-islamique, la citoyenneté s'acquiert essentiellement par l'acte guerrier. A l'époque des ghazw-s déjà, le butin était déterminé par le degré de participation guerrière et c'est ce butin qui fondait et structurait la citoyenneté. Ahl Al qalam (les gens de la plume) et ahl as sayf (les hommes d'épée), tous les deux combattants de la foi, appartenaient à la khâssa, ces citoyens... d'élite, dont le premier privilège est leurs parts du fay' (butin).
Aujourd'hui encore, l'ancien mudjâhid Algérien est considéré comme un citoyen de première zone, par rapport au reste de la population; et ses privilèges(3), sont théoriquement fonction de sa plus ou moins proximité des faits d'armes. Le mudjâhid (guerrier) passe avant le fidâ'î (4) (et le mussabbil (auxiliaires civils). Tout le discours politique de légitimation du pouvoir est fondé sur la guerre de libération; et l'entreprise politique prend des allures et des consonances bellicistes. L'effort de développement devient une bataille, et le dévouement dans l'accomplissement d'une tâche, un sacrifice.
Manifestement, la jeunesse est saturée par un discours, qui n'a pas su se renouveler. Comme le faisait remarquer cette jeune de 29 ans "Ce qui m'a le plus marqué durant ces années est le reproche qu'on nous fait, à nous les jeunes, de ne pas avoir participé à cette guerre. C'est comme si on avait choisi de naître après l'indépendance"(5)
Pour se "racheter", les jeunes se donnent l'occasion de rééditer l'exploit ici ou ailleurs (en Afghanistan par exemple), contre ceux-là même qui les culpabilisent tant. Naturellement, le djihâd qui les interpelle aujourd'hui, a un goût de compensation face à ce discours politique culpabilisant. Les choses vont plus vite encore, quand de telles prédispositions psychologiques trouvent de fins idéologues pour établir une filiation entre la violence d'aujourd'hui et les actions d'éclats de la "glorieuse révolution" de la veille.
La jeunesse est ainsi séduite par ce djihâd qui, à la fois, constitue un exutoire à un malaise oppressif et se présente comme moyen de rétablir les liens avec un passé glorieux. La jeunesse n'est pas prête à rater l'occasion, qui lui est enfin offerte, de prouver sa digne descendance des valeureux mudjâhidîn-s et des nobles shuhadâ'-s. Le discours islamiste, ne manque jamais de rappeler que A.MADANI est un ancien moudjahid de la première heure et que A.BENHADJ est un fils de shahîd. A ce titre ils ont droit, non seulement de manifester leurs opinions politiques, mais doivent également bénéficier des égards particuliers dans un pays où les privilèges (parfois frôlant l'indécence) de ceux qui ont fait la guerre paraissent tout a fait légitimes.
Au delà de l'Algérie, toute l'histoire de l'islam est une histoire de guerres, l'école se chargera de la faire découvrir. Sommée de (ré)apprendre son patrimoine culturel, pour parfaire son indépendance politique, la jeunesse algérienne découvrira un patrimoine arabe où la guerre figure en bonne place. Elle a ses règles et même son esthétique. Hassan Al Banna, le fondateur (en Égypte) et le guide suprême des "Frères musulmans", en bon théoricien de la guerre sainte, n'a pas manqué de nous léguer sa conception en la matière dans deux écrits, aux titres éminemment évocateurs: "sinâ'at al mawt" (l'industrie de la mort) et "fann al mawt" (l'art de la mort). Parmi les oeuvres littéraires les plus prestigieuses du patrimoine arabo-islamique se trouvent en bonne place ayyâm al 'arab, ces chroniques de guerres.
Grandie dans cette culture du djihâd, la jeunesse Algérienne est prête au grand sacrifice pour régler sa dette, (au sens psychanalytique du terme) et pouvoir enfin se réaliser.
Par Abderrahmane MOUSSAOUI
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