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Ce pays dont chacun peut dessiner les frontières à sa façon

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  • Ce pays dont chacun peut dessiner les frontières à sa façon

    Dieu !!!! que sa plume est belle. L'intelligence et la pertinence dans toute leur splendeur. A lire d'un trait.
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    Ce pays dont chacun peut dessiner les frontières à sa façon
    par Kamel Daoud


    Avant même que je naisse, les Palestiniens étaient là. C'est-à-dire nulle part. Depuis le siècle dernier, j'ai grandi avec l'idée qu'ils vont gagner la guerre et leur pays qui leur appartenait à moitié. L'autre moitié étant notre histoire à tous les Arabes et musulmans nés avec le devoir de libérer la Palestine pour nous libérer de la honte. A l'école, comme à la maison, dans la mosquée ou dans la rue, tout le monde était d'accord : les Juifs seront vaincus, dénoncés par les arbres et les rochers, chassés vers l'Alaska juste avant la fin du monde. Que ferons-nous après, lorsque la fin du monde sera un tic-tac géant audible partout ? Personne ne le dit. Ni les livres, ni les religieux, ni la météo. Sans le Juif, l'Arabe n'a pas de rôle.

    Avec le Juif, c'est pire. J'ai grandi avec la Palestine dans la télé, les chansons, mais nulle part sur la carte. Les Palestiniens étaient chez nous et personne ne disait la vérité à leur sujet : on aimait leur cause, pas leur présence. Les voir se battre et mourir et pas les regarder s'installer et grossir. C'était mal, mais c'était ainsi, chez moi, en Libye, en Jordanie, en Egypte et un peu partout dans le monde arabe. Puis j'ai grandi encore et j'ai compris : la Palestine n'était pas une cause mais un effet. De quoi ? De notre éloignement de Dieu, de l'Islam et de la faiblesse de nos régimes corrompus. Les idées poussaient au même rythme indiscernable de ma barbe. Pour libérer la Palestine, il fallait qu'on se libère de ses propres dictatures. Le Juif était comme la gravité : il expliquait tout et surtout notre chute du haut du Palmier. Les images de Palestiniens jetant des cailloux contre des chars faisant pousser la barbe plus vite que les hormones.

    Puis j'ai encore grandi et j'ai compris : Dieu n'a pas une seule nationalité et la Palestine n'était pas une cause, ni un effet, mais un problème intime. Lorsqu'on parle trop, qu'on confond Dieu avec une frustration, qu'on réfléchit peu et que l'on croit que le monde nous doit des excuses et qu'on le réduit à un foulard, un vote ou une ablution et une parade de dindes, la Palestine est impossible. Au Moyen-Orient, chez soi ou même dans son propre quartier. Puis j'ai grandi et j'ai compris : la Palestine n'était ni une cause, ni un effet, ni un problème intime.

    C'était un feuilleton et une chaîne d'infos en continu. Saddam a été pendu, l'Irak vendu, les pays arabes appauvris puis sommés de se disperser. C'était le nouveau siècle avec ce vieux problème. La Palestine était toujours là, me coinçant contre le mur à chaque JT, m'accusant de ne rien faire alors que je ne lui ai rien fait. Difficile à ignorer, mais pénible à regarder tout le temps. Me rappelant que je dois faire quelque chose, mais me prouvant que je ne peux rien entreprendre de plus que zapper. Attendant de moi que je la libère, alors que c'est ce que j'attends d'elle justement. Vécue de l'intérieur comme une biographie, mais vue de l'extérieur comme le voisinage dramatique d'un infirme. Lourde à porter, mais nulle part où la déposer. Et cela me fatigue et m'use. J'ai grandi et j'ai compris : je ne veux plus me sentir coupable de la Palestine, mais je ne dois plus m'en sentir innocent. Haïr les Juifs que je n'ai jamais connus ne me sert à rien, mais courir après les Israéliens, c'est comme courir dans le désert avec une casserole trouée. Je me sens mal, coincé, inquiet pour ma descendance, attristé par mes ancêtres et étouffé par mes proches. Tout ce que je sais des Juifs, ce sont des morts qui me l'ont raconté. Tous ce que je sais d'Israël et des Palestiniens, je le voie de mes propres yeux. De l'OLP à El-jazeera, je ne sais pas quoi faire. Je vais exploser etc... ».

    In " Le quotidien d'Oran" du 3/03/2008
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