Elle s'appelle Gloria Boyd. Elle porte un rang de perles et un chapeau noir. Et, pour tout dire, on la sent un peu agacée. Mme Boyd n'est pas de ces électrices qui se contentent d'histoires ou de biographies. Elle veut des réponses. Depuis que la campagne des élections primaires a commencé au Parti démocrate, les médias, et les candidats eux-mêmes, ne cessent de se gargariser des mêmes mots : "La première femme qui pourrait être présidente", "Le premier Africain-Américain qui pourrait accéder à la Maison Blanche".
Gloria Boyd commence à être saturée. "On est toujours le premier à faire quelque chose", dit-elle. Ce qui compte, "c'est le résultat". Elle, par exemple, Gloria Boyd, a été la première femme noire à diriger l'école Ronald McNair à Lake City. C'était en 1991. A la veille des primaires en Caroline du Sud, samedi 26 janvier, les premières dans un Etat à forte population africaine-américaine, les électeurs noirs sont sous le regard inquisiteur des médias. Comme Mme Boyd, beaucoup sont irrités d'être renvoyés à un vote "racial" en faveur de Barack Obama, comme si les questions d'identité dépassaient les questions de fond. "Il ne s'agit pas de race ou de sexe, mais de problèmes spécifiques, dit Mme Boyd. Le rôle de la Chine dans l'économie, la responsabilisation des parents dans l'éducation…" Depuis que Barack Obama s'est porté candidat, il y a un an, certaines perspectives se sont déplacées. La communauté africaine-américaine, absente des préoccupations depuis les attentats de 2001 et la polémique sur l'immigration, est revenue dans le débat national. Mais les perceptions sont différentes. "Les frontières nationales et les relations internationales sont devenues le centre de l'anxiété sur la nature et le futur de l'Amérique, écrit Jennifer Fuller, de l'université du Texas, dans un ouvrage sur la mémoire des droits civiques. La perception de menace à l'unité nationale a été formulée différemment." En 1988, le pasteur Jesse Jackson, ex- protégé de Martin Luther King, avait remporté 11 primaires et caucus démocrates dans les Etats du Sud mais aussi dans le Vermont ou le Michigan. Barack Obama a gagné, lui, dans un Etat du Midwest, et talonné Hillary Clinton dans le New Hamsphire. Les Africains-Américains, qui essayaient de concilier vote utile et vote historique, se sont mis à y croire. "Il traverse les barrières. Les lignes que nous avons normalement aux Etats-Unis s'effacent", dit Barbara Singleton. "Il ne monte pas les riches contre les pauvres", apprécie le policier Joseph Smith.
En même temps, des questions sont sorties. Pourquoi les Blancs votent-ils pour M.Obama? Les sondages sont-ils biaisés par la question raciale? Les éloges des républicains pour le jeune sénateur sont-ils sincères? En Caroline du Sud, certains se sentent offensés que l'on pense qu'ils vont voter Obama pour sa couleur. "Il est plus éduqué que tous les républicains qui l'ont précédé, de Reagan à Carter, sans parler de Bush", défend Johnny Cole. D'autres, se sentent une responsabilité historique. "On aime bien les Clinton, dit l'universitaire Greg Howell. Mais ceci est notre chance de marquer l'Histoire. Il faut la saisir." Il a quand même du mal à y croire. "Il y a encore des gens qui ont des vues racistes prononcées. Il leur est difficile d'imaginer qu'un pourrait dormir à la Maison Blanche. Il est probable qu'il n'y arrivera pas mais il ne sera pas loin."
Une certaine euphorie
La crainte que le candidat ne "se fasse descendre" comme Martin Luther King a laissé place à une certaine euphorie. Dans les églises baptistes, les fidèles "remercient le Seigneur pour cette occasion de voir le changement se produire aux Etats-Unis". Pour le professeur de sciences politiques Bruce Ransom, la campagne de M.Obama "a le potentiel de se transformer en un mouvement. Des jeunes, qui étaient totalement en dehors du système, s'inscrivent sur les listes électorales." "Il y a un rêve autour de sa campagne, ce qui est merveilleux", dit l'écrivain Beth Crawford. Du camp Obama, elle est passée chez Mme Clinton, après avoir participé à des réunions où elle n'a pas aimé ce qu'elle a entendu : "Les attaques misogynes m'ont fait changer de côté." Si M. Obama s'adresse à toute l'Amérique, sa candidature arrive à point pour les jeunes. Le mouvement des droits civiques s'est essoufflé. "Les anciens piliers de l'intégration : l'éducation, le processus électoral, l'élite noire ne fonctionnent plus comme les chemins de la justice raciale", décrit Manning Marable, biographe de Malcom X, qui prône le hip-hop comme agent de changement social. La base est ravie mais l'establishment noir, divisé. L'ancien ambassadeur Andrew Young et le représentant John Lewis, compagnons de Martin Luther King, appuient MmeClinton. M. Obama a le soutien de Joseph Lowery, cofondateur de la Southern Christian Leadership Conference.
La famille de l'ancien candidat Jesse Jackson est à elle seule le reflet des sentiments contradictoires de la vieille garde. Son fils, Jesse Jackson Junior, a fait campagne pour Barack Obama. Son épouse, Jacqueline, soutien MmeClinton. Quant au révérend, il s'est tenu à l'écart. A moins que ce ne soit M. Obama lui-même qui ait souhaité cette distance avec un homme qui a des positions plus radicales. "Barack ne veut pas effrayer les électeurs blancs", affirme Kevin Gray, ex-directeur de campagne de M. Jackson.
Kevin Gray fait partie des sceptiques. Pour lui, le message de "transcender la race" est une illusion, dit-il, en citant le fait que 65% des hommes incarcérés en Caroline du Sud sont africains-américains, et que seuls 30% des jeunes noirs finissent le lycée. M. Gray ne croit pas non plus au remodelage de la carte politique prôné par M. Obama. "Il envoie des signaux aux républicains. Mais les républicains pensent qu'il sera le candidat le plus facile à battre."
Obama en tête des intentions de vote
Selon le dernier sondage Reuters/C-Span/Zogby publié samedi, Barack Obama arriverait en tête de en Caroline du Sud avec 15 points d'avance sur Hillary Clinton. Il gagne deux points par rapport au sondage de la veille, avec 41 % des intentions de vote, contre 26 % pour l'ancienne première dame des Etats-Unis. John Edwards, natif de l'Etat, arrive en troisième position, en baisse de deux points à 19%.
La question raciale
Les opinions des différentes communautés sur la situation raciale aux Etats-Unis sont moins dissemblables qu'on ne pourrait le croire, selon un sondage CNN publié lundi : 43% des Blancs et 44% des Noirs pensent que les idéaux de Martin Luther King ont été largement atteints. 47% et 41% qu'ils l'ont été "moyennement".
En revanche, 52% des Noirs pensent que les relations raciales resteront un problème pour le pays (contre 43% des Blancs).
La présidence : 72% des Blancs pensent que le pays est prêt pour un président noir. 64% des hommes et 65% des femmes sondées estiment que l'Amérique est prête à élire une femme.
Par Le Monde
Gloria Boyd commence à être saturée. "On est toujours le premier à faire quelque chose", dit-elle. Ce qui compte, "c'est le résultat". Elle, par exemple, Gloria Boyd, a été la première femme noire à diriger l'école Ronald McNair à Lake City. C'était en 1991. A la veille des primaires en Caroline du Sud, samedi 26 janvier, les premières dans un Etat à forte population africaine-américaine, les électeurs noirs sont sous le regard inquisiteur des médias. Comme Mme Boyd, beaucoup sont irrités d'être renvoyés à un vote "racial" en faveur de Barack Obama, comme si les questions d'identité dépassaient les questions de fond. "Il ne s'agit pas de race ou de sexe, mais de problèmes spécifiques, dit Mme Boyd. Le rôle de la Chine dans l'économie, la responsabilisation des parents dans l'éducation…" Depuis que Barack Obama s'est porté candidat, il y a un an, certaines perspectives se sont déplacées. La communauté africaine-américaine, absente des préoccupations depuis les attentats de 2001 et la polémique sur l'immigration, est revenue dans le débat national. Mais les perceptions sont différentes. "Les frontières nationales et les relations internationales sont devenues le centre de l'anxiété sur la nature et le futur de l'Amérique, écrit Jennifer Fuller, de l'université du Texas, dans un ouvrage sur la mémoire des droits civiques. La perception de menace à l'unité nationale a été formulée différemment." En 1988, le pasteur Jesse Jackson, ex- protégé de Martin Luther King, avait remporté 11 primaires et caucus démocrates dans les Etats du Sud mais aussi dans le Vermont ou le Michigan. Barack Obama a gagné, lui, dans un Etat du Midwest, et talonné Hillary Clinton dans le New Hamsphire. Les Africains-Américains, qui essayaient de concilier vote utile et vote historique, se sont mis à y croire. "Il traverse les barrières. Les lignes que nous avons normalement aux Etats-Unis s'effacent", dit Barbara Singleton. "Il ne monte pas les riches contre les pauvres", apprécie le policier Joseph Smith.
En même temps, des questions sont sorties. Pourquoi les Blancs votent-ils pour M.Obama? Les sondages sont-ils biaisés par la question raciale? Les éloges des républicains pour le jeune sénateur sont-ils sincères? En Caroline du Sud, certains se sentent offensés que l'on pense qu'ils vont voter Obama pour sa couleur. "Il est plus éduqué que tous les républicains qui l'ont précédé, de Reagan à Carter, sans parler de Bush", défend Johnny Cole. D'autres, se sentent une responsabilité historique. "On aime bien les Clinton, dit l'universitaire Greg Howell. Mais ceci est notre chance de marquer l'Histoire. Il faut la saisir." Il a quand même du mal à y croire. "Il y a encore des gens qui ont des vues racistes prononcées. Il leur est difficile d'imaginer qu'un pourrait dormir à la Maison Blanche. Il est probable qu'il n'y arrivera pas mais il ne sera pas loin."
Une certaine euphorie
La crainte que le candidat ne "se fasse descendre" comme Martin Luther King a laissé place à une certaine euphorie. Dans les églises baptistes, les fidèles "remercient le Seigneur pour cette occasion de voir le changement se produire aux Etats-Unis". Pour le professeur de sciences politiques Bruce Ransom, la campagne de M.Obama "a le potentiel de se transformer en un mouvement. Des jeunes, qui étaient totalement en dehors du système, s'inscrivent sur les listes électorales." "Il y a un rêve autour de sa campagne, ce qui est merveilleux", dit l'écrivain Beth Crawford. Du camp Obama, elle est passée chez Mme Clinton, après avoir participé à des réunions où elle n'a pas aimé ce qu'elle a entendu : "Les attaques misogynes m'ont fait changer de côté." Si M. Obama s'adresse à toute l'Amérique, sa candidature arrive à point pour les jeunes. Le mouvement des droits civiques s'est essoufflé. "Les anciens piliers de l'intégration : l'éducation, le processus électoral, l'élite noire ne fonctionnent plus comme les chemins de la justice raciale", décrit Manning Marable, biographe de Malcom X, qui prône le hip-hop comme agent de changement social. La base est ravie mais l'establishment noir, divisé. L'ancien ambassadeur Andrew Young et le représentant John Lewis, compagnons de Martin Luther King, appuient MmeClinton. M. Obama a le soutien de Joseph Lowery, cofondateur de la Southern Christian Leadership Conference.
La famille de l'ancien candidat Jesse Jackson est à elle seule le reflet des sentiments contradictoires de la vieille garde. Son fils, Jesse Jackson Junior, a fait campagne pour Barack Obama. Son épouse, Jacqueline, soutien MmeClinton. Quant au révérend, il s'est tenu à l'écart. A moins que ce ne soit M. Obama lui-même qui ait souhaité cette distance avec un homme qui a des positions plus radicales. "Barack ne veut pas effrayer les électeurs blancs", affirme Kevin Gray, ex-directeur de campagne de M. Jackson.
Kevin Gray fait partie des sceptiques. Pour lui, le message de "transcender la race" est une illusion, dit-il, en citant le fait que 65% des hommes incarcérés en Caroline du Sud sont africains-américains, et que seuls 30% des jeunes noirs finissent le lycée. M. Gray ne croit pas non plus au remodelage de la carte politique prôné par M. Obama. "Il envoie des signaux aux républicains. Mais les républicains pensent qu'il sera le candidat le plus facile à battre."
Obama en tête des intentions de vote
Selon le dernier sondage Reuters/C-Span/Zogby publié samedi, Barack Obama arriverait en tête de en Caroline du Sud avec 15 points d'avance sur Hillary Clinton. Il gagne deux points par rapport au sondage de la veille, avec 41 % des intentions de vote, contre 26 % pour l'ancienne première dame des Etats-Unis. John Edwards, natif de l'Etat, arrive en troisième position, en baisse de deux points à 19%.
La question raciale
Les opinions des différentes communautés sur la situation raciale aux Etats-Unis sont moins dissemblables qu'on ne pourrait le croire, selon un sondage CNN publié lundi : 43% des Blancs et 44% des Noirs pensent que les idéaux de Martin Luther King ont été largement atteints. 47% et 41% qu'ils l'ont été "moyennement".
En revanche, 52% des Noirs pensent que les relations raciales resteront un problème pour le pays (contre 43% des Blancs).
La présidence : 72% des Blancs pensent que le pays est prêt pour un président noir. 64% des hommes et 65% des femmes sondées estiment que l'Amérique est prête à élire une femme.
Par Le Monde
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