Imaginez, si vous le souhaitez, un monde sans l'Islam – une situation, il faut l'admettre, inconcevable, vu la place centrale qu'il occupe dans nos titres de nouvelles quotidiennes. L'Islam semble être derrière un large éventail de désordres internationaux: attentats suicides, voitures piégées, occupations militaires, luttes de résistance, émeutes, fatwas, jihad, opérations de guérilla, vidéos de menace et le 11-Septembre lui-même. «L'Islam» semble offrir une explication simple et instantanée, nous permettant de bien comprendre le monde convulsif d'aujourd'hui. En effet, pour quelques néoconservateurs «l'Islamofascisme» est maintenant notre ennemi juré dans une imminente «troisième guerre mondiale».
par Graham E. Fuller*
Mais permettez-moi de réfléchir un peu. Et s’il n’y avait pas une telle chose comme l’Islam? Et s’il n’y avait jamais eu de Prophète Mohammed, ni de saga de propagation de l’Islam à travers des grandes parties du Moyen-Orient, de l’Asie et de l’Afrique?
Etant donné notre actuelle focalisation sur le terrorisme, la guerre et l’antiaméricanisme rampant – l’un des sujets internationaux le plus émotionnel aujourd’hui –, il est vital de comprendre les vraies sources de ces crises. Est-ce l’Islam la source du problème, ou est-ce que cette source ne se trouve plutôt du côté de facteurs moins clairs et plus profonds?
Pour l’intérêt de l’argumentation, dans un effort d’imagination historique, faites-vous une image d’un Moyen-Orient dans lequel l’Islam n’est jamais apparu. Serions-nous alors épargnés de beaucoup des défis qui se trouvent aujourd’hui devant nous? Le Moyen-Orient serait-il plus pacifique? De combien le type des relations Est-Ouest serait-il différent? Sans l’Islam, il est sûr que l’ordre international présenterait une image très différente de celle d’aujourd’hui. Ou le ferait-il?
Si ce n’est pas l’Islam, qu’est-ce donc?
Depuis les premiers jours d’un large Moyen-Orient, l’Islam a visiblement façonné les normes culturelles voire même les préférences politiques de ses disciples. Comment pouvons-nous alors séparer l’Islam du Moyen-Orient? Comme il s’avère, ce n’est pas très difficile à imaginer.
Commençons par l’aspect ethnique. Sans l’Islam, le visage de la région va rester complexe et confus. Les groupes dominants au Moyen-Orient – Arabes, Perses, Turcs, Kurdes, Juifs, voire Berbères et Pachtounes – continueront à dominer la scène politique. Prenez les Perses à titre d’exemple: Longtemps avant l’Islam, les empires persans successifs se sont étendus jusqu’aux portes d’Athènes et étaient les rivaux perpétuels de quiconque habita l’Anatolie. Des peuples sémites contestant cette hégémonie ont combattu les Perses à travers le croissant fertile jusqu’en Irak. Et puis il y a les forces puissantes des diverses tribus et des commerçants arabes s’étendant et migrant dans d’autres régions sémites du Moyen-Orient avant l’Islam. Les Mon*goles auraient tout de même envahi et détruit les civilisations de l’Asie centrale et beaucoup du Moyen-Orient dans le XIIIe siècle. Les Turcs aurait aussi conquis l’Anatolie, les Balkans jusqu’à Vienne et une grande partie du Moyen-Orient. Ces luttes – pour le pouvoir, le territoire, l’influence et le commerce – existaient bien avant l’arrivée de l’Islam.
Cependant, c’est trop arbitraire d’exclure complètement la religion de l’équation. Si en réalité l’Islam n’a jamais émergé, la majeure partie du Moyen-Orient serait restée essentiellement chrétienne avec ses diverses sectes comme cela a été le cas à l’aube de l’Islam. En dehors de quelques Zoroastriens et un petit nombre de Juifs, pas d’autres groupes religieux d’une certaine importance n’y étaient présents.
Le monde européen à la recherche de bases économique et géopolitique
Mais est-ce que l’harmonie avec l’Ouest aurait-elle régné si le Moyen-Orient était resté chrétien? Cette idée semble être tirée par les cheveux. Nous devrions assumer que le monde européen médiéval agité et expansif n’avait pas étendu son pouvoir et son hégémonie à ses voisins de l’Est, à la recherche de bases économique et géopolitique. Après tout, qu’est-ce que ce seraient les Croisades si ce n’étaient pas une aventure occidentale menée essentiellement par des besoins politique, social et économique? La bannière du christianisme servait de symbole fort, de cri mobilisateur pour justifier les besoins profanes des Européens puissants. En effet, la religion particulière des autochtones ne figurait jamais en tête des causes de l’expansion impériale de l’Occident à travers la planète. L’Europe a prôné porter «les valeurs chrétiennes aux autochtones», mais l’objectif évident était d’établir des avant-postes coloniaux comme sources de richesse pour le pays colonisateur et des bases pour l’expansion du pouvoir occidental.
Ainsi il est improbable que les habitants chrétiens du Moyen-Orient aient bien reçu le flux des flottes européennes et leurs marchands protégés par les fusils occidentaux. L’impérialisme aurait prospéré dans le mosaïque ethnique complexe de la région – la matière brute du vieux jeu de diviser pour mieux régner. Et les Européens auraient toujours installé les mêmes dirigeants locaux serviles pour satisfaire leurs besoins.
Les Chrétiens non plus n’auraient bien accueilli les armées impériales
Avançons l’heure à l’époque du pétrole au Moyen-Orient. Les Etats du Moyen-Orient, même si chrétiens, auraient-ils bien accepté l’établissement des protectorats européens sur leur région? Certainement pas! L’Occident aurait toujours construit et contrôlé les mêmes points d’étranglement comme le canal du Suez. Ce n’était pas l’Islam qui a fait que les Etats du Moyen-Orient résistent vigoureusement aux projets coloniaux avec le nouveau traçage des frontières selon les préférences géopolitiques européennes. Non plus, ces Etats chrétiens du Moyen-Orient n’auraient-ils bien accueilli les compagnies pétrolières occidentales impériales, soutenues par des administrateurs européens, des diplomates, des agents de renseignements et des armées, pas plus que ce qu’ont fait les Musulmans. Regardez la longue histoire des réactions des Américains latins à la domination des Américains étatsuniens sur leurs pétrole, économie et politique. Le Moyen-Orient serait toujours aussi motivé pour créer des mouvements nationalistes anticolonialistes pour arracher le contrôle sur leurs terres, marchés, souveraineté et destinée de l’emprise étrangère – tout comme les luttes anticolonialistes dans l’Inde hindou, la Chine confucéenne, le Vietnam bouddhiste et l’Afrique chrétienne et animiste.
Et certainement les Français se seraient, tout aussi volontiers, étendus sur une Algérie chrétienne pour s’emparer de ses riches terres agricoles et établir une colonie. Les Italiens eux non plus ne se sont laissé gêner par le christianisme de l’Ethiopie pour transformer ce pays en une colonie violemment administrée. En bref, il n’y a pas de raison de croire que la réaction du Moyen-Orient à l’agression colonialiste européenne aurait été significativement différente de la manière dont elle s’est effectivement déroulée sous l’Islam.
par Graham E. Fuller*
Mais permettez-moi de réfléchir un peu. Et s’il n’y avait pas une telle chose comme l’Islam? Et s’il n’y avait jamais eu de Prophète Mohammed, ni de saga de propagation de l’Islam à travers des grandes parties du Moyen-Orient, de l’Asie et de l’Afrique?
Etant donné notre actuelle focalisation sur le terrorisme, la guerre et l’antiaméricanisme rampant – l’un des sujets internationaux le plus émotionnel aujourd’hui –, il est vital de comprendre les vraies sources de ces crises. Est-ce l’Islam la source du problème, ou est-ce que cette source ne se trouve plutôt du côté de facteurs moins clairs et plus profonds?
Pour l’intérêt de l’argumentation, dans un effort d’imagination historique, faites-vous une image d’un Moyen-Orient dans lequel l’Islam n’est jamais apparu. Serions-nous alors épargnés de beaucoup des défis qui se trouvent aujourd’hui devant nous? Le Moyen-Orient serait-il plus pacifique? De combien le type des relations Est-Ouest serait-il différent? Sans l’Islam, il est sûr que l’ordre international présenterait une image très différente de celle d’aujourd’hui. Ou le ferait-il?
Si ce n’est pas l’Islam, qu’est-ce donc?
Depuis les premiers jours d’un large Moyen-Orient, l’Islam a visiblement façonné les normes culturelles voire même les préférences politiques de ses disciples. Comment pouvons-nous alors séparer l’Islam du Moyen-Orient? Comme il s’avère, ce n’est pas très difficile à imaginer.
Commençons par l’aspect ethnique. Sans l’Islam, le visage de la région va rester complexe et confus. Les groupes dominants au Moyen-Orient – Arabes, Perses, Turcs, Kurdes, Juifs, voire Berbères et Pachtounes – continueront à dominer la scène politique. Prenez les Perses à titre d’exemple: Longtemps avant l’Islam, les empires persans successifs se sont étendus jusqu’aux portes d’Athènes et étaient les rivaux perpétuels de quiconque habita l’Anatolie. Des peuples sémites contestant cette hégémonie ont combattu les Perses à travers le croissant fertile jusqu’en Irak. Et puis il y a les forces puissantes des diverses tribus et des commerçants arabes s’étendant et migrant dans d’autres régions sémites du Moyen-Orient avant l’Islam. Les Mon*goles auraient tout de même envahi et détruit les civilisations de l’Asie centrale et beaucoup du Moyen-Orient dans le XIIIe siècle. Les Turcs aurait aussi conquis l’Anatolie, les Balkans jusqu’à Vienne et une grande partie du Moyen-Orient. Ces luttes – pour le pouvoir, le territoire, l’influence et le commerce – existaient bien avant l’arrivée de l’Islam.
Cependant, c’est trop arbitraire d’exclure complètement la religion de l’équation. Si en réalité l’Islam n’a jamais émergé, la majeure partie du Moyen-Orient serait restée essentiellement chrétienne avec ses diverses sectes comme cela a été le cas à l’aube de l’Islam. En dehors de quelques Zoroastriens et un petit nombre de Juifs, pas d’autres groupes religieux d’une certaine importance n’y étaient présents.
Le monde européen à la recherche de bases économique et géopolitique
Mais est-ce que l’harmonie avec l’Ouest aurait-elle régné si le Moyen-Orient était resté chrétien? Cette idée semble être tirée par les cheveux. Nous devrions assumer que le monde européen médiéval agité et expansif n’avait pas étendu son pouvoir et son hégémonie à ses voisins de l’Est, à la recherche de bases économique et géopolitique. Après tout, qu’est-ce que ce seraient les Croisades si ce n’étaient pas une aventure occidentale menée essentiellement par des besoins politique, social et économique? La bannière du christianisme servait de symbole fort, de cri mobilisateur pour justifier les besoins profanes des Européens puissants. En effet, la religion particulière des autochtones ne figurait jamais en tête des causes de l’expansion impériale de l’Occident à travers la planète. L’Europe a prôné porter «les valeurs chrétiennes aux autochtones», mais l’objectif évident était d’établir des avant-postes coloniaux comme sources de richesse pour le pays colonisateur et des bases pour l’expansion du pouvoir occidental.
Ainsi il est improbable que les habitants chrétiens du Moyen-Orient aient bien reçu le flux des flottes européennes et leurs marchands protégés par les fusils occidentaux. L’impérialisme aurait prospéré dans le mosaïque ethnique complexe de la région – la matière brute du vieux jeu de diviser pour mieux régner. Et les Européens auraient toujours installé les mêmes dirigeants locaux serviles pour satisfaire leurs besoins.
Les Chrétiens non plus n’auraient bien accueilli les armées impériales
Avançons l’heure à l’époque du pétrole au Moyen-Orient. Les Etats du Moyen-Orient, même si chrétiens, auraient-ils bien accepté l’établissement des protectorats européens sur leur région? Certainement pas! L’Occident aurait toujours construit et contrôlé les mêmes points d’étranglement comme le canal du Suez. Ce n’était pas l’Islam qui a fait que les Etats du Moyen-Orient résistent vigoureusement aux projets coloniaux avec le nouveau traçage des frontières selon les préférences géopolitiques européennes. Non plus, ces Etats chrétiens du Moyen-Orient n’auraient-ils bien accueilli les compagnies pétrolières occidentales impériales, soutenues par des administrateurs européens, des diplomates, des agents de renseignements et des armées, pas plus que ce qu’ont fait les Musulmans. Regardez la longue histoire des réactions des Américains latins à la domination des Américains étatsuniens sur leurs pétrole, économie et politique. Le Moyen-Orient serait toujours aussi motivé pour créer des mouvements nationalistes anticolonialistes pour arracher le contrôle sur leurs terres, marchés, souveraineté et destinée de l’emprise étrangère – tout comme les luttes anticolonialistes dans l’Inde hindou, la Chine confucéenne, le Vietnam bouddhiste et l’Afrique chrétienne et animiste.
Et certainement les Français se seraient, tout aussi volontiers, étendus sur une Algérie chrétienne pour s’emparer de ses riches terres agricoles et établir une colonie. Les Italiens eux non plus ne se sont laissé gêner par le christianisme de l’Ethiopie pour transformer ce pays en une colonie violemment administrée. En bref, il n’y a pas de raison de croire que la réaction du Moyen-Orient à l’agression colonialiste européenne aurait été significativement différente de la manière dont elle s’est effectivement déroulée sous l’Islam.
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