17 mars 2008Devant l’absence de l’autorité et du courage politique requis pour trancher dans le vif, la Fed en est réduite aux expédients qui, s’ils permettent de masquer l’ampleur des pertes, retardent l’heure de vérité et compromettent le dollar. Pour sauver Wall Street, Bernanke exporte la crise et fait naître une poussée de fièvre inflationniste mondiale, au risque d’un retour de bâton dévastateur : l’abandon du dollar comme monnaie de réserve mondiale.
Mathématiques élémentaires
Les titres hypothécaires en circulation totalisent une valeur de 11 000 milliards de dollars. Le prix de l’immobilier US est surévalué de 20 à 30%. Si un quart de la valeur du patrimoine des foyers US se volatilise, cela représente 2 750 milliards de dettes qui ne seront vraisemblablement pas honorées et deviennent des pertes pour le système financier.
Selon l’étude signée par Greenlaw, Hatzius, Kashyap et Shin (pdf) , la capitalisation des banques, agences gouvernementales (GSE) et caisses d’épargnes US totalise 1 681 milliards.
Leur exposition directe aux titres hypothécaires totalise 5 591 milliards soit la moitié de l’en cours. Elles sont donc potentiellement face à des dépréciations atteignant 1 375 milliards - près de la totalité de leur capital.
Ces chiffres ne prennent pas en compte les pertes éventuelles dans les autres secteurs du crédit : consommation, crédit auto, immobilier commercial.
La couverture des risques liés au crédit fait l’objet de contrats d’assurances signés de gré à gré entre les entreprises, les CDS ou Credit Defaut Swaps, portant sur une valeur totale de 45 000 milliards, plus de trois fois le PIB des USA.
Ce mécanisme de couverture, s’il est déclenché, aurait pour effet de propager une cascade de demandes de remboursements auprès de « contreparties, » c’est à dire les vendeurs de l’assurance, qui pour leur grande majorité n’ont aucune provision disponible pour y faire face.
Les fonds spéculatifs, les hedge funds, sont également concernés. Le principe de ces entreprises est de faire massivement appel au crédit - ce que l’on nomme effet de levier - pour multiplier les gains. Voici comment.
M. Smith dispose de 100 dollars et achète un titre hypothécaire qui rapporte 8 dollars par an. En empruntant 1500 dollars à 6%, pour investir 15 fois plus, il gagne au total 128 dollars, paie 90 dollars d’intérêts, ce qui lui laisse 38 dollars pour une mise initiale de 100.
Excellent rendement. Jusqu’à ce que les titres acquis perdent 20% de leur valeur. La banque prêteuse exige un remboursement. M. Smith revend ses titres, soit 1600 - 320 = 1280. Il a perdu ses 100 dollars et en doit 220 à la banque.
C’est ce mécanisme de l’effet de levier inversé qui est en train d’asphyxier le « système bancaire bis, » que sont les fonds d’investissement.
Illiquidité et insolvabilité
Les banques centrales, prêteuses de dernier recours, peuvent aider des établissements en bonne santé à faire face à une situation tendue de trésorerie, en fournissant un crédit relais. Mais la situation dans laquelle se trouve le système financier ne relève pas du manque de liquidité. Il s’agit d’une crise d’insolvabilité, en français, de faillite.
Le marché ne peut retrouver stabilité et confiance qu’à trois conditions. Que les entreprises faillies disparaissent, et avec elles le mauvais papier qu’elles détiennent, que celles qui peuvent survivre reçoivent une infusion de capital pour compenser leurs pertes, et que les cours de l’immobilier aient atteint à la baisse la vérité des prix, restaurant du même coup une valeur fiable aux titres adossés à ce patrimoine.
Cela fait beaucoup de pré requis. D’autant plus quand l’outil d’intervention, la banque centrale, n’est absolument pas adapté à la mission du jour : sauver Wall Street.
La boite à outils de Bernanke
Bernanke dispose de deux leviers : les prêts et les taux.
Il utilise ces deux outils aux deux bouts de l’équation comptable de la finance : les réserves dans le portefeuille des banques et la valeur de l’immobilier. Les prêts permettent de renforcer les fonds propres des banques, la baisse des taux, qui normalement doit relancer l’activité, devrait aussi soutenir les prix de l’immobilier en mettant un terme à la récession.
Mais ces deux axes d’interventions ont leurs limites et leurs effets pervers.
Les prêts, au fur et à mesure que la crise s’accentue, ont perdu leur caractère de relais très temporaire contre l’illiquidité pour se transformer en infusion masquée de fonds propres. L’exigence de collatéraux de qualité, les titres déposés en pensions à la banque centrale en garantie des liquidités accordées, a été assouplie à l’extrême. Au lieu de bons du trésor, la Fed accepte désormais les créances immobilières douteuses pour lesquelles il n’existe plus de marché. La durée des prêts, normalement au jour le jour, est désormais allongée à trois mois. Le volume de ces opérations devient considérable. 400 milliards, soit la moitié des réserves dont dispose la Fed seront engagés fin mars.
Cette intervention massive et fort peu conventionnelle, présente deux inconvénients majeurs.
Si elle autorise les banques à conserver des bilans présentables, en différant l’heure où les comptes seront soldés dans la douleur, elle permet de gagner du temps mais ne rétablit pas la confiance, qui ne sera restaurée que lorsque les pertes auront été reconnues. D’autre part, par son ampleur même, elle indique que la Fed perd pied. Au rythme où vont les évènements, les 400 milliards de trésor de guerre, sous forme de bons du trésor, dont elle dispose encore dans ses livres ne sont plus l’indice de sa force mais de sa faiblesse [1]. A quels expédients en sera-t-elle réduite lorsqu’elle aussi sera au bout de ses réserves ? La planche à billets ? On voit là qu’à l’horizon c’est bien la crédibilité du dollar qui est en jeu.
Mathématiques élémentaires
Les titres hypothécaires en circulation totalisent une valeur de 11 000 milliards de dollars. Le prix de l’immobilier US est surévalué de 20 à 30%. Si un quart de la valeur du patrimoine des foyers US se volatilise, cela représente 2 750 milliards de dettes qui ne seront vraisemblablement pas honorées et deviennent des pertes pour le système financier.
Selon l’étude signée par Greenlaw, Hatzius, Kashyap et Shin (pdf) , la capitalisation des banques, agences gouvernementales (GSE) et caisses d’épargnes US totalise 1 681 milliards.
Leur exposition directe aux titres hypothécaires totalise 5 591 milliards soit la moitié de l’en cours. Elles sont donc potentiellement face à des dépréciations atteignant 1 375 milliards - près de la totalité de leur capital.
Ces chiffres ne prennent pas en compte les pertes éventuelles dans les autres secteurs du crédit : consommation, crédit auto, immobilier commercial.
La couverture des risques liés au crédit fait l’objet de contrats d’assurances signés de gré à gré entre les entreprises, les CDS ou Credit Defaut Swaps, portant sur une valeur totale de 45 000 milliards, plus de trois fois le PIB des USA.
Ce mécanisme de couverture, s’il est déclenché, aurait pour effet de propager une cascade de demandes de remboursements auprès de « contreparties, » c’est à dire les vendeurs de l’assurance, qui pour leur grande majorité n’ont aucune provision disponible pour y faire face.
Les fonds spéculatifs, les hedge funds, sont également concernés. Le principe de ces entreprises est de faire massivement appel au crédit - ce que l’on nomme effet de levier - pour multiplier les gains. Voici comment.
M. Smith dispose de 100 dollars et achète un titre hypothécaire qui rapporte 8 dollars par an. En empruntant 1500 dollars à 6%, pour investir 15 fois plus, il gagne au total 128 dollars, paie 90 dollars d’intérêts, ce qui lui laisse 38 dollars pour une mise initiale de 100.
Excellent rendement. Jusqu’à ce que les titres acquis perdent 20% de leur valeur. La banque prêteuse exige un remboursement. M. Smith revend ses titres, soit 1600 - 320 = 1280. Il a perdu ses 100 dollars et en doit 220 à la banque.
C’est ce mécanisme de l’effet de levier inversé qui est en train d’asphyxier le « système bancaire bis, » que sont les fonds d’investissement.
Illiquidité et insolvabilité
Les banques centrales, prêteuses de dernier recours, peuvent aider des établissements en bonne santé à faire face à une situation tendue de trésorerie, en fournissant un crédit relais. Mais la situation dans laquelle se trouve le système financier ne relève pas du manque de liquidité. Il s’agit d’une crise d’insolvabilité, en français, de faillite.
Le marché ne peut retrouver stabilité et confiance qu’à trois conditions. Que les entreprises faillies disparaissent, et avec elles le mauvais papier qu’elles détiennent, que celles qui peuvent survivre reçoivent une infusion de capital pour compenser leurs pertes, et que les cours de l’immobilier aient atteint à la baisse la vérité des prix, restaurant du même coup une valeur fiable aux titres adossés à ce patrimoine.
Cela fait beaucoup de pré requis. D’autant plus quand l’outil d’intervention, la banque centrale, n’est absolument pas adapté à la mission du jour : sauver Wall Street.
La boite à outils de Bernanke
Bernanke dispose de deux leviers : les prêts et les taux.
Il utilise ces deux outils aux deux bouts de l’équation comptable de la finance : les réserves dans le portefeuille des banques et la valeur de l’immobilier. Les prêts permettent de renforcer les fonds propres des banques, la baisse des taux, qui normalement doit relancer l’activité, devrait aussi soutenir les prix de l’immobilier en mettant un terme à la récession.
Mais ces deux axes d’interventions ont leurs limites et leurs effets pervers.
Les prêts, au fur et à mesure que la crise s’accentue, ont perdu leur caractère de relais très temporaire contre l’illiquidité pour se transformer en infusion masquée de fonds propres. L’exigence de collatéraux de qualité, les titres déposés en pensions à la banque centrale en garantie des liquidités accordées, a été assouplie à l’extrême. Au lieu de bons du trésor, la Fed accepte désormais les créances immobilières douteuses pour lesquelles il n’existe plus de marché. La durée des prêts, normalement au jour le jour, est désormais allongée à trois mois. Le volume de ces opérations devient considérable. 400 milliards, soit la moitié des réserves dont dispose la Fed seront engagés fin mars.
Cette intervention massive et fort peu conventionnelle, présente deux inconvénients majeurs.
Si elle autorise les banques à conserver des bilans présentables, en différant l’heure où les comptes seront soldés dans la douleur, elle permet de gagner du temps mais ne rétablit pas la confiance, qui ne sera restaurée que lorsque les pertes auront été reconnues. D’autre part, par son ampleur même, elle indique que la Fed perd pied. Au rythme où vont les évènements, les 400 milliards de trésor de guerre, sous forme de bons du trésor, dont elle dispose encore dans ses livres ne sont plus l’indice de sa force mais de sa faiblesse [1]. A quels expédients en sera-t-elle réduite lorsqu’elle aussi sera au bout de ses réserves ? La planche à billets ? On voit là qu’à l’horizon c’est bien la crédibilité du dollar qui est en jeu.
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