Rideaux tirés et enfilade de salons déserts entre deux colonnes de marbre : ce vendredi 1er février, la magnifique villa qui abrite les bureaux de la présidence de la République islamique d'Iran, au centre de Téhéran, a tout de l'ambiance feutrée de coulisses de théâtre avant la représentation. Un entretien avec Mahmoud Ahmadinejad n'est jamais facile à programmer : le président iranien ne cesse de voyager.
Deux jours plus tôt, il était dans le sud du pays, à Bouchehr, dont la centrale nucléaire, approvisionnée par la Russie, lui a rappelé le contentieux persistant entre son pays et les Occidentaux qui, au Conseil de sécurité de l'ONU, préparent une série de sanctions (la troisième) pour obliger Téhéran à suspendre son programme d'enrichissement d'uranium. M. Ahmadinejad a profité de son voyage à Bouchehr pour lancer un appel aux investissements européens en Iran, tout en prononçant une nouvelle diatribe contre Israël, "la sale entité sioniste, qui tombera tôt ou tard".
Ce vendredi après-midi, jour férié en Iran, il faut attendre encore quelques heures pour que débute l'entretien avec M. Ahmadinejad demandé par Le Monde. "M. le président a encore beaucoup de travail", confient ses assistants. On peut le comprendre : malgré les prix élevés du pétrole, l'Iran traverse de fortes difficultés économiques qu'une inflation galopante et un taux de chômage élevé chez les jeunes (plus de 30%) ne font qu'accentuer. Sa gestion a même été critiquée au Parlement. Certaines universités s'agitent, et le nombre record d'exécutions publiques enregistré ces derniers mois alourdit un peu plus le climat à l'approche des élections législatives de mars.
En fin d'après-midi, soudain, la plus grande agitation s'empare des salons : le moment est venu. Une armée de techniciens installe d'énormes fauteuils sous la lumière violente de projecteurs.
"BULLE" MÉDIATIQUE
Cette fois, le décor est planté. Mais pourquoi seulement deux fauteuils, alors que l'entretien est prévu avec les deux envoyés spéciaux du Monde? Pourquoi ces caméras? Pourquoi ces interprètes dans la pièce d'à côté, prêts à traduire les propos présidentiels dans l'oreillette des participants, sans même assister au débat, coupant ainsi toute spontanéité? La réponse ne vient que quelques minutes avant le début de l'entretien – faut-il dire du "show"? : tout a été prévu, en fait, pour la télévision iranienne. Et c'est aux Iraniens, en regardant la caméra, que le président s'adresse, plus qu'il ne répond aux questions de son faire-valoir du jour. Une "bulle" médiatique sur mesure.
Très chaleureux, pondéré, M.Ahmadinejad ne refuse aucune question, mais répond à sa manière, souvent par d'autres questions. Et, peu à peu, au-delà des figures imposées – le nucléaire (l'Iran n'a pas peur de nouvelles sanctions et poursuivra son programme d'enrichissement de l'uranium) ou encore le rôle de l'Europe (elle doit afficher son indépendance), celui de la France (elle devrait entretenir des relations plus étroites avec l'Iran) –, le président iranien dévoile sa "vision" d'un monde idéal, selon lui en quête de "pureté". Un monde de certitudes simples dans lequel la faute originelle au Proche-Orient revient à Israël et à "ce peuple déplacé qui finira par partir". Un monde où les résolutions de l'ONU (celle créant l'Etat d'Israël comme les autres) n'ont pas de valeur particulière.
Croyant et nationaliste, M.Ahmadinejad parle d'un Iran qui, certes, voudrait "plus de démocratie", mais, "est-ce là l'important?", s'interroge-t-il, balayant la question des droits de l'homme comme il évacue la crise économique chez lui : "L'économie américaine n'est-elle pas en voie de régression?" Puis, à la fin, comprenant, devant les protestations réitérées, qu'un journal européen a d'autres critères pour un entretien de ce genre, surtout lorsque l'accord initial n'a pas été respecté, il offre, non sans une certaine élégance, de "réparer" en accordant sous peu un nouvel entretien. "Le président tient toujours ses promesses!", insiste l'un de ses plus proches conseillers.
ENTRETIEN
Le Monde : Le président Nicolas Sarkoky a dit à plusieurs reprises son inquiétude quant à la finalité du programme nucléaire iranien.
Qu'est ce que vous en pensez, vous, en tant que Français ? (…) Vous pensez comme moi qu il ne faut pas qu il y ait des armes nucléaires dans le monde… Ne faut il pas que les armes nucleaires, qui ne sont d'aucune utilité dans le monde d'aujourd'hui, soient éliminées ? Nos deux peuples entretiennent de bonnes relation. Entre eux, il n'y a pas de problèmes sérieux. Ce sont deux peuples qui ont des points de vue communs sur beaucoup de questions internationales. Nous croyons que ces propos [ceux de M. Sarkozy sur le nucléaire iranien] n'ont pas leur place aujourd'hui. Nous ne les prenons pas trop au sérieux ; nous avons pensé que c'est le début ce nouveau gouvernement français. Nous attendons que les vraies positions de la France, celles qui auront un effet pratique. Nous n'avons pas d'inquiétudes à ce sujet.
Vous inviteriez M. Sarkozy à Téhéran à l'occasion de la présidence française de l'Union européenne au printemps ?
Nous croyons que cette présidence française est une bonne opportunité, pour la France et pour l'Europe. Car nous pensons qu'il est temps que l'Europe repense la question de sa présence internationale. Aujourd'hui, sur la scène internationale, l'Europe n'existe pas, je veux dire une Europe qui soit une entité indépendante. Nous ne voyons nulle part dans les équations politiques internationales de ce début de siècle des positions qui seraient celles d'une Europe indépendante. Nous croyons que la présence de la France à la tête de l'Union peut être une occasion pour l'Europe de développer une politique indépendante, surtout dans la région du Moyen Orient, autour de la méditerranée. La présidence française devrait être l'occasion de lancer une politique européenne indépendante. Quant à M. Sarkozy, il peut venir en Iran à tout moment, nous l'accueillerons quand il le désirera, cela ne dépend pas de sa présidence de l'Union.
Le Conseil de sécurité de l'Onu prépare une nouvelle résolution sommant l'Iran d'arrêter son programme d'enrichissement de l'uranium sauf à subir un durcissement des sanctions économiques déjà prises contre votre pays.
La question nucléaire est très importante pour notre peuple. Nous voulons que tous les pays - à commencer par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité - permettent à l'organisation légalement en charge de cette question, l'AIEA [l'Agence international de l'énergie atomique, qui dépend de l'ONU et est chargée de faire respecter le Traité de non prolifération] d'agir conformément à sa mission. Les problèmes ont commencé quand certains pays membres - les cinq permanents - ont voulu s'arroger des droits qui dépassent ceux des autres pays membres de l'AIEA. Les problèmes commencent lorsque ceux - là se dotent d'un droit d'intervention qui outrepasse les règles de l'AIEA. L'Iran agit en collaboration avec l'AIEA, respecte ses engagements et ses devoirs à l'égard de l'agence. Malheureusement, l'Iran est privé de certains de ses droits, en particulièrement de disposer de l'assistance des autres membres de l'AIEA en ce qui concerne le combustible nucléaire - on ne nous a pas aidés, comme nous y avions droit. Mais nous croyons que nous devons tous continuer à travailler avec l'AIEA et accepter ses avis.
Et pourtant, Américains, Chinois, Britanniques, Français et Russes envisagent bel et bien de voter une troisième vague de sanctions contre l'Iran.
Ecoutez, ces résolutions ne sont pas notre problème, c'est le leur. Quand sur la base d'informations erronées, un groupe de pays agit avec entêtement de façon erronée, alors c'est lui, c'est ce groupe qui a un problème…Mais nous n'avons pas d'inquiétude. Notre peuple est un grand peuple - quand il s'agit de défendre nos droits, nous sommes sérieux.
Où en est votre proposition de permettre la création en Iran d'une société mixte, d'un consortium international pour enrichir l'uranium dont vous avez besoin ?
Cette proposition, je l'ai faite il y a deux ans aux Nations Unies. Malheureusement, les Européens et les Américains ne l'ont pas accueillie favorablement. Ils ont considéré que nous ne la formulions que parce que nous aurions été en position de faiblesse. Aujourd'hui, cette proposition n'est plus sur la table. Mais si d'autres en venaient à la reformuler à nouveau, nous l'étudierons. A une condition : que le droit du peuple iranien à l'enrichissement de l'uranium soit préservé.
Vous approuvez M. Sarkozy quand, du Maghreb au golfe, il propose d'aider de nombreux pays à accéder au nucléaire civil ?
Nous ne considérons pas que c'est une mauvaise chose. En cette matière, nous n'entendons pas fixer des limites aux autres. Nous croyons que tous les pays devraient pouvoir jouir de l'énergie nucléaire . Nous croyons que c'est opprimer une partie de l'humanité que d'assimiler l'énergie nucléaire à la bombe nucléaire. C'est une énergie pure, dont tous les peuples doivent pouvoir profiter.
Deux jours plus tôt, il était dans le sud du pays, à Bouchehr, dont la centrale nucléaire, approvisionnée par la Russie, lui a rappelé le contentieux persistant entre son pays et les Occidentaux qui, au Conseil de sécurité de l'ONU, préparent une série de sanctions (la troisième) pour obliger Téhéran à suspendre son programme d'enrichissement d'uranium. M. Ahmadinejad a profité de son voyage à Bouchehr pour lancer un appel aux investissements européens en Iran, tout en prononçant une nouvelle diatribe contre Israël, "la sale entité sioniste, qui tombera tôt ou tard".
Ce vendredi après-midi, jour férié en Iran, il faut attendre encore quelques heures pour que débute l'entretien avec M. Ahmadinejad demandé par Le Monde. "M. le président a encore beaucoup de travail", confient ses assistants. On peut le comprendre : malgré les prix élevés du pétrole, l'Iran traverse de fortes difficultés économiques qu'une inflation galopante et un taux de chômage élevé chez les jeunes (plus de 30%) ne font qu'accentuer. Sa gestion a même été critiquée au Parlement. Certaines universités s'agitent, et le nombre record d'exécutions publiques enregistré ces derniers mois alourdit un peu plus le climat à l'approche des élections législatives de mars.
En fin d'après-midi, soudain, la plus grande agitation s'empare des salons : le moment est venu. Une armée de techniciens installe d'énormes fauteuils sous la lumière violente de projecteurs.
"BULLE" MÉDIATIQUE
Cette fois, le décor est planté. Mais pourquoi seulement deux fauteuils, alors que l'entretien est prévu avec les deux envoyés spéciaux du Monde? Pourquoi ces caméras? Pourquoi ces interprètes dans la pièce d'à côté, prêts à traduire les propos présidentiels dans l'oreillette des participants, sans même assister au débat, coupant ainsi toute spontanéité? La réponse ne vient que quelques minutes avant le début de l'entretien – faut-il dire du "show"? : tout a été prévu, en fait, pour la télévision iranienne. Et c'est aux Iraniens, en regardant la caméra, que le président s'adresse, plus qu'il ne répond aux questions de son faire-valoir du jour. Une "bulle" médiatique sur mesure.
Très chaleureux, pondéré, M.Ahmadinejad ne refuse aucune question, mais répond à sa manière, souvent par d'autres questions. Et, peu à peu, au-delà des figures imposées – le nucléaire (l'Iran n'a pas peur de nouvelles sanctions et poursuivra son programme d'enrichissement de l'uranium) ou encore le rôle de l'Europe (elle doit afficher son indépendance), celui de la France (elle devrait entretenir des relations plus étroites avec l'Iran) –, le président iranien dévoile sa "vision" d'un monde idéal, selon lui en quête de "pureté". Un monde de certitudes simples dans lequel la faute originelle au Proche-Orient revient à Israël et à "ce peuple déplacé qui finira par partir". Un monde où les résolutions de l'ONU (celle créant l'Etat d'Israël comme les autres) n'ont pas de valeur particulière.
Croyant et nationaliste, M.Ahmadinejad parle d'un Iran qui, certes, voudrait "plus de démocratie", mais, "est-ce là l'important?", s'interroge-t-il, balayant la question des droits de l'homme comme il évacue la crise économique chez lui : "L'économie américaine n'est-elle pas en voie de régression?" Puis, à la fin, comprenant, devant les protestations réitérées, qu'un journal européen a d'autres critères pour un entretien de ce genre, surtout lorsque l'accord initial n'a pas été respecté, il offre, non sans une certaine élégance, de "réparer" en accordant sous peu un nouvel entretien. "Le président tient toujours ses promesses!", insiste l'un de ses plus proches conseillers.
ENTRETIEN
Le Monde : Le président Nicolas Sarkoky a dit à plusieurs reprises son inquiétude quant à la finalité du programme nucléaire iranien.
Qu'est ce que vous en pensez, vous, en tant que Français ? (…) Vous pensez comme moi qu il ne faut pas qu il y ait des armes nucléaires dans le monde… Ne faut il pas que les armes nucleaires, qui ne sont d'aucune utilité dans le monde d'aujourd'hui, soient éliminées ? Nos deux peuples entretiennent de bonnes relation. Entre eux, il n'y a pas de problèmes sérieux. Ce sont deux peuples qui ont des points de vue communs sur beaucoup de questions internationales. Nous croyons que ces propos [ceux de M. Sarkozy sur le nucléaire iranien] n'ont pas leur place aujourd'hui. Nous ne les prenons pas trop au sérieux ; nous avons pensé que c'est le début ce nouveau gouvernement français. Nous attendons que les vraies positions de la France, celles qui auront un effet pratique. Nous n'avons pas d'inquiétudes à ce sujet.
Vous inviteriez M. Sarkozy à Téhéran à l'occasion de la présidence française de l'Union européenne au printemps ?
Nous croyons que cette présidence française est une bonne opportunité, pour la France et pour l'Europe. Car nous pensons qu'il est temps que l'Europe repense la question de sa présence internationale. Aujourd'hui, sur la scène internationale, l'Europe n'existe pas, je veux dire une Europe qui soit une entité indépendante. Nous ne voyons nulle part dans les équations politiques internationales de ce début de siècle des positions qui seraient celles d'une Europe indépendante. Nous croyons que la présence de la France à la tête de l'Union peut être une occasion pour l'Europe de développer une politique indépendante, surtout dans la région du Moyen Orient, autour de la méditerranée. La présidence française devrait être l'occasion de lancer une politique européenne indépendante. Quant à M. Sarkozy, il peut venir en Iran à tout moment, nous l'accueillerons quand il le désirera, cela ne dépend pas de sa présidence de l'Union.
Le Conseil de sécurité de l'Onu prépare une nouvelle résolution sommant l'Iran d'arrêter son programme d'enrichissement de l'uranium sauf à subir un durcissement des sanctions économiques déjà prises contre votre pays.
La question nucléaire est très importante pour notre peuple. Nous voulons que tous les pays - à commencer par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité - permettent à l'organisation légalement en charge de cette question, l'AIEA [l'Agence international de l'énergie atomique, qui dépend de l'ONU et est chargée de faire respecter le Traité de non prolifération] d'agir conformément à sa mission. Les problèmes ont commencé quand certains pays membres - les cinq permanents - ont voulu s'arroger des droits qui dépassent ceux des autres pays membres de l'AIEA. Les problèmes commencent lorsque ceux - là se dotent d'un droit d'intervention qui outrepasse les règles de l'AIEA. L'Iran agit en collaboration avec l'AIEA, respecte ses engagements et ses devoirs à l'égard de l'agence. Malheureusement, l'Iran est privé de certains de ses droits, en particulièrement de disposer de l'assistance des autres membres de l'AIEA en ce qui concerne le combustible nucléaire - on ne nous a pas aidés, comme nous y avions droit. Mais nous croyons que nous devons tous continuer à travailler avec l'AIEA et accepter ses avis.
Et pourtant, Américains, Chinois, Britanniques, Français et Russes envisagent bel et bien de voter une troisième vague de sanctions contre l'Iran.
Ecoutez, ces résolutions ne sont pas notre problème, c'est le leur. Quand sur la base d'informations erronées, un groupe de pays agit avec entêtement de façon erronée, alors c'est lui, c'est ce groupe qui a un problème…Mais nous n'avons pas d'inquiétude. Notre peuple est un grand peuple - quand il s'agit de défendre nos droits, nous sommes sérieux.
Où en est votre proposition de permettre la création en Iran d'une société mixte, d'un consortium international pour enrichir l'uranium dont vous avez besoin ?
Cette proposition, je l'ai faite il y a deux ans aux Nations Unies. Malheureusement, les Européens et les Américains ne l'ont pas accueillie favorablement. Ils ont considéré que nous ne la formulions que parce que nous aurions été en position de faiblesse. Aujourd'hui, cette proposition n'est plus sur la table. Mais si d'autres en venaient à la reformuler à nouveau, nous l'étudierons. A une condition : que le droit du peuple iranien à l'enrichissement de l'uranium soit préservé.
Vous approuvez M. Sarkozy quand, du Maghreb au golfe, il propose d'aider de nombreux pays à accéder au nucléaire civil ?
Nous ne considérons pas que c'est une mauvaise chose. En cette matière, nous n'entendons pas fixer des limites aux autres. Nous croyons que tous les pays devraient pouvoir jouir de l'énergie nucléaire . Nous croyons que c'est opprimer une partie de l'humanité que d'assimiler l'énergie nucléaire à la bombe nucléaire. C'est une énergie pure, dont tous les peuples doivent pouvoir profiter.
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