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Le Maghreb ne peut qu’aller à la rencontre du Sahel»

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    Le Maghreb ne peut qu’aller à la rencontre du Sahel»
    28-02-2008
    Pouz Ali Bensaad, géographe algérien, il n’est pas dans l’intérêt du Maghreb « de jouer le rôle du supplétif de répression pour le compte de l’Europe » et d’aller ainsi à l’encontre de l’indispensable intégration africaine.

    Propos recueillis par Yassin Temlali

    Il y a une résistance des pays du Maghreb à admettre leur nouveau statut de pays d’accueil, car il implique des réponses juridiques et sociales qu’ils ne sont pas encore disposés à donner.

    Les Afriques : Les flux migratoires subsahariens vers les Etats du Maghreb semblent beaucoup plus importants que par le passé. Qu’est-ce qui explique leur développement rapide ?
    Ali Bensaad : La migration subsaharienne vers le Maghreb n’est pas nouvelle, mais elle a acquis une plus grande visibilité depuis qu’elle s’est greffée sur la circulation migratoire irrégulière entre le Maghreb et l’Europe et qu’elle est devenue une préoccupation pour l’Europe. Il est vrai que longtemps, elle n’a concerné que les régions sahariennes. Les Etats maghrébins s’en sont bien accommodés tant qu’elle restait au Sahara. Le taux d’urbanisation au Sahara est plus élevé que dans le reste des territoires, avec une forte concentration dans des villes de plus de 100000 habitants. L’agriculture se développe, proportionnellement, plus qu’au Nord. Les Maghrébins disent, à juste titre, que leur population a contribué à construire l’Europe. Les Subsahariens peuvent dire que le Sahara n’aurait pas pu être ce qu’il est sans eux.
    Graduellement, la migration subsaharienne a fini par se diffuser vers le Nord et les métropoles littorales et attirer des Africains plus lointains que les seuls Nigériens, Maliens et Sénégalais. Les flux migratoires vers le Nord ne s’expliquent donc pas par l’attraction européenne, même si celle-ci participe, maintenant, à les doper. Ils sont le produit du développement du Maghreb et de son rapprochement, à travers le Sahara, du Sahel.

    LA : Hormis les rapports de police, nous possédons peu d’informations sur l’immigration subsaharienne dans les pays du Maghreb…
    AB : Même les rapports de police ne concernent que les refoulements de migrants censés être là « en transit vers l’Europe ». Ils occultent ceux, beaucoup plus nombreux, qui sont installés sur le sol maghrébin et y travaillent. En Algérie, comme ailleurs au Maghreb, les services de sécurité possèdent les chiffres sur l’émigration subsaharienne mais ils ne les rendent pas publics. L’Office algérien des statistiques (ONS, Algérie, NDR) a mené une enquête sur ce phénomène, mais les résultats de cette enquête restent à ce jour inconnus.
    Il y a une résistance des pays du Maghreb à admettre leur nouveau statut de pays d’accueil, car il implique des réponses juridiques et sociales qu’ils ne sont pas encore disposés à donner, surtout qu’ils reproduisent à l’égard des migrants africains, en les aggravant, les ségrégations subies par leurs propres migrants en Europe.
    Pour l’Algérie uniquement, on estime le nombre de migrants subsahariens à plusieurs dizaines de milliers, soit entre 100 et 300 000. Si les détails vous intéressent, je vous renvoie à une étude que j’ai faite et dont une partie porte sur tous les enjeux et manipulations autour des chiffres (publiée sur le site de l’European University Institute, NDR).

    Les villes sahariennes comme Agadez, Tamanrasset ou Sebha, sont depuis très longtemps de véritables tours de Babel africaines, avec près de la moitié de la population constituée de migrants d’une vingtaine de nationalités !

    LA : Sur ces dizaines de milliers de migrants, quelle est la proportion de ceux pour qui le Maghreb est une « destination finale » ?
    AB : L’écrasante majorité de ces migrants est présente au Maghreb pour y travailler. Mais ils ne sont pas forcément très visibles parce qu’ils s’installent essentiellement dans les villes du Sahara. Il y en a plus d’un million dans un pays riche comme la Libye, et même dans un Etat aussi pauvre que la Mauritanie il y en a 300000, chiffre cautionné officieusement par les autorités car l’immigration dans ce pays est davantage admise.
    Les villes sahariennes (Agadez, Tamanrasset, Sebha) sont depuis très longtemps de véritables tours de Babel africaines, avec près de la moitié de la population constituée de migrants d’une vingtaine de nationalités ! Dans les années 90, les autorités locales de Tamanrasset (extrême sud algérien, NDR) estimaient que les migrants constituaient les deux tiers de la population de la ville et on en expulsait déjà dans les années 70 et 80, même si une bonne partie des expulsés étaient alors des Touaregs nigériens et maliens. La Libye, depuis les années 70-80, accueille et expulse par centaines de milliers des migrants africains. Et pourtant, à l’époque, on ne parlait pas d’elle comme d’un « pays de transit » pour l’Europe !

    LA : Comment appréciez-vous l’attitude des Etats du Maghreb vis-à-vis de la politique européenne dite de « lutte contre l’immigration clandestine » ?
    AB : L’émigration a toujours été un noeud de crispation dans les relations euro-maghrébines. Avec l’apparition de Subsahariens, l’Union européenne fait pression sur les Etats du Maghreb les invitant à « maîtriser leurs frontières », non seulement avec elle mais aussi avec les Etats africains limitrophes. Pratiquement tous les pays maghrébins, entre 2003 et 2007, ont légiféré des mesures plus restrictives de circulation sur leur territoire. A l’égard des migrants africains, ils amplifient les dépassements et les violations qu’ils exercent déjà aux dépens de leurs citoyens.

    Il n’est pas dans l’intérêt de ces pays de jouer le rôle du supplétif de répression pour le compte de l’Europe et d’aller à l’encontre de leur profondeur historique et géostratégique. L’émigration noire africaine vers les Etats du Maghreb, je le répète, est consubstantiel au développement économique de ces Etats. L’avenir de l’Afrique est dans son intégration. Le Maghreb ne peut, en se développant, qu’aller à la rencontre du Sahel. C’est fatalement la logique du NEPAD et de la transsaharienne alors même qu’elle est inachevée ! Faut-il y renoncer ? L’Algérie et le Nigeria ont raison de vouloir la financer, en dehors même de l’espace de leurs pays. En agissant ainsi, ils ne font que reconstituer l’axe du commerce transsaharien qui fut, il y a plus de douze siècles, l’une des premières phases de mondialisation.
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