Avec cette petite merveille dans votre cuisine, vous aurez bien plus qu’une simple friteuse.» Non, ce n’est pas Pierre Bellemare dans son numéro de téléachat qui parle, mais Philippe Crevoisier, le directeur général de la division cuisson électrique du groupe Seb (SK). Impeccable dans son complet cravate, il fait l’article pour l’Actifry, un faitout à 200 euros capable de préparer, tout seul comme un grand, pendant que madame est au salon, des gambas à la noix de coco, du risotto de lentilles ou des piccatas de veau. Mais aussi – et, n’ayons pas peur des mots, il s’agit d’une première mondiale – 1 kilo de frites croustillantes avec une seule cuillerée d’huile. «Superbe machine, non ? s’amuse Crevoisier, en pleine démo. Si ça se trouve, elle sait même faire les nems.»
Message reçu.
Chez Seb, on ne se laissera pas manger tout cru par la concurrence chinoise. Face à l’attaque des bouilloires, fers à repasser et autres sèche-cheveux à moins de 15 euros, le leader mondial du petit électroménager (13 800 salariés) a décidé de montrer ses muscles. Rien qu’en 2007, il a lancé 210 produits. Une moyenne de quatre nouveautés par semaine, donc. Efficace : en cinq ans, les ventes ont progressé de 25%, pour atteindre 2,87 milliards d’euros l’an passé. Le bénéfice net, lui, a bondi de 64,2% en 2007, à 143 millions d’euros.
Seb a racheté tous ses concurrents, Tefal, Calor, Moulinex…
Le groupe français ne fait pas que défendre son territoire : il sait aussi attaquer. Fin décembre, il a mis 327 millions d’euros sur la table pour s’emparer du fabricant chinois Supor, numéro 1 local des articles culinaires. «Un joli coup, se réjouit Thierry de La Tour d’Artaise, P-DG depuis 2000. Dans cinq ans, la Chine sera notre premier marché. » Le créateur, en 1857, de la Société d’emboutissage de Bourgogne (Seb), Antoine Lescure, ferblantier de son état, n’avait sans doute jamais rêvé de cette longue marche. Durant des décennies, son affaire de seaux, arrosoirs et ustensiles de cuisine a vivoté. Puis, en 1953, elle est entrée dans la légende et dans toutes les cuisines de France, lorsque le petit-fils du fondateur a mis au point une marmite à pression, la Cocotte-Minute, qui, comme son nom l’indique, permettait de cuire les aliments en un temps record. A partir de ce succès phénoménal, Seb s’est transformé en prédateur, croquant la plupart des concurrents qui se trouvaient sur son chemin : les poêles anti adhésives Tefal (1968), les sèche-cheveux et les radiateurs Calor (1972), les fers à repasser et les aspirateurs de l’allemand Rowenta (1988).
Changement d’échelle fin 2001, quand l’entreprise a déboursé 320 millions d’euros pour reprendre Moulinex, son rival de toujours, et Krups, la filiale haut de gamme de ce dernier. Une acquisition qui l’a installée au premier rang sur une ribambelle d’activités : les fers à repasser, les articles culinaires, les cuiseurs vapeur, ou encore les minifours. Les adversaires ? Aucun véritablement à sa mesure puisque les deux autres mastodontes, le néerlandais Philips et l’allemand Bosch, bien que très actifs sur la cafetière ou le mixeur, ont préféré se concentrer sur le gros électroménager. La suite aurait pu tourner au cas d’école sur le management tranquille d’un groupe en position de leader. Loupé : la pression est venue des fabricants chinois. Innombrables. Qui, à partir des années 2000, se sont mis à fournir les grands de la distribution en bric-à-brac à prix cassé. Ainsi, les articles de Proline, la marque distributeur de Darty, arrivent directement des usines cantonaises. Friteuses à 25 euros ou fers à vapeur à 9,95 euros sont moins chers que les articles d’entrée de gamme de Seb. «On ne pouvait pas se lancer dans une guerre des prix, explique un dirigeant. Il y aurait toujours eu un Chinois pour nous battre. Il a fallu trouver d’autres stratégies de résistance.»
L’une d’entre elles consiste à occuper le terrain. Au sens strict, en laissant un minimum de place sur les linéaires à la concurrence. Pour cela, Seb multiplie le nombre de références et de marques. Exemple : avec ses trois familles de fers à repasser (Calor, Rowenta et Moulinex), il réussit à caser environ 25 modèles dans les magasins. Et à squatter 80% de ce rayon. Du coup, les commerciaux du groupe sont en meilleure position de négociation face aux acheteurs des enseignes de distribution. Avec leurs multiples catalogues sous le bras, ils peuvent dire : «Si vous me prenez mes gaufriers Seb, je vous fais une remise sur les rasoirs électriques Calor.» Quant au consommateur, il a ainsi le choix entre une marque du groupe et… une autre marque du groupe.
S’inspirer de l’iPhone pour imaginer une friteuse innovante
Voyez les robots mixeurs. A l’exception du premier prix abandonné aux Asiatiques, le Français est présent sur tous les segments, de l’entrée de gamme, avec un banal modèle Moulinex à 29 euros, à la Rolls du genre, le Krups à 295 euros. Le slogan de cette dernière marque est d’ailleurs : «Au-delà du raisonnable.»
Pour contrer les Chinois, Seb compte aussi, et surtout, sur l’innovation. Elle seule permet de se démarquer des importations bon marché. Vital pour un groupe qui continue de fabriquer sept produits sur dix dans ses propres usines (le reste est sous-traité en Asie). Depuis 2001, le budget consacré à la recherche a donc quasiment doublé, pour atteindre 46 millions d’euros l’an passé. Objectif : créer du désir chez le client. Traduction : le convaincre d’acheter un nouveau grille-pain alors que le sien fonctionne encore parfaitement. Comment ? En lui démontrant, par exemple, que ses petits matins seraient bien plus agréables s’il achetait Simply Invents, «le premier toaster avec une pince en plastique intégrée», pour récupérer son toast sans se brûler les doigts ni s’électrocuter. «Nous devons absolument surprendre, sinon c’est fichu», résume Thierry de La Tour d’Artaise.
Surprendre, c’est la mission des 470 personnes qui planchent dans les laboratoires du groupe. Des spécialistes de la domotique, des experts en physique quantique, et même un thésard en mécanique des fluides. Réparties en petites équipes sur les sites de production, ces grosses têtes phosphorent sur les mixeurs ou la tondeuse Bikini avec «lame céramique et système vision.» Peu de recherche fondamentale ici. On ne demande pas aux blouses blanches de faire avancer la science, on attend d’elles des solutions pratiques qui améliorent les produits. Sans imposer de limites à leurs intuitions : «Je souhaite que mes équipes regardent dans tous les secteurs, raconte Jacques Alexandre, directeur de la stratégie. Pour réfléchir sur une nouvelle friteuse, je commence par observer un iPhone.»
Dans les rayons, cela donne une flopée de nouveautés dont, avec un peu de chance, quatre ou cinq chaque année sortiront du lot. Prenez le marché des aspirateurs : alors que Dyson et Electrolux se bagarraient sur les appareils sans sac, Rowenta a créé la surprise en proposant le premier modèle silencieux en mars 2007 : 2 200 watts sous le capot, mais les décibels d’un chat qui ronronne. Au bout de six mois, le Silence Force, 229 euros, s’était déjà écoulé à 100 000 exemplaires en France. Dans les best-sellers, on trouve aussi la bouilloire Quick and Hot (260 000 unités vendues depuis le lancement en octobre 2006) : alors qu’une machine classique réchauffe l’eau en une minute trente, celle-ci ne met que trois secondes. Cela n’a l’air de rien mais, pour nos voisins britanniques, grands buveurs de thé, à la fin de la journée c’est au moins un quart d’heure de gagné. Du coup, chez eux, cette bouilloire turbo est au top des ventes d’un rayon pourtant bien fourni.
Message reçu.
Chez Seb, on ne se laissera pas manger tout cru par la concurrence chinoise. Face à l’attaque des bouilloires, fers à repasser et autres sèche-cheveux à moins de 15 euros, le leader mondial du petit électroménager (13 800 salariés) a décidé de montrer ses muscles. Rien qu’en 2007, il a lancé 210 produits. Une moyenne de quatre nouveautés par semaine, donc. Efficace : en cinq ans, les ventes ont progressé de 25%, pour atteindre 2,87 milliards d’euros l’an passé. Le bénéfice net, lui, a bondi de 64,2% en 2007, à 143 millions d’euros.
Seb a racheté tous ses concurrents, Tefal, Calor, Moulinex…
Le groupe français ne fait pas que défendre son territoire : il sait aussi attaquer. Fin décembre, il a mis 327 millions d’euros sur la table pour s’emparer du fabricant chinois Supor, numéro 1 local des articles culinaires. «Un joli coup, se réjouit Thierry de La Tour d’Artaise, P-DG depuis 2000. Dans cinq ans, la Chine sera notre premier marché. » Le créateur, en 1857, de la Société d’emboutissage de Bourgogne (Seb), Antoine Lescure, ferblantier de son état, n’avait sans doute jamais rêvé de cette longue marche. Durant des décennies, son affaire de seaux, arrosoirs et ustensiles de cuisine a vivoté. Puis, en 1953, elle est entrée dans la légende et dans toutes les cuisines de France, lorsque le petit-fils du fondateur a mis au point une marmite à pression, la Cocotte-Minute, qui, comme son nom l’indique, permettait de cuire les aliments en un temps record. A partir de ce succès phénoménal, Seb s’est transformé en prédateur, croquant la plupart des concurrents qui se trouvaient sur son chemin : les poêles anti adhésives Tefal (1968), les sèche-cheveux et les radiateurs Calor (1972), les fers à repasser et les aspirateurs de l’allemand Rowenta (1988).
Changement d’échelle fin 2001, quand l’entreprise a déboursé 320 millions d’euros pour reprendre Moulinex, son rival de toujours, et Krups, la filiale haut de gamme de ce dernier. Une acquisition qui l’a installée au premier rang sur une ribambelle d’activités : les fers à repasser, les articles culinaires, les cuiseurs vapeur, ou encore les minifours. Les adversaires ? Aucun véritablement à sa mesure puisque les deux autres mastodontes, le néerlandais Philips et l’allemand Bosch, bien que très actifs sur la cafetière ou le mixeur, ont préféré se concentrer sur le gros électroménager. La suite aurait pu tourner au cas d’école sur le management tranquille d’un groupe en position de leader. Loupé : la pression est venue des fabricants chinois. Innombrables. Qui, à partir des années 2000, se sont mis à fournir les grands de la distribution en bric-à-brac à prix cassé. Ainsi, les articles de Proline, la marque distributeur de Darty, arrivent directement des usines cantonaises. Friteuses à 25 euros ou fers à vapeur à 9,95 euros sont moins chers que les articles d’entrée de gamme de Seb. «On ne pouvait pas se lancer dans une guerre des prix, explique un dirigeant. Il y aurait toujours eu un Chinois pour nous battre. Il a fallu trouver d’autres stratégies de résistance.»
L’une d’entre elles consiste à occuper le terrain. Au sens strict, en laissant un minimum de place sur les linéaires à la concurrence. Pour cela, Seb multiplie le nombre de références et de marques. Exemple : avec ses trois familles de fers à repasser (Calor, Rowenta et Moulinex), il réussit à caser environ 25 modèles dans les magasins. Et à squatter 80% de ce rayon. Du coup, les commerciaux du groupe sont en meilleure position de négociation face aux acheteurs des enseignes de distribution. Avec leurs multiples catalogues sous le bras, ils peuvent dire : «Si vous me prenez mes gaufriers Seb, je vous fais une remise sur les rasoirs électriques Calor.» Quant au consommateur, il a ainsi le choix entre une marque du groupe et… une autre marque du groupe.
S’inspirer de l’iPhone pour imaginer une friteuse innovante
Voyez les robots mixeurs. A l’exception du premier prix abandonné aux Asiatiques, le Français est présent sur tous les segments, de l’entrée de gamme, avec un banal modèle Moulinex à 29 euros, à la Rolls du genre, le Krups à 295 euros. Le slogan de cette dernière marque est d’ailleurs : «Au-delà du raisonnable.»
Pour contrer les Chinois, Seb compte aussi, et surtout, sur l’innovation. Elle seule permet de se démarquer des importations bon marché. Vital pour un groupe qui continue de fabriquer sept produits sur dix dans ses propres usines (le reste est sous-traité en Asie). Depuis 2001, le budget consacré à la recherche a donc quasiment doublé, pour atteindre 46 millions d’euros l’an passé. Objectif : créer du désir chez le client. Traduction : le convaincre d’acheter un nouveau grille-pain alors que le sien fonctionne encore parfaitement. Comment ? En lui démontrant, par exemple, que ses petits matins seraient bien plus agréables s’il achetait Simply Invents, «le premier toaster avec une pince en plastique intégrée», pour récupérer son toast sans se brûler les doigts ni s’électrocuter. «Nous devons absolument surprendre, sinon c’est fichu», résume Thierry de La Tour d’Artaise.
Surprendre, c’est la mission des 470 personnes qui planchent dans les laboratoires du groupe. Des spécialistes de la domotique, des experts en physique quantique, et même un thésard en mécanique des fluides. Réparties en petites équipes sur les sites de production, ces grosses têtes phosphorent sur les mixeurs ou la tondeuse Bikini avec «lame céramique et système vision.» Peu de recherche fondamentale ici. On ne demande pas aux blouses blanches de faire avancer la science, on attend d’elles des solutions pratiques qui améliorent les produits. Sans imposer de limites à leurs intuitions : «Je souhaite que mes équipes regardent dans tous les secteurs, raconte Jacques Alexandre, directeur de la stratégie. Pour réfléchir sur une nouvelle friteuse, je commence par observer un iPhone.»
Dans les rayons, cela donne une flopée de nouveautés dont, avec un peu de chance, quatre ou cinq chaque année sortiront du lot. Prenez le marché des aspirateurs : alors que Dyson et Electrolux se bagarraient sur les appareils sans sac, Rowenta a créé la surprise en proposant le premier modèle silencieux en mars 2007 : 2 200 watts sous le capot, mais les décibels d’un chat qui ronronne. Au bout de six mois, le Silence Force, 229 euros, s’était déjà écoulé à 100 000 exemplaires en France. Dans les best-sellers, on trouve aussi la bouilloire Quick and Hot (260 000 unités vendues depuis le lancement en octobre 2006) : alors qu’une machine classique réchauffe l’eau en une minute trente, celle-ci ne met que trois secondes. Cela n’a l’air de rien mais, pour nos voisins britanniques, grands buveurs de thé, à la fin de la journée c’est au moins un quart d’heure de gagné. Du coup, chez eux, cette bouilloire turbo est au top des ventes d’un rayon pourtant bien fourni.
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