Le Monde : Au lendemain de l'attentat de Thénia, l'envoyée spéciale du quotidien français Le Monde jette un regard sur la situation qui n'est pas dénué d'intérêt. Le voici dans son intégralité :
Les Algérois ont accueilli avec un mélange d'effroi et de résignation l'annonce du nouvel attentat-suicide, commis mardi 29 janvier à l'aube aux portes de la capitale. Un kamikaze au volant d'une camionnette piégée s'est fait exploser devant un commissariat de police de Thenia, à une quarantaine de kilomètres à l'est d'Alger. Bilan provisoire : quatre morts (dont trois policiers) et 43 blessés (une dizaine dans un état grave).
Cet attentat n'a pas été revendiqué mais il porte la marque d'Al-Qaida au Maghreb (ex-Groupe salafiste pour la prédication et le combat, GSPC). Accablés par un sentiment d'impuissance, les Algériens se demandent s'ils ne vont pas basculer dans une nouvelle "décennie de sang", comparable aux années 1990. "A quand la prochaine attaque au cœur d'Alger ?", s'interrogent-ils avec anxiété, ne doutant pas que si les terroristes s'en sont pris à Thenia, c'est faute d'avoir pu, cette fois, agir dans la capitale.
Depuis le double attentat-suicide qui a frappé, le 11décembre 2007, deux agences de l'ONU ainsi que le Conseil constitutionnel dans le quartier résidentiel d'Hydra, faisant 41 morts et des ravages considérables, Alger s'est transformée en place forte, quadrillée jour et nuit par les forces de sécurité. Le dispositif provoque de gigantesques embouteillages, ce qui ajoute à la nervosité ambiante sans réussir à vraiment rassurer.
Barrages en série, herses, blocs de ciment, périmètres interdits, contrôles et fouilles de chaque camion et fourgonnette… Tout est mis en œuvre, de façon ostensible, pour décourager ou débusquer les kamikazes en puissance. Certains secteurs de la capitale ont pris des allures de camp retranché, notamment la présidence de la République, le palais du gouvernement (durement frappé en avril 2007), les ministères, les entreprises de presse, les hôtels internationaux… Voilà maintenant neuf mois que les attentats-suicides se succèdent à Alger comme autant de défis lancés au pouvoir.
LE MAXIMUM DE RETENTISSEMENT
"Le but est de gagner le terrain médiatique, à défaut du terrain militaire. Ils ont réussi à transposer leur guerre des maquis à la capitale et choisissent des cibles symboliques – Alger en est la plus illustre –, sachant que chaque coup porté fragilise le pouvoir", souligne H'Mida Layachi, spécialiste des mouvements islamistes armés. Le danger est d'autant plus grand, selon cet expert, qu'Alger est prise en tenaille entre deux régions à haute concentration terroriste – la Kabylie, à l'est, et la Mitidja, à l'ouest – et que les forces de sécurité sont souvent fatiguées et démoralisées.
Le profil des terroristes, lui, déconcerte les enquêteurs. Dimanche, une cellule a été démantelée alors qu'elle préparait un attentat-suicide à Alger. "Les personnes interpellées étaient insoupçonnables. Parmi elles, figuraient deux architectes qui n'avaient jamais été impliqués dans des activités terroristes", indique Salima Tlemçani, journaliste chargée des questions de sécurité au quotidien El Watan.
Outre les symboles de l'Etat algérien, les étrangers sont des cibles potentielles majeures d'Al-Qaida au Maghreb, la nébuleuse terroriste cherchant le maximum de retentissement sur la scène internationale. Les ambassades des Etats-Unis et de Grande-Bretagne ont lancé des mises en garde à leurs ressortissants, il y a huit jours, leur demandant d'éviter de fréquenter les lieux publics dans la capitale et de prendre le maximum de précautions lors de leurs déplacements à l'intérieur du pays.
Les quartiers chics d'Alger, réputés jusque-là les plus sûrs, sont désormais suspects. Plusieurs sociétés étrangères ont déménagé leur siège d'El-Biar ou Hydra pour des endroits moins susceptibles d'attirer l'attention. Des cadres expatriés, travaillant pour des sociétés européennes ou américaines, ont abandonné leurs villas ou appartements pour des hôtels sécurisés. Au sein de la communauté française, une cinquantaine d'enfants ont quitté Alger pour regagner la France, depuis septembre 2007.
Cette dégradation de la situation sécuritaire intervient alors que l'Algérie donne, plus que jamais, l'impression de tourner en roue libre. Vie politique atone. Opposition absente. Institutions paralysées. Climat social exécrable… Dans ce contexte, l'hypothèse d'un troisième mandat d'Abdelaziz Bouteflika en 2009, présenté par les partisans du chef de l'Etat comme l'urgence du moment, paraît quelque peu incongrue.
Florence Beaugé
Le Monde 29.01.08
Les Algérois ont accueilli avec un mélange d'effroi et de résignation l'annonce du nouvel attentat-suicide, commis mardi 29 janvier à l'aube aux portes de la capitale. Un kamikaze au volant d'une camionnette piégée s'est fait exploser devant un commissariat de police de Thenia, à une quarantaine de kilomètres à l'est d'Alger. Bilan provisoire : quatre morts (dont trois policiers) et 43 blessés (une dizaine dans un état grave).
Cet attentat n'a pas été revendiqué mais il porte la marque d'Al-Qaida au Maghreb (ex-Groupe salafiste pour la prédication et le combat, GSPC). Accablés par un sentiment d'impuissance, les Algériens se demandent s'ils ne vont pas basculer dans une nouvelle "décennie de sang", comparable aux années 1990. "A quand la prochaine attaque au cœur d'Alger ?", s'interrogent-ils avec anxiété, ne doutant pas que si les terroristes s'en sont pris à Thenia, c'est faute d'avoir pu, cette fois, agir dans la capitale.
Depuis le double attentat-suicide qui a frappé, le 11décembre 2007, deux agences de l'ONU ainsi que le Conseil constitutionnel dans le quartier résidentiel d'Hydra, faisant 41 morts et des ravages considérables, Alger s'est transformée en place forte, quadrillée jour et nuit par les forces de sécurité. Le dispositif provoque de gigantesques embouteillages, ce qui ajoute à la nervosité ambiante sans réussir à vraiment rassurer.
Barrages en série, herses, blocs de ciment, périmètres interdits, contrôles et fouilles de chaque camion et fourgonnette… Tout est mis en œuvre, de façon ostensible, pour décourager ou débusquer les kamikazes en puissance. Certains secteurs de la capitale ont pris des allures de camp retranché, notamment la présidence de la République, le palais du gouvernement (durement frappé en avril 2007), les ministères, les entreprises de presse, les hôtels internationaux… Voilà maintenant neuf mois que les attentats-suicides se succèdent à Alger comme autant de défis lancés au pouvoir.
LE MAXIMUM DE RETENTISSEMENT
"Le but est de gagner le terrain médiatique, à défaut du terrain militaire. Ils ont réussi à transposer leur guerre des maquis à la capitale et choisissent des cibles symboliques – Alger en est la plus illustre –, sachant que chaque coup porté fragilise le pouvoir", souligne H'Mida Layachi, spécialiste des mouvements islamistes armés. Le danger est d'autant plus grand, selon cet expert, qu'Alger est prise en tenaille entre deux régions à haute concentration terroriste – la Kabylie, à l'est, et la Mitidja, à l'ouest – et que les forces de sécurité sont souvent fatiguées et démoralisées.
Le profil des terroristes, lui, déconcerte les enquêteurs. Dimanche, une cellule a été démantelée alors qu'elle préparait un attentat-suicide à Alger. "Les personnes interpellées étaient insoupçonnables. Parmi elles, figuraient deux architectes qui n'avaient jamais été impliqués dans des activités terroristes", indique Salima Tlemçani, journaliste chargée des questions de sécurité au quotidien El Watan.
Outre les symboles de l'Etat algérien, les étrangers sont des cibles potentielles majeures d'Al-Qaida au Maghreb, la nébuleuse terroriste cherchant le maximum de retentissement sur la scène internationale. Les ambassades des Etats-Unis et de Grande-Bretagne ont lancé des mises en garde à leurs ressortissants, il y a huit jours, leur demandant d'éviter de fréquenter les lieux publics dans la capitale et de prendre le maximum de précautions lors de leurs déplacements à l'intérieur du pays.
Les quartiers chics d'Alger, réputés jusque-là les plus sûrs, sont désormais suspects. Plusieurs sociétés étrangères ont déménagé leur siège d'El-Biar ou Hydra pour des endroits moins susceptibles d'attirer l'attention. Des cadres expatriés, travaillant pour des sociétés européennes ou américaines, ont abandonné leurs villas ou appartements pour des hôtels sécurisés. Au sein de la communauté française, une cinquantaine d'enfants ont quitté Alger pour regagner la France, depuis septembre 2007.
Cette dégradation de la situation sécuritaire intervient alors que l'Algérie donne, plus que jamais, l'impression de tourner en roue libre. Vie politique atone. Opposition absente. Institutions paralysées. Climat social exécrable… Dans ce contexte, l'hypothèse d'un troisième mandat d'Abdelaziz Bouteflika en 2009, présenté par les partisans du chef de l'Etat comme l'urgence du moment, paraît quelque peu incongrue.
Florence Beaugé
Le Monde 29.01.08
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