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L’héritage toponymique de la Kabylie

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  • L’héritage toponymique de la Kabylie

    La toponymie, dont l’objet d’étude est le nom de lieu, est une discipline aujourd’hui classée dans la linguistique ou science du langage et des langues.

    Elle relève de l’onomastique ou étude des noms propre qui comporte, en plus des noms de lieux, l’étude des noms de personnes ou anthroponymie. Le champ de la toponymie étant très vaste, la discipline est subdivisée en plusieurs branches :

    -Hydronyme : ou étude des cours d’eau, des ruisseaux, des sources, des oueds etc.

    -Oronyme : ou étude des noms de sommets : montagnes, collines, vallons, plateaux, ainsi que des reliefs plats, comme les plaines,

    -Odonyme : ou étude des noms de voie de communication, comme l’étude des noms de rues ou de monuments

    -La microtoponymie, qui s’intéresse aux lieux dits, peu ou pas habités etc.

    Dans de nombreux pays, la toponymie fait l’objet de recherches et dispose même de chaires à l’université. C’est que la toponymie n’est pas seulement une affaire de patrimoine, c’est aussi une question de souveraineté : elle est la marque indélébile de l’histoire d’un pays, de ses frontières et de sa personnalité. Dans les pays coloniaux, la décolonisation est souvent suivie de vastes remaniements toponymiques : C’est le cas de l’Algérie où après 1962, la plupart des villes dont le nom a été francisé ainsi que les agglomérations issues de la conquête, ont retrouvé leurs anciens noms ou acquis de nouveaux noms algériens.

    Pourquoi faut-il étudier les toponymes ?

    Le premier intérêt de l’étude des toponymes est de fournir des points de repère pour localiser des lieux et les mémoriser. En effet, la mémoire humaine ne peut se rappeler de tous les lieux, et si on ne les nommait pas on serait obligés à chaque fois de décrire la position, l’emplacement, donner des caractéristiques qui pourraient permettre de reconnaître le lieu en question.

    Dans beaucoup de cas, les noms semblent être essentiellement des noms propres et ne s’emploient que pour désigner des endroits (on ne peut leur trouver, du moins à l’époque moderne, des significations), l’écrasante majorité des autres recourent au vocabulaire usuel pour désigner ces endroits, en nommant les caractéristiques qu’on leur attribue, caractéristiques relatives à la forme géographique, à la végétation, à la faune, à la couleur... Parfois, l’information porte sur les populations qui habitent encore aujourd’hui dans ces lieux ou y ont habité : tribu, clan, fraction de clan, parfois encore, c’est un saint, qui donne son nom au lieu.

    Il s’agit là de renseignements précieux pour le géographe, le géologue, le botaniste, le zoologue, l’historien, l’ethnologue... Quand on lit dans la presse que parmi les villages kabyles connaissant une sévère pénurie il y a Tigulmimin, il suffit de se retourner vers la toponymie pour apprendre qu’il n’en a pas toujours été ainsi, puisque tigulmimin signifie ‘’bassin d’eau naturel’’, et qui dit bassin naturel, alimenté par les pluies, il y a des rivières, des sources, des puits etc. La toponymie, à elle seule, permet d’énumérer les différents types de réserves d’eau disponibles sur le territoire national: puits (lbir, anu, tirset), source (aïn, tala, aghbalou, leinsar), oued, fleuve (nahr, asif), ruisseau (ighzer), bassin naturel, lac d’eau salée (sebkha) etc. C’est toute la carte hydrologique de l’Algérie qu’on peut constituer et qui peut rendre compte des ressources de l’Algérie.

    La toponymie vient apporter aussi son témoignage quand il s’agit de reconstituer la faune ou la flore antiques.

    Ainsi l’éléphant, disparu à la fin de la période romaine est présent dans Aïn Talut, localité de la région de Tlemcen. On sait que l’éléphant est mentionné au Maghreb par les auteurs anciens, comme Hannon, le fameux voyageur carthaginois et Hérodote, le géographe grec. Les Carthaginois ont utilisés les éléphants comme animal de combat. Ils les ont emmenés avec eux en Sicile durant la première guerre punique, puis en Espagne. Les rois berbères ont en fait le même usage : dans la ‘’Guerre de Jugurtha’’, Salluste indique que le roi numide a perdu 44 éléphants dans une bataille contre les Romains et Juba 1er a donné aux Pompéiens 120 bêtes pour combattre Jules César.

    Déjà, dans l’antiquité, plusieurs auteurs signalent, pour l’Algérie et la Tunisie, des localités, portant le nom latin ou grec de l’animal : ainsi Elephantaria, peut-être un évêché dans les montagnes dominant la Mitidja, Castellum Elephantum, non loin de Constantine, Elephantaria, dans la vallée de la Medjerda etc. comme on sait que les auteurs anciens avaient tendance à traduire les toponymes africains dans leur langue, ces dénominations ne sont peut-être que la traduction de dénomination locale. Toujours pour ce qui est de l’éléphant, une localité antique conserve au moins son nom autochtone : Telepte, à lire telefte, (p latin transcrivant souvent f berbère, comme c’est le cas dans Tipaza<Tifeche) berbère moderne tileft, ‘’sanglier’’ mais qui a pu désigner l’éléphant. Cet animal ayant disparu, son nom a peut être été affecté au sanglier. Aujourd’hui le seul dialecte berbère à conserver le nom de l’éléphant, élou/tellout est le targui : les éléphant ont également disparu du Sahara, mais chez les touaregs, son nom est encore porté comme prénom.

    On peut dire aussi la même chose de l’ours de l’Atlas, dont l’existence aux temps historiques est remise en cause par les spécialistes, et évoqué par des toponymes, notamment celui de Aim Dhob.

    Combien de végétaux, d’essences aujourd’hui disparus subsistent, comme des vestiges, hélas fossilisés, dans la toponymie… à titre d’exemple, le genêt épineux, qui a donné le nom de Tizi Ouzou, est aujourd’hui devenu rare… De nombreux villages de Kabylie s’appellent Boumlal, nom de la marguerite, aujourd’hui disparue en de nombreuses contrées. Tadmaït est probablement le nom du palmier nain, auquel on attribue aujourd’hui, en pays kabyle, soit le nom du palmier dattier, tazdayt, soit le nom emprunté à l’arabe dialectal, doum

    La toponymie, comme objet linguistique

    Le toponyme, c’est aussi un ‘’objet’’ linguistique mais un objet figé dans un contexte linguistique soumis à l’évolution. Son étude permet donc de remonter aux formes les plus anciennes de la langue, de déterminer les transformations que celle-ci a pu subir au plan phonétique ou morphologique. Dans le cas du berbère, c’est même, en l’absence de textes, le moyen qui donne le mieux accès à la langue antique, notamment à son vocabulaire : alors que les auteurs grecs et romains et les stèles libyques déchiffrées ne livrent qu’une vingtaine de mots sûrs, la toponymie permet d’élargir le glossaire à plus d’une centaine de termes Il est vrai que la méthode qui consiste à poser les étymologies en établissant des rapports entre les formes anciennes et modernes peut manquer de rigueur mais dans l’état actuel de la recherche, c’est la seule qui permette d’éclairer quelque peu le sens des mots libyques.

    Le toponyme est encore le meilleur témoin des pratiques linguistiques anciennes, le vestige de langues disparues. Les présences phénicienne et romaine en Algérie sont également attestées par des toponymes : c’est le cas de Jijel, provenant du punique, ou de Aïn Roua, où Roua est la déformation de Horréa, mot signifiant en latin ‘’entrepôts à grains’’. Le nom complet de Aïn Roua était Horrea Aninicensis, dont le second élément se retrouve dans le nom du Djebel Anini, où se trouve la ville.

    Le berbère, disparu, parfois depuis longtemps de nombreuses régions, est largement demeuré dans la toponymie de ces régions, tantôt modifié au point de ne pas être reconnu, tantôt conservé tel quel. Ainsi, Tiaret où il n’y a plus de berbérophones depuis longtemps, a conservé son nom de Tiaret, déformation du berbère Tihert, en cours au Moyen âge et signifiant le ‘’lion’’. C’est encore le cas de Aïn Témouchent, composé arabo-berbère de aïn ‘’source’’ et de témouchent ‘’chacal femelle’’ etc. Et encore, les campagnes de débaptisation et rebaptisation qui ont suivi l’indépendance ont fait disparaître, intentionnellement ou non, avec les noms coloniaux, de nombreux toponymes berbères.

    Quand on évoque la toponymie de la Kabylie, il convient de s’interroger avant sur l’emploi du mot ‘’Kabylie’’. Même si beaucoup de Kabyles l’emploient aujourd’hui, même dans leur langue maternelle, il n’appartient pas au fond toponymie originel.

  • #2
    Naissance du toponyme ‘’Kabylie’’

    Autrefois, quand on parlait de Kabylie, les Kabyles eux-mêmes utilisaient non pas un terme spécifique mais des noms de villes : ‘Bordj Bouira, Bordj Tizi Ouzou, Bgayet (Béjaïa), etc. Mais surtout des noms de tribus qui peuplaient les régions en question : ainsi, on disait Igawawen, Ath Betrun, Ath Weghlis, Ath Abbas, etc.

    Le mot arabe qaba’îl, qui donnera notre Kabylie, ne semble pas avoir été employé dans le sens d’une spécification régionale. En effet, il semblait plutôt indiquer les tribus berbères, aussi bien en Algérie qu’au Maroc. Ce sens apparaît, par exemple, dans le Rawd’ al qirt’as, quand l’auteur anonyme évoque les armées mérinides : il prend soin de distinguer justement entre les contingents berbères, largement majoritaires qui formaient ces armées, et qu’il appelle les qaba’il, des contingents arabes. A partir du 16 siècle le mot qaba’il va être repris par les auteurs européens pour désigner aussi les populations berbérophones du Maghreb. On parle des qaba’ïles du Maroc (à propos des Chleuh et des Rifains), puis la dénomination sera surtout réservée aux populations du Nord de l’Algérie. Ainsi, certains documents parlent des Kabaïles de l’Aurès, de l’Ouarsenis, de la Mitidja, etc. Il faut attendre l’ère coloniale pour voir l’intérêt des Français se porter sur une région, qui allait combattre de toutes ses forces pour la liberté. Mais jusqu’à la fin du 19e siècle, on a continué de désigner sous le nom de Kakyles des populations berbérophones, comme celles de la région de Tipaza. L’administration française va forger, à partir du mot arabe, déformé en kabyle, le nom de Kabylie. Le même processus a été observé à partir du nom arabe d’Alger, al Djaza’ïr, littéralement les îlots, pour former le mot Algérie.

    L’arabe, qui ne connaissait, au départ que de le mot Qaba’ïl, va forger, sur le modèle du français Bilâd al Qaba’îl, qui deviendra, par abréviation, al Qaba’îl, terme commun pris comme collectif.

    Les géographes ont pris l’habitude de diviser la Kabylie en trois grands ensembles : la Grande Kabylie ou Kabylie du Djurdjura, la Petite Kabylie, du Djurdjua oriental au montagnes de Jijel, et la Kabylie Orientale dont la ville principale est Bouira. Dans la tradition kabyle, on se contente de Tamurt n Leqbayel, dénomination générale, qui n’englobe que les régions berbérophones.

    Une autre dénomination autochtone pour la Kabylie ?

    Les Algériens arabophones désignaient les Kabyles, autrefois, par le terme Zwawa, pluriel de zwawi. On désignait également langue kabyle par le mot zwawiya, des dénominations qui sont remplacés, aujourd’hui par qbayli, et le féminin qbayliya, pour désigner à la fois la femme et la langue. Les anciennes appellations, Zwawi, zwawiya, ne sont plus utilisés qu’en Oranie. On en trouve également des traces dans la toponymie algéroise : ainsi Zouaous, dans le quartier de Delly-Ibrahim.

    Traditionnellement, azaoua est pris comme une déformation du mot agawa, de l’ancienne confédération des tribus du Djurdjura. Aujourd’hui on émet l’hypothèse que cette dénomination n’est pas la dénomination d’une région mais des Kabyles. Du coup, on remet en question l’étymologie de agawa, et on en fait une dénomination des Kabyles. Le principal argument est que Azwaw est un prénom et un nom de clan répandu en Kabylie. Or, non seulement on n’a pas de traces que les Kabyles aient porté un tel nom, mais on peut dire que d’autres noms de tribu et de clan kabyles, attestés également comme prénoms dans le passé : Waghlis, Yaala, n’aient pas fourni de pareilles dénominations.

    Anciennes dénominations de lieux kabyles : tribus et fractions


    Beaucoup de noms de lieux kabyles étaient désignés par les tribus qui les habitaient. Parfois, le nom de la tribu suffit pour nommer le lieu : ainsi, on dit Aït Raouna, à 148 km d’Alger, où des sépultures préhistoriques ont été découvertes, les Ouadhias (francisation de Iwadhiyen), etc. Aujourd’hui encore, on continue à dire : ‘’Je vais aux Aït Yanni’’, c'est-à-dire la région traditionnellement habitée par cette tribu, ou alors, ‘’Je vais aux Aït Waglis’’, lieu habituel de la localisation de cette tribu. Il est certain que l’indication est vague, puisque chaque région, autrefois attribuée à une tribu, peut comporter plusieurs villages. Si l’on veut être précis, il faudra alors citer les villages.

    Dans la toponymie actuelle, de nombreux villages gardent les anciennes dénominations ethniques. Ainsi, on a, par exemple :

    -Larba Nath Yiraten, littéralement ‘’le souk de la tribu des Nath Yiraten’’ où on s’approvisionnait, notamment en bestiaux

    -Larba Nath Ouacifs, ‘’le souk des Ouacifs’’, tribu des Ath Ouacifs ou ‘’gens du fleuve’’

    -Larba Nath Ouaglis, ‘’le souk des Aït Ouaghlis’’, du côté de la vallée de la Soummam.

    D’ailleurs, cette habitude de donner un lieu de marché pour les tribus se retrouvent en dehors de la Kabylie : ainsi, dans la région d’Alger, Larba Beni Moussa.

    Le nom de la tribu est parfois accolé à d’autres noms qui, en général, représentent des caractéristiques géographiques : ainsi, Drâa Ben Khedda, où l’arabe drâa, littéralement ‘’bras’’, a le sens d’élévation. Certains noms de tribus sont également accolés à des sommets : ainsi, dans les environs d’Azazga, on peut citer Tamgout de Nath Djennad ou, un peu plus loin, Tfrit Nath El Hadjj. Des forêts portent encore des noms de tribus : ainsi, on partant de Azazga, on passe dans le forêt de Bou Hini et la forêt des Beni Ghobri, la tribu, autrefois célèbre au Moyen âge pour avoir fourni des jurisconsultes.

    Certaines dénominations ne figurent plus dans la toponymie, mais elles sont restées dans la mémoire populaire. Ainsi, Thénia, sur la route d’Alger à Tizi Ouzou, porte aujourd’hui un nom arabe, signifiant ‘’colline’’, son nom était, autrefois, Tizi Nath Aïcha, ‘’le col des Nath Aïcha’’, de la tribu kabyle qui l’habitait. D’ailleurs, le nom est parfois arabisé en Thénia des Beni Aïcha’, exact pendant du toponyme kabyle. Le nom de tribu kabyle est souvent composé avec Ath (orthographié parfois en Aït), mais la cartographie française l’a souvent arabisé en Ben : c’est pourquoi, sur les cartes, comme sur les pancartes, on lit souvent : Beni Yenni, là où il faudrait lire Ath Yanni, Beni Abbes, là où il faudrait lire Ath Abbas, etc. Il a fallu attendre ces dernières années pour voir apparaître la forme originelle des toponyme.

    Les hagiotoponymes

    Les hagiotoponymes sont des noms associés à des saints. De nombreux noms de villages et de hameaux, qui ont abrite des saints, portent généralement leurs noms : ainsi Sidi Mansour, Sidi Yahia, Sidi Aïch, etc. Ces saint, dont les mausolées sont encore attestés, ont historiquement existé, mais certains saints semblent hypothétiques. Ainsi, dans la wilaya de Béjaïa, on cite un Sidi Rayhân, ‘’le Saint de la myrte’’, que la seule légende évoque.

    Certains noms kabyles ont été contestés et on y a vu des déformations qu’on a prises pour des noms de saints. Le cas le plus connu est celui de Baloua, mont de Kabylie, culminant à 700 m et qui borde, au nord, la ville de Tizi Ouzou. La montagne porte le nom d’un saint local, Sidi Baloua, dont le mausolée existe encore. On a parfois vu dans le nom la déformation de Benoit, ce qui a pu faire douter du caractère musulman du saint. Or, non seulement le mausolée est largement antérieur aux Français, qui auraient ‘’inventé’’ le saint, mais le nom de Baloua est bien berbère, puisqu’il est attesté, aujourd’hui encore, dans l’onomastique du Moyen Atlas marocain (voir M. Taïfi). Ce nom se retrouve aussi chez les Touaregs du Hoggar, sous la forme d’Ebelew, féminin Tabelwit.

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    • #3
      Toponymie des villes antiques et médiévales

      Beaucoup de villes kabyles ont porté, dans l’Antiquité et le Moyen Âge, des noms berbères, ce qui atteste de la permanence berbère. On peut citer le nom ancien de Dellys, Rusuccuru, a été expliqué par le punique: ce serait la forme latine d’un nom phénicien, R’shqr’, qui se lit rus ‘’tête, cap’’ et hqr, que l’on a rapproché de l’hébreu, qore ‘’perdrix’’, le mot ayant la signification de ‘’cap de la perdrix’’. Mais on peut aussi proposer une autre explication, qui associerait le berbère au punique : rus ’’cap, promontoire’’ et berbère aqerru, également ‘’tête et, par extension, promontoire’’. On sait que ce modèle de dénomination, dite tautologique (répétition d’une même idée en termes différents) est attesté dans la toponymie algérienne avec l’exemple de Oued Souf, ‘’cours d’eau pérenne, en arabe et en berbère’’.

      Le nom de Djamaâ Saharidj était, dans l’antiquité, bida. Il s’agit certainement d’un nom berbère et on peut le rapprocher d’un toponyme moderne, Tabouda, région marécageuse de la vallée de la Soummam. Pour l’étymologie, on pense, à abuda et à tabuda, nom du jonc des marais en kabyle, ou alors de la masette dans les parlers du Maroc central. Cette étymologie est possible quand on sait que Djamaâ Saharidj est un lieu où abondent les rivières et les points d’eau, avec justement une végétation spécifique, dont les joncs.

      Dans le cas de Djamaâ Saharidj, on peut penser aussi à abudid, terme désignant le piquet, ce dernier mot se rattachant à la racine BDD, qui a donné le verbe bded, bedd, ‘’être debout’’.

      La ville d’Azeffoun occupait le site de la ville romaine de Ruzurus, qui à ses heures de gloire sous le règne d’Auguste. Aujourd’hui, encore, il en subsiste des vestiges de murailles, de termes et de conduites d’eau. Le nom antique d’Azzefoun, Ruzurus, est sans doute d’origine berbère : il pourrait provenir de la racine RZY, la même qui a fourni Arzew, et pourrait signifier ‘’rocher, éperon rocheux’’ (le même mot a fourni le Targui, arzi ‘’broche’’)..

      Finissons cette revue des toponymes kabyles antiques par le nom de Babor, le massif montagneux au nord des Biban et du Guergour. Le nom est également donné à la région entre la vallée de la Soummam et la vallée de l’oued Djendjen. Les Babor sert encore à deux monts jumeaux, (point culminant : 2004 m) et Tababort (1969m).

      Tiklalt, au pied du mont Fenaïa, correspondant à l’antique Tubusuptus (appelé également Tubuscum oppidum), à huit lieues de Saldae (Béjaïa). On pense, vu les ruines qui en subsistent que la ville a dû être importante. Les auteurs latins la citent surtout à propos de la guerre de Tacfarinas, qui s’est déroulée en 25 de l’ère chrétienne. Le prince berbère avait occupé la région de la Nasava (Soummam) et assiégé Tubusuptus, mais le proconsul Dollabela, a pu réunir de grands renforts et l’a forcé à lever le camp.

      Trois siècles après, c’est un autre prince berbère, Firmus, qui va prendre Tubusuptus.. Mais livré par les siens, Firmus préférera se donner la mort plutôt que d’être prisonnier de l’ennemi.

      Le nom antique de Tubusuptus, a une forme incontestablement berbère, avec un t- initial, probablement indice du féminin, quant au p, c’est la transcription romaine habituelle du f berbère dans les noms africains : ainsi, Tipaza, pour tifesh ou Telepté, sans doute pour tileft. Tubusuptu pourrait donc provenir de tubusuftu, où on pourrait reconnaître le mot asif/asuf ‘’rivière, fleuve’’ et le diminutif tassift/tasuft ‘’affluent’’, sans doute par référence à la Soummam.

      Au Moyen Age, Tubusuptu change de nom pour devenir Timzizdegt. C’est l’émir Abd el Wadide, de Tlemcen, Abû Tachfin, qui, dans sa tentative d’occuper Béjaïa, a construit une ville fortifiée pour y loger ses troupes. D’après les chroniqueurs, la ville est construite au bout de quarante jours et, placée sur la route de Béjaïa, elle va la soumettre à un blocus. Le nom de Timzizdegt, dérive d’une racine encore vivante dans les dialectes berbères, ZDG, et qui a fourni plusieurs dérivés en rapport avec l’idée de propreté et de pureté. Le mot qui pourrait se reporter le plus à Timzizdegt est fourni par le Ratgui nigérien, amezzezdeg, féminin, tamezezdegt " purificateur "

      On a souvent expliquer le mot babor par l’arabe babur, ‘’bateau’’, berbérisé en lbabur et tababort ‘’petit bateau’’, inspiré par la forme des montagnes, mais en fait, cette explication est venue après : en fait, le nom de la montagne vient d’un nom ethnique, antérieur à l’islamisation. Le nom provient certainement de Bavares ou Babares une confédération de tribus berbères de Maurétanie césariennes, citées dans les sources épigraphiques romaines des 3e au 5e siècle de l’ère chrétienne. Les Bavares, que certains auteurs citent, tantôt comme des populations semi-nomades et tantôt comme des populations sédentaires, hostiles à la présence romaine.

      Au IIIe siècle, les Bavares se joignent à Firmus, un prince de la tribu voisine des Jubaleni, qui occupait la montagne des Bibans et dont la capitale se trouvait à Souma, dans la région de Thénia, connu encore sous le toponyme kabyle de Tizi Nat ‘Aysha. En 372 Firmus s’est révolté contre le comte d’Afrique, Romanus, qui soumettant les populations à un joug insupportable. En plus des Bavares, d’autres tribus ont rejoint les Berbères, ainsi que les donatistes qui étaient nombreux dans la région. Malheureusement, après que les troupes berbères aient enregistré d’importantes victoires, les Romains, jouant comme d’habitude la carte de la division des Berbères, sont parvenus à écraser le mouvement.

      Le nom de Béjaïa

      La ville de Béjaïa, l’une des plus importantes villes kabyles, a son propre toponyme : Bgayeth. On sait que le toponyme Béjaïa, adopté à l’indépendance, est l’arabisation du premier nom : le g étant écrit dj, pour se conformer à l’écriture arabe, d’ailleurs, une forme ancienne que l’on retrouve chez les auteurs du Moyen Âge, donne Bdjayet. Signalons que durant la période romaine, la ville portait un nom latin : les Saldae.

      Les auteurs français du XIXe siècle font dériver le nom de Béjaïa de l’arabe baqaya, ‘’les restes’’. Ainsi, Féraud, dans son Histoire de Bougie, raconte d’après des lettres kabyles, qu’après la conquête musulmane, les populations chrétiennes de Constantine et de Sétif, qui refusaient de se convertir, ont cherché refuge à Béjaïa, formant ainsi les ‘’restes’’ de l’ancienne communauté.

      Cette étymologie ne correspond pas à celle que donne Ibn Khaldoun dans sa grande Histoire des Berbères : pour lui, Béjaïa tire son nom de la tribu berbère qui habitait la région, les Béjaïa. C’était aussi, selon lui, le nom de la montagne qu’entourait la ville. On sait qu’en 1067, le prince hammadite, Al Nas’îr, s’est emparé de Béjaïa et a fondé sur l’emplacement de l’ancienne ville, une nouvelle cité qui sera alors sa capitale. An Nas’îr (‘’le victorieux’’) va orner la ville de belles mosquées et de magnifiques palais, accueillant des écrivains et des artistes, faisant d’elle une rivale de Tunis et de Kairouan. Al Nas’îr, fier de sa ville, lui a alors donné son nom, al Nas’iriya. Mais ce nouveau nom ne va pas faire oublier l’ancien de Béjaïa. D’ailleurs, c’est sous ce nom que les portulans européens, les cartes maritimes du Moyen Âge, la désignaient : Bugia, Buzia, Bugea, Buzana. Les langues européennes vont tirer de ce nom, celui de la bougie et de la basane, la peau de mouton tannée, deux produits importés alors en grandes quantités de Béjaïa..

      La ville prend, durant la colonisation françaises, le Bougie, qui est forme francisée de Béjaïa.. A l’indépendance, la ville reprend son ancien nom de Béjaïa, que les populations locales continuent à prononcer Bgayet.

      Le nom de Bgayet était peut-être à l’origine Tabgayet, le t initial, marque du féminin étant tombé. Il est peut-être à rattacher à un mot berbères, tabegga, tabeghayt, ‘’ronces et mûres sauvage’’ que l’on retrouve dans des noms anciens ou modernes, de quelques villes du Maghreb : Thouga (transcrit en berbère TBG), l’actuelle Dougga, en Tunisie, Vaga, actuelle Béja, également en Tunisie, Bagaï, actuelle Ksar Baghaï, dans les Aurès etc. On peut aussi, au lieu de dériver le nom d’un nom, le dériver d’un verbe dit de qualité, bgayet, sur le modèle de mellulet ‘’elle est blanche’’, zeddiget ‘’elle est propre’’ etc. Cependant, cette forme n’est pas signalée dans la toponyme algérienne ou maghrébine, qui note plutôt des noms ou des adjectifs : Tamlilit (Melila), Timzizdegt (Tiklalt) etc.

      Par S. Aït Larba, la Dépêche de Kabylie

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      • #4
        Merci.
        Ce fut très intéressant.

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