par Slimani Ahmed : Ingénieur Polytechnique, Economiste
La loi de finances de 2007 est remarquable dans tous ses chapitres. Ses dispositions resteront gravées en mal et pour longtemps dans les annales et le sort de la fiscalité nationale. On sentira les effets à brève échéance car la fiscalité algérienne va sombrer davantage dans l’imprécision, l’absence de rigueur, le manque de transparence… Elle deviendra prochainement très aléatoire, très arbitraire, très injuste…
Examinons rapidement pourquoi ? J’énoncerai succinctement quatre (4) raisons:
1. Les nouvelles dispositions fiscales énoncées dans la loi de finances 2007 instituent un impôt forfaitaire unique (IFU) applicable à tous les contribuables algériens dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas trois (3) millions de dinars. Cela signifie que pour la quasi-majorité des Algériens assujettis à l’impôt, on autorise l’appel à exercer et activer sans factures. Schéma d’apocalypse déjà rien qu’à ce niveau, où l’on s’attend à voir les recettes et les inspections d’impôts désertées tout au long de l’année car il n’y a plus de raisons d’y aller. Or ces contribuables au forfait s’approvisionnent et oeuvrent auprès et avec des grossistes et des entreprises qui eux seraient soumis au régime du réel. Ces derniers n’ayant plus de raisons d’émettre de factures n’auront plus, déduction évidente, d’obligations à faire eux-mêmes leurs déclarations fiscales dues à leurs ventes pour s’acquitter de leurs impôts, ils se contenteront de faire des déclarations d’impôts soigneusement cadrées et combinatoires.
Leurs acheteurs potentiels étant désormais soumis à l’IFU, on ne sera plus en possession de factures permettant de faire un contrôle aval des activités amont des grossistes et des entreprises.
Dans ce schéma fiscal nouveau, on serait en présence d’un schéma où personne n’est tenu de faire de déclarations d’impôts. Même le restant des contribuables par ailleurs chercheraient alors à acheter et à se faire une place dans ce paradis fiscal innové lors des négociations annuelles. Par définition, ce nouveau schéma fiscal est ce que l’on appelle le trabendo, le marché noir, l’économie de bazar qui privilégie l’import outrancier au détriment de la production intérieure. Ce schéma fiscal de catastrophe va être prédominant et favorisant surtout dans le commerce notamment, comparativement aux activités de production, il sera un très bon paradis financier au moment où des pouvoirs publics essaient d’enclencher un travail d’assainissement des commerces de rues. Si cette dualité contradictoire est persistante à travers le temps (d’un côté le forfait fiscal, de l’autre le commerce libre des rues), c’est les commerces de magasins qui deviendront de fait les commerces des rues. Alors toute l’Algérie sera un vaste marché noir légalisé par les autorités et la loi.
2. La disposition fiscale de créer un impôt forfaitaire unique (IFU) est décidée pour se substituer à l’IRG, la TVA, la TAP… Les fiscalistes et les comptables avertis connaissent bien les vertus de traçabilité du G50 (c’est un imprimé qui sert aux déclarations d’impôts). Quand on renseigne un G50, on décrit complètement une activité donnée, ce qui garantit de pouvoir exercer ultérieurement des contrôles, des vérifications, des confrontations des données et des chiffres transcrits dessus. Les déclarations de mouvements de biens, de marchandises, les prestations de services, etc. y sont tous répertoriés pour permettre des contrôles comptables et fiscaux directement ou en différé.
La décision d’instituer un impôt arbitraire unique, négociable verbalement une fois par an au plus, met au gel tout espoir de contrôle offert par cette traçabilité fiscale puisqu’on n’a plus à faire de déclarations fiscales périodiquement. De plus, combien d’Algériens existent-ils qui échapperaient à l’IFU… Les entreprises publiques, les PME-PMI appellent, elles, carrément à une fiscalité spéciale en rapport avec leurs programmes nationaux d’exploitation afin de stimuler leurs régimes productifs face à la concurrence de l’import.
La fiscalité décidée ou retenue dans la loi de finances 2007 envers les programmes nationaux d’investissements est endogène, elle est auto-couverte par les budgets et ses crédits de payement consentis à ces programmes. Il n’y a donc pas matière à s’en féliciter a priori. En matière de fiscalité spéciale, la même observation est valable pareillement par rapport aux partenaires étrangers activant ou appelés à activer de plus en plus en Algérie. Elle devait surgir de la loi de finances de 2007, laquelle au contraire a quadrillé et serré la pénétration du partenariat étranger.
3. La décision de créer un impôt forfaitaire unique pour la quasi-totalité des Algériens va éloigner les Algériens des inspections et des recettes fiscales, à se découper et se séparer pratiquement de leur administration fiscale puisqu’ils n’ont plus de raisons d’y aller. La loi les autorise officiellement à ne pas se rapprocher d’elles. L’administration fiscale les convoquera une fois par an séparément pour négocier verbalement leurs bases et assiettes d’impositions auxquelles ils seront assujettis et auxquelles ils auraient donné leur aval au cours d’un entretien unique dicté.
Je ne veux pas imaginer les scénarios de négociations qui vont se dérouler, entre vis-à-vis et en tête à tête, assujetti-inspecteur fiscal, ceci au moment où notre pays fait des pieds et des mains pour endiguer le phénomène de la corruption organisée ou préprogrammée.
4. En corollaire à tous ces comportements décrits, qui relèvent ni plus ni moins de comportements subjectivistes de personnes et d’institutions publiques, la nation entière sera soumise à un régime planifié d’impôt qui s’appelle le forfait qui va ouvrir toutes les dérives possibles. C’est par excellence le schéma fiscal du MAKASS qui jadis fixe son impôt selon la tête et la psychologie de l’imposé, dans des marchés hebdomadaires des douars.
En conclusion, il existe bien d’autres motifs d’être pessimiste par rapport aux dispositions énoncées dans la loi de finances 2007.
Déjà plus avant, les plans de réforme énoncés pour le secteur en question sont tout autant inadaptés à l’essor de la fiscalité algérienne. Tout ceci se déroule malheureusement à l’ère de l’Internet qui autorise les personnes et les administrations à encourager tous les détails dans les déclarations d’impôts (à l’image de la généralisation de déclaration d’impôts sous Internet). En Algérie, on légalise une démarche en sens contraire.
Par ailleurs, les TIC surpassent tous les traitements de données pour obtenir toutes les exploitations comptables possibles et imaginables, leurs recoupements, leur reporting, etc.
Le tableau est si noir qu’il est urgent de réagir pour éviter au pays l’hécatombe fiscale et de sombrer dans la primitive fiscale qui condamne en mal la stratégie fiscale algérienne. Celle-ci doit par contre offrir à l’Algérie les aptitudes de pouvoir voir bien et loin.
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