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Crise financière : le cycle des soixante ans

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  • Crise financière : le cycle des soixante ans

    La crise financière actuelle, provoquée par l’éclatement de la bulle de l’immobilier aux Etats-Unis, marque la fin d’une époque d’expansion du crédit basée sur le dollar comme monnaie de réserve internationale. Cette tempête financière est bien plus importante qu’aucune autre depuis la Seconde guerre mondiale.

    Pour comprendre ce qui se passe, il nous faut un nouveau paradigme, qui est contenu dans la théorie de la réflexivité que j’ai exposée dans mon livre « L’alchimie de la finance » il y a 20 ans. Cette théorie démontre que les marchés financiers ne tendent pas à l’équilibre. Une perception biaisée et de fausses idées de la part des acteurs boursiers entraînent une incertitude et une imprévisibilité non seulement des cours des marchés, mais également des fondamentaux que ces cours sont censés représenter. Sans intervention, les marchés ont tendance à osciller entre des extrêmes d’euphorie et de désespoir.

    Mais justement du fait de leur instabilité intrinsèque, les marchés financiers sont contrôlés, par des autorités chargées de placer des limites à ces extrêmes. Mais ces autorités sont elles-mêmes humaines et donc également sujettes à des perceptions biaisées et à des idées fausses. Et l’interaction entre les marchés financiers et les autorités de régulation financière est elle aussi réflexive.

    Les cycles d’expansion et de récession s’articulent en général autour du crédit, et comprennent toujours un biais ou une idée fausse — le plus souvent incarné par l’incapacité à percevoir une connexion réflexive et circulaire entre le crédit et la valeur du nantissement. La récente expansion du marché immobilier américain en est un exemple type.

    Mais la super expansion des soixante dernières années est un cas plus compliqué. Chaque fois que l’expansion du crédit a été menacée, les autorités financières sont intervenues, en injectant des liquidités et en stimulant l’économie par divers moyens. Leurs interventions ont créé un système d’incitations asymétriques - aussi connu sous le terme d’aléa moral - qui a encouragé une expansion toujours plus grande du crédit. Ce système a connu un tel succès que les gens en sont venus à croire à ce que l’ancien président américain Ronald Reagan appelait « la magie du marché » et ce que personnellement j’appelle l’intégrisme du marché.

    Les intégristes pensent que les marchés boursiers tendent à l’équilibre et que le bien commun n’est jamais mieux servi qu’en laissant chacun veiller à son propre intérêt. Ceci est à l’évidence une idée fausse, parce que c’est bien l’intervention des autorités qui a empêché l’effondrement des marchés et non les marchés eux-mêmes. L’intégrisme du marché s’est néanmoins imposé comme l’idéologie dominante dans les années 1980, lorsque les places financières ont commencé à se mondialiser et que les Etats-Unis ont commencé à accuser un déficit de leur compte courant. Depuis 1980, les réglementations ont été progressivement assouplies au point d’avoir pratiquement disparu.

    La mondialisation a permis aux Etats-Unis d’aspirer l’épargne du reste du monde et de consommer plus qu’ils ne produisent, avec un déficit du compte courant atteignant 6,2 pour cent du PIB en 2006. Les marchés boursiers ont encouragé les consommateurs à emprunter en leur présentant des instruments toujours plus sophistiquées et des clauses toujours plus avantageuses. Les autorités se sont faites les complices de ce processus en intervenant chaque fois que le système financier global était menacé.

    La super expansion a échappé à tout contrôle lorsque les nouveaux produits sont devenus tellement compliqués que les autorités n’étaient plus en mesure de calculer les risques encourus et qu’elles ont commencé à s’en remettre aux méthodes de gestion du risque des banques elles-mêmes. Parallèlement, les agences de notation se sont aussi fiées aux informations fournies par les concepteurs des produits financiers. Il s’agit là d’une choquante abdication de responsabilité.

    Tout ce qui pouvait mal aller est mal allé. Ce qui a débuté avec la crise des « subprimes » s’est étendu à tous les titres adossés à des créances obligataires, a mis en péril les assurances municipales et de prêt hypothécaire et les compagnies de réassurance, et a menacé de faire effondrer tout le marché des CDS, évalué à plusieurs milliers de milliards de dollars. Les engagements des banques d’investissement dans les acquisitions par emprunt se sont transformés en passif. Les fonds spéculatifs neutres au marché se sont révélés n’être pas neutres du tout et ont dû être liquidés. Le marché des effets de commerce adossés aux actifs s’est trouvé paralysé et les instruments spéciaux d’investissement établis par les banques pour faire disparaître les prêts hypothécaires de leurs bilans ne trouvent plus de financement extérieur.

    Le coup final a été porté lorsque les prêts interbancaires, au c_ur du système financier, se sont interrompus parce que les banques ont dû revoir la gestion de leurs ressources et ont dû renoncer à faire confiance à leurs homologues. Les banques centrales ont été amenées à injecter des quantités sans précédent de liquidités et à faire crédit à un nombre sans précédent d’institutions sur tout un éventail d’actions et d’obligations. Toutes ces interactions ont fait de cette crise la plus grave depuis la Seconde guerre mondiale.

    Cette période d’expansion du crédit doit à présent être suivie d’une période de contraction, parce que certains des nouveaux instruments et pratiques de crédit sont douteux et intenables. De plus, la capacité des autorités financières américaines à stimuler l’économie est entravée par la réticence des autres pays à accumuler encore plus de dollars comme monnaie de réserve.

    Jusqu’à récemment, les investisseurs espéraient que la Réserve fédérale américaine (la Fed) ferait ce qu’il fallait pour éviter une récession, parce que c’est ce qu’elle a toujours fait. Aujourd’hui, ils doivent admettre que la Fed n’est peut-être plus en mesure d’agir. Avec des prix stables du pétrole, des produits alimentaires et des autres matières premières, et une devise chinoise qui s’apprécie un peu plus vite, la Fed doit maintenant se préoccuper de l’inflation. Si les taux d’intérêt sont abaissés au-delà d’un certain point, le dollar subira à nouveau des pressions et les obligations à long terme auront en fait un meilleur rendement. Il est impossible de définir ce point, mais une fois atteint, la Fed n’aura plus aucun moyen à sa disposition pour stimuler l’économie.

    Bien qu’une récession du monde industrialisé soit aujourd’hui plus ou moins inévitable, la Chine, l’Inde et certains pays producteurs de pétrole font l’expérience d’une très forte tendance contraire. Il est donc probable que la crise financière actuelle provoque, au lieu d’une récession globale, un réajustement radical de l’économie mondiale, avec un déclin relatif des Etats-Unis et l’émergence de la Chine et d’autres pays en développement. Le risque persiste toutefois que les tensions politiques engendrées par la crise, dont le protectionnisme américain, bouleverse l’économie globale et plonge le monde dans une récession - ou pire.

    Par George Soros- Le Quotidien d'Oran
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