par Farouk Zahi
Ce mode opératoire, de l'aveu même d'un jeune homme né à la fin des années soixante-dix (70), lui a été inculqué par des comportements d'apparence anodine cumulés au fil du temps, qu'il considère suffisants pour l'avoir poussé à détester son propre pays.
Ressentiment blasphématoire s'il en est, il n'a en fin de compte rien de surprenant, il suffit pour cela de dérouler les séquences d'une vie faite de privations, d'attentes et de rendez-vous manqués, pour tenter de comprendre un tant soit peu ce trait phobique.
Petit, il entendait son père parler du dépôt d'un dossier à l'OPGI pour bénéficier d'un logement parmi les milliers que construisaient les Portugais, les Français, les Suédois et autres nationalités, puis en vain. Pourtant il ne se passait pas un jour où l'on ne voyait pas à la télévision des gens en train d'être « déménagés » vers de nouveaux logements. La caméra de mise, filmait le maire ou le chef de daïra parlant avec beaucoup de verve d'un premier quota, la suite «c'est pour bientôt In Chaa'Allah !».
Entre-temps, les responsables qui ont fait cette déclaration ne seront plus là pour les prochains quotas qui seront attribués à des gens qui ont été « déménagés » de la périphérie d'Alger pour diverses raisons. Ceux dont le bidonville gênait la vue de Riadh El-Feth ou ceux de Gorias étaient les plus chanceux, les autres l'étaient moins, ils ont été « déversés » dans la steppe de M'sila ou dans la plaine des Béni-Slimane. Ces Algériens de seconde zone ont été parqués sous des tentes, ils disposaient toutefois de l'eau ramenée par citernage. A-t-on pensé un seul instant aux centaines d'enfants qui fréquentaient l'école et à ces chefs de famille qui perdaient leurs moyens de subsistance ? On rendait ainsi Alger à ses autochtones.
C'est probablement ici que naissait le terreau de toutes les violences futures. Ce jeune désemparé regarde toujours cette même télévision qui annonce au «20 Heures», les mêmes choses depuis vingt ans déjà. Il se rappelle Ahmed Ouahid au domaine autogéré de Zéralda où l'inévitable coopérateur montrait une belle «Marmande» et disait qu'on allait l'exporter. A ce propos, il se rappelle vaguement d'une histoire qu'il n'osait pas croire, celle de ce président de domaine autogéré qui offrait une « zerda » suite à sa réélection à la tête du domaine. Le fils de «Monsieur le Président» du domaine invitait ses copains à une «bouffa» parallèle. Un peu éméché, le digne fils de son père, voulant en remplir plein les yeux à ses compagnons, s'arma d'un coutelas et tailla un steak dans le vif du jambonneau d'un veau qui paissait pas loin.
La «Marmande» est toujours là, sauf qu'elle a changé de champ. La pomme de terre, la «Désirée» comme son nom l'indique, ne pouvait pas trouver meilleure dénomination. Elle se fait toujours désirer en dépit de milliers d'hectares créés dans le cadre du foncier agricole, de centaines de barrages et retenues collinaires, de centaines, voire de milliers d'ingénieurs et techniciens agricoles, de milliards de dinars injectés dans le fonds de soutien aux agriculteurs. Elle qui faisait des absences épisodiques, le fait maintenant plus longuement avec plus de lustre. Elle fait recours à la canadienne, la hollandaise ou la turque pour assurer la «soudure». Objet d'un Conseil du gouvernement, elle fait la «une» de plusieurs titres, au «20 Heures» on continue de parler encore d'autosuffisance... et ce, depuis plusieurs décennies.
Mme Griffou parlait de réforme du système éducatif, on en parle toujours mais sans elle. A quinze ans, il se fait virer de l'école avec quelques camarades, à la rentrée scolaire il constate qu'il était le seul exclu. Armé d'un diplôme de tourneur fraiseur du CFPA, il n'a pas trouvé de travail, il tourne - sans jeu de mots - au marché de gros de Bougara histoire de voir venir. Son camarade de classe dont le père avait démarré avec une vieille camionnette dans l'alimentation générale est devenu un fils de riche. Pour s'amuser il fait cabrer un des tracteurs des 4 ou 5 semi-remorques que son géniteur possède maintenant. Ils ont construit une grande maison avec beaucoup de garages. Notre adolescent attend toujours sur le quai.
Après le service national à Abadla où il a cru un moment qu'il faisait partie des enfants de ce pays, la levée des couleurs et l'hymne national lui en ont donné l'illusion, il a été livré à la vie civile. En regagnant les siens : «bonjour tristesse»; il occupe toujours le même taudis familial qui l'a vu naître. La butte du bois des arcades a été soustraite aux jeux des enfants et ça n'a servi à rien; la jeunesse dorée de «Houbel» ne le fréquente plus, il a perdu son lustre d'antan. On n'y entend plus que de la musique dédiée aux morts qui n'est jouée que pour les visiteurs étrangers ou parfois pour les nôtres le 1er Novembre. Pourtant l'Emir Abdelkader et Boumediène et tous les chouhada illustres sont inhumés à El-Alia. Il ne comprend pas. Quand Boudiaf est rentré, il n'a pas compris pourquoi Rabah Noël et Salah Bouakouir n'étaient plus chouhada. Il croyait que ceux qui ont fait la Révolution ne pouvaient pas mentir. Pourtant, ils l'on fait ! On dit que c'est Boumaârafi qui a tué le père de la Révolution. Ce ne peut être possible, un cadet de la Révolution ne pouvait tuer le père de celle-ci ! A la télévision, ce sont toujours les mêmes têtes qui passent, ils tiennent les mêmes propos. L'autre jour il a entendu parler du retour d'un grand révolutionnaire qui n'a pas arrêté sa révolution depuis l'Organisation Spéciale (O.S.).
Au début des années quatre-vingt-dix, son père qui travaillait dans une grande entreprise publique était renvoyé avec des centaines d'autres employés. Il n'était plus payé depuis dix-huit mois (18). Le petit qu'il était, effectuait des petits boulots pour ramener de quoi acheter le lait et le pain au moins. Son père errait toute la journée pour revenir souvent les mains vides. Les trois jours de salaire «consentis» par ceux qui ont gardé leur boulot, n'ont permis à son père que le remboursement d'une partie de ses dettes. Il vient de quitter ce monde après une très longue maladie. Sa famille n'avait pas assez d'argent pour le faire hospitaliser dans une clinique. A l'hôpital, il a dû attendre pendant 2 mois une hypothétique intervention chirurgicale, pour se voir signifier à la fin, sa sortie pour raison de réfection des bâtiments qui menaçaient ruine.
Les démarches bureaucratiques pour le capital décès et la reconversion de la pension de retraite de son défunt père ont consommé le tiers de ce que la famille escomptait. Ces dépenses ont été le fait des va-et-vient entre les différents services administratifs et les »Ikramiat», doux euphémisme de concussion, délivrées çà et là. A l'âge de raison, il découvre que la justice de son pays n'a pas rétabli son père dans ses droits à la réintégration dans son entreprise restructurée; mais qu'elle a bien fait expulser sa tante maternelle d'un logement qu'elle occupait depuis l'indépendance. Le prétendu propriétaire fit ramener l'huissier et la police. Force était à la loi ! La fille du voisin avec laquelle il échangeait des sourires et pour laquelle il nourrissait de doux desseins, a convolé en justes noces avec son ancien camarade de classe qui habite les hauteurs. Le jour des épousailles, le nouveau marié a évité son regard pour s'embarquer dans sa «Touareg» à marchepied et anti-buffle chromés rutilante. Il ne lui restait que sa «Rym» et son café express qu'il ingurgitait à travers une gorge nouée par le dépit et la rancœur.
Son frère cadet est le seul à avoir réussi ses études, il est en troisième année de droit. Mais il pense d'ores et déjà à être gendarme ou douanier, il ne risque pas de trouver du travail dans le civil, d'autant qu'il sera dispensé du Service national. Cette nouvelle donne rassérène quelque peu son esprit torturé par son propre échec scolaire.
Ce mode opératoire, de l'aveu même d'un jeune homme né à la fin des années soixante-dix (70), lui a été inculqué par des comportements d'apparence anodine cumulés au fil du temps, qu'il considère suffisants pour l'avoir poussé à détester son propre pays.
Ressentiment blasphématoire s'il en est, il n'a en fin de compte rien de surprenant, il suffit pour cela de dérouler les séquences d'une vie faite de privations, d'attentes et de rendez-vous manqués, pour tenter de comprendre un tant soit peu ce trait phobique.
Petit, il entendait son père parler du dépôt d'un dossier à l'OPGI pour bénéficier d'un logement parmi les milliers que construisaient les Portugais, les Français, les Suédois et autres nationalités, puis en vain. Pourtant il ne se passait pas un jour où l'on ne voyait pas à la télévision des gens en train d'être « déménagés » vers de nouveaux logements. La caméra de mise, filmait le maire ou le chef de daïra parlant avec beaucoup de verve d'un premier quota, la suite «c'est pour bientôt In Chaa'Allah !».
Entre-temps, les responsables qui ont fait cette déclaration ne seront plus là pour les prochains quotas qui seront attribués à des gens qui ont été « déménagés » de la périphérie d'Alger pour diverses raisons. Ceux dont le bidonville gênait la vue de Riadh El-Feth ou ceux de Gorias étaient les plus chanceux, les autres l'étaient moins, ils ont été « déversés » dans la steppe de M'sila ou dans la plaine des Béni-Slimane. Ces Algériens de seconde zone ont été parqués sous des tentes, ils disposaient toutefois de l'eau ramenée par citernage. A-t-on pensé un seul instant aux centaines d'enfants qui fréquentaient l'école et à ces chefs de famille qui perdaient leurs moyens de subsistance ? On rendait ainsi Alger à ses autochtones.
C'est probablement ici que naissait le terreau de toutes les violences futures. Ce jeune désemparé regarde toujours cette même télévision qui annonce au «20 Heures», les mêmes choses depuis vingt ans déjà. Il se rappelle Ahmed Ouahid au domaine autogéré de Zéralda où l'inévitable coopérateur montrait une belle «Marmande» et disait qu'on allait l'exporter. A ce propos, il se rappelle vaguement d'une histoire qu'il n'osait pas croire, celle de ce président de domaine autogéré qui offrait une « zerda » suite à sa réélection à la tête du domaine. Le fils de «Monsieur le Président» du domaine invitait ses copains à une «bouffa» parallèle. Un peu éméché, le digne fils de son père, voulant en remplir plein les yeux à ses compagnons, s'arma d'un coutelas et tailla un steak dans le vif du jambonneau d'un veau qui paissait pas loin.
La «Marmande» est toujours là, sauf qu'elle a changé de champ. La pomme de terre, la «Désirée» comme son nom l'indique, ne pouvait pas trouver meilleure dénomination. Elle se fait toujours désirer en dépit de milliers d'hectares créés dans le cadre du foncier agricole, de centaines de barrages et retenues collinaires, de centaines, voire de milliers d'ingénieurs et techniciens agricoles, de milliards de dinars injectés dans le fonds de soutien aux agriculteurs. Elle qui faisait des absences épisodiques, le fait maintenant plus longuement avec plus de lustre. Elle fait recours à la canadienne, la hollandaise ou la turque pour assurer la «soudure». Objet d'un Conseil du gouvernement, elle fait la «une» de plusieurs titres, au «20 Heures» on continue de parler encore d'autosuffisance... et ce, depuis plusieurs décennies.
Mme Griffou parlait de réforme du système éducatif, on en parle toujours mais sans elle. A quinze ans, il se fait virer de l'école avec quelques camarades, à la rentrée scolaire il constate qu'il était le seul exclu. Armé d'un diplôme de tourneur fraiseur du CFPA, il n'a pas trouvé de travail, il tourne - sans jeu de mots - au marché de gros de Bougara histoire de voir venir. Son camarade de classe dont le père avait démarré avec une vieille camionnette dans l'alimentation générale est devenu un fils de riche. Pour s'amuser il fait cabrer un des tracteurs des 4 ou 5 semi-remorques que son géniteur possède maintenant. Ils ont construit une grande maison avec beaucoup de garages. Notre adolescent attend toujours sur le quai.
Après le service national à Abadla où il a cru un moment qu'il faisait partie des enfants de ce pays, la levée des couleurs et l'hymne national lui en ont donné l'illusion, il a été livré à la vie civile. En regagnant les siens : «bonjour tristesse»; il occupe toujours le même taudis familial qui l'a vu naître. La butte du bois des arcades a été soustraite aux jeux des enfants et ça n'a servi à rien; la jeunesse dorée de «Houbel» ne le fréquente plus, il a perdu son lustre d'antan. On n'y entend plus que de la musique dédiée aux morts qui n'est jouée que pour les visiteurs étrangers ou parfois pour les nôtres le 1er Novembre. Pourtant l'Emir Abdelkader et Boumediène et tous les chouhada illustres sont inhumés à El-Alia. Il ne comprend pas. Quand Boudiaf est rentré, il n'a pas compris pourquoi Rabah Noël et Salah Bouakouir n'étaient plus chouhada. Il croyait que ceux qui ont fait la Révolution ne pouvaient pas mentir. Pourtant, ils l'on fait ! On dit que c'est Boumaârafi qui a tué le père de la Révolution. Ce ne peut être possible, un cadet de la Révolution ne pouvait tuer le père de celle-ci ! A la télévision, ce sont toujours les mêmes têtes qui passent, ils tiennent les mêmes propos. L'autre jour il a entendu parler du retour d'un grand révolutionnaire qui n'a pas arrêté sa révolution depuis l'Organisation Spéciale (O.S.).
Au début des années quatre-vingt-dix, son père qui travaillait dans une grande entreprise publique était renvoyé avec des centaines d'autres employés. Il n'était plus payé depuis dix-huit mois (18). Le petit qu'il était, effectuait des petits boulots pour ramener de quoi acheter le lait et le pain au moins. Son père errait toute la journée pour revenir souvent les mains vides. Les trois jours de salaire «consentis» par ceux qui ont gardé leur boulot, n'ont permis à son père que le remboursement d'une partie de ses dettes. Il vient de quitter ce monde après une très longue maladie. Sa famille n'avait pas assez d'argent pour le faire hospitaliser dans une clinique. A l'hôpital, il a dû attendre pendant 2 mois une hypothétique intervention chirurgicale, pour se voir signifier à la fin, sa sortie pour raison de réfection des bâtiments qui menaçaient ruine.
Les démarches bureaucratiques pour le capital décès et la reconversion de la pension de retraite de son défunt père ont consommé le tiers de ce que la famille escomptait. Ces dépenses ont été le fait des va-et-vient entre les différents services administratifs et les »Ikramiat», doux euphémisme de concussion, délivrées çà et là. A l'âge de raison, il découvre que la justice de son pays n'a pas rétabli son père dans ses droits à la réintégration dans son entreprise restructurée; mais qu'elle a bien fait expulser sa tante maternelle d'un logement qu'elle occupait depuis l'indépendance. Le prétendu propriétaire fit ramener l'huissier et la police. Force était à la loi ! La fille du voisin avec laquelle il échangeait des sourires et pour laquelle il nourrissait de doux desseins, a convolé en justes noces avec son ancien camarade de classe qui habite les hauteurs. Le jour des épousailles, le nouveau marié a évité son regard pour s'embarquer dans sa «Touareg» à marchepied et anti-buffle chromés rutilante. Il ne lui restait que sa «Rym» et son café express qu'il ingurgitait à travers une gorge nouée par le dépit et la rancœur.
Son frère cadet est le seul à avoir réussi ses études, il est en troisième année de droit. Mais il pense d'ores et déjà à être gendarme ou douanier, il ne risque pas de trouver du travail dans le civil, d'autant qu'il sera dispensé du Service national. Cette nouvelle donne rassérène quelque peu son esprit torturé par son propre échec scolaire.
Commentaire