Privés de leurs familles, abandonnés, en danger moral et physique, plusieurs centaines d’enfants peuplent les rues d'Alger . Cette condition les oblige à errer de jour comme de nuit dans les affres du froid, en quête de quelques sous pour...«survivre».
Le problème des enfants qui errent dans nos grandes villes, et notamment à Alger, est un vrai drame pour l'Algérie. Pour en savoir plus, nous nous sommes astreints à faire le tour de la capitale, de nuit, en compagnie de secouristes, afin de découvrir ce monde marginal des enfants abandonnés. Nous sommes à bord de la clino-mobile du Samu social d’Alger. Il est 21h00, notre tournée nocturne démarre de Dely Ibrahim, à la périphérie d’Alger. Le thermomètre affiche moins 10°. Nous arrivons à la place des Martyrs. Sous les arcades, nous apercevons un jeune homme. Le corps frêle, allongé, est couvert de plusieurs cartons. Après avoir essayé maintes fois de lui parler, il finit par nous avouer, tout en refusant de dire son nom, qu’il vient de Mostaganem. Il a 25 ans, il vit dans la rue depuis l’âge de 10 ans.
Nos accompagnateurs, Zoubir, Kamel et Mourad, éducateurs de leur état, tentent de le convaincre de les suivre au centre où il sera pris en charge. Mais il refuse obstinément. Les causes de ce genre de situations sont nombreuses, même si les souffrances demeurent les mêmes. Est-il possible que notre société puisse accepter que des enfants s’épanouissent de façon harmonieuse dans l’affection de leurs parents et ne manquant de rien, alors que d’autres manquent de tout, même du morceau de pain pour calmer la faim, et surtout de la présence de cette famille qui les protége, les nourrit et leur donne l’affection dont ils ont besoin pour vivre dans un milieu équilibré. Au boulevard Amirouche, plusieurs SDF (sans domicile fixe), parmi eux des enfants, occupent différents coins. Dès que notre photographe Yacine a braqué son objectif pour les prendre en photo, les femmes se sont mises à hurler: «Balak tsaouerni!» (Attention, je ne veux pas de photo!). Pour les besoins de l’enquête, notre confrère n’en prend pas moins des photos, tout en conservant leur confidentialité.
L’horloge indique 23h00 lorsque nous arrivons à la rue Didouche-Mourad. Face à la Faculté centrale d’Alger, un adolescent, enveloppé dans une couverture, squatte une porte cochère. Le visage terrifié et les mains osseuses. Le malheureux s’est confié à nous, car nos accompagnateurs le connaissent déjà et ont l’habitude de s’occuper de lui. Fumant une cigarette, il déclare qu’il a 16 ans et s’appelle Abdelkrim. Il vient de Blida et vit dans la rue depuis l’âge de 12 ans. «Mes parents ont divorcé lorsque j’avais 2 ans», affirme-t-il. Il poursuivra: «Quand mon père s’est remarié, son épouse l’a convaincu de me placer dans un centre de rééducation à Alger. Après quelques jours passés au centre, j’ai fui pour vivre dans la rue.» Il ajoute, pathétique: «Je veux revoir ma maman!»
Ces enfants sont exposés à tous les dangers. Ils constituent la catégorie de la société la plus exposée aux multiples formes de privations, d’exploitation et de délinquance. Il est presque minuit, notre tournée s’achève à El Kettani dans le quartier mythique de Bab El Oued. Nos accompagnateurs nous emmènent vers un groupe de jeunes adolescents qui se sont entassés dans un chantier. Parmi eux, Nassim, 20 ans; il est dans la rue depuis 10 ans. Ses parents sont divorcés. Il ne sait pas où aller. «Je suis un accro au diluant, la colle et la peinture dorée. Cela me calme et me donne un sentiment de liberté», affirme-t-il.
Le Samu social est devenu un patchwork
La plupart des enfants de la rue sombrent dans la drogue. A défaut, elle est remplacée directement par la colle de cordonnier ou le diluant. Ce dernier, en fait, est la vraie drogue des pauvres. C’est la plus répandue. On la verse dans un sac en plastique avant de l’inhaler. Il arrive souvent que, faute de colle, les enfants errants débouchent les réservoirs d’essence des voitures pour en inhaler les vapeurs nocives.
Alors que des moyens énormes sont dépensés pour permettre aux enfants de l’Algérie de vivre dignement, il existe une catégorie qui demeure marginalisée, sans perspective d’avenir. Les enfants de la rue sont une réalité sur laquelle il est impossible aujourd’hui de jeter un voile par pudeur. Les autorités sont interpellées et se doivent d’agir.
«Avec 110 milliards de dollars de réserves de changes, notre pays a les moyens de régler ce problème. Malheureusement, plus le nombre des enfants en danger moral et physique, appelés communément les enfants de la rue, est élevé, plus il traduit une incohérence sociale», nous a déclaré le Pr Mustapha Khiati, président de la Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (Forem). L’intervenant estime que «l’Etat doit prendre en charge ces enfants en désignant des médiateurs sociaux. Il faut donner les moyens aux associations pour récupérer ces enfants». Et de souligner: «La durée de vie de ces enfants est courte, car ils finissent très mal».
Il indique, d’autre part, qu’«un professeur algérien avait fait une enquête sur les enfants de la rue en 1999. Il a découvert que quelques-uns, dont des filles, étaient atteints du sida. Ils squattaient le square Port Saïd (Alger)». Pourquoi ces SDF fuient-ils les centres d’accueil? «Parce qu’ils sont mal encadrés. Ils nécessitent des psychologues qualifiés. Les enfants pris en charge dans ces centres d’accueil se sentent emprisonnés. Il faut revoir toutes la politique de prise en charge», explique-t-il.
«Dans notre centre, on ne prend pas d’enfants de la rue. Nous ne prenons que les enfants accompagnés de leurs parents», regrette Mustapha Alilat, directeur général du Samu (Service d’aide mobile d’urgence) d’Alger. Cette structure, située à Dely Ibrahim, relève de la wilaya d’Alger. Il poursuit:
«Notre centre dispose de 200 lits. On n’arrive pas à couvrir toutes les demandes. Le Samu social est devenu une sorte de patchwork. A partir de là, on a soumis une demande à la wilaya d’Alger pour créer un centre spécial pour les SDF, en général, dont les enfants de la rue». L’interlocuteur estime qu’«il faut créer des centres spécialisés pour les mineurs: les filles dans un centre et les garçons dans un autre à part. La même mesure s’applique aux adultes». Il enchaînera: «L’Etat et les associations ne peuvent apporter qu’un accompagnement éducatif. C’est à la personne, elle-même, de trouver ses moyens de subsistance.»
Un observatoire pour l’enfance
Selon des sources proches du ministère de la Solidarité nationale, «une enquête a été élaborée en 2000 par le Centre national d’étude et d’analyse pour la planification (Ceneap) sur le phénomène des enfants de la rue en Algérie. L’objectif étant d’évaluer ce cas et de connaître son ampleur et ses causes afin d’en tirer les enseignements pour extraire ces enfants de la rue». Notre source ajoute: «Suite à cette enquête, nous avons installé le Samu social à Birkhadem (Alger). Il compte un pavillon réservé aux enfants de la rue. C’était la première opération pilote au niveau d’Alger.» Et d’enchaîner: «On a remarqué que la plupart des enfants de la rue sont issus de familles disloquées. Certains viennent de familles recomposées. En outre, il y a la maltraitance des enfants au sein de la famille. Il y a également le Samu social Algérie qui s’occupe de cette frange». La même source affirme qu’«au courant de l’année 2008, on installera à Alger un observatoire pour les enfants en danger moral et physique. Ce sera un Samu social sous tutelle du ministère de la Solidarité».
S’agissant du Samu social Algérie, notre source indique: «L’enveloppe dégagée pour la prise en charge des SDF dont les enfants de la rue, de 2004 à 2007, s’est élevée à 19 milliards de dinars.»
Concernant les statistiques, «l’on a recensé 2919 enfants de la rue qui ont été pris en charge par le ministère de la Solidarité dans les 48 wilayas et ce, de 2003 à 2007. En clair, il y a 1807 enfants de la naissance à 9 ans et 1112 enfants de 10 à 19 ans», bien qu’il n’existe pas de statistiques exactes. Les causes de cette déperdition infantile sont diverses dont la principale est la démission parentale.
A propos des centres d’accueil, notre source souligne qu’ «il y a 76 structures d’accueil réparties à travers le territoire national. Elles sont d’une capacité de 2377 places d’hébergement par jour. D’autres structures sont prévues à Hadjout, Tizi Ouzou, Tlemcen, Oran...bref, dans les grandes villes, là où il y a des enfants abandonnés, livrés à eux-mêmes».
Le problème des enfants qui errent dans nos grandes villes, et notamment à Alger, est un vrai drame pour l'Algérie. Pour en savoir plus, nous nous sommes astreints à faire le tour de la capitale, de nuit, en compagnie de secouristes, afin de découvrir ce monde marginal des enfants abandonnés. Nous sommes à bord de la clino-mobile du Samu social d’Alger. Il est 21h00, notre tournée nocturne démarre de Dely Ibrahim, à la périphérie d’Alger. Le thermomètre affiche moins 10°. Nous arrivons à la place des Martyrs. Sous les arcades, nous apercevons un jeune homme. Le corps frêle, allongé, est couvert de plusieurs cartons. Après avoir essayé maintes fois de lui parler, il finit par nous avouer, tout en refusant de dire son nom, qu’il vient de Mostaganem. Il a 25 ans, il vit dans la rue depuis l’âge de 10 ans.
Nos accompagnateurs, Zoubir, Kamel et Mourad, éducateurs de leur état, tentent de le convaincre de les suivre au centre où il sera pris en charge. Mais il refuse obstinément. Les causes de ce genre de situations sont nombreuses, même si les souffrances demeurent les mêmes. Est-il possible que notre société puisse accepter que des enfants s’épanouissent de façon harmonieuse dans l’affection de leurs parents et ne manquant de rien, alors que d’autres manquent de tout, même du morceau de pain pour calmer la faim, et surtout de la présence de cette famille qui les protége, les nourrit et leur donne l’affection dont ils ont besoin pour vivre dans un milieu équilibré. Au boulevard Amirouche, plusieurs SDF (sans domicile fixe), parmi eux des enfants, occupent différents coins. Dès que notre photographe Yacine a braqué son objectif pour les prendre en photo, les femmes se sont mises à hurler: «Balak tsaouerni!» (Attention, je ne veux pas de photo!). Pour les besoins de l’enquête, notre confrère n’en prend pas moins des photos, tout en conservant leur confidentialité.
L’horloge indique 23h00 lorsque nous arrivons à la rue Didouche-Mourad. Face à la Faculté centrale d’Alger, un adolescent, enveloppé dans une couverture, squatte une porte cochère. Le visage terrifié et les mains osseuses. Le malheureux s’est confié à nous, car nos accompagnateurs le connaissent déjà et ont l’habitude de s’occuper de lui. Fumant une cigarette, il déclare qu’il a 16 ans et s’appelle Abdelkrim. Il vient de Blida et vit dans la rue depuis l’âge de 12 ans. «Mes parents ont divorcé lorsque j’avais 2 ans», affirme-t-il. Il poursuivra: «Quand mon père s’est remarié, son épouse l’a convaincu de me placer dans un centre de rééducation à Alger. Après quelques jours passés au centre, j’ai fui pour vivre dans la rue.» Il ajoute, pathétique: «Je veux revoir ma maman!»
Ces enfants sont exposés à tous les dangers. Ils constituent la catégorie de la société la plus exposée aux multiples formes de privations, d’exploitation et de délinquance. Il est presque minuit, notre tournée s’achève à El Kettani dans le quartier mythique de Bab El Oued. Nos accompagnateurs nous emmènent vers un groupe de jeunes adolescents qui se sont entassés dans un chantier. Parmi eux, Nassim, 20 ans; il est dans la rue depuis 10 ans. Ses parents sont divorcés. Il ne sait pas où aller. «Je suis un accro au diluant, la colle et la peinture dorée. Cela me calme et me donne un sentiment de liberté», affirme-t-il.
Le Samu social est devenu un patchwork
La plupart des enfants de la rue sombrent dans la drogue. A défaut, elle est remplacée directement par la colle de cordonnier ou le diluant. Ce dernier, en fait, est la vraie drogue des pauvres. C’est la plus répandue. On la verse dans un sac en plastique avant de l’inhaler. Il arrive souvent que, faute de colle, les enfants errants débouchent les réservoirs d’essence des voitures pour en inhaler les vapeurs nocives.
Alors que des moyens énormes sont dépensés pour permettre aux enfants de l’Algérie de vivre dignement, il existe une catégorie qui demeure marginalisée, sans perspective d’avenir. Les enfants de la rue sont une réalité sur laquelle il est impossible aujourd’hui de jeter un voile par pudeur. Les autorités sont interpellées et se doivent d’agir.
«Avec 110 milliards de dollars de réserves de changes, notre pays a les moyens de régler ce problème. Malheureusement, plus le nombre des enfants en danger moral et physique, appelés communément les enfants de la rue, est élevé, plus il traduit une incohérence sociale», nous a déclaré le Pr Mustapha Khiati, président de la Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (Forem). L’intervenant estime que «l’Etat doit prendre en charge ces enfants en désignant des médiateurs sociaux. Il faut donner les moyens aux associations pour récupérer ces enfants». Et de souligner: «La durée de vie de ces enfants est courte, car ils finissent très mal».
Il indique, d’autre part, qu’«un professeur algérien avait fait une enquête sur les enfants de la rue en 1999. Il a découvert que quelques-uns, dont des filles, étaient atteints du sida. Ils squattaient le square Port Saïd (Alger)». Pourquoi ces SDF fuient-ils les centres d’accueil? «Parce qu’ils sont mal encadrés. Ils nécessitent des psychologues qualifiés. Les enfants pris en charge dans ces centres d’accueil se sentent emprisonnés. Il faut revoir toutes la politique de prise en charge», explique-t-il.
«Dans notre centre, on ne prend pas d’enfants de la rue. Nous ne prenons que les enfants accompagnés de leurs parents», regrette Mustapha Alilat, directeur général du Samu (Service d’aide mobile d’urgence) d’Alger. Cette structure, située à Dely Ibrahim, relève de la wilaya d’Alger. Il poursuit:
«Notre centre dispose de 200 lits. On n’arrive pas à couvrir toutes les demandes. Le Samu social est devenu une sorte de patchwork. A partir de là, on a soumis une demande à la wilaya d’Alger pour créer un centre spécial pour les SDF, en général, dont les enfants de la rue». L’interlocuteur estime qu’«il faut créer des centres spécialisés pour les mineurs: les filles dans un centre et les garçons dans un autre à part. La même mesure s’applique aux adultes». Il enchaînera: «L’Etat et les associations ne peuvent apporter qu’un accompagnement éducatif. C’est à la personne, elle-même, de trouver ses moyens de subsistance.»
Un observatoire pour l’enfance
Selon des sources proches du ministère de la Solidarité nationale, «une enquête a été élaborée en 2000 par le Centre national d’étude et d’analyse pour la planification (Ceneap) sur le phénomène des enfants de la rue en Algérie. L’objectif étant d’évaluer ce cas et de connaître son ampleur et ses causes afin d’en tirer les enseignements pour extraire ces enfants de la rue». Notre source ajoute: «Suite à cette enquête, nous avons installé le Samu social à Birkhadem (Alger). Il compte un pavillon réservé aux enfants de la rue. C’était la première opération pilote au niveau d’Alger.» Et d’enchaîner: «On a remarqué que la plupart des enfants de la rue sont issus de familles disloquées. Certains viennent de familles recomposées. En outre, il y a la maltraitance des enfants au sein de la famille. Il y a également le Samu social Algérie qui s’occupe de cette frange». La même source affirme qu’«au courant de l’année 2008, on installera à Alger un observatoire pour les enfants en danger moral et physique. Ce sera un Samu social sous tutelle du ministère de la Solidarité».
S’agissant du Samu social Algérie, notre source indique: «L’enveloppe dégagée pour la prise en charge des SDF dont les enfants de la rue, de 2004 à 2007, s’est élevée à 19 milliards de dinars.»
Concernant les statistiques, «l’on a recensé 2919 enfants de la rue qui ont été pris en charge par le ministère de la Solidarité dans les 48 wilayas et ce, de 2003 à 2007. En clair, il y a 1807 enfants de la naissance à 9 ans et 1112 enfants de 10 à 19 ans», bien qu’il n’existe pas de statistiques exactes. Les causes de cette déperdition infantile sont diverses dont la principale est la démission parentale.
A propos des centres d’accueil, notre source souligne qu’ «il y a 76 structures d’accueil réparties à travers le territoire national. Elles sont d’une capacité de 2377 places d’hébergement par jour. D’autres structures sont prévues à Hadjout, Tizi Ouzou, Tlemcen, Oran...bref, dans les grandes villes, là où il y a des enfants abandonnés, livrés à eux-mêmes».
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