Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Constantine, Ces Ponts La !

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Constantine, Ces Ponts La !

    Surpris de me retrouver ? M'auriez vous fait partir au diable vauvert ? Pourtant, depuis le temps que vous me connaissez, vous devriez être au fait de mes habitudes.

    Je prends toujours des vacances en été, pour revenir sitôt les premières pluies de l'automne. Je vais même vous surprendre en vous apprenant qu'autrefois, je ne prenais jamais de repos. Je m'ébaudissais alors de voir s'ébattre les embarcations ici même. Je vous devine incrédules et cela m'offense. Si vous ne me croyez pas, peut-être ajouteriez-vous foi, à ce qu'a relaté un des vôtres, un certain El Bekri. Mais, passons, à mon age on sait être indulgent à l'égard de la jeunesse et de ses travers.

    Si je comprends bien, vous souhaiteriez que je vous parle des ponts de celle-la, là haut, Constantine. Ah ! Ces ponts ! Ne vous en aurait-on pas assez rebattus les oreilles ? « Ponts-ci, pont là », les ciceroni n'ont que cela à la bouche ! Décidément je ne comprendrais jamais les hommes, qui au lieu de s'attacher à la pérennité, ne s'occupent que de l'éphémère. Car qu'est ce qu'un pont ? Sinon un précaire passage, par-dessus une contrariété ; Est qu'est ce que cela devant le temps ?

    Ce dernier ne m'est point inconnu, pour l'avoir pour compagnon depuis, excusez du barbarisme, le néo-pléistocène et ce rien qu'en ces lieux, qu'il m'est fort aise de voir vous plaire. Ne croyez surtout pas que je sois jaloux, disposerais-je de raisons suffisantes, pour l'être, que je ne le pourrais point. J'étais ici avant les ponts, je serai encore là après eux. Ils peuvent bien aujourd'hui me dominer du haut de leur superbe, oublient-ils que c'est grâce à moi, qu'occasion leur est offerte d'exister, l'abîme de leur contingence, j'en suis le maître d'œuvre !

    Enfin, à votre guise, qu'il ne soit pas dit qu'on essuie rebuffade de mon fait. Mais vous me le permettrez et pour ne point nous égarer, je ne m'en tiendrais qu'aux ponts contemporains.

    Il y a d'abord l'aîné, le bourgeois, bien établi et imbu de son importance, le pont d'El-Kantara, vous me passerez ce bilingue pléonasme, emprunté à vos usages idiomatiques. Ce pont, en vertu du droit d'aînesse a disposé de l'héritage de ses deux aïeux, le romain et le turc. Je sais que tout cela fait très « cosmopolitain », comme on disait avant, mais que voulez-vous, on ne choisit pas ses ancêtres, pas plus que ses ponts d'ailleurs. Son aïeul romain, devait être né aux premiers siècles de l'ère chrétienne. Quant au turc, il vécut entre 1792 (voyant le jour sous Salah-Bey, celui-là même que pleure la belle chanson) et 1857, à cette date il périt, écrasé de chagrin et par un régiment d'infanterie d'une armée arrivée dans la contrée vers 1837.


    Ici, laissez-moi vous confier, en farcissure de mon propos, pour emprunter aux Pensées, que si j'ai pu connaître beaucoup de gens, depuis les temps immémoriaux ou, si vous préférez, depuis le néolithique, je ne me suis attaché qu'aux enfants du pays et, dès lors, qu'ils ont adopté le croissant comme étendard, dusse t-il être le Pendon de Las Navas, il a été mien aussi.

    C'est vous dire, que je n'ai pas du tout apprécié ces soldats venus du nord, me toisant, me trouvant trop modeste à leur goût, ils osaient même des comparaison à mon désavantage !

    Mais revenons au pont d'El-Kantara, long de 127,5 mètres , large de 13, s'élevant à 125, il est né en 1863. Je ne l'aime pas ce pont, d'abord il est trop arrogant, ensuite il me fait ombrage, juste au moment où je me prépare à rencontrer les voûtes de travertin, que vous voyez là, des amies de longue date. Vous me concéderez, qu'en la circonstance, j'ai besoin de la lumière pour être à mon avantage, non d'un voyeur. Oui, car derrière la respectabilité à barbichette de ce pont d'El-Kantara (grasseyement prononcé), se cachent les mœurs les plus dissolues. Le gredin, comme tous ceux de son espèce, adore s'encanailler. Allez, allez donc voir, côté gare, toutes ces bouteilles vides de mauvais vin. Si ce n'est pas malheureux, ça se dit noble – en fait, il acheté son titre sous le second empire – et ça se saoule à la piquette.
    Ce n'est point comme Sidi-Rached, un pont solide, sain, qui ne rechigne nullement à la tache, plein de gouaille, adopté par le populaire, mascotte du vieux club sportif de la cité, le C.S.C. Le pont de Sidi-Rached est né en 1912, c'est un viaduc impressionnant, qui compte vingt-sept arches, dont l'une de 70 mètres , enjambe allègrement le vide. Pour une longueur de 447 mètres , il est large de 12. Il a ses racines plantées dans la vieille ville, près du sépulcre de son saint patron Sidi-Rached, dont a il toujours mérité du nom et de la bénédiction. Ce n'est pas comme ce « m'tourni » d'El-Kantara, qui aurait préféré, j'en pouffe, s'appeler Napoléon III.


    Et puis… il y a Dieudonné, fin et racé. Le pont suspendu. Beau et élégant, c'est un séducteur né. Depuis 1912, il éblouit tous ceux qui l'approchent. Sa silhouette avantageuse se profile idéalement sur l'azur, tel « un prince des nuées », qui jamais ne toucha sol. On ne lui reproche qu'une expression malheureuse : « je ne me permettrai jamais de frayer avec la populace », dont il aura fait une règle de vie. Mais, que voulez-vous, on ne lui en tient pas rigueur, nous autres roturiers, sommes toujours fascinés par l'éclat de l'aristocratie. Et puis…il est si haut à 175 mètres ! Quand on traverse ses 160 mètres, on ne le fait que respectueusement, craintivement, subrepticement…tant son port altier en impose.

    Enfin, il y a le plus jeune, né en 1925, appelé communément pont de l'Ascenseur, qui n'a jamais voulu grandir, jamais voulu être comme les autres. Fragile et marginal, on ne l'emprunt qu'à pied. Poète, il est d'un romantisme exacerbé. Passionné, il est parfois violent. Il faut l'avoir vu trembler comme feuille les jours de désespoir, quand le vent hurle à la mort. Tour à tour joyeux ou mélancolique, il est imprévisible… . On ne m'enlèvera pas de la tête que ce petiot est amoureux ! Filiforme, il suspend ses 125 mètres sur une hauteur de 116.


    Voilà donc les ponts de Constantine, auxquels il vous faudrait adjoindre le petit pont du gué des troupeaux, dont je n'aime pas ( vade retro ! ) le nom français, et celui des Chutes, où comme son nom l'indique, je chute. J'en profite pour rendre hommage à celle de Camus, bien que je ne sois ni juge ni pénitent et à celui-là d'un plat pays qui n'est pas le mien, bien qu'on fasse tous celui là qu'on attend quelque part, mais qu'on n'attend pas.

    Mes éparses impressions, auront répondu, un tant soit peu, j'ose l'espère, à votre attente. Vous daignerez m'excuser maintenant, car à l'approche de l'hiver, moult taches m'attendent. Je dois vous quitter et croyez que tout le plaisir a été pour moi. N'oubliez surtout pas de témoigner de ma bonne santé, le vieux RHUMMEL n'est pas prêt de devenir gâteux !

    Par Ahmed BENZELIKHA

    === MODERATION ===
    Evitez les caractères inutiles dans vos messages, svp. Lisez la FAQ : http://www.algerie-dz.com/forums/faq...edaction_topic
    « Great minds discuss ideas; average minds, events; small minds, people. » Eleanor ROOSEVELT

  • #2
    Bonsoir

    J'aime bien le style de cette plume.

    Merci pour ce voyage et cette traversée de l'histoire.

    Un réel plaisir cette lecture.
    “La vérité est rarement enterrée, elle est juste embusquée derrière des voiles de pudeur, de douleur, ou d’indifférence; encore faut-il que l’on désire passionnément écarter ces voiles” Amin Maalouf

    Commentaire


    • #3
      J'ai bien aimé aussi. Les ponts racontés par le fleuve.
      « Great minds discuss ideas; average minds, events; small minds, people. » Eleanor ROOSEVELT

      Commentaire


      • #4
        Blédard... Mon Rêve est de longer le Rhummel par le Chemin des Touristes.
        Le plus douloureux avec COnstantine, c'est que pour la quitter elle a arrache ces liens , ces cables, ces fils qui font ses ponts. Elle se coupe de nouveau dans un gouffre de tristesse et de larme.

        Commentaire


        • #5
          maloufia

          hein le texte on dirait du paul auster

          hey oui le chemin des touristes çà serait bien !



          « Great minds discuss ideas; average minds, events; small minds, people. » Eleanor ROOSEVELT

          Commentaire


          • #6
            On en a même fait un film. Sous le titre du "Livret d'Ampasaga". Le texte traduit par Benzelikha, en dialectal du cru, est lû par le regretté Baba Cherif Chouaieb qui tient le rôle du Rhummel. Savoureux !

            Commentaire

            Chargement...
            X