Quand les Black Panther fuyant la répression américaine se réfugiaient à Alger
Le refuge d'Eldridge Cleaver en Algérie
La conférence de presse qu'a tenu Eldridge Cleaver à Alger le 17 juillet 1969 avant l'ouverture formelle du Festival était sa première apparition publique depuis sa disparition à San Francisco huit mois auparavant.
Il était devenu un célèbre fugitif aux États-Unis, faisant face à plusieurs inculpations de tentative de meurtre suite à une fusillade entre la police d'Oakland et les Panthères en avril 1968, deux jours après l'assassinat de King. Une Panthère était morte dans la bataille, trois policiers blessés, et huit Panthères arrêtées.
Ce mois de juin, Cleaver est libéré sous caution après avoir été couvert par un article de l'habeas corpus. Son livre d'essais, Soul on Ice, étant devenu un best seller, Cleaver se lance dans la course à la présidence en tant que candidat du Parti de la Paix et de la Liberté [Peace and Freedom Party], et les confrontations du Parti des Panthères Noires avec les forces de police sont de plus en plus couvertes médiatiquement par la presse à sensation nationale.
Des mois de bataille juridique devant les tribunaux de Californie prirent fin avec la décision de son retour en prison au mois de novembre pour violation de liberté conditionnelle. Au lieu de se rendre aux autorités pénitentiaires, Cleaver voyagea clandestinement jusqu'à Cuba.
Son arrivée en Afrique du Nord lui permit de renouer de visu des relations avec plusieurs amis, soutiens, collègues, et camarades que son séjour à La Havane avait interrompues. Une série de malentendus, de désaccords, et de confrontations catégoriques avec les autorités cubaines à La Havane culmina avec le départ de Cleaver pour Alger. Plus tard, il déclara que « les Cubains ont renié certaines promesses faites avant même que je n'arrive, comme une installation permanente et bien organisée, et le droit de diffuser de l'information (…) Ils n'avaient pas l'intention de nous permettre les choses qu'ils nous avaient promises ».
Les militants radicaux de Bay Area avaient négocié l'asile de Cleaver avec les diplomates de la mission de Cuba aux Nations Unies, à New York. Mais une fois arrivé à La Havane, le gouvernement autorisa la prolongation de la permission de résidence de Cleaver à Cuba aussi longtemps qu'il le voulait, mais uniquement en tant que citoyen individuel, et insista pour que sa présence restât non médiatisée. Après qu'une dépêche de Reuters révéla à la fin du mois de mai 1969 que Cleaver vivait à La Havane, son séjour s'interrompit subitement.
Voyageant avec un passeport cubain et avec rien d'autre qu'un visa de transit pour l'Algérie, Cleaver est escorté à Alger par un diplomate cubain au début du mois de juin. Pendant la semaine de son arrivée, très méfiant vis-à-vis de son escorte cubaine, Cleaver déclencha secrètement des discussions pour rester en Algérie, où aucun embargo n'empêchait les communications avec les États-Unis. Finalement, il s'en alla chercher un soutien algérien pour établir une base arrière de l'action politique et militaire des Panthères Noires contre les États-Unis, le plan qu'il espérait réaliser à Cuba.
Le statut de fugitif de Cleaver n'était pas un handicap pour lui en Algérie. La plupart des officiels gouvernementaux avaient été qualifiés de criminels par les autorités françaises durant la guerre qui avait fait rage de 1954 à 1962. Ces hommes étaient conscients, concrètement, de la relation entre un mouvement révolutionnaire et le gouvernement établi, mais contesté, qui juge toutes les activités de soutien à la révolution comme criminelles.
Des fugitifs de toute l'Afrique et d'autres parties du monde vivaient en paix à Alger à mesure que la nouvelle nation devint l'hôte de représentants de presque tous les mouvements de libération d'Afrique, du mouvement de libération palestinien, et de plusieurs groupes révolutionnaires extérieurs à l'Afrique, incluant des exilés politiques du Brésil et du Canada. La politique étrangère de l'Algérie soutenait toutes les luttes contre la domination coloniale, sinon matériellement, du moins dans le discours.
Cependant, l'absence de liens diplomatiques officiels entre l'Algérie et les États-Unis sécurisait la présence de Cleaver à Alger. L'Algérie avait interrompu ses relations diplomatiques avec les États-Unis pendant la guerre Égypte-Israël de 1967, dans laquelle des troupes algériennes avaient combattu aux côtés de l'Égypte. Le président égyptien Nasser était le leader arabe le plus respecté et admiré en Algérie. Son leadership a inspiré et soutenu la montée de leur mouvement nationaliste révolutionnaire.
Boumediene avait passé des années en Egypte pendant la guerre de libération algérienne. En premier défenseur du nationalisme arabe radical, l'Algérie était prise dans un conflit perpétuel avec ces États arabes conservateurs intimement liés aux États-Unis, particulièrement le Maroc, avec qui elle avait été en guerre. Mais le soutien américain à Israël a précipité cette rupture formelle. Cleaver n'allait faire face à aucune menace d'arrestation et d'extradition vers les États-Unis, puisque l'ambassade américaine avait perdu son autorité officielle.
Mais le fait d'arriver à Alger sous l'égide de Cuba n'était pas propice à un bon accueil, parce que Cuba et l'Algérie n'étaient plus en bons termes. Cuba avait soutenu le FLN (Front de Libération Nationale) depuis 1960 et s'était allié avec le gouvernement radical de Ben Bella. Mais quand le Vice-président et Ministre de la Défense Boumediene dirigea un coup d'état militaire contre Ben Bella en juin 1965, les leaders cubains dénoncèrent vigoureusement son action.
Boumediene avait mis en application son coup à l'aube de la seconde Conférence Afro-Asiatique, un rassemblement majeur des nations non-alignées et socialistes prévu à Alger, espérant ainsi mettre un frein au considérable prestige international de Ben Bella. C'était bien plus important que la force politique interne qu'il commandait, mais qui s'érodait depuis l'indépendance. Les leaders socialistes cubains refusèrent de soutenir Boumediene, consternés parce qu'il avait renversé un des régimes africains les plus progressistes. Le strict et fade colonel qui remplaça Ben Bella était quasiment inconnu en dehors d'Algérie. Même son véritable nom était inconnu, Houari Boumediene étant son pseudonyme pendant la guerre.
Une partie de la stratégie de Boumediene visait à faire valoir le leadership algérien à un niveau international, et une étape de son programme pour porter l'Algérie dans le leadership de l'Afrique, du monde arabe, et des nations non-alignées, était d'accueillir le premier Festival Culturel Panafricain.
A la fin du mois de mai 1969, Emory Douglas, le Ministre de la Culture du Parti des Panthères Noires, accompagna Kathleen Cleaver de San Francisco à Alger. Ils quittèrent les États-Unis en prévoyant de prendre un vol Alger-La Havane, mais ils devaient d'abord régler des problèmes de papiers officiels à Paris.
En attendant leurs visas pendant dix jours à Paris, Emory et Kathleen firent connaissance avec Julia Wright Hervé et son mari Henri Hervé, des radicaux panafricanistes soutenant les mouvements de libération africains et américains. Julia Hervé se dévoua généreusement pour aider les Panthères. Mme Hervé, la fille de Richard Wright [célèbre écrivain noir américain ─ NdT], avait passé son enfance en France. Elle était tout à fait bilingue, vivait bien les deux cultures, et maîtrisait avec finesse les enjeux politiques en Afrique. A plusieurs occasions, elle voyagea jusqu'à Alger pour aider les Cleaver, et son assistance précieuse a été cruciale pour leurs objectifs à la fois personnels et politiques.
Eldridge Cleaver est entré clandestinement à Alger déguisé en Cubain et a été emmené directement dans un petit hôtel en bord de mer dans lequel, suite à l'insistance des officiels de l'ambassade de Cuba, Kathleen Cleaver et Emory Douglas avaient été hébergés. Quelques jours après que les Cleaver ont été réunis, le diplomate qui avait leur charge leur rendit visite à l'hôtel. Il informa Eldridge Cleaver que des négociations étaient en cours pour le cacher dans un camp d'entraînement du Fatah en Jordanie, et qu'il pourrait quitter Alger prochainement. La raison qu'il avança pour expliquer cette surprenante suite à sa fuite était que le gouvernement algérien avait découvert que Cleaver était dans leur pays et qu'il en était mécontent.
Le refuge d'Eldridge Cleaver en Algérie
La conférence de presse qu'a tenu Eldridge Cleaver à Alger le 17 juillet 1969 avant l'ouverture formelle du Festival était sa première apparition publique depuis sa disparition à San Francisco huit mois auparavant.
Il était devenu un célèbre fugitif aux États-Unis, faisant face à plusieurs inculpations de tentative de meurtre suite à une fusillade entre la police d'Oakland et les Panthères en avril 1968, deux jours après l'assassinat de King. Une Panthère était morte dans la bataille, trois policiers blessés, et huit Panthères arrêtées.
Ce mois de juin, Cleaver est libéré sous caution après avoir été couvert par un article de l'habeas corpus. Son livre d'essais, Soul on Ice, étant devenu un best seller, Cleaver se lance dans la course à la présidence en tant que candidat du Parti de la Paix et de la Liberté [Peace and Freedom Party], et les confrontations du Parti des Panthères Noires avec les forces de police sont de plus en plus couvertes médiatiquement par la presse à sensation nationale.
Des mois de bataille juridique devant les tribunaux de Californie prirent fin avec la décision de son retour en prison au mois de novembre pour violation de liberté conditionnelle. Au lieu de se rendre aux autorités pénitentiaires, Cleaver voyagea clandestinement jusqu'à Cuba.
Son arrivée en Afrique du Nord lui permit de renouer de visu des relations avec plusieurs amis, soutiens, collègues, et camarades que son séjour à La Havane avait interrompues. Une série de malentendus, de désaccords, et de confrontations catégoriques avec les autorités cubaines à La Havane culmina avec le départ de Cleaver pour Alger. Plus tard, il déclara que « les Cubains ont renié certaines promesses faites avant même que je n'arrive, comme une installation permanente et bien organisée, et le droit de diffuser de l'information (…) Ils n'avaient pas l'intention de nous permettre les choses qu'ils nous avaient promises ».
Les militants radicaux de Bay Area avaient négocié l'asile de Cleaver avec les diplomates de la mission de Cuba aux Nations Unies, à New York. Mais une fois arrivé à La Havane, le gouvernement autorisa la prolongation de la permission de résidence de Cleaver à Cuba aussi longtemps qu'il le voulait, mais uniquement en tant que citoyen individuel, et insista pour que sa présence restât non médiatisée. Après qu'une dépêche de Reuters révéla à la fin du mois de mai 1969 que Cleaver vivait à La Havane, son séjour s'interrompit subitement.
Voyageant avec un passeport cubain et avec rien d'autre qu'un visa de transit pour l'Algérie, Cleaver est escorté à Alger par un diplomate cubain au début du mois de juin. Pendant la semaine de son arrivée, très méfiant vis-à-vis de son escorte cubaine, Cleaver déclencha secrètement des discussions pour rester en Algérie, où aucun embargo n'empêchait les communications avec les États-Unis. Finalement, il s'en alla chercher un soutien algérien pour établir une base arrière de l'action politique et militaire des Panthères Noires contre les États-Unis, le plan qu'il espérait réaliser à Cuba.
Le statut de fugitif de Cleaver n'était pas un handicap pour lui en Algérie. La plupart des officiels gouvernementaux avaient été qualifiés de criminels par les autorités françaises durant la guerre qui avait fait rage de 1954 à 1962. Ces hommes étaient conscients, concrètement, de la relation entre un mouvement révolutionnaire et le gouvernement établi, mais contesté, qui juge toutes les activités de soutien à la révolution comme criminelles.
Des fugitifs de toute l'Afrique et d'autres parties du monde vivaient en paix à Alger à mesure que la nouvelle nation devint l'hôte de représentants de presque tous les mouvements de libération d'Afrique, du mouvement de libération palestinien, et de plusieurs groupes révolutionnaires extérieurs à l'Afrique, incluant des exilés politiques du Brésil et du Canada. La politique étrangère de l'Algérie soutenait toutes les luttes contre la domination coloniale, sinon matériellement, du moins dans le discours.
Cependant, l'absence de liens diplomatiques officiels entre l'Algérie et les États-Unis sécurisait la présence de Cleaver à Alger. L'Algérie avait interrompu ses relations diplomatiques avec les États-Unis pendant la guerre Égypte-Israël de 1967, dans laquelle des troupes algériennes avaient combattu aux côtés de l'Égypte. Le président égyptien Nasser était le leader arabe le plus respecté et admiré en Algérie. Son leadership a inspiré et soutenu la montée de leur mouvement nationaliste révolutionnaire.
Boumediene avait passé des années en Egypte pendant la guerre de libération algérienne. En premier défenseur du nationalisme arabe radical, l'Algérie était prise dans un conflit perpétuel avec ces États arabes conservateurs intimement liés aux États-Unis, particulièrement le Maroc, avec qui elle avait été en guerre. Mais le soutien américain à Israël a précipité cette rupture formelle. Cleaver n'allait faire face à aucune menace d'arrestation et d'extradition vers les États-Unis, puisque l'ambassade américaine avait perdu son autorité officielle.
Mais le fait d'arriver à Alger sous l'égide de Cuba n'était pas propice à un bon accueil, parce que Cuba et l'Algérie n'étaient plus en bons termes. Cuba avait soutenu le FLN (Front de Libération Nationale) depuis 1960 et s'était allié avec le gouvernement radical de Ben Bella. Mais quand le Vice-président et Ministre de la Défense Boumediene dirigea un coup d'état militaire contre Ben Bella en juin 1965, les leaders cubains dénoncèrent vigoureusement son action.
Boumediene avait mis en application son coup à l'aube de la seconde Conférence Afro-Asiatique, un rassemblement majeur des nations non-alignées et socialistes prévu à Alger, espérant ainsi mettre un frein au considérable prestige international de Ben Bella. C'était bien plus important que la force politique interne qu'il commandait, mais qui s'érodait depuis l'indépendance. Les leaders socialistes cubains refusèrent de soutenir Boumediene, consternés parce qu'il avait renversé un des régimes africains les plus progressistes. Le strict et fade colonel qui remplaça Ben Bella était quasiment inconnu en dehors d'Algérie. Même son véritable nom était inconnu, Houari Boumediene étant son pseudonyme pendant la guerre.
Une partie de la stratégie de Boumediene visait à faire valoir le leadership algérien à un niveau international, et une étape de son programme pour porter l'Algérie dans le leadership de l'Afrique, du monde arabe, et des nations non-alignées, était d'accueillir le premier Festival Culturel Panafricain.
A la fin du mois de mai 1969, Emory Douglas, le Ministre de la Culture du Parti des Panthères Noires, accompagna Kathleen Cleaver de San Francisco à Alger. Ils quittèrent les États-Unis en prévoyant de prendre un vol Alger-La Havane, mais ils devaient d'abord régler des problèmes de papiers officiels à Paris.
En attendant leurs visas pendant dix jours à Paris, Emory et Kathleen firent connaissance avec Julia Wright Hervé et son mari Henri Hervé, des radicaux panafricanistes soutenant les mouvements de libération africains et américains. Julia Hervé se dévoua généreusement pour aider les Panthères. Mme Hervé, la fille de Richard Wright [célèbre écrivain noir américain ─ NdT], avait passé son enfance en France. Elle était tout à fait bilingue, vivait bien les deux cultures, et maîtrisait avec finesse les enjeux politiques en Afrique. A plusieurs occasions, elle voyagea jusqu'à Alger pour aider les Cleaver, et son assistance précieuse a été cruciale pour leurs objectifs à la fois personnels et politiques.
Eldridge Cleaver est entré clandestinement à Alger déguisé en Cubain et a été emmené directement dans un petit hôtel en bord de mer dans lequel, suite à l'insistance des officiels de l'ambassade de Cuba, Kathleen Cleaver et Emory Douglas avaient été hébergés. Quelques jours après que les Cleaver ont été réunis, le diplomate qui avait leur charge leur rendit visite à l'hôtel. Il informa Eldridge Cleaver que des négociations étaient en cours pour le cacher dans un camp d'entraînement du Fatah en Jordanie, et qu'il pourrait quitter Alger prochainement. La raison qu'il avança pour expliquer cette surprenante suite à sa fuite était que le gouvernement algérien avait découvert que Cleaver était dans leur pays et qu'il en était mécontent.
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