Du temps des indépendances, le Maghreb renaissant: Chronologie et faits d'une animosité[1]
Paul Balta disait: "Ces hommes [les Maghrébins] ont toujours manifesté leur goût de l'indépendance et une farouche volonté de protéger leur identité face à tous les conquérants …"[2]. Ce constat historique prouve à lui seul la complexité du traitement des relations régionales et interrégionales au Maghreb. Ce goût d'indépendance ne se manifeste guère et seulement contre l'occupant étranger, il se manifeste dans plusieurs cas contre le voisin immédiat, contre la tribu limitrophe et même contre le gouverneur reconnu comme tel. L'existence même des Etats en Afrique du Nord ne peut s'expliquer que par la conquête militaire du pouvoir d'une frange de la société contre une autre, la religion ou autre idéologie ne sert que comme point d'appui et de légitimation à l'acte. Prenant le cas du Maroc lequel à connu l'édification des plus grands Etats locaux et indigènes, depuis les Almoravides aux Alaouites les cinq grandes dynasties ( nous faisant fi des autres dynasties minimes supposées intermèdes de l'histoire), qui ont gouverné l'espace en question étaient des Bédouins conquérants généralement venus du Sud. Elles ont été farouchement combattu au début comme elles seront farouchement défendues avant leurs chutes.[3] Les mêmes dynasties en plus d'autres, tel les Fatimides de Tunisie, essayèrent d'établirent des unions vite compromises par ce sentiment d'indépendance.[4]
Avec la colonisation ce rêve impérial d'union trouva en la France une certaine concrétisation, laquelle démontre vite l'imbroglio de ce Maghreb, solidaire à outrance contre l'étranger, et disloqué la veille de son départ.
En retraçant l'histoire de cette chimère d'union maghrébine on remarque que depuis le début du XX° siècle ce sentiment a trouvé un terrain de prédilection basé sur la supposition des caractères communs considérés comme "… constantes historiques, facteurs unitaires qui perdurent de nos jours [et] ont, de tout temps, enflammé l'imaginaire maghrébin."[5] De ce fait une vision unitaire moderne se manifesta au Maghreb sous l'influence du mouvement de la Nahda (Renaissance) arabe naît en Orient, ainsi que le mouvement Salafia, en y mêlant un brin de modernisme. Des rassemblements de jeunesse apparaissent dans tout le Maghreb, tel les Jeunes tunisiens en 1907, les jeunes algériens en 1914 et les jeunes marocains en 1919.
Entre 1915 et 1916 des mouvements algériens et tunisiens préconisèrent et établirent les premières genèses modernes à l'élaboration et au lancement de l'idée d'un Etat nord africain. Suivit des mouvements nationaux qui se formèrent dans la région entre 1920 et 1947; 1920 le Neo-Destour, 1934 L'Etoile nord africaine en Algérie qui précéda le Parti du Peuple Algérien créé par le père du nationalisme algérien Hadj Messali et en 1934 le Comité d'Action Marocain, qui se scinda en 1937 en deux mouvements, d'où naîtront deux grands partis rivaux; L'Istiqlal de Allal el-Fassi en 1943 et le Parti Démocratique de l'Indépendance de Mohammed Ben el-Hassan al-Ouazzani en 1946.
Tous ces mouvements trouveront leur point commun avec l'évasion et l'installation au Caire en 1947 du leader de la guerre du Rif; Mohammed Ben Abdelkerim el-Khattabi. Avec la création du Bureau du Maghreb Arabe en 1948, les partis marocains et tunisiens adhérèrent à la charte du Caire sans pour autant être de fervents défenseurs de sa ligne politique. En même temps les Algériens qui préconisèrent une action militaire contre l'occupation française virent leur proposition mal acceptée par les Marocains et les Tunisiens, plus aptes à une activité politique souple, basée sur la négociation, en harmonie avec le statut de protectorat qui leurs a été imposé, par opposition à la situation de colonie qui date de 1830 dont soufrait l'Algérie.
Cette année marqua le début réel des clivages entre les mouvements nationaux maghrébins. Les Tunisiens et les Marocains adoptèrent l'idéal de l'unité du Maghreb sans pour autant décliner le sentiment nationaliste local et même égoïste. Ils ont marqué tous les deux une nette différence à l'encontre de la vision militariste du mouvement algérien, régi à l'époque par le PPA, qui verra sa pleine maturité avec le FLN héritier de ce dernier en 1954.[6]
A partire de cette date des animosités et des querelles politiques et personnelles envenimeront les relations inter maghrébines jusqu'à nos jours. L'historiographie elle-même ne nous aide guère dans la quête de la vérité. Rare sont les archives disponibles de ces mouvements, le vide et vite comblé par diverses déclarations et narrations chauvines des différents leaders. C'est dans ce contexte par exemple qu'on parle d'un accord secret en 1955 entre les dirigeants du FLN et Allal el-Fassi et Salah Ben Youssef afin de s'engager et de participer activement aux côtés des algériens dans leur lutte armée, accord qui resta lettre morte selon les déclarations de Houari Boumediene; il à seulement omit de spécifier qu'au même moment la Tunisie venait d'accéder à une large autonomie fruit de luttes politiques et nationales acharnés, de même que le Maroc était en phase ou sûrement prés de son indépendance.
A côté des animosités personnelles, il y avait tant de discordes et de tonalités de perceptions des différents projets d'unification, entre la fédération ou la confédération ou autre conception politique. Au même instant, le Maroc indépendant avec la consolidation de son système monarchique, qui ne faisait q'un avec le mouvement national, ne pu concevoir une unité suivant les conceptions du FLN, de même pour la Tunisie qui s'est vu offrire un système républicain à parti unique avec son leader charismatique Habib Bourguiba. Et même ces deux derniers n'étaient presque jamais sur la même longueur d'ondes.
Un des plus grands projets d'unification et non des moins discutable en 1956 fut l'idée d'une Confédération Maghrébo-française, ce qui aurait dû mettre fin à la guerre d'Algérie. Idée soutenue d'une "certaine manière" par la Tunisie et le Maroc et mal vue par les Algériens, le doute et même permit concernant l'appui marocain de par sa vision monarchiste, sans pour autant parler de la main mise du parti nationaliste de l'Istiqlal sur la politique étrangère comme interne au Maroc, la Tunisie de Bourguiba, non plus, n'était nullement militante de l'internationalisme.[7]
[1]Avant tout nous proposons de ne traiter que les trois principaux protagonistes maghrébins: l'Algérie le Maroc et la Tunisie, la Libye et la Mauritanie ne faisaient pas office de grands acteurs déterminant dans la marche historique dont nous proposons l'évaluation.
[2] Balta Paul, 1990, Le grand Maghreb des indépendances à l'an 2000, paris, la découverte, p. 15.
[3] Laroui Abdallah, 1982, l'Histoire du Maghreb; un essai de synthèse, Paris, François Maspero, pp. 147 et suiv.
[4] Laroui, A., 1982, pp. 123-127, 147 et suiv.
[5] Balta, P., 1990, p. 17.
[6] Balta, P., 1990, pp. 20-22
[7] Balta, P., 1990, p. 23
- Cohen Bernard, 1986, Bourguiba le Pouvoir d'un seul, Flamarion, p. 33.
A suivre...
Paul Balta disait: "Ces hommes [les Maghrébins] ont toujours manifesté leur goût de l'indépendance et une farouche volonté de protéger leur identité face à tous les conquérants …"[2]. Ce constat historique prouve à lui seul la complexité du traitement des relations régionales et interrégionales au Maghreb. Ce goût d'indépendance ne se manifeste guère et seulement contre l'occupant étranger, il se manifeste dans plusieurs cas contre le voisin immédiat, contre la tribu limitrophe et même contre le gouverneur reconnu comme tel. L'existence même des Etats en Afrique du Nord ne peut s'expliquer que par la conquête militaire du pouvoir d'une frange de la société contre une autre, la religion ou autre idéologie ne sert que comme point d'appui et de légitimation à l'acte. Prenant le cas du Maroc lequel à connu l'édification des plus grands Etats locaux et indigènes, depuis les Almoravides aux Alaouites les cinq grandes dynasties ( nous faisant fi des autres dynasties minimes supposées intermèdes de l'histoire), qui ont gouverné l'espace en question étaient des Bédouins conquérants généralement venus du Sud. Elles ont été farouchement combattu au début comme elles seront farouchement défendues avant leurs chutes.[3] Les mêmes dynasties en plus d'autres, tel les Fatimides de Tunisie, essayèrent d'établirent des unions vite compromises par ce sentiment d'indépendance.[4]
Avec la colonisation ce rêve impérial d'union trouva en la France une certaine concrétisation, laquelle démontre vite l'imbroglio de ce Maghreb, solidaire à outrance contre l'étranger, et disloqué la veille de son départ.
En retraçant l'histoire de cette chimère d'union maghrébine on remarque que depuis le début du XX° siècle ce sentiment a trouvé un terrain de prédilection basé sur la supposition des caractères communs considérés comme "… constantes historiques, facteurs unitaires qui perdurent de nos jours [et] ont, de tout temps, enflammé l'imaginaire maghrébin."[5] De ce fait une vision unitaire moderne se manifesta au Maghreb sous l'influence du mouvement de la Nahda (Renaissance) arabe naît en Orient, ainsi que le mouvement Salafia, en y mêlant un brin de modernisme. Des rassemblements de jeunesse apparaissent dans tout le Maghreb, tel les Jeunes tunisiens en 1907, les jeunes algériens en 1914 et les jeunes marocains en 1919.
Entre 1915 et 1916 des mouvements algériens et tunisiens préconisèrent et établirent les premières genèses modernes à l'élaboration et au lancement de l'idée d'un Etat nord africain. Suivit des mouvements nationaux qui se formèrent dans la région entre 1920 et 1947; 1920 le Neo-Destour, 1934 L'Etoile nord africaine en Algérie qui précéda le Parti du Peuple Algérien créé par le père du nationalisme algérien Hadj Messali et en 1934 le Comité d'Action Marocain, qui se scinda en 1937 en deux mouvements, d'où naîtront deux grands partis rivaux; L'Istiqlal de Allal el-Fassi en 1943 et le Parti Démocratique de l'Indépendance de Mohammed Ben el-Hassan al-Ouazzani en 1946.
Tous ces mouvements trouveront leur point commun avec l'évasion et l'installation au Caire en 1947 du leader de la guerre du Rif; Mohammed Ben Abdelkerim el-Khattabi. Avec la création du Bureau du Maghreb Arabe en 1948, les partis marocains et tunisiens adhérèrent à la charte du Caire sans pour autant être de fervents défenseurs de sa ligne politique. En même temps les Algériens qui préconisèrent une action militaire contre l'occupation française virent leur proposition mal acceptée par les Marocains et les Tunisiens, plus aptes à une activité politique souple, basée sur la négociation, en harmonie avec le statut de protectorat qui leurs a été imposé, par opposition à la situation de colonie qui date de 1830 dont soufrait l'Algérie.
Cette année marqua le début réel des clivages entre les mouvements nationaux maghrébins. Les Tunisiens et les Marocains adoptèrent l'idéal de l'unité du Maghreb sans pour autant décliner le sentiment nationaliste local et même égoïste. Ils ont marqué tous les deux une nette différence à l'encontre de la vision militariste du mouvement algérien, régi à l'époque par le PPA, qui verra sa pleine maturité avec le FLN héritier de ce dernier en 1954.[6]
A partire de cette date des animosités et des querelles politiques et personnelles envenimeront les relations inter maghrébines jusqu'à nos jours. L'historiographie elle-même ne nous aide guère dans la quête de la vérité. Rare sont les archives disponibles de ces mouvements, le vide et vite comblé par diverses déclarations et narrations chauvines des différents leaders. C'est dans ce contexte par exemple qu'on parle d'un accord secret en 1955 entre les dirigeants du FLN et Allal el-Fassi et Salah Ben Youssef afin de s'engager et de participer activement aux côtés des algériens dans leur lutte armée, accord qui resta lettre morte selon les déclarations de Houari Boumediene; il à seulement omit de spécifier qu'au même moment la Tunisie venait d'accéder à une large autonomie fruit de luttes politiques et nationales acharnés, de même que le Maroc était en phase ou sûrement prés de son indépendance.
A côté des animosités personnelles, il y avait tant de discordes et de tonalités de perceptions des différents projets d'unification, entre la fédération ou la confédération ou autre conception politique. Au même instant, le Maroc indépendant avec la consolidation de son système monarchique, qui ne faisait q'un avec le mouvement national, ne pu concevoir une unité suivant les conceptions du FLN, de même pour la Tunisie qui s'est vu offrire un système républicain à parti unique avec son leader charismatique Habib Bourguiba. Et même ces deux derniers n'étaient presque jamais sur la même longueur d'ondes.
Un des plus grands projets d'unification et non des moins discutable en 1956 fut l'idée d'une Confédération Maghrébo-française, ce qui aurait dû mettre fin à la guerre d'Algérie. Idée soutenue d'une "certaine manière" par la Tunisie et le Maroc et mal vue par les Algériens, le doute et même permit concernant l'appui marocain de par sa vision monarchiste, sans pour autant parler de la main mise du parti nationaliste de l'Istiqlal sur la politique étrangère comme interne au Maroc, la Tunisie de Bourguiba, non plus, n'était nullement militante de l'internationalisme.[7]
[1]Avant tout nous proposons de ne traiter que les trois principaux protagonistes maghrébins: l'Algérie le Maroc et la Tunisie, la Libye et la Mauritanie ne faisaient pas office de grands acteurs déterminant dans la marche historique dont nous proposons l'évaluation.
[2] Balta Paul, 1990, Le grand Maghreb des indépendances à l'an 2000, paris, la découverte, p. 15.
[3] Laroui Abdallah, 1982, l'Histoire du Maghreb; un essai de synthèse, Paris, François Maspero, pp. 147 et suiv.
[4] Laroui, A., 1982, pp. 123-127, 147 et suiv.
[5] Balta, P., 1990, p. 17.
[6] Balta, P., 1990, pp. 20-22
[7] Balta, P., 1990, p. 23
- Cohen Bernard, 1986, Bourguiba le Pouvoir d'un seul, Flamarion, p. 33.
A suivre...
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