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Allemagne : derrière la fraude fiscale, les délocalisations

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  • Allemagne : derrière la fraude fiscale, les délocalisations

    Pour l'historien Edouard Husson, la fraude fiscale révélée cette semaine pénalise moins la société allemande que le comportement des groupes allemands qui investissent à l'Est.

    Comment expliquer qu'en Allemagne, on annonce la « fraude du siècle » sans que ne sorte aucun nom lié à ces pratiques ?

    Edouard Husson: Tout d'abord, je me méfie de l'effet d'annonce. L'évasion fiscale est devenue un gros problème pour l'Etat allemand dès les années 1990. La mauvaise gestion de la réunification a provoqué une évasion fiscale massive, jusque dans les classes moyennes qui ne voulaient pas voir dilapider leur argent. Cela fait des années que l'Etat et les Länder cherchent à lutter contre ça. Mais c'est aussi le résultat d'une politique de Gribouille. Depuis des années, l'Allemagne, comme la France, fait le contraire de ce qu'il faudrait: au lieu d'abaisser la pression fiscale à l'intérieur et d'établir une protection intelligente aux frontières vis-à-vis de tous ceux, Etats ou entreprises transnationales, qui ne jouent pas le jeu d'une concurrence équilibrée - taxation qui rapporterait beaucoup à l'Etat , on maintient les impôts à un niveau élevé sur place et on ouvre grand les frontières à la concurrence des pays à bas salaire ou à la pression inflationniste du dollar. Que pèsent les quelques milliards d'euros qui vont être récupérés face à la comptabilité des entreprises qui délocalisent les bénéfices, ou face à la nécessité d'indemniser les chômeurs victimes de délocalisations? Il y a quelques semaines, l'Etat allemand s'est montré incapable de faire pression sur Nokia qui, après avoir empoché une grosse subvention pour garder des sites de production en Allemagne, délocalise vers la Roumanie. C'est plus facile de jeter en pâture à l'inquiétude des petites gens des fraudes fiscales que de défendre les vrais intérêts économiques de l'Allemagne.

    Pensez vous qu'une fraude de cette ampleur aurait été possible il y a vingt ou trente ans ?

    E. H. : L'évasion fiscale a commencé il y a une trentaine d'années, suivant une configuration classique: il s'agissait d'échapper à la pression fiscale que générait la politique social-démocrate mise en place depuis Willy Brandt. La réunification a renforcé une telle tendance. Aujourd'hui, il s'agit d'un phénomène massif. Gerhard Schröder, déjà, avait promis une amnistie aux fraudeurs repentis, qui ramèneraient leur argent. Mais il faut faire attention: c'est de l'argent qui échappe au Fisc, pas forcément à la société. Il peut revenir en Allemagne, « au retour de vacances », pour rémunérer le travail au noir, par exemple.

    La découvert de cette fraude est-elle une surprise pour le peuple allemand, ou bien a-t-elle été annoncée par d'autres épisodes ?

    E. H. : Je ne suis pas sûr que cet épisode frappe plus les Allemands que toute une série de scandales récents qui ont touché les grandes entreprises allemandes - par exemple Volkswagen ou Siemens. Ou que l'affaire Nokia. En plus, on attrapera sans doute relativement peu de « gros poissons » dans la présente chasse aux fraudeurs. En revanche, on aura alimenté un égalitarisme beaucoup plus répandu en Allemagne que ce que l'on croit habituellement. Il se peut d'ailleurs que « Die Linke », la gauche, soit le parti qui profite le plus de cette opération.

    Pensez vous que ces pratiques témoignent d'un découplage entre élites nationales et intérêt général du pays ? Signifient-elles que les élites ne se pensent plus comme appartenant à un pays ?

    E. H. : Cela fait longtemps que le monde patronal allemand a abandonné l'idée selon laquelle la cohésion sociale était un bénéfice pour l'économie allemande. Entre 1990 et 2005, les entreprises allemandes ont créé autant d'emplois dans le monde qu'elles en ont détruit, ou laissé détruire, en Allemagne. Est-ce que le recours à la main d'oeuvre des pays à bas salaire n'est pas une rupture encore plus importante du pacte social que l'évasion fiscale? La société allemande, aujourd'hui, est véritablement inquiète: elle a accepté un blocage des salaires de fait depuis plusieurs années et elle voit que les profits des entreprises ne cessent d'augmenter sans qu'elle puisse en profiter. Le discrédit de la classe politique est généralisé. L'Etat apparaît comme impuissant, ou réduit à des gesticulations pour faire oublier un échec politique global.

    Edouard Husson est historien, maître de Conférences à l'université Paris IV-Sorbonne, spécialiste de l'Allemagne et de l'Europe au XXe siècle.
    Ce que vous faites de bien et de mal, vous le faites à vous
    Mahomet
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