Cela faisait cinquante ans que la France n'avait installé de nouvelle base hors de son territoire. En annonçant, le 15 janvier 2008, lors de son déplacement dans le Golfe, la création d'une « base interarmée permanente » de 400 à 500 hommes à Abou Dhabi, Nicolas Sarkozy entend signifier que la France est, elle aussi, un partenaire dans le grand jeu stratégique de ce début du XXIe siècle. Un jeu qui place le centre du monde au coeur du Moyen-Orient. Et qui incite Paris à se désengager peu à peu militairement de l'Afrique depuis une dizaine d'années, sous couvert de redéploiement de son dispositif.
Quelles sont les raisons de cette décision ?
« C'est en réponse à la demande des autorités émiriennes », déclare-t-on à l'Elysée. Certes, les Emirats se sentent particulièrement vulnérables face à leur puissant voisin iranien ou au terrorisme fondamentaliste. Ils ont réalisé des investissements colossaux ces dernières années et se cherchent des protecteurs pour garantir leur économie, qu'ils veulent transformer en eldorado pour Occidentaux. Abou Dhabi est tétanisé depuis le 11 septembre 2001, lorsque l'émirat avait réalisé que l'un des kamikazes, recruté en Allemagne, était originaire de Ras al-Khayma, un des sept émirats, au nord de la fédération.
Le souci de Nicolas Sarkozy est autre : en décidant de créer une base, même relativement modeste, à Abou Dhabi, le président français veut faire de la France une nouvelle puissance du Golfe.
A ses yeux, c'est un impératif stratégique majeur. Pour plusieurs raisons.
La première : le golfe Persique est la zone pétrolière et gazière la plus importante au monde. Abou Dhabi est à quelques encablures du détroit d'Ormuz par où transite près de 40 % de l'or noir consommé dans le monde. Total investit dans cette région où les sociétés américaines se taillent toujours la part du lion. Une présence militaire française peut s'avérer utile en cas d'incidents avec l'Iran ou si les pasdarans cherchaient à entraver la circulation dans le détroit. « Il est fort peu probable que l'Iran se risque à ce jeu », estimait cependant un militaire français dans la région, il y a quelques mois.
Deuxième raison : la détérioration de la situation avec l'Iran, comme l'a démontré l'incident entre la marine américaine et des garde-côtes des pasdarans, il y a quinze jours. Installée à Abou Dhabi, la France possédera une des bases étrangères les plus proches des côtes de la république islamique. Tout un symbole. Sarkozy est convaincu-et redoute-que le bras de fer entre Washington et Téhéran sur le nucléaire débouchera sur un bombardement américain des sites iraniens. « C'est un engrenage inéluctable », affirment certains à Paris. C'est pour éviter le pire, en faisant céder Mahmoud Ahmadinejad, le président iranien, que Nicolas Sarkozy rappelle qu'avec Téhéran il veut employer « la fermeté et le dialogue ».
Si les Emirats craignent tant l'Iran, c'est aussi qu'ils ont un contentieux territorial avec la république islamique. Les deux pays se disputent trois petites îles : la Grande Tomb, la Petite Tomb et Abou Moussa, à l'entrée du détroit d'Ormuz.
Troisième raison : avec une base permanente à Abou Dhabi, la France pourra disposer de moyens de renseignements élargis dans la région. Son dispositif s'étendra de Dakar au Golfe via N'Djamena et Djibouti, sur l'ensemble de cette zone sahélienne et arabique où se concentrent, en dehors de l'Afghanistan et du Pakistan, les risques terroristes les plus grands.
Quelle est la situation actuelle ?
Sans posséder de base dans le golfe Arabo-Persique, la France y est présente militairement depuis de longues années. La marine française effectue de très fréquentes escales à Abou Dhabi, une trentaine par exemple en 2006. Le premier accord militaire entre la France et les Emirats arabes unis (EAU, dont Abou Dhabi est l'émirat phare et la capitale politique) a été signé en 1977 et renforcé en 1991. Il ne s'agissait alors que de l'accompagnement de ventes d'armes.
A partir de 1991 et de la guerre du Golfe qui suit l'invasion du Koweït par l'Irak, les pays de la région, en particulier les EAU et le Qatar, sont demandeurs de protections occidentales, américaine mais aussi britannique et française. Il ne déplaît pas aux Etats du Golfe de diversifier leurs partenaires. Paris signe ainsi deux accords de défense, l'un, en 1994, avec le Qatar, l'autre, en janvier 1995, avec Abou Dhabi. Dans les deux cas, la France doit se porter au secours des pays s'ils sont agressés.
Actuellement, dans le cadre de la coopération militaire franco-émirienne, 80 militaires français servent sous l'uniforme des Emirats. Et les chefs d'état-major des deux armées se retrouvent annuellement pour une réunion. Quant à l'armée émirienne, elle est puissamment dotée (compte tenu de la faible population des EAU) de chars Leclerc et de 62 Mirage 2000, sans compter les F16 américains. En dehors des EAU, la France a le projet de créer, au Qatar, une annexe de Saint-Cyr.
Pratiquement tous les ans, les Emirats arabes unis accueillent des troupes françaises venant dans le Golfe participer à l'exercice Gulf Shield (Bouclier du Golfe), qui concernera également l'émirat voisin du Qatar. Il se déroulera cette année du 14 février au 5 mars, avec 1 500 soldats français : l'armée de terre déploiera 600 hommes avec des blindés AMX 10-RC et de l'artillerie, et la marine enverra 2 frégates, le « Jean-Bart » et le « Guépratte ». L'armée de l'air a prévu de dépêcher 8 Mirage 2000 et 1 Awacs sur la base d'Al-Dhafra, qu'elle connaît bien. Non seulement pour participer régulièrement aux exercices organisés au-dessus du désert, donc sans provoquer de nuisances, par le centre d'entraînement émirien AWC (Air Warfare Center), mais aussi pour des missions opérationnelles plus discrètes. L'une des dernières fut l'opération Tarpan de surveillance aérienne de l'Irak, organisée dans le cadre de l'Onu dans les semaines précédant l'intervention américaine, en mars 2003. Elle mettait en oeuvre d'anciens bombardiers stratégiques Mirage IV transformés en avions-espions. Ces appareils sont aujourd'hui retirés du service.
Qu'en pensent les militaires français ?
L'annonce de la création de la base, en discussion depuis plusieurs années, n'a pas été assortie de grandes précisions. Le vice-amiral Jacques Mazars a évoqué la présence de « 400 à 500 personnels pour les trois armées », sachant que la marine devrait disposer de 150 personnes installées dans l'enceinte du port de commerce d'Abou Dhabi. Mais pour le reste... Du côté de l'armée de l'air, on se dit incapable de préciser quels seront les moyens affectés en permanence sur place, sachant que l'Elysée n'a pas encore fait connaître ses choix. D'ailleurs, les aviateurs s'accommodaient fort bien de leurs exercices réguliers dans la région, au point d'être comme chez eux sur la base aérienne d'Al-Dhafra. L'enthousiasme est également très modéré dans la marine. L'amiral Edouard Guillaud, chef de l'état-major particulier du président de la République, a beau se féliciter de la « petite révolution stratégique » que constitue l'ouverture de cette base en 2009, l'un de ses homologues marins fait preuve de davantage de circonspection : « Il suffit de regarder la carte pour comprendre pourquoi nous ne sommes pas vraiment enthousiastes. Le problème n'est pas d'entrer dans le Golfe, mais d'en sortir. Le point important pour nous, c'est le détroit d'Ormuz, pas le fond du Golfe ! » Même son de cloche du côté de l'armée de terre, où l'on s'inquiète surtout des conséquences de cette décision sur les effectifs de la base française de Djibouti.
Quelles sont les raisons de cette décision ?
« C'est en réponse à la demande des autorités émiriennes », déclare-t-on à l'Elysée. Certes, les Emirats se sentent particulièrement vulnérables face à leur puissant voisin iranien ou au terrorisme fondamentaliste. Ils ont réalisé des investissements colossaux ces dernières années et se cherchent des protecteurs pour garantir leur économie, qu'ils veulent transformer en eldorado pour Occidentaux. Abou Dhabi est tétanisé depuis le 11 septembre 2001, lorsque l'émirat avait réalisé que l'un des kamikazes, recruté en Allemagne, était originaire de Ras al-Khayma, un des sept émirats, au nord de la fédération.
Le souci de Nicolas Sarkozy est autre : en décidant de créer une base, même relativement modeste, à Abou Dhabi, le président français veut faire de la France une nouvelle puissance du Golfe.
A ses yeux, c'est un impératif stratégique majeur. Pour plusieurs raisons.
La première : le golfe Persique est la zone pétrolière et gazière la plus importante au monde. Abou Dhabi est à quelques encablures du détroit d'Ormuz par où transite près de 40 % de l'or noir consommé dans le monde. Total investit dans cette région où les sociétés américaines se taillent toujours la part du lion. Une présence militaire française peut s'avérer utile en cas d'incidents avec l'Iran ou si les pasdarans cherchaient à entraver la circulation dans le détroit. « Il est fort peu probable que l'Iran se risque à ce jeu », estimait cependant un militaire français dans la région, il y a quelques mois.
Deuxième raison : la détérioration de la situation avec l'Iran, comme l'a démontré l'incident entre la marine américaine et des garde-côtes des pasdarans, il y a quinze jours. Installée à Abou Dhabi, la France possédera une des bases étrangères les plus proches des côtes de la république islamique. Tout un symbole. Sarkozy est convaincu-et redoute-que le bras de fer entre Washington et Téhéran sur le nucléaire débouchera sur un bombardement américain des sites iraniens. « C'est un engrenage inéluctable », affirment certains à Paris. C'est pour éviter le pire, en faisant céder Mahmoud Ahmadinejad, le président iranien, que Nicolas Sarkozy rappelle qu'avec Téhéran il veut employer « la fermeté et le dialogue ».
Si les Emirats craignent tant l'Iran, c'est aussi qu'ils ont un contentieux territorial avec la république islamique. Les deux pays se disputent trois petites îles : la Grande Tomb, la Petite Tomb et Abou Moussa, à l'entrée du détroit d'Ormuz.
Troisième raison : avec une base permanente à Abou Dhabi, la France pourra disposer de moyens de renseignements élargis dans la région. Son dispositif s'étendra de Dakar au Golfe via N'Djamena et Djibouti, sur l'ensemble de cette zone sahélienne et arabique où se concentrent, en dehors de l'Afghanistan et du Pakistan, les risques terroristes les plus grands.
Quelle est la situation actuelle ?
Sans posséder de base dans le golfe Arabo-Persique, la France y est présente militairement depuis de longues années. La marine française effectue de très fréquentes escales à Abou Dhabi, une trentaine par exemple en 2006. Le premier accord militaire entre la France et les Emirats arabes unis (EAU, dont Abou Dhabi est l'émirat phare et la capitale politique) a été signé en 1977 et renforcé en 1991. Il ne s'agissait alors que de l'accompagnement de ventes d'armes.
A partir de 1991 et de la guerre du Golfe qui suit l'invasion du Koweït par l'Irak, les pays de la région, en particulier les EAU et le Qatar, sont demandeurs de protections occidentales, américaine mais aussi britannique et française. Il ne déplaît pas aux Etats du Golfe de diversifier leurs partenaires. Paris signe ainsi deux accords de défense, l'un, en 1994, avec le Qatar, l'autre, en janvier 1995, avec Abou Dhabi. Dans les deux cas, la France doit se porter au secours des pays s'ils sont agressés.
Actuellement, dans le cadre de la coopération militaire franco-émirienne, 80 militaires français servent sous l'uniforme des Emirats. Et les chefs d'état-major des deux armées se retrouvent annuellement pour une réunion. Quant à l'armée émirienne, elle est puissamment dotée (compte tenu de la faible population des EAU) de chars Leclerc et de 62 Mirage 2000, sans compter les F16 américains. En dehors des EAU, la France a le projet de créer, au Qatar, une annexe de Saint-Cyr.
Pratiquement tous les ans, les Emirats arabes unis accueillent des troupes françaises venant dans le Golfe participer à l'exercice Gulf Shield (Bouclier du Golfe), qui concernera également l'émirat voisin du Qatar. Il se déroulera cette année du 14 février au 5 mars, avec 1 500 soldats français : l'armée de terre déploiera 600 hommes avec des blindés AMX 10-RC et de l'artillerie, et la marine enverra 2 frégates, le « Jean-Bart » et le « Guépratte ». L'armée de l'air a prévu de dépêcher 8 Mirage 2000 et 1 Awacs sur la base d'Al-Dhafra, qu'elle connaît bien. Non seulement pour participer régulièrement aux exercices organisés au-dessus du désert, donc sans provoquer de nuisances, par le centre d'entraînement émirien AWC (Air Warfare Center), mais aussi pour des missions opérationnelles plus discrètes. L'une des dernières fut l'opération Tarpan de surveillance aérienne de l'Irak, organisée dans le cadre de l'Onu dans les semaines précédant l'intervention américaine, en mars 2003. Elle mettait en oeuvre d'anciens bombardiers stratégiques Mirage IV transformés en avions-espions. Ces appareils sont aujourd'hui retirés du service.
Qu'en pensent les militaires français ?
L'annonce de la création de la base, en discussion depuis plusieurs années, n'a pas été assortie de grandes précisions. Le vice-amiral Jacques Mazars a évoqué la présence de « 400 à 500 personnels pour les trois armées », sachant que la marine devrait disposer de 150 personnes installées dans l'enceinte du port de commerce d'Abou Dhabi. Mais pour le reste... Du côté de l'armée de l'air, on se dit incapable de préciser quels seront les moyens affectés en permanence sur place, sachant que l'Elysée n'a pas encore fait connaître ses choix. D'ailleurs, les aviateurs s'accommodaient fort bien de leurs exercices réguliers dans la région, au point d'être comme chez eux sur la base aérienne d'Al-Dhafra. L'enthousiasme est également très modéré dans la marine. L'amiral Edouard Guillaud, chef de l'état-major particulier du président de la République, a beau se féliciter de la « petite révolution stratégique » que constitue l'ouverture de cette base en 2009, l'un de ses homologues marins fait preuve de davantage de circonspection : « Il suffit de regarder la carte pour comprendre pourquoi nous ne sommes pas vraiment enthousiastes. Le problème n'est pas d'entrer dans le Golfe, mais d'en sortir. Le point important pour nous, c'est le détroit d'Ormuz, pas le fond du Golfe ! » Même son de cloche du côté de l'armée de terre, où l'on s'inquiète surtout des conséquences de cette décision sur les effectifs de la base française de Djibouti.
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