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Andalousie, les forçats du légume.

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  • Andalousie, les forçats du légume.

    En quelques années, l'Andalousie a développé une agriculture intensive qui alimente une grande partie du continent européen. Des milliers de migrants se pressent dans cette région, attirés par le mythe d'un nouvel eldorado occidental. Le photographe Christophe Chammartin témoigne des conditions de travail indignes qui attendent ces travailleurs.

    Ce travail parle d'une réalité européenne méconnue: les conditions de logement des migrants africains, travailleurs agricoles de la province d'Almeria, au sud de l'Espagne.

    Au coeur des serres de plastique, à l'écart des centres urbains où règne le racisme, des dizaines de milliers d'hommes se cachent et attendent un hypothétique emploi journalier (30 euros la journée) que les exploitants espagnols voudront bien leur proposer. Ils vivent dans des garages, des petits entrepôts humides et borgnes ou dans de fragiles cabanes faites de vieux plastiques imprégnés de pesticides. Pas de ramassage des ordures, pas d'égout, très peu de toilettes et d'eau potable. Quand les taudis sont alimentés par l'électricité, les patrons n'hésitent pas à les louer plusieurs dizaines, voire centaines d'euros.

    Eloignés des accès aux transports publics, des moyens de communication, ces hommes vivent un double isolement: isolés à l'intérieur de la société espagnole et isolés à des centaines de kilomètres de leur famille. Ces esclaves contemporains ne sont plus que l'ultime variable économique ajustable afin de comprimer les coûts.

    En moins de trente ans, Almeria, région désertique, pauvre et recluse à l'extrémité sud-ouest de notre continent est devenue l'un des piliers de l'économie espagnole. Les 32.000 hectares de cultures sous plastique, le pompage des nappes phréatiques, un fort ensoleillement et l'usage acharné d'engrais et de pesticides permettent aux agriculteurs andalous de produire aujourd'hui plus de trois millions de tonnes de fruits et légumes par année. Synchronisé au développement du réseau autoroutier espagnol, puis associé aux entreprises transnationales européennes de transport et de distribution, ce système permet de nourrir une grande partie du continent entre septembre et mai.

    Almeria est aussi une porte d'entrée de l'Europe et permet aux narcotrafiquants d'associer leur juteux commerce avec celui du transport illégal de personnes. Plus de 100.000 migrants en provenance du Maghreb, d'Afrique subsaharienne, mais aussi d'Europe de l'Est ou d'Amérique latine, accourent dans la province avec le mythe de l'eldorado occidental en tête. Près de la moitié d'entre eux n'ont pas de permis de travail ou de résidence. Une proportion identique n'a pas d'emploi ou seulement quelques mois par année. Les personnes rémunérées sont en majeure partie des jornaleros (employés à la journée) dans le secteur de l'agriculture.

    Conditions indignes

    Les agriculteurs préfèrent embaucher des sans-papiers, car ces derniers ne connaissent souvent pas leurs droits ou ne sont pas en mesure de les défendre. De cette manière, il devient facile pour des employeurs sous pression de ne pas respecter la convention collective (environ 8 francs/heure), pourtant l'une des plus minimales d'Espagne. Il est courant que les heures supplémentaires ne soient pas comptabilisées, voire que le travail ne soit tout simplement pas payé. Le modèle d'agriculture intensive qui s'est développé dans le sud de l'Espagne requiert une main d'oeuvre bon marché, corvéable à merci et surnuméraire afin de pouvoir répondre rapidement aux pics de production qu'impliquent trois récoltes par année.

    Les pulvérisations de pesticides, d'engrais et d'hormones de colorisation des légumes sont régulièrement effectuées sans protection et en présence de l'ensemble des employés. Les postures courbées et les lourdes charges portées quotidiennement sont également une source de problèmes de santé graves et chroniques.

    Les citoyens de la province d'Almeria, région conservatrice, semblent encore effrayés par l'invasion maure du VIIIesiècle. Plusieurs cas d'apartheid, comme le refus d'accès à certains bars, la majoration prohibitive des loyers et le passage à tabac occasionnel mettent en lumière un racisme encore très ancré dans les consciences.

    Racisme, exploitation et isolement, le développement agricole de l'Andalousie se réalise à ce prix. Un prix que les consommateurs européens ignorent le plus souvent.
    Le Courrier (Suisse)

    16/02/2008
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