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Mohammed Taïfour : le cheikh de Montreuil

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  • Mohammed Taïfour : le cheikh de Montreuil

    Portrait
    Mohammed Taïfour : le cheikh de Montreuil
    LE MONDE | 03.03.08 | 15h47 • Mis à jour le 03.03.08 | 15h47



    A le voir comme ça, mine sévère, djellaba, calot vissé sur le crâne, on le prend pour un imam ou un vieux bigot mal luné. A Montreuil (Seine-Saint-Denis), où Mohammed Taïfour a ouvert en 1994 le premier centre culturel islamique de l'Est parisien, certains esprits chagrins l'ont soupçonné du pire. Le maire sortant de la ville (apparenté PCF) et député de la 7e circonscription de la Seine-Saint-Denis, Jean-Pierre Brard, s'est même inquiété publiquement des risques d'une "dérive fondamentaliste", à propos des cours de soutien scolaire dispensés rue Edouard-Vaillant.
    Il arrive à Mohammed Taïfour de rire de ces fadaises. Un fou d'Allah, lui, le fugueur d'El-Affroun, son village natal d'Algérie, devenu, à la fin des années 1950, le champion des dancings parisiens ? Un ayatollah, lui, l'amateur éclairé de peinture et de musique classique, qui a tenu longtemps, avec sa femme Yvonne, un des restaurants les plus chics du Marais et plusieurs galeries d'art, place des Vosges ?
    Il est vrai qu'il cache bien son jeu, le patron de la mosquée-école, fondateur de l'association des Bâtisseurs musulmans de France... Etaler sa vie personnelle, ce n'est pas son genre. Les fidèles, pas plus que les notables de Montreuil, ne lui ont jamais posé de questions. Le fait qu'il ait payé de sa poche pour créer cette mosquée (sans minaret), la première de la ville, suffit aux premiers. Qu'il soit musulman et, surtout, qu'il tienne tête au maire, suffit aux seconds.
    Sur les murs de son bureau figurent les traditionnelles sourates du Coran. Et, dans la bibliothèque, des rangées de livres reliés en cuir vert sont écrits en arabe. Mais il y a aussi le Grand Larousse encyclopédique, acheté à Paris "en 1953", se souvient-il, et qu'il adore feuilleter. Il y a aussi ce fume-cigarette, noir et or, qu'il utilise en permanence, presque autant que le Thermos en plastique où il garde son café au chaud. Mohammed Taïfour est un musulman de la vieille école : il n'a aucun problème à serrer la main des femmes et embrasse comme du bon pain ses vieilles amies.
    "L'islam a toujours été pour moi un territoire intime. Comme une arrière-pensée", dit-il. Dans le livre, quelque peu fourre-tout, qu'il a publié à compte d'auteur en 2007, le cheikh de Montreuil évoque l'importance, chez les musulmans, de ce qu'il nomme le "bel agir", notion qui lie "volonté de justice" et "respect d'autrui". L'un de ses amis parle avec enthousiasme d'"une sorte de gandhisme musulman", dont il serait l'incarnation. Le sage de la rue Vaillant n'a pourtant pas le profil d'un gourou politique. Sa longue vie de nomade né du côté des pauvres et des colonisés l'a construit autrement.
    Il grandit dans l'Algérie coloniale des années 1930, à une centaine de kilomètres au sud d'Alger. Il fréquente la medersa (école coranique), mais aussi l'école française, où il obtient le certificat d'études "avec mention". Son parcours scolaire s'arrête là. Le père, ancien maçon devenu patron du bâtiment et commerçant, a des relations difficiles avec les colons. A la maison, ce "patriarche" se montre "violent", cognant "avec la main, un bâton, la ceinture..."
    Une dispute avec son père est d'ailleurs à l'origine d'une première bifurcation de son destin : fuyant une nouvelle éruption de colère, le jeune Mohammed décide d'aller "bouder" à Alger. C'est là, tandis qu'il traîne près du port, que, grâce à la complicité de trois militaires français, des garçons de son âge, il s'embarque clandestinement à bord d'un navire en partance pour Marseille et sort de sa première vie algérienne.
    "Quand on regardait mes mains, on les trouvait trop fines, je n'arrivais pas à trouver un travail manuel. Et comme je n'avais pas de diplômes...", se souvient-il. A Paris, il connaît la faim et les nuits à la belle étoile. Le quartier des Halles lui sauve la vie. Dans cet immense marché, "j'ai réussi à me faire un métier : j'achetais des fruits et je les revendais devant les bouches de métro".
    Le voilà commerçant. Il se lie à ceux du faubourg Montmartre, ses cousins, les juifs arabes d'Algérie. Avec eux, dit-il, "je me sentais à l'aise". Avec la création d'Israël (1948) et les guerres qui ont suivi, ces relations deviennent "plus compliquées", regrette-t-il. Cela ne l'empêche pas de se prendre d'amitié pour Line Monty, qu'il rencontre un soir "chez Dédé Dayan et Dédé Stora", un cabaret du 9e arrondissement, où l'immense chanteuse, elle aussi en exil, se produit souvent.
    C'est dans un autre dancing à la mode, Le Tahiti, place Clichy, que le fugueur d'El-Affroun rencontre la femme de sa vie. Yvonne, âgée de 22 ans, est "grande, élégante, toujours nickel". Ensemble, ils ouvrent un restaurant-cabaret, La Caquetoire, dans le 4e arrondissement. C'est un endroit chic : vins fins, bonne chère et mobilier Louis XIII. Les clients appellent le patron "Monsieur Paul". Un prénom qu'il a reçu à L'Eldorado, un dancing des Grands Boulevards. Le jeune Algérien, champion de valse et de tango, venait de remporter un concours de danse. "Le type qui annonçait le nom des gagnants a trouvé que Mohammed Taïfour, ça ne sonnait pas bien. Alors il m'a baptisé "Monsieur Paul"", sourit le vieil homme.
    C'est après la mort d'Yvonne, qui le laisse dévasté, qu'il se lance dans son projet de centre islamique. Il veut acheter à Montreuil, où les prix sont encore abordables. Il s'installe - dans un premier temps, pense-t-il - comme locataire, rue Edouard-Vaillant. "Je voulais vieillir parmi les miens", explique-t-il.
    Vendredi, jour de la grande prière, la foule des fidèles déborde dans la rue. La cour intérieure est noire de monde - interdisant aux locataires de se frayer le moindre passage. Car, contrairement aux souhaits de Mohammed Taïfour, prêt à acheter l'ensemble des bâtiments, une partie de ceux-ci ont été vendus puis loués à titre d'habitations privées, à la suite des pressions du maire.
    "J'ai du respect pour M. Taïfour", assure Jean-Pierre Brard. "Mais je ne le laisserai jamais acheter !", promet l'élu, qui a fait jouer son droit de préemption contre le vieux cheikh, rendant la situation inextricable. "Je suis vieux et malade, je suis une proie facile", soupire l'Algérien. A ses yeux, le maire a agi ainsi par "racisme" et "mépris pour l'islam".
    Mais le "Gandhi de Montreuil" n'a pas dit son dernier mot : il a assigné la propriétaire du centre de la rue Vaillant devant le tribunal de grande instance de Bobigny, le 3 avril, afin qu'elle lui vende l'ensemble des bâtiments, comme elle s'y était engagée en 1996. On ne se méfie jamais assez des danseurs de tango...


    Catherine Simon

    PARCOURS
    1924
    Naissance à El-Affroun, (Algérie).
    1946
    Embarque en clandestin sur un bateau pour la France.
    1965
    Ouvre un restaurant chic dans le Marais, à Paris.
    1994
    Crée une mosquée école à Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).
    1996
    Héberge un groupe de Maliens, après la destruction de leur foyer.
    2008
    Assigne sa propriétaire pour acheter les bâtiments de sa mosquée école.



    Article paru dans l'édition du 04.03.08
    Dernière modification par absente, 03 mars 2008, 21h06.

  • #2
    Sissouh

    Merci de nous l'avoir fait connaitre
    Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

    Commentaire


    • #3
      Azul Zwina

      Je t'en prie ma chère, c'était surtout histoire de dépoussiérer l'image figée que l'on a des musulmans

      Commentaire

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