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Pourquoi certains attentats font mouche

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  • Pourquoi certains attentats font mouche

    Une remarquable étude menée sur huit pays dont l’Espagne, l’Angleterre, la France et les Etats-Unis, s’est penchée sur la question.


    Dans « Underlying Reasons for Success and Failure of Terrorist Attacks : Selected Case Studies », Edward McCleskey, Diana McCord, Jennifer Leetz et John Markey, chercheurs au Homeland Security Institute, ont analysé en profondeur huit cas d’attentats terroristes commis dans les transports aériens et ferroviaires de plusieurs pays.

    Mes synthèses et commentaires du document source éviteront tout jugement moral, toute théorie "conspirationniste", tout discours partisan ou dénonciateur et toute dérive raciste ou xénophobe. Les lignes suivantes porteront donc exclusivement sur les facteurs intrinsèques (techniques, opérationnels, stratégiques) de réussite ou d’échec d’une opération terroriste. Peu importe son origine ou ses conclusions, cette étude du ministère américain à la Sécurité intérieure me semble contenir de précieuses informations pour toute personne s’intéressant au fait terroriste.

    Réagir à ce qui va se passer ?

    Les quatre chercheurs insistent sur quelques points déjà connus : les terroristes étant très rarement surpris lors de l’exécution de leur opération, un savant continuum entre intelligence, investigation et gestion des urgences en amont, et protection des cibles potentielles en aval, augmente drastiquement les chances d’intercepter un attentat dans sa phase de préparation ou de pré-exécution. Les colossaux investissements financiers, technologiques et humains dans la « vigisurveillance » (contrôles d’identité, frontières cybersécurisées, patrouilles militaro-policières, vidéosurveillance, protection de sites, alertes oranges, etc.) ne peuvent donc à eux seuls suffire : les organisations terroristes étant suffisamment ingénieuses et préparées pour contourner voire surpasser ces contre-mesures de dernière ligne.
    A défaut d’établir un profil type ou d’anticiper un attentat, le partage vertical et horizontal d’informations entre tous les services de renseignements et de polices permet très souvent de reconstituer un puzzle terroriste avec justesse et rapidité. Dans ces domaines, de nombreux pays européens comme le Royaume-Uni, la France, l’Italie et l’Espagne font nettement mieux à leurs échelles nationales que les Etats-Unis où règnent de séculaires rivalités entre FBI, CIA et NSA. Durablement ou régulièrement confrontés sur leurs sols à des mouvances terroristes - IRA, Action directe, attentats à la bombe à Paris dans les années 80-90, Brigades rouges, ETA, etc. - les Etats précités ont probablement subi une pression positive à la synergie inter-services. Malheureusement, dans les sphères internationales du renseignement, le protectionnisme informationnel n’est suspendu qu’à de rares occasions.
    Le rôle d’une police de proximité est également déterminant : en plus d’être bien formée, celle-ci doit se montrer aussi proche que réconfortante aux yeux des habitants alors plus enclins à lui transmettre quelque activité suspecte. Comparativement aux nations européennes, l’immensité du territoire américain est peu propice à la mise en place d’une police de proximité, mission qui ne pourrait de toute façon être assignée efficacement à plusieurs policiers de district ou shérifs de comté, parcourant chaque jour plus de distances que leurs homologues outre-Atlantique en une semaine. De plus, l’urbanisme et le mode de vie des métropoles américaines favorisent un anonymat de loin plus poussé que dans les grandes villes européennes, maintes études en sociologie et en criminologie l’ayant déjà ardemment démontré.

    Entre Puerta del Sol et White Hall

    L’architecture ouverte et étendue du chemin de fer constitue sa première vulnérabilité. Dans les grandes agglomérations, le surnombre de stations et de voyageurs complique la surveillance et démultiplie les opportunités terroristes, idem pour l’absence complète de surveillance dans les zones faiblement peuplées. Les passagers du métro ou du train empruntent celui-ci tant pour sa ponctualité, sa régularité que pour sa fluidité. Des contrôles légers ou soutenus auraient à long terme de nuisibles conséquences sur les activités professionnelles, commerciales et touristiques, et ce, bien plus qu’une grève dure de plusieurs semaines. En plus de concentrer le souffle d’une explosion, la nature souterraine du métro ne facilite guère l’accès des secours et provoque de nombreuses victimes secondaires (personnes piétinées, asphyxiées ou brûlées). A cause de ses énormes failles fondamentales, le transport ferroviaire est une cible de choix pour les terroristes.
    Cette agrégation de facteurs explique en grande partie la réussite des attentats ferroviaires du 11 mars 2004 à Madrid. Les terroristes profitèrent d’une heure matinale de grande affluence pour placer leurs explosifs (cachés dans des sacs à dos) dans des wagons, qu’ils télécommandèrent quasi-simultanément avec des téléphones mobiles. Impact tactique élevé : 191 morts et plus de 1 500 blessés. Impact opérationnel faible : l’économie, le tourisme et les transports ibériques ne subirent aucune paralysie. A court terme, l’impact stratégique fut énorme : trois jours après l’attentat, l’avantage électoral d’une droite confortablement établie bascula au profit d’une gauche pourtant donnée moribonde par les sondages. Il le fut beaucoup moins sur le long terme : « habituées » au terrorisme de l’ETA, la société et les institutions espagnoles firent preuve de résilience et continuèrent « de vivre normalement ».
    NB : J’ai volontairement emprunté le concept de « résilience dans la défense antiterroriste » à Joseph Henrotin, politologue belge spécialisé dans les questions de défense et de sécurité.
    Les mêmes facteurs s’appliquent aux attentats du 7 juin 2005 dans le tube londonien et dans un double deck bus à une heure matinale de grande affluence. Les quatre terroristes firent preuve d’une certaine dextérité dans l’exécution de leur opération : les bombes furent détonées par intervalles de 50 secondes. Il est probable que l’un des kamikazes ait rencontré des « difficultés opérationnelles ou techniques » le forçant à installer son explosif dans le bus et à le déclencher une heure après celles de ses complices.

  • #2
    Plutôt habituées aux bombes retardées ou télécommandées de l’IRA, les autorités britanniques firent face à leurs premières attaques-suicides, commises en cercle très restreint par des nationaux n’ayant aucun passé terroriste. Les omniprésentes caméras de surveillance dans la ville de Londres (plus de 500 000 dont la moitié en circuit fermé) n’ont point dissuadé les terroristes et encore moins permis de les intercepter. Leur rôle fut malgré tout prépondérant pour reconstituer la phase d’exécution de l’attentat.
    Toutefois, le MI-5 disposait de quelques informations sur plusieurs déplacements vers le Pakistan d’un kamikaze et de sa commande d’un logiciel de cryptage auprès d’un expert en cybersécurité. Pourquoi ces données furent-elles si peu exploitables ? Au Royaume-Uni, les agences de cybersécurité sont inondées de requêtes d’entreprises, d’universités et de centres de recherche, qui comptent de nombreux salariés, étudiants, professeurs et chercheurs d’origine indo-pakistanaise. En outre, dans les communautés issues d’Asie centrale, la notion de famille est beaucoup plus élargie que celle occidentale, justifiant des voyages réguliers vers les terres natales. Cet exemple révèle amplement que la lutte antiterroriste doit certes intégrer des facteurs socioculturels élargis, mais ne peut verser dans « un balayage » discriminatoire - souvent perçu comme un « réajustement d’efficacité » - qui pénaliserait lourdement son « fine tuning », a fortiori dans une nation traditionnellement et fortement multi-ethnique.
    L’impact tactique des attentats fut élevé : 52 morts et 700 blessés. L’onde de choc médiatique fut amplifiée par la diffusion dans les médias et sur le net de milliers de scènes de chaos photophonées ou visiophonées par des témoins sur des lieux proches ou éloignés des explosions, au point qu’on évoque « the first bomb attacks 2.0 ». L’impact opérationnel fut modéré : à Londres, les transports urbains et la livraison postale ne furent interrompus qu’une heure le jour de l’attaque. Aujourd’hui encore, tout porte à penser que l’impact stratégique fut élevé. De nombreux sondages démontrent que les citoyens britanniques jugent « excessives » les mesures sécuritaires consécutives de leur gouvernement, férocement dénoncées par les associations des droits de l’homme : extension de 14 jours de la détention préventive ad nutum, vidéosurveillance et contrôles morphobiométriques appuyés, projet de loi sur une carte d’identité obligatoire, etc. Au royaume de Sa Majesté, la population semble plus résiliente que les autorités.
    Le 21 juillet 2005 à l’heure du déjeuner, soit deux semaines après les premières attaques-suicides, une autre cellule terroriste usa d’un mode opératoire identique. L’un des kamikazes renonça au dernier moment, un autre fut neutralisé par des passagers, seuls les détonateurs des trois derniers explosèrent, brisant quelques vitres et causant plus de peur que de mal. L’enquête établira par la suite que le péroxyde d’hydrogène commercial utilisé par les cinq terroristes - nettement moins entraînés et moins disciplinés que les quatre précédents - n’était de toute façon pas assez concentré pour produire l’effet souhaité. Ces tentatives avortées furent néanmoins un sérieux pied de nez pour des services de sécurité pourtant en alerte maximale, démontrant l’inutilité d’un déploiement massif de forces et l’inefficacité des seules contre-mesures de dernière ligne même face à une opération de médiocre préparation.

    Près de la Canebière

    Premier vecteur de mondialisation humaine, le transport aérien est une cible politique, géopolitique, économique et médiatique. Explosif habilement dissimulé (bagage, équipement électronique, récipient banal, etc.), détournement de vol, missile anti-aérien portable (MANPADS) : les terroristes disposent de multiples modes opératoires pour s’en prendre à un avion commercial. Une fois le contrôle de l’appareil entre leurs mains, le sort des passagers et de l’équipage est complètement voué à leurs desiderata, a fortiori en vol où tout secours est absolument impossible.
    La veille de Noël 1994 à l’aéroport d’Alger, se faisant passer pour des membres d’équipage, quatre pirates de l’air en armes s’introduisirent dans un A-300 de la compagnie Air France et procédèrent à un contrôle ténu des passeports des passagers. Ce qui leur permit d’identifier puis d’abattre un policier algérien, puis un diplomate vietnamien afin d’intimider les passagers, et enfin un cuisinier du consulat français local suite à de houleuses négociations avec les autorités algériennes concernant leur décollage. Ces dernières se proposèrent d’intervenir en force, mais craignant un surnombre de dommages collatéraux, l’Etat français opta pour un décollage vers Marseille avec une quantité limitée de carburant, contrairement aux exigences des terroristes qui maîtrisaient mal certaines notions aéronautiques (charge en kérosène, rayon d’action, etc.). A l’époque, les services français présupposèrent que les pirates effectueraient un vol-suicide vers la tour Eiffel, cible touristique hautement symbolique, ou feraient exploser le jet dans l’espace aérien hexagonal grâce aux vingt bâtons de dynamite qu’ils avaient embarqués.
    Depuis les années 70, le gouvernement français avait créé et formé deux brigades anticriminelles et antiterroristes d’une efficacité internationalement reconnue : le Raid (Recherche assistance intervention dissuasion) et le GIGN (Groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale). En attendant le vol 8 969, des membres du GIGN s’entraînèrent à plusieurs reprises à bord d’un A-300 en tout point identique à l’aéroport de Marseille. Quelques heures après l’atterrissage, sous l’oeil des caméras de télévision, la brigade spéciale libéra les 173 passagers et neutralisa les quatre terroristes en moins de dix minutes.
    Cet incident a révélé comment des terroristes expérimentés ont su contourner les mesures de sécurité sans la moindre interférence, infiltrer le personnel aéroportuaire, et ce, dans un environnement sécuritaire algérien jugé plutôt restrictif. Etape par étape, usant des pourparlers et des représailles sur le tarmac d’Alger, ils réussirent à lever tous les obstacles à leur départ et à rester maîtres à bord jusqu’à l’assaut final du GIGN à Marseille. Malgré d’innombrables inerties coopératives entre entre la France et l’Algérie, les commandos entrèrent en action suffisamment tôt pour que l’opération terroriste n’atteigne point sa phase de pré-exécution, annihilant de facto ses éventuels impacts tactiques, opérationnels et stratégiques.

    Au-dessus de Manhattan

    Ne ratez pas votre train de banlieue après votre atterrissage et demandez courtoisement un rafraîchissement à l’évanescente hôtesse de l’air avant de découvrir vous-même le chapitre le plus dense de cette étude.
    Underlying Reasons for Success and Failure of Terrorist Attacks : Selected Case Studies (PDF). Edward McCleskey, Diana McCord, Jennifer Leetz et John Markey, Homeland Security Institute

    - Article Trouvé sur AgoraVox

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