Unités de dessalement de l’eau de mer de Khalifa
Une arnaque à 65 millions d’euros
El Watan - Lundi 31 Mars 2008
C’est une affaire où se mêlent très gros sous, milliardaire vénal, intermédiaires voraces, banquiers corrompus et douaniers indélicats. Une affaire qui aura permis à Rafik Khalifa, l’ex-milliardaire algérien, condamné en mars 2007 par le tribunal criminel de Blida à la prison à perpétuité, ainsi qu’à quelques-uns de ses complices de détourner près de 65 millions d’euros.
Une affaire dont la justice algérienne tente encore aujourd’hui de reconstituer les fils. Résumons les faits. En 2002, Rafik Khalifa, alors au sommet de sa puissance, fait part aux autorités algériennes de son intention d’importer cinq stations de dessalement de l’eau de mer. Enthousiastes, les autorités s’engagent à lui accorder toutes les facilités pour que le projet aboutisse. Mais voilà, peu de temps après la mise en service des deux premières stations, l’opération s’avère une immense supercherie. Non seulement ces stations sont défectueuses, mais elles contiennent de l’amiante. Non seulement les procédures d’importation et de dédouanement sont entachées de grossières irrégularités, mais les factures sont excessivement gonflées et le mode de paiement se révèle délictueux. Résultats : 65 millions d’euros ont disparu des comptes de la banque Khalifa. Où est passé le magot ? Qui en a profité ? Et surtout comment Rafik Khalifa a-t-il réussi à berner présidence, gouvernement, banquiers et douaniers ? Voici l’histoire de cette incroyable arnaque. Confrontées à une grave pénurie d’eau, les autorités algériennes décident de lancer, dès le début de l’année 2002, un vaste programme de construction de 21 stations de dessalement d’eau de mer. Rafik Khalifa, dont le groupe pèse 1 milliard de dollars et emploie quelque 10 000 personnes, y voit une aubaine.
Après El Khalifa Bank et Khalifa Airways, voilà Khalifa Construction
Déjà patron d’une banque, El Khalifa Bank, et d’une compagnie aérienne, Khalifa Airways, cet ancien pharmacien, fils d’un ancien ministre, annonce son intention d’investir dans le marché de l’eau, à travers sa nouvelle filiale, Khalifa Construction. Il informe alors les plus hautes autorités du pays de son désir d’importer cinq stations de dessalement d’eau de mer pour régler, assure-t-il, une fois pour toutes cette satanée pénurie. Riche, très riche même, Khalifa ajoute qu’il n’a aucune intention de jouir des profits que cet investissement aura à générer. Son seul souhait est de faire don de ces cinq stations à l’Etat algérien. Mieux encore, tous les frais, achat, importation, dédouanement et exploitation, seront à la charge du groupe Khalifa. Diable, peut-on refuser un tel geste de la part de ce jeune businessman dont la générosité et la philanthropie se montrent sans limite ? Peut-on s’opposer aux projets de cet homme qui pèse déjà des milliards ? Bien sûr que non... N’a-t-il pas aidé les sinistrés des inondations de Bab El Oued en novembre 2001 ? N’est-il pas le principal sponsor des clubs sportifs en Algérie ? N’a-t-il pas embauché enfants de la nomenklatura, fils et filles de ministres et pris comme avocat le propre frère du Président ? N’a-t-il pas, enfin, financé, à coups de millions de dollars, des opérations de lobbying au profit de l’Etat algérien ? Bien sûr qu’on ne refuse rien à Rafik Khalifa, surtout pas lorsqu’il décide de mettre à la disposition du gouvernement algérien des stations de dessalement.
Lorsque Moumen Khalifa met au courant la Présidence de son projet, celle-ci donne aussitôt son accord. Le gouvernement, à l’époque dirigé par Ali Benflis, en fait de même.L’opération démarre le lundi 4 mars 2002, lorsque Khalifa dépose un dossier de domiciliation bancaire au niveau de l’agence principale d’El Khalifa Bank à Chéraga, sur les hauteurs d’Alger. Huit jours plus tard, soit le lundi 11 mars, un responsable de Khalifa Construction prend contact avec le ministère des Ressources hydrauliques pour l’informer officiellement du projet. « Khalifa va bientôt importer les cinq unités. L’affaire se présente bien », affirme-t-il en substance. Dubitatifs, les responsables dudit ministère réclament les pièces administratives avant de valider le projet. Les deux parties se donnent rendez-vous pour le samedi 30 mars 2002 au siège du ministère de l’Energie pour finaliser le dossier. Ce jour-là, autour de la table, il y avait des secrétaires généraux du département de l’énergie et des mines, celui de l’hydraulique, deux représentants d’El Khalifa Bank et un certain Stephen J. Woods, venu spécialement de Djeddah, en Arabie Saoudite. M. Woods n’est pas n’importe qui.
Sur sa carte de visite, rédigée en anglais, il se présente comme le « conseiller personnel de Son Excellence le prince Saoud Ben Saad Ben Mohamed Ben Abdelaziz Al Saoud ». Qui est ce prince ? Saoud Ben Saad est le patron de Huta-Sete, une compagnie saoudienne spécialisée dans la vente d’installations portuaires. C’est auprès de cette compagnie que Khalifa compte acquérir les cinq stations de dessalement.En présence des représentants du gouvernement algérien, le staff de Khalifa affiche confiance et assurance. « Le dossier est ficelé, affirme l’un d’eux. Les techniciens étrangers, chargés de mettre en place les appareils, débarqueront à Alger dans la deuxième semaine du mois de juin. Quant aux stations, elles arriveront au port d’Alger quinze jours plus tard. » Il reste, tout de même, un sérieux problème : il faut trouver l’assiette de terrain sur laquelle ces fameuses usines de dessalement devront être installées. De ce côté-ci, les responsables de Khalifa se montrent persuasifs : le patron, Rafik Khalifa, disent-ils, souhaite impérativement implanter ses nouvelles stations dans la zone du Hamma. Pourquoi précisément ce lieu plutôt qu’un autre ? Situé à l’entrée d’Alger, à quelques encablures de l’aéroport international, le quartier du Hamma longe l’autoroute Est-Ouest ainsi que le front de mer de la grande baie d’Alger. Pour l’image de marque du groupe Khalifa, il constituera donc un emplacement idéal. Face à de tels arguments, les cadres des deux ministères se montrent tout de même sceptiques. C’est que la zone du Hamma est trop polluée pour accueillir de nouvelles installations, arguent-ils. Difficile d’accorder une dérogation pour un investisseur, même s’il se nomme Rafik Khalifa. Aussi, les deux délégués des deux ministères refusent de valider le projet.
Une arnaque à 65 millions d’euros
El Watan - Lundi 31 Mars 2008
C’est une affaire où se mêlent très gros sous, milliardaire vénal, intermédiaires voraces, banquiers corrompus et douaniers indélicats. Une affaire qui aura permis à Rafik Khalifa, l’ex-milliardaire algérien, condamné en mars 2007 par le tribunal criminel de Blida à la prison à perpétuité, ainsi qu’à quelques-uns de ses complices de détourner près de 65 millions d’euros.
Une affaire dont la justice algérienne tente encore aujourd’hui de reconstituer les fils. Résumons les faits. En 2002, Rafik Khalifa, alors au sommet de sa puissance, fait part aux autorités algériennes de son intention d’importer cinq stations de dessalement de l’eau de mer. Enthousiastes, les autorités s’engagent à lui accorder toutes les facilités pour que le projet aboutisse. Mais voilà, peu de temps après la mise en service des deux premières stations, l’opération s’avère une immense supercherie. Non seulement ces stations sont défectueuses, mais elles contiennent de l’amiante. Non seulement les procédures d’importation et de dédouanement sont entachées de grossières irrégularités, mais les factures sont excessivement gonflées et le mode de paiement se révèle délictueux. Résultats : 65 millions d’euros ont disparu des comptes de la banque Khalifa. Où est passé le magot ? Qui en a profité ? Et surtout comment Rafik Khalifa a-t-il réussi à berner présidence, gouvernement, banquiers et douaniers ? Voici l’histoire de cette incroyable arnaque. Confrontées à une grave pénurie d’eau, les autorités algériennes décident de lancer, dès le début de l’année 2002, un vaste programme de construction de 21 stations de dessalement d’eau de mer. Rafik Khalifa, dont le groupe pèse 1 milliard de dollars et emploie quelque 10 000 personnes, y voit une aubaine.
Après El Khalifa Bank et Khalifa Airways, voilà Khalifa Construction
Déjà patron d’une banque, El Khalifa Bank, et d’une compagnie aérienne, Khalifa Airways, cet ancien pharmacien, fils d’un ancien ministre, annonce son intention d’investir dans le marché de l’eau, à travers sa nouvelle filiale, Khalifa Construction. Il informe alors les plus hautes autorités du pays de son désir d’importer cinq stations de dessalement d’eau de mer pour régler, assure-t-il, une fois pour toutes cette satanée pénurie. Riche, très riche même, Khalifa ajoute qu’il n’a aucune intention de jouir des profits que cet investissement aura à générer. Son seul souhait est de faire don de ces cinq stations à l’Etat algérien. Mieux encore, tous les frais, achat, importation, dédouanement et exploitation, seront à la charge du groupe Khalifa. Diable, peut-on refuser un tel geste de la part de ce jeune businessman dont la générosité et la philanthropie se montrent sans limite ? Peut-on s’opposer aux projets de cet homme qui pèse déjà des milliards ? Bien sûr que non... N’a-t-il pas aidé les sinistrés des inondations de Bab El Oued en novembre 2001 ? N’est-il pas le principal sponsor des clubs sportifs en Algérie ? N’a-t-il pas embauché enfants de la nomenklatura, fils et filles de ministres et pris comme avocat le propre frère du Président ? N’a-t-il pas, enfin, financé, à coups de millions de dollars, des opérations de lobbying au profit de l’Etat algérien ? Bien sûr qu’on ne refuse rien à Rafik Khalifa, surtout pas lorsqu’il décide de mettre à la disposition du gouvernement algérien des stations de dessalement.
Lorsque Moumen Khalifa met au courant la Présidence de son projet, celle-ci donne aussitôt son accord. Le gouvernement, à l’époque dirigé par Ali Benflis, en fait de même.L’opération démarre le lundi 4 mars 2002, lorsque Khalifa dépose un dossier de domiciliation bancaire au niveau de l’agence principale d’El Khalifa Bank à Chéraga, sur les hauteurs d’Alger. Huit jours plus tard, soit le lundi 11 mars, un responsable de Khalifa Construction prend contact avec le ministère des Ressources hydrauliques pour l’informer officiellement du projet. « Khalifa va bientôt importer les cinq unités. L’affaire se présente bien », affirme-t-il en substance. Dubitatifs, les responsables dudit ministère réclament les pièces administratives avant de valider le projet. Les deux parties se donnent rendez-vous pour le samedi 30 mars 2002 au siège du ministère de l’Energie pour finaliser le dossier. Ce jour-là, autour de la table, il y avait des secrétaires généraux du département de l’énergie et des mines, celui de l’hydraulique, deux représentants d’El Khalifa Bank et un certain Stephen J. Woods, venu spécialement de Djeddah, en Arabie Saoudite. M. Woods n’est pas n’importe qui.
Sur sa carte de visite, rédigée en anglais, il se présente comme le « conseiller personnel de Son Excellence le prince Saoud Ben Saad Ben Mohamed Ben Abdelaziz Al Saoud ». Qui est ce prince ? Saoud Ben Saad est le patron de Huta-Sete, une compagnie saoudienne spécialisée dans la vente d’installations portuaires. C’est auprès de cette compagnie que Khalifa compte acquérir les cinq stations de dessalement.En présence des représentants du gouvernement algérien, le staff de Khalifa affiche confiance et assurance. « Le dossier est ficelé, affirme l’un d’eux. Les techniciens étrangers, chargés de mettre en place les appareils, débarqueront à Alger dans la deuxième semaine du mois de juin. Quant aux stations, elles arriveront au port d’Alger quinze jours plus tard. » Il reste, tout de même, un sérieux problème : il faut trouver l’assiette de terrain sur laquelle ces fameuses usines de dessalement devront être installées. De ce côté-ci, les responsables de Khalifa se montrent persuasifs : le patron, Rafik Khalifa, disent-ils, souhaite impérativement implanter ses nouvelles stations dans la zone du Hamma. Pourquoi précisément ce lieu plutôt qu’un autre ? Situé à l’entrée d’Alger, à quelques encablures de l’aéroport international, le quartier du Hamma longe l’autoroute Est-Ouest ainsi que le front de mer de la grande baie d’Alger. Pour l’image de marque du groupe Khalifa, il constituera donc un emplacement idéal. Face à de tels arguments, les cadres des deux ministères se montrent tout de même sceptiques. C’est que la zone du Hamma est trop polluée pour accueillir de nouvelles installations, arguent-ils. Difficile d’accorder une dérogation pour un investisseur, même s’il se nomme Rafik Khalifa. Aussi, les deux délégués des deux ministères refusent de valider le projet.
Commentaire