Fallait-il sacrifier le sous-préfet Bruno Guigue?
Par Esther Benbassa (Historienne, dir. d'études à l'EPHE, Sor...) 06H40 25/03/2008
Le limogeage, en cette trêve pascale, du sous-préfet Bruno Guigue, pour un texte critique de la politique israélienne rédigé d’une plume pour le moins excessive et entaché de comparaisons quelque peu hâtives et ne citant pas ses sources, interpelle assurément tous les citoyens de ce pays, de quelque bord qu’ils soient.
La tribune en cause, publiée le 13 mars dans le site ********** et intitulée "Quand le lobby israélien se déchaîne contre l’ONU", se présente comme une réponse à une autre, parue dans Le Monde, sous le titre "L’ONU contre les droits de l’homme". Ce dernier texte porte la signature d’intellectuels pro-israéliens, ce qu’on ne saurait a priori leur reprocher. Certains parmi eux ont toutefois tendance à conjuguer allégrement israélophilie, attaques virulentes contre l’islam et dénonciation d’un antisémitisme certes réel, ayant connu des pics depuis la seconde Intifada, et en voie de banalisation, mais auquel ils donnent des proportions alarmantes, mettant ainsi régulièrement en émoi la population juive française. Tous les signataires n’ont certes pas la même relation endogamique avec les institutions juives, ni ne poursuivent forcément les mêmes objectifs. La défense inconditionnelle d’Israël et leur néo-conservatisme font parfois converger leurs intérêts, sans nécessairement gommer tout ce qui peut les différencier.
Dans leur texte commun, ils attaquent violemment le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, ses représentants, sa résolution du 30 mars 2007 sur "la lutte contre la diffamation des religions", la participation de la Haut commissaire de ce même conseil à une conférence sur les droits de l’homme tenue à Téhéran où M. Ahmadinejad avait renouvelé son appel à détruire Israël, son silence devant cette diatribe, comparée sans grande nuance à celle de Goebbels à la tribune de la Société des nations en 1933. Tout ce qui est énoncé dans ce texte n’est pas faux, et l’on connaît le sens de la démocratie du dirigeant de l’Iran et son respect pour les droits de l’homme. Il n’en est pas moins fort brutal et simplificateur.
"Reich allemand et État hébreu"
A cette brutalité et à ce simplisme, Bruno Guigue répond à son tour avec violence, dans une sorte de dialogue (de sourds) avec les signataires. Sa tribune n’est en fait qu’un long monologue, dont certains arguments prêtent à confusion et apparaissent forcément au lecteur non averti d’un goût quelque peu douteux. Pour ne donner qu’un exemple, la comparaison entre le Reich allemand et l’Etat hébreu est manifestement hors de propos. Elle rapproche indûment deux contextes historiques très différents, et revient indirectement à faire écho à certaines vulgates d’ultragauche ou antisémites.
Une autre grande idée de B. Guigue consiste à soutenir qu’Israël étant un État confessionnel, tirant sa légitimité de la Bible, il y a peu de chances qu’il y ait un jour la paix. On pourrait lui conseiller quelques lectures. La Palestine n’a été clairement adoptée comme lieu d’implantation du futur foyer national juif qu’après le décès de Herzl en 1905. Jusque-là, on avait pensé à d’autres territoires, y compris l’Ouganda. De surcroît, que je sache, Israël n’est pas le seul État "théologique" de la région. Enfin, en Palestine aussi, l’option laïque ne fait plus guère l’unanimité. On rappellera encore à B. Guigue qu’Israël est un pays où les intellectuels défendant la cause palestinienne s’expriment avec bien plus de vigueur qu’en France. Et que malgré le climat lourd de tension qui y règne, il est plus facile de critiquer Israël là-bas que chez nous, où bien des Juifs déploient un zèle pro-israélien en faisant sourire plus d’un, là-bas. Comme exemple, il suffira de citer le livre d’Avraham Burg, "Vaincre Hitler" (Fayard, 2007) qu’aucun intellectuel juif en France n’aurait osé écrire avec un telle liberté de ton. "Théologique" certes, l’État hébreu est aussi un pays largement traversé par la laïcité et dont l’écrasante majorité des citoyens n’a que faire du "grand Israël" biblique.
Comme nombre de débatteurs publics français, B. Guigue a oublié que la rigueur et une certaine retenue ne sont pas de trop pour éviter de donner à ses adversaires des verges pour se faire battre. Dans notre pays, dès que l’on pense un peu, on croit qu’on peut tout écrire en faisant fi des règles les plus élémentaires de la déontologie intellectuelle. Si certains, ce qui n’est certes pas le cas de B. Guigue, s’affublent parfois en prime de titres qu’ils n’ont pas pour se faire passer pour experts, d’autres s’approprient un peu légèrement les idées de prédécesseurs qu’ils omettent de citer. En l’occurrence, cette dernière légèreté aura été fatale à B. Guigue. Son intention n’était sûrement pas de plagier qui que ce soit, mais sans doute croyait-il que les informations ou les opinions qu’il reprenait étaient connues de tous. Grave erreur. Qui dit rigueur, dit argumentation solide et absence d’excès de fougue. La fougue, elle aussi, peut être fatale, par les temps qui courent.
Par Esther Benbassa (Historienne, dir. d'études à l'EPHE, Sor...) 06H40 25/03/2008
Le limogeage, en cette trêve pascale, du sous-préfet Bruno Guigue, pour un texte critique de la politique israélienne rédigé d’une plume pour le moins excessive et entaché de comparaisons quelque peu hâtives et ne citant pas ses sources, interpelle assurément tous les citoyens de ce pays, de quelque bord qu’ils soient.
La tribune en cause, publiée le 13 mars dans le site ********** et intitulée "Quand le lobby israélien se déchaîne contre l’ONU", se présente comme une réponse à une autre, parue dans Le Monde, sous le titre "L’ONU contre les droits de l’homme". Ce dernier texte porte la signature d’intellectuels pro-israéliens, ce qu’on ne saurait a priori leur reprocher. Certains parmi eux ont toutefois tendance à conjuguer allégrement israélophilie, attaques virulentes contre l’islam et dénonciation d’un antisémitisme certes réel, ayant connu des pics depuis la seconde Intifada, et en voie de banalisation, mais auquel ils donnent des proportions alarmantes, mettant ainsi régulièrement en émoi la population juive française. Tous les signataires n’ont certes pas la même relation endogamique avec les institutions juives, ni ne poursuivent forcément les mêmes objectifs. La défense inconditionnelle d’Israël et leur néo-conservatisme font parfois converger leurs intérêts, sans nécessairement gommer tout ce qui peut les différencier.
Dans leur texte commun, ils attaquent violemment le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, ses représentants, sa résolution du 30 mars 2007 sur "la lutte contre la diffamation des religions", la participation de la Haut commissaire de ce même conseil à une conférence sur les droits de l’homme tenue à Téhéran où M. Ahmadinejad avait renouvelé son appel à détruire Israël, son silence devant cette diatribe, comparée sans grande nuance à celle de Goebbels à la tribune de la Société des nations en 1933. Tout ce qui est énoncé dans ce texte n’est pas faux, et l’on connaît le sens de la démocratie du dirigeant de l’Iran et son respect pour les droits de l’homme. Il n’en est pas moins fort brutal et simplificateur.
"Reich allemand et État hébreu"
A cette brutalité et à ce simplisme, Bruno Guigue répond à son tour avec violence, dans une sorte de dialogue (de sourds) avec les signataires. Sa tribune n’est en fait qu’un long monologue, dont certains arguments prêtent à confusion et apparaissent forcément au lecteur non averti d’un goût quelque peu douteux. Pour ne donner qu’un exemple, la comparaison entre le Reich allemand et l’Etat hébreu est manifestement hors de propos. Elle rapproche indûment deux contextes historiques très différents, et revient indirectement à faire écho à certaines vulgates d’ultragauche ou antisémites.
Une autre grande idée de B. Guigue consiste à soutenir qu’Israël étant un État confessionnel, tirant sa légitimité de la Bible, il y a peu de chances qu’il y ait un jour la paix. On pourrait lui conseiller quelques lectures. La Palestine n’a été clairement adoptée comme lieu d’implantation du futur foyer national juif qu’après le décès de Herzl en 1905. Jusque-là, on avait pensé à d’autres territoires, y compris l’Ouganda. De surcroît, que je sache, Israël n’est pas le seul État "théologique" de la région. Enfin, en Palestine aussi, l’option laïque ne fait plus guère l’unanimité. On rappellera encore à B. Guigue qu’Israël est un pays où les intellectuels défendant la cause palestinienne s’expriment avec bien plus de vigueur qu’en France. Et que malgré le climat lourd de tension qui y règne, il est plus facile de critiquer Israël là-bas que chez nous, où bien des Juifs déploient un zèle pro-israélien en faisant sourire plus d’un, là-bas. Comme exemple, il suffira de citer le livre d’Avraham Burg, "Vaincre Hitler" (Fayard, 2007) qu’aucun intellectuel juif en France n’aurait osé écrire avec un telle liberté de ton. "Théologique" certes, l’État hébreu est aussi un pays largement traversé par la laïcité et dont l’écrasante majorité des citoyens n’a que faire du "grand Israël" biblique.
Comme nombre de débatteurs publics français, B. Guigue a oublié que la rigueur et une certaine retenue ne sont pas de trop pour éviter de donner à ses adversaires des verges pour se faire battre. Dans notre pays, dès que l’on pense un peu, on croit qu’on peut tout écrire en faisant fi des règles les plus élémentaires de la déontologie intellectuelle. Si certains, ce qui n’est certes pas le cas de B. Guigue, s’affublent parfois en prime de titres qu’ils n’ont pas pour se faire passer pour experts, d’autres s’approprient un peu légèrement les idées de prédécesseurs qu’ils omettent de citer. En l’occurrence, cette dernière légèreté aura été fatale à B. Guigue. Son intention n’était sûrement pas de plagier qui que ce soit, mais sans doute croyait-il que les informations ou les opinions qu’il reprenait étaient connues de tous. Grave erreur. Qui dit rigueur, dit argumentation solide et absence d’excès de fougue. La fougue, elle aussi, peut être fatale, par les temps qui courent.
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