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La santé mentale parent pauvre de l'Algérie

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    Le Soir d’Algérie : Vous avez résumé l’histoire de la pédopsychiatrie en Algérie, en disant que c’est une chronique de rendez-vous manqués. Belle formule pour une triste réalité, n’est-ce pas ?

    Mohamed Tidjiza : Mon intervention s’articulait autour de trois volets : le premier est une rétrospective historique que j’ai qualifiée de chronique des rendez- vous manqués. La deuxième, c’est la réalité clinique qui est dominée par l’ampleur de la demande de soins et le troisième volet portait sur les contraintes institutionnelles au niveau tant de l’aide médico-psychopédagogique et de l’aide sociale qu’au niveau du cursus de formation universitaire qui est caractérisé par une indigence de l’offre de soins. En ce qui concerne la sous-spécialité qui est la psychiatrie infantile qui a pris un énorme retard de par le monde et, particulièrement, en Algérie, cette discipline n’a pas réussi à s’émanciper suffisamment pour deux préjugés majeurs, à savoir ce que j’ai appelé le préjugé adultomorphique, qui est un point de vue réducteur qui consiste à considérer l’enfant comme un adulte en miniature et donc à lui appliquer la même façon de procéder du point de vue méthodologique. Ce qui est une erreur parce qu’il y a une différenciation radicale entre les deux. Le deuxième, ce que j’ai appelé le préjugé défectologique, parce qu’on est parti sur une image de ce que les Anglosaxons appellent «the brain dysfonction», c'est-à-dire une machine qui tourne mal du fait d’un mécanicisme défectueux. La pédopsychiatrie est restée rivée au modèle médical classique de type organiciste. Elle est donc très en retard. En Algérie et, au lendemain de l’indépendance, la discipline a connu un début prometteur grâce à l’action des Prs Ben Miloud et Boucebci et d’autres qui ont essayé de promouvoir la psychiatrie infantile. Mais ces initiatives ont été freinées. A l’époque, on avait, peut-être, considéré qu’il y avait d’autres urgences, d’autres priorités de santé publique. On n’a pas accordé beaucoup d’intérêt à l’enfant malade. Juridiquement, l’enfant malade en psychiatrie n’existe pas. Il y a une législation sociale et sanitaire mais pas très élaborée et qui reste dans le vague et ne pose même pas les problèmes.

    Que faut-il faire pour le renouveau de la discipline ?

    C’est pour ça qu’on a tenu ce congrès, le but de ce genre de rencontre scientifique est de stimuler, de susciter des vocations. On exhorte à l’abnégation dans le travail pour tirer la discipline vers le haut. Je crois que c’est l’un des défis de l’avenir et des décennies à venir.

    Il y a une forte demande de soins et de prise en charge médicale des troubles et de la souffrance mentaux infantiles et juvéniles mais en face, la réponse thérapeutique est indigente. Comment expliquez-vous ce déséquilibre ?

    Il y a en effet un déséquilibre entre l’offre et la demande. Cela est dû, en premier lieu, au fait qu’on n’a pas formé assez de psychiatres pour enfants, en raison, notamment, de problèmes techniques et institutionnels. Des programmes cohérents et exhaustifs qui abordent tous les aspects infrastructurels, logistiques et de ressources humaines doivent être développés.

    La situation que vous venez de décrire n’est-elle pas symptomatique du retard pris dans le développement de l’ensemble du secteur de la santé mentale en Algérie ?

    Tout à fait, et ce n’est pas excessif de dire que la santé mentale est le parent pauvre de la santé publique en Algérie. Il semble, encore une fois, qu’il y aurait d’autres priorités. Mais je pense qu’on est en train de passer à côté de quelques chose d’essentiel : l’importance de la santé mentale est décisive. Surtout celle de l’enfant qui est l’homme de demain.

    Le tableau clinique que vous avez brossé dans votre intervention est-il caractéristique d’une situation propre à l’Algérie ?

    J’ai dit que, de façon générale, le fond du fait psychopathologique est universel, le relativisme culturel n’affecte que l’expression formelle, le fond est inhérent à l’espèce humaine avec son équipement neurobiologique particulier et les lois de la biologie auxquelles obéit le cerveau en tant qu’organe vivant qui obéit à la détermination biologique avant d’être un appareil de représentation symbolique. Ceci dit, c’est vrai que les spécificités historiques socioculturelles peuvent affecter l’expression des troubles ou quelquefois quand la réalité événementielle et historique quand il y a une précipitation, une accélération de l’histoire comme cela a été le cas en Algérie depuis les deux décennies qui viennent de s’écouler, depuis octobre 1988. La violence, la paupérisation sociale, le laminage du pouvoir d’achat constituent des motifs de frustration. Celle-ci est l’une des étiologies du stress les plus importantes. La pathologie frusrtationnelle fait partie de la pathologie du stress et c’est même la plus importante.

    Le genre d’événement comme celui qu’on vient de vivre il y a un peu plus d’une semaine, à Naciria, près de Tizi-Ouzou est un cas de stress majeur que les Algériens ont vécu ces dernières années. Ce genre d’événement ne peut pas se produire sans laisser de traces. Pour illustration, une étude rapportée en 2002 par un chercheur américain, suite aux événements du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, a montré que 75 000 écoliers de New York ont développé un état de stress post-traumatique. Et si on considère la succession d’événements violents et traumatisants qu’on a vécus ces dernières années et qu’on continue de vivre en Algérie, la situation ne peut être que plus dramatique.

    Bien sûr qu’il y a des conséquences qui sont dues à la fragilité de l’espèce humaine, mais la part de l’événement, et notamment ceux relatifs à la violence humaine, est déterminante. Et là, malheureusement, l’Algérie est bien servie.

    Ces manifestations de violence, les suicides de type kamikaze ou autres qui meublent l’actualité de notre pays ne sont-ils pas en quelque sorte les avatars de la quasi-négligence d’un secteur de la santé publique comme celui de la santé mentale ?

    Ce n’est pas en ignorant et en méconnaissant une réalité qu’on peut la conjurer magiquement. Les faits sont têtus et la réalité sociale et événementielle nous revient comme un boomerang. Aux Etats-Unis où l’on a pris conscience de l’importance de la santé mentale, on a créé, du temps du défunt président Kennedy, le National Institut for Mental Health, un institut dédié uniquement à la santé mentale et pour lequel des budgets conséquents ont été consentis car on a compris l’importance stratégique de cette dimension pour la préservation de la sécurité et de l’ordre social dans un pays qui peut être aussi menacé par les fléaux sociaux, la délinquance, la déviance sociale. Chez nous, 40 ans après l’indépendance, on est en train de se poser la question sur l’opportunité de certaines dépenses sur des secteurs dont la priorité n’est pas, il est vrai, objectivable comme pour d’autres secteurs comme, par exemple, pour les maladies transmissibles. Le danger inhérent aux souffrances mentales est plus sournois parce qu’il n’est pas palpable et concret et dont les effets ne sont pas immédiats.


    *Mohamed Tidjiza, professeur de psychiatrie et de psychologie médicale à la Faculté d’Alger, chef de service à l’hôpital psychiatrique universitaire Drid Hocine d’Alger et président de la Société médico-psychologique algérienne.- le Soir
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