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Le Golfe découvre le droit du travail

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  • Le Golfe découvre le droit du travail

    Aujourd'hui, Ismaïl Sheik n'ira pas travailler. "Je suis malade", explique ce jeune homme de 23 ans originaire du Bangladesh. Assis sur un coin de lit superposé dans sa chambre de 7 m2 où il vit entassé avec cinq autres ouvriers, Ismaïl se repose. Il n'ira donc pas pointer chez Prometal, l'usine qui "répare les portes" sur les chantiers de Dubaï. Il restera à Sonapur, un quartier excentré de cette capitale du Golfe, d'un calme presque pesant au milieu de la journée quand les ouvriers qui y vivent sont partis creuser, construire, bétonner, maçonner...

    Il y a deux mois, c'était pourtant la rébellion à Sonapur. Fait sans précédent, une grève avait éclaté. Des dizaines de milliers d'ouvriers de la société de construction Arabtec, venus d'Inde, du Pakistan, du Bangladesh, réclamaient la hausse du salaire de base : 900 dirhams (279 euros) au lieu de 400, des billets aller et retour deux fois par an pour rendre visite à leur famille et le remboursement des médicaments.

    Deux mois plus tard, le problème est étouffé, mais pas résolu. "Ceux qui ont fait grève ont été renvoyés chez eux", explique un salarié qui préfère garder l'anonymat. A Dubaï, les méthodes sont expéditives. "Les décisions reposent sur trois personnes tout au plus. C'est l'avantage de la monarchie absolue", relate avec ironie un Français, résident depuis quatre ans.

    "Dans les journaux, le gouvernement a dit que les salaires augmenteraient de 20 % mais nous n'avons rien vu. En tout, nous avons touché 100 dirhams de plus pour la nourriture", résume un ouvrier.

    Mais l'affaire a fait grand bruit. La presse internationale a relayé les faits. Une mauvaise publicité pour l'émirat qui tente d'attirer les touristes occidentaux. D'autant que le problème se répète dans les pays voisins.

    Les autorités ont donc décidé de réagir en prenant une initiative inédite : organiser un sommet sur le droit du travail. Ce lundi 21 janvier, à Abu Dhabi, les représentants des Emirats arabes unis et des pays voisins (Bahreïn, Qatar, peut-être Koweït), rencontrent ceux des pays d'Asie d'où sont originaires la plupart des travailleurs immigrés. "Il doit y avoir aussi une personne de l'ONU et des droits de l'homme, précise Dr Waleed Al-Alawi, du ministère du travail au Bahreïn. "Les travailleurs expatriés représentent parfois jusqu'à 80 % de la population dans les pays du Golfe. Nous voulons rester une nation arabe, mais il faut trouver le moyen de protéger ces travailleurs."

    Le chemin reste à faire. A Sonapur, dans le "labour camp", le sort de ces immigrés est édifiant. Ils sont des milliers, tous des hommes, confinés dans des bâtiments aux allures d'immeubles soviétiques. Dehors, les cuisines s'improvisent sur les terrasses en bitume. L'eau stagne sur les chemins boueux, dans une odeur d'égouts. Les déchets traînent. Sonapur a des allures de bidonville.

    La pauvreté dans l'abondance. A quelques kilomètres à peine, Dubaï montre un tout autre visage : des "shopping centers" rutilants. Des hôtels de trente étages. Une piste de ski sous bulle, des plages, des îles artificielles en forme de palmier... La majeure partie des ouvriers est là pour mener à bien ces projets aussi démesurés que la fortune des émirs. A Dubaï, le revenu moyen par habitant dépasse 40 000 dollars (27 320 euros). Pour les manoeuvres recrutés en masse dans le sous-continent indien, Dubaï a remplacé le rêve américain. Plus près. Plus rapide. Plus accessible.

    Mais aussi plus compliqué que prévu. Pour Ismaïl comme pour les autres. Lui est arrivé en 2004. En 2007, son jeune frère Ayub Shaikh, 22 ans, l'a rejoint chez Prometal. Leur père travaille comme cuisinier dans une riche famille à quelques kilomètres de là. Pour amasser le plus d'argent possible, les deux frères font des extras. Ils travaillent six jours sur sept, parfois la nuit. Pour récolter au final 1 200 dirhams par mois, soit 400 de plus que la plupart de leurs collègues. "Au début, j'arrivais à économiser, explique Ismaïl, mais depuis un an, ce n'est plus possible." L'inflation galopante ronge ses économies. La nourriture coûte de plus en plus cher. Et les salaires stagnent. "On n'y arrive plus", confirme un voisin népalais. "Dans trois jours, je rentre, et tant pis si je reste pauvre", lâche-t-il, déçu mais soulagé.

    Pour beaucoup, le tribut à payer devient trop lourd. "En arrivant nous devons donner notre passeport à un "parrain"", explique un chauffeur de taxi pakistanais. Ce régime dit du "sponsorship", pratiqué dans la plupart des pays du Golfe, donne lieu à tous les débordements, chantages, pressions... "Ils sucent notre sang", peste le chauffeur. "Ça ne peut plus durer, c'est de l'esclavage moderne", atteste un expatrié britannique au Bahreïn.

    De fait, le système commence à craquer. La grève d'Arabtec a donné l'alerte. Au sommet du 21 janvier, le Bahreïn devait faire figure d'exemple. Dans cette île voisine de l'Arabie saoudite, les travailleurs peuvent faire valoir leurs droits. Le système du sponsorship doit y être aboli. Et l'été, les chantiers s'arrêtent entre 12 heures et 16 heures. Quand il fait plus de 40 oC...

    source : Le Monde
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