Loi de finances 2008 et problématique du pouvoir d'achat des Algériens
par Abderrahmane Mebtoul *
«Le principal défi du XXIème siècle sera la maîtrise du temps»
Jacques Attali
Deux débats fort intéressants qui engagent l'avenir du pays ont eu lieu le 01 janvier 2008 sur la loi de finances 2008 et le pouvoir d'achat des Algériens, l'un à la radio algérienne chaîne I avec la participation de membres du gouvernement et l'autre à la radio chaîne III avec la participation du secrétaire général de l'UGTA et le patronat, les deux débats auxquels j'ai participé (1).
La majorité des participants, bien qu'ils ont eu des points de vue différents sur bon nombre d'aspects, ont admis un divorce entre l'actuelle aisance financière et une relative régression économique et sociale et le retour à l'inflation entre le second semestre 2006 et toute l'année 2007, entraînant une nette détérioration du pouvoir d'achat de la majorité des Algériens.
Je juge utile pour recadrer le débat, dans cette présente contribution au Quotidien d'Oran, de rappeler qu'une loi de finances n'est qu'un document comptable statique. Et pour comprendre sa portée, il est utile de la replacer dans le cadre de la dynamique à la fois politique, économique, sociale et culturelle de chaque pays incluant le volet historique car le résultat de 2007 est l'aboutissement d'un long processus historique de toutes les politiques socio-économiques de 1963 à nos jours.
Les caractéristiques fondamentales de la loi de finances 2008
1.- Au préalable, il est utile de préciser que cette loi se fonde sur les identificateurs socioéconomiques gouvernementaux qui sont les suivants : produit intérieur brut 8.460,5 milliards de dinars en 2007, soit presque 120 milliards de dollars US contre 3.238,2 milliards de dinars 1999; les importations de 21,4 milliards de dollars contre 9,7 en 1999 dont 4,5 milliards de dollars de factures alimentaires; les exportations de 54,6 milliards de dollars US dont 53,6 milliards de dollars hydrocarbures; une dette extérieure de 4,6 milliards de dollars, soit 4% du PIB, contre 28 en 1999 (58% du PIB) avec pour objectif fin 2007, 3,7% en 2007; des réserves de change de plus de 39 mois d'importation contre 4,6 en 1999, allant vers 100 milliards de dollars fin 2007, dont 43 milliards de dollars placés en bons de Trésor américain à 5% et plus de 10 dans banques internationales cotées appelées AAA (rappelant la dépréciation du dollar de plus de 47% par rapport à l'euro ces 7 dernières années); le taux de chômage serait de 12,3% en 2006/2007 contre 27,3% en 2001. Dans ce contexte, la loi de finances 2008 se fonde sur le cours d'un baril de 19 dollars US donnant ainsi 35% de déficit budgétaire.
Mais si l'on prend un cours moyen de 70 dollars le baril, le déficit est ramené à 3% du PIB et en excédent pour 75 dollars. La raison invoquée est une plus grande rigueur budgétaire, stériliser les liquidités au niveau de la Banque d'Algérie afin d'éviter toute dérive inflationniste, de dynamiser le fonds de régulation qui, pour fin 2006, s'établit à 3.000 milliards de dollars US, devant ramener la dette interne publique estimée à environ 1.800 milliards de dinars fin 2006, à 1.200 milliards de dinars fin 2007 et 500 milliards de dinars fin 2009.
Notons dans cette loi, l'assainissement des déficits des APC estimés à environ 150 milliards de dinars, d'où l'urgence d'imaginer une refonte de la fiscalité locale. Et les 166 milliards de dinars pour la nouvelle augmentation des salaires de la fonction publique qui ne peut expliquer l'inflation actuelle du fait que cette augmentation n'a pas encore eu lieu, l'explication fondamentale étant l'envolée des dépenses improductives et la mauvaise gestion.
Cependant, le problème posé est le suivant : en épongeant toutes ces dettes, comme cette politique de subventions, sans cibler ceux qui ont le plus besoin, et en ne s'attaquant pas à son essence, ne risque-t-on pas, comme l'assainissement des entreprises publiques qui ont coûté au Trésor public plus de 40 milliards de dollars US entre 1991 et 2007 et il est prévu 4 milliards de dollars UIS (loi de finances 2008), de reproduire les mêmes effets à terme, c'est-à-dire le retour à la case de départ, le blocage étant d'ordre systémique.
2.- Deuxièmement, l'on table sur des taux de croissance de 5,8% global et 6,8% hors hydrocarbures dynamisés essentiellement par le BTPH et certains segments des services, qui n'ont pas tous un caractère utile comme dans les pays développés, favorisant la création de la valeur ajoutée, moins de 5% des PMI/PME en Algérie sont informatisées.
Outre qu'entre 2006 et 2007, la part des hydrocarbures brut ou semi-brut (la pétrochimie créatrice de valeur ajoutée et inductrice d'emplois n'étant pas encore lancée) dans le PIB, avoisine 40/50%, cela est tiré par l'effet des dépenses publiques avec des infrastructures clefs en main souvent mal matures et mal ciblées dont des projets voient des réévaluations incessantes, parfois plus de 300%, et l'importance des dépenses improductives. Cela est démontré par le poids des indépendants, la masse salariale dans le PIB administration et services plus de 60% de la masse salariale globale, laissant aux segments utiles une part négligeable si l'on comptabilise les sureffectifs dans les autres segments et tout cela tiré essentiellement par les dépenses publiques via les recettes des hydrocarbures.
Je rappelle qu'en 2006/2007, les pouvoirs publics avaient prévu dans leurs lois de finances presque le même taux alors que, selon les organisations internationales, il a été établi à 2,8% en 2006 et à environ 4% en 2007, en contradiction avec l'importante enveloppe du plan de soutien de la relance économique (2004/2009) qui est passée de 55 milliards de dollars en 2004 à plus de 180 milliards de dinars fin 2007.
Or, le fondement de l'économie de marché véritable se base sur l'entreprise privée nationale et internationale créatrice de valeur, la concurrence, l'Etat de droit, la bonne gouvernance, et donc le respect du contrat, qui remplacent les relations informelles non transparentes, la dominance de la sphère privée utile avec un rôle important et stratégique pour l'Etat régulateur.
Or, depuis 1986 (date où les recettes pétrolières ont chuté d'environ 2/3), entraînant une profonde crise économique, sociale et politique, à fin 2007, l'Algérie est toujours dans cette interminable transition, d'où la difficulté de la régulation comme en témoignent les expériences malheureuses de l'importation de la pomme de terre, la baisse de la TVA n'ayant pas eu tous les effets escomptés, et elle ne pouvait en avoir car raisonnant dans le cadre d'une économie administrée qui n'existe plus du fait de l'entrée de nouveaux acteurs avec le risque de passage d'un monopole public à un monopole qui est l'antinomie d'une véritable économie de marché .
3.- La loi de finances 2008 prévoit un taux d'inflation de 3%, en réalité taux plus élevé, et nos responsables devraient faire le marché. Mais selon les concepteurs de la loi de finances, cet effet serait contrebalancé par les réductions des tarifs douaniers (introduction de la 2ème phase de l'Accord qui lie l'Algérie à l'Union européenne pour une zone de libre-échange), 10% de janvier à août 2008 et de 30% de septembre à décembre 2008.
Pourtant, comme j'ai eu à l'affirmer au cours des deux débats, outre que plus de 60% de nos importations se font en euros et 98% de nos exportations en dollars, mais cela n'est pas propre à l'Algérie, et qu'il faille reconnaître la flambée des prix de certains produits au niveau mondial, il y a lieu de reconnaître que n'existe pas à la fois une politique économique de relance de la production interne et une politique salariale fiable, mais des replâtrages conjoncturels sous la pression des événements du fait du manque de visibilité et de cohérence de la réforme globale en panne.
Or le SMIG est à environ 120 euros, le salaire d'un professeur d'université en fin de carrière est d'environ 500 euros et 780 euros avec la nouvelle grille des salaires (passant du 1/4 au 1/3 de ses collègues maghrébins, donc une concrétisation de la dévalorisation du savoir, qui est pourtant le fondement du développement du XXIème siècle, au profit de traitements de rente. Et selon les enquêtes du CNEAP, les ménages consacrent environ 60% de leur budget aux dépenses alimentaires, avec seulement 10% pour la viande, traduisant une sous-nutrition, expliquant en partie par la consommation excessive de médicaments, avec un endettement croissant des ménages qui a connu une ascension spectaculaire entre 2005/2007 (emprunts, voitures, logements, électroménagers), amenuisant leur pouvoir d'achat à terme (un prêt de 100 au bout de 5 ans l'on rembourse entre 130 et 150 selon le cas).
Par ailleurs, le besoin étant historiquement daté, cela renvoie à l'urgence de revoir le panier de consommation qui préside à l'élaboration de l'indice de l'inflation totalement dépassé, déterminant pour savoir si oui ou non l'on assiste à un amenuisement du pouvoir d'achat.
Ce d'autant plus que le revenu global de la comptabilité nationale et le PIB global ont une signification limitée et l'important est d'analyser la destination par couches sociales selon l'importance des strates fonction de l'évolution de la population algérienne. Car la disposition, la réduction de la pression fiscale sur les revenus faibles, a une portée limitée ne concernant qu'une tranche limitée des salariés mais avec le risque d'un nivellement par le bas et privilégier les couches rentières au détriment des couches utiles.
à suivre...
par Abderrahmane Mebtoul *
«Le principal défi du XXIème siècle sera la maîtrise du temps»
Jacques Attali
Deux débats fort intéressants qui engagent l'avenir du pays ont eu lieu le 01 janvier 2008 sur la loi de finances 2008 et le pouvoir d'achat des Algériens, l'un à la radio algérienne chaîne I avec la participation de membres du gouvernement et l'autre à la radio chaîne III avec la participation du secrétaire général de l'UGTA et le patronat, les deux débats auxquels j'ai participé (1).
La majorité des participants, bien qu'ils ont eu des points de vue différents sur bon nombre d'aspects, ont admis un divorce entre l'actuelle aisance financière et une relative régression économique et sociale et le retour à l'inflation entre le second semestre 2006 et toute l'année 2007, entraînant une nette détérioration du pouvoir d'achat de la majorité des Algériens.
Je juge utile pour recadrer le débat, dans cette présente contribution au Quotidien d'Oran, de rappeler qu'une loi de finances n'est qu'un document comptable statique. Et pour comprendre sa portée, il est utile de la replacer dans le cadre de la dynamique à la fois politique, économique, sociale et culturelle de chaque pays incluant le volet historique car le résultat de 2007 est l'aboutissement d'un long processus historique de toutes les politiques socio-économiques de 1963 à nos jours.
Les caractéristiques fondamentales de la loi de finances 2008
1.- Au préalable, il est utile de préciser que cette loi se fonde sur les identificateurs socioéconomiques gouvernementaux qui sont les suivants : produit intérieur brut 8.460,5 milliards de dinars en 2007, soit presque 120 milliards de dollars US contre 3.238,2 milliards de dinars 1999; les importations de 21,4 milliards de dollars contre 9,7 en 1999 dont 4,5 milliards de dollars de factures alimentaires; les exportations de 54,6 milliards de dollars US dont 53,6 milliards de dollars hydrocarbures; une dette extérieure de 4,6 milliards de dollars, soit 4% du PIB, contre 28 en 1999 (58% du PIB) avec pour objectif fin 2007, 3,7% en 2007; des réserves de change de plus de 39 mois d'importation contre 4,6 en 1999, allant vers 100 milliards de dollars fin 2007, dont 43 milliards de dollars placés en bons de Trésor américain à 5% et plus de 10 dans banques internationales cotées appelées AAA (rappelant la dépréciation du dollar de plus de 47% par rapport à l'euro ces 7 dernières années); le taux de chômage serait de 12,3% en 2006/2007 contre 27,3% en 2001. Dans ce contexte, la loi de finances 2008 se fonde sur le cours d'un baril de 19 dollars US donnant ainsi 35% de déficit budgétaire.
Mais si l'on prend un cours moyen de 70 dollars le baril, le déficit est ramené à 3% du PIB et en excédent pour 75 dollars. La raison invoquée est une plus grande rigueur budgétaire, stériliser les liquidités au niveau de la Banque d'Algérie afin d'éviter toute dérive inflationniste, de dynamiser le fonds de régulation qui, pour fin 2006, s'établit à 3.000 milliards de dollars US, devant ramener la dette interne publique estimée à environ 1.800 milliards de dinars fin 2006, à 1.200 milliards de dinars fin 2007 et 500 milliards de dinars fin 2009.
Notons dans cette loi, l'assainissement des déficits des APC estimés à environ 150 milliards de dinars, d'où l'urgence d'imaginer une refonte de la fiscalité locale. Et les 166 milliards de dinars pour la nouvelle augmentation des salaires de la fonction publique qui ne peut expliquer l'inflation actuelle du fait que cette augmentation n'a pas encore eu lieu, l'explication fondamentale étant l'envolée des dépenses improductives et la mauvaise gestion.
Cependant, le problème posé est le suivant : en épongeant toutes ces dettes, comme cette politique de subventions, sans cibler ceux qui ont le plus besoin, et en ne s'attaquant pas à son essence, ne risque-t-on pas, comme l'assainissement des entreprises publiques qui ont coûté au Trésor public plus de 40 milliards de dollars US entre 1991 et 2007 et il est prévu 4 milliards de dollars UIS (loi de finances 2008), de reproduire les mêmes effets à terme, c'est-à-dire le retour à la case de départ, le blocage étant d'ordre systémique.
2.- Deuxièmement, l'on table sur des taux de croissance de 5,8% global et 6,8% hors hydrocarbures dynamisés essentiellement par le BTPH et certains segments des services, qui n'ont pas tous un caractère utile comme dans les pays développés, favorisant la création de la valeur ajoutée, moins de 5% des PMI/PME en Algérie sont informatisées.
Outre qu'entre 2006 et 2007, la part des hydrocarbures brut ou semi-brut (la pétrochimie créatrice de valeur ajoutée et inductrice d'emplois n'étant pas encore lancée) dans le PIB, avoisine 40/50%, cela est tiré par l'effet des dépenses publiques avec des infrastructures clefs en main souvent mal matures et mal ciblées dont des projets voient des réévaluations incessantes, parfois plus de 300%, et l'importance des dépenses improductives. Cela est démontré par le poids des indépendants, la masse salariale dans le PIB administration et services plus de 60% de la masse salariale globale, laissant aux segments utiles une part négligeable si l'on comptabilise les sureffectifs dans les autres segments et tout cela tiré essentiellement par les dépenses publiques via les recettes des hydrocarbures.
Je rappelle qu'en 2006/2007, les pouvoirs publics avaient prévu dans leurs lois de finances presque le même taux alors que, selon les organisations internationales, il a été établi à 2,8% en 2006 et à environ 4% en 2007, en contradiction avec l'importante enveloppe du plan de soutien de la relance économique (2004/2009) qui est passée de 55 milliards de dollars en 2004 à plus de 180 milliards de dinars fin 2007.
Or, le fondement de l'économie de marché véritable se base sur l'entreprise privée nationale et internationale créatrice de valeur, la concurrence, l'Etat de droit, la bonne gouvernance, et donc le respect du contrat, qui remplacent les relations informelles non transparentes, la dominance de la sphère privée utile avec un rôle important et stratégique pour l'Etat régulateur.
Or, depuis 1986 (date où les recettes pétrolières ont chuté d'environ 2/3), entraînant une profonde crise économique, sociale et politique, à fin 2007, l'Algérie est toujours dans cette interminable transition, d'où la difficulté de la régulation comme en témoignent les expériences malheureuses de l'importation de la pomme de terre, la baisse de la TVA n'ayant pas eu tous les effets escomptés, et elle ne pouvait en avoir car raisonnant dans le cadre d'une économie administrée qui n'existe plus du fait de l'entrée de nouveaux acteurs avec le risque de passage d'un monopole public à un monopole qui est l'antinomie d'une véritable économie de marché .
3.- La loi de finances 2008 prévoit un taux d'inflation de 3%, en réalité taux plus élevé, et nos responsables devraient faire le marché. Mais selon les concepteurs de la loi de finances, cet effet serait contrebalancé par les réductions des tarifs douaniers (introduction de la 2ème phase de l'Accord qui lie l'Algérie à l'Union européenne pour une zone de libre-échange), 10% de janvier à août 2008 et de 30% de septembre à décembre 2008.
Pourtant, comme j'ai eu à l'affirmer au cours des deux débats, outre que plus de 60% de nos importations se font en euros et 98% de nos exportations en dollars, mais cela n'est pas propre à l'Algérie, et qu'il faille reconnaître la flambée des prix de certains produits au niveau mondial, il y a lieu de reconnaître que n'existe pas à la fois une politique économique de relance de la production interne et une politique salariale fiable, mais des replâtrages conjoncturels sous la pression des événements du fait du manque de visibilité et de cohérence de la réforme globale en panne.
Or le SMIG est à environ 120 euros, le salaire d'un professeur d'université en fin de carrière est d'environ 500 euros et 780 euros avec la nouvelle grille des salaires (passant du 1/4 au 1/3 de ses collègues maghrébins, donc une concrétisation de la dévalorisation du savoir, qui est pourtant le fondement du développement du XXIème siècle, au profit de traitements de rente. Et selon les enquêtes du CNEAP, les ménages consacrent environ 60% de leur budget aux dépenses alimentaires, avec seulement 10% pour la viande, traduisant une sous-nutrition, expliquant en partie par la consommation excessive de médicaments, avec un endettement croissant des ménages qui a connu une ascension spectaculaire entre 2005/2007 (emprunts, voitures, logements, électroménagers), amenuisant leur pouvoir d'achat à terme (un prêt de 100 au bout de 5 ans l'on rembourse entre 130 et 150 selon le cas).
Par ailleurs, le besoin étant historiquement daté, cela renvoie à l'urgence de revoir le panier de consommation qui préside à l'élaboration de l'indice de l'inflation totalement dépassé, déterminant pour savoir si oui ou non l'on assiste à un amenuisement du pouvoir d'achat.
Ce d'autant plus que le revenu global de la comptabilité nationale et le PIB global ont une signification limitée et l'important est d'analyser la destination par couches sociales selon l'importance des strates fonction de l'évolution de la population algérienne. Car la disposition, la réduction de la pression fiscale sur les revenus faibles, a une portée limitée ne concernant qu'une tranche limitée des salariés mais avec le risque d'un nivellement par le bas et privilégier les couches rentières au détriment des couches utiles.
à suivre...
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