Par Edouard Husson, historien.
Nous vivons un moment historique. L'empire américain est en train de s'écrouler. Il n'aura guère survécu que vingt ans à son grand rival de la guerre froide, l'empire soviétique. Tous les vrais libéraux devraient se réjouir car l'empire américain est en train de vaciller sous nos yeux pour les mêmes raisons que l'empire soviétique il y a vingt ans : le déclin des capacités productrices du pays ; un budget militaire qui devient impossible à soutenir ; le refus de plus en plus évident du reste du monde de financer les déficits américains.
Un keynésien nommé Reagan
Depuis vingt ans, nous avons bien voulu être victimes d'une illusion d'optique. Nous avons cru que les Etats-Unis avaient gagné la Guerre froide et l'Union Soviétique l'avait perdue. C'est ce que les dirigeants américains eux-mêmes proclamaient et faisaient répéter. La gauche elle-même s'est laissée prendre au piège intellectuel du reaganisme, soit qu'elle se mît à croire à la reaganomics soit qu'elle dénonçât un « néolibéralisme » qui n'existait que dans les têtes. Reagan n'a rien fait d'autre que de relancer l'économie américaine grâce à des dépenses gigantesques dans le secteur de la défense. Et, pour rendre acceptable sa politique, il a sabré les dépenses publiques dans d'autres secteurs, en particulier dans le domaine social. Au nom de la « guerre des étoiles », Reagan fut le plus grand keynésien de l'histoire, avant d'être détrôné par George W. Bush, qui aura présidé à un « XXIè siècle américain » de sept ans.
Le roi dollar est nu
En fait, ni Reagan ni Bush n'auraient gagné leur pari sur la relance de l'économie américaine par le déficit sans un autre facteur déterminant : le rôle du dollar comme monnaie mondiale ; la disposition du reste du monde à réinvestir ses dollars, faute de meilleure perspective, dans l'économie américaine. Depuis une quarantaine d'année, depuis que le général de Gaulle avait identifié (voir sa conférence de presse du 4 février 1965), sans être écouté, le mécanisme de l'endettement potentiellement illimité de l'économie américaine, les Etats-Unis ont vécu, de plus en plus au crédit du reste du monde. Continuant à vivre dans le confort intellectuel du manichéisme de la Guerre froide, les acteurs de l'économie mondiale se sont persuadés qu'il valait la peine de financer le pays « défenseur du monde libre ». Ils y ont trouvé leur profit, aussi : d'abord grâce à des taux d'intérêts très rémunérateurs dans les années 1980 ; ensuite, grâce à l'apprenti-sorcier Greenspan qui, à chaque menace de récession, ouvrait grandes les vannes du crédit : nous avons eu droit au boom puis au krach de la « nouvelle économie » puis à celui de l'immobilier américain.
L'alibi du terrorisme
Près de trois siècles après sa mort, John Law semblait avoir soudain raison contre ses détracteurs. Peu importait l'immoralité du système, peu importait la dévaluation constante du papier-monnaie roi, qui conduisait à toujours plus d'inégalités. Les possédants, les rentiers, les capitaines d'un néo-capitalisme prédateur et de plus en plus financiarisé ont tendu à accaparer toujours plus d'un capital monétaire dont la dévaluation réelle était provisoirement compensée par sa production apparemment illimitée – à condition qu'elle fût réservée au plus petit nombre possible.
C'est ce système qui est en train de s'effondrer. Les gigantesques investissements américains dans le secteur de la défense apparaissent singulièrement inadaptés aux conflits du présent : que peut l'immense arsenal américain contre les guerilleros afghans ou irakiens ? Or si le prestige militaire américain s'effondre, c'est tout le crédit que l'on fait à la puissance américaine qui est ébranlé. Le déclin (relatif) de l'économie américaine – obligée d'importer deux milliards de dollars par jour pour compenser son endettement global – apparaît en pleine lumière. Ajoutons que la « guerre contre le terrorisme » a beau faire appel aux vieux réflexes manichéens de la Guerre froide, elle apparaît de plus en plus pour ce qu'elle est : une tentative désespérée de contrôler, malgré le déclin de la puissance, l'approvisionnement pétrolier mondial. Mais les pays producteurs acceptent de moins en moins d'être payés avec un dollar qui vaut toujours moins (c'était déjà la vraie cause du choc pétrolier de 1973). Et surtout, pourquoi entraver, par des guerres aussi inutiles que meurtrières, l'accès libre de tous à ce qui reste la principale ressource énergétique de l'économie mondiale ? Les pays du Golfe, la Russie et l'Asie sont d'accord pour organiser leurs échanges économiques et commerciaux sans les Etats-Unis, si cela est nécessaire. La croissance de l'Asie offre des possibilités de croissance désormais plus intéressantes, quoi qu'il arrive, que une économie américaine de plus en plus désindustrialisée.
Nous vivons un moment historique. L'empire américain est en train de s'écrouler. Il n'aura guère survécu que vingt ans à son grand rival de la guerre froide, l'empire soviétique. Tous les vrais libéraux devraient se réjouir car l'empire américain est en train de vaciller sous nos yeux pour les mêmes raisons que l'empire soviétique il y a vingt ans : le déclin des capacités productrices du pays ; un budget militaire qui devient impossible à soutenir ; le refus de plus en plus évident du reste du monde de financer les déficits américains.
Un keynésien nommé Reagan
Depuis vingt ans, nous avons bien voulu être victimes d'une illusion d'optique. Nous avons cru que les Etats-Unis avaient gagné la Guerre froide et l'Union Soviétique l'avait perdue. C'est ce que les dirigeants américains eux-mêmes proclamaient et faisaient répéter. La gauche elle-même s'est laissée prendre au piège intellectuel du reaganisme, soit qu'elle se mît à croire à la reaganomics soit qu'elle dénonçât un « néolibéralisme » qui n'existait que dans les têtes. Reagan n'a rien fait d'autre que de relancer l'économie américaine grâce à des dépenses gigantesques dans le secteur de la défense. Et, pour rendre acceptable sa politique, il a sabré les dépenses publiques dans d'autres secteurs, en particulier dans le domaine social. Au nom de la « guerre des étoiles », Reagan fut le plus grand keynésien de l'histoire, avant d'être détrôné par George W. Bush, qui aura présidé à un « XXIè siècle américain » de sept ans.
Le roi dollar est nu
En fait, ni Reagan ni Bush n'auraient gagné leur pari sur la relance de l'économie américaine par le déficit sans un autre facteur déterminant : le rôle du dollar comme monnaie mondiale ; la disposition du reste du monde à réinvestir ses dollars, faute de meilleure perspective, dans l'économie américaine. Depuis une quarantaine d'année, depuis que le général de Gaulle avait identifié (voir sa conférence de presse du 4 février 1965), sans être écouté, le mécanisme de l'endettement potentiellement illimité de l'économie américaine, les Etats-Unis ont vécu, de plus en plus au crédit du reste du monde. Continuant à vivre dans le confort intellectuel du manichéisme de la Guerre froide, les acteurs de l'économie mondiale se sont persuadés qu'il valait la peine de financer le pays « défenseur du monde libre ». Ils y ont trouvé leur profit, aussi : d'abord grâce à des taux d'intérêts très rémunérateurs dans les années 1980 ; ensuite, grâce à l'apprenti-sorcier Greenspan qui, à chaque menace de récession, ouvrait grandes les vannes du crédit : nous avons eu droit au boom puis au krach de la « nouvelle économie » puis à celui de l'immobilier américain.
L'alibi du terrorisme
Près de trois siècles après sa mort, John Law semblait avoir soudain raison contre ses détracteurs. Peu importait l'immoralité du système, peu importait la dévaluation constante du papier-monnaie roi, qui conduisait à toujours plus d'inégalités. Les possédants, les rentiers, les capitaines d'un néo-capitalisme prédateur et de plus en plus financiarisé ont tendu à accaparer toujours plus d'un capital monétaire dont la dévaluation réelle était provisoirement compensée par sa production apparemment illimitée – à condition qu'elle fût réservée au plus petit nombre possible.
C'est ce système qui est en train de s'effondrer. Les gigantesques investissements américains dans le secteur de la défense apparaissent singulièrement inadaptés aux conflits du présent : que peut l'immense arsenal américain contre les guerilleros afghans ou irakiens ? Or si le prestige militaire américain s'effondre, c'est tout le crédit que l'on fait à la puissance américaine qui est ébranlé. Le déclin (relatif) de l'économie américaine – obligée d'importer deux milliards de dollars par jour pour compenser son endettement global – apparaît en pleine lumière. Ajoutons que la « guerre contre le terrorisme » a beau faire appel aux vieux réflexes manichéens de la Guerre froide, elle apparaît de plus en plus pour ce qu'elle est : une tentative désespérée de contrôler, malgré le déclin de la puissance, l'approvisionnement pétrolier mondial. Mais les pays producteurs acceptent de moins en moins d'être payés avec un dollar qui vaut toujours moins (c'était déjà la vraie cause du choc pétrolier de 1973). Et surtout, pourquoi entraver, par des guerres aussi inutiles que meurtrières, l'accès libre de tous à ce qui reste la principale ressource énergétique de l'économie mondiale ? Les pays du Golfe, la Russie et l'Asie sont d'accord pour organiser leurs échanges économiques et commerciaux sans les Etats-Unis, si cela est nécessaire. La croissance de l'Asie offre des possibilités de croissance désormais plus intéressantes, quoi qu'il arrive, que une économie américaine de plus en plus désindustrialisée.
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