Salaires. Et si on libéralisait le SMIG ?
Des voix au patronat réclament le décloisonnement du salaire minimum. Pour certains, c’est une dérive dangereuse, pour d’autres c’est une mise en conformité avec la réalité du terrain. Et pour le gouvernement ?
Silence radio.
Si le SMIG (le salaire minimum interprofessionnel garanti) n’existait pas, on ne l’aurait certainement pas inventé. Tout laisse croire que, bientôt, le débat sur la réforme de la législation du travail sera entamé. Les horaires de travail, la syndicalisation des salariés, la flexibilité de l’emploi… Tout y passera. Et encore une fois, l’emblématique question du SMIG sera au centre d’un débat passionné. En tout cas, des prémices le laissent entrevoir. La preuve : l’association marocaine des industries du textiles et de l’habillement (Amith) a proposé au Premier ministre un SMIG régional. D’autres sources ciblent, carrément, la libéralisation du SMIG. Rien que ça ! Des conseillers du Premier ministre nient avoir reçu une demande en ce sens. Cela se comprend, le dossier est sensible et il faut éviter de chatouiller le dragon avant de l’avoir apprivoisé. Du côté des syndicats justement, aucune discussion n’a encore été entamée. Plusieurs sources syndicales affirment avoir eu vent de la libéralisation du SMIG (ils ne s’en étonnent pas, d’ailleurs) et attendent que le gouvernement les saisisse à ce sujet. Mais d’ores et déjà, les centrales syndicales affichent un niet catégorique à une telle mesure. Et elles ne sont pas les seules.
La libéralisation repose tout bonnement sur la disparition du minimum de rémunération garanti. La loi impose en effet un minimum vital. L’expression ne date pas d’aujourd’hui. Nous la devons à l’école classique de la pensée économique (19ème siècle). Selon cette théorie, un bon travailleur a besoin d’un minimum de salaire qui corresponde à ses besoins les plus élémentaires. Depuis, la définition a quelque peu évolué pour se politiser davantage. Mais sur le fond, la règle est que la rémunération colle au niveau de vie du moment en tenant compte de la conjoncture. Les organismes internationaux ont fait de cette théorie leur leitmotiv. Sur le plan législatif, le Maroc adhère à ce principe. Dans les textes uniquement. La réalité est toute autre. "Simplement parce que nous savons tous que dans certains secteurs industriels, quelques patrons n’hésitent pas à employer du personnel en dessous du SMIG légal et sans aucune déclaration sociale, SMIG libéralisé ou pas. Si nos produits ne sont pas compétitifs, ce n’est pas la libéralisation du SMIG qui va y changer quelque chose", martèle Bouchaïb Serhani, consultant chez Gesper Services. Ce dernier met, en effet, le doigt sur l’un des arguments les plus avancés pour soutenir l’idée de la libéralisation. La disparition de la rémunération minimale est motivée par la compétitivité du Maroc. "Nous perdons des emplois parce que les investisseurs partent ailleurs (au Sri lanka, en Chine…). Nous pouvons les garder chez nous et en inciter d’autres à venir si le SMIG est aligné sur celui de nos concurrents", soutient un opérateur de textile. Jamal Belahrech, patron de Manpower, ne partage pas cette position. Pour lui, "la législation est déjà mise à mal par les dépassements du terrain. Aller jusqu’à éliminer le SMIG, cela ouvrira la voie à des abus que personne ne peut maîtriser". D’autant plus que, selon ce spécialiste du travail temporaire, "La compétition nous oppose davantage aux pays de l’Europe de l’Est dont le SMIG dépasse le nôtre avec des conditions de vie meilleures". Sans oublier que "le SMIG est déjà libéralisé" conclut-il.
Le SMIG réel tombe à 1200 DH
Selon les statistiques de la CNSS, 80% de la masse salariale déclarée touche moins de 3500 dirhams. Le cœur de cible de la libéralisation se situe à ce niveau. Mais là, nous sommes dans le secteur structuré. L’autre vérité amère fait état d’un SMIG parallèle ne dépassant pas 1200 dirhams. Selon des sources proches de l’UMT, sur les 500.000 travailleurs que compte le secteur agricole, moins de 10% touchent le salaire minimum légal.L’industrie ne fait pas mieux."La pratique du recrutement de stagiaire, ramène le salaire à 500 dirhams par mois, alors que le taux de production par personne est le même que celui d'un employé confirmé", renchérit une source syndicale. Bouchaïb Serhani va encore plus loin, en affirmant que les déclarations à la caisse sociale révèlent des aberrations. "L’analyse des déclarations donne la fausse impression que des entreprises fonctionnent à temps partiel. En fait, celles-ci ne déclarent que le taux horaire qui les arrange, alors qu’elles tournent, en réalité, à plein régime". La question qui se pose est celle de savoir s’il serait judicieux de libéraliser officiellement le SMIG, pour s’aligner sur les pratiques du marché. Hammad Kessal, président de la fédération de la PME, est catégorique : "Cela porterait atteinte au pouvoir d’achat d’une population déjà en situation précaire. Nous voulons développer la consommation interne et non pas la réduire à néant. Et si cette libéralisation a lieu, toute la politique sociale du gouvernement sera sans substance, car elle a été bâtie sur des revenus bien déterminés". Il reste cependant l’option de la régionalisation du SMIG.
Le SMIG régional repose sur le principe de la rémunération en fonction du coût de la vie. Chaque région a son rythme de dépenses et, de ce fait, requiert un traitement à part. Karim Tazi, président de l’Amith est l’un des défenseurs de cette théorie. "Le Maroc est en train de perdre des emplois à cause de la rigidité de sa législation sociale", souligne-t-il. Son idée est de permettre une délocalisation intra Maroc en fonction des salaires proposés. "Si un investisseur veut payer 1200 ou 1300 dirhams de salaire, il doit pouvoir le faire en s’ installant dans des régions où le coût de la vie est plus faible. La valeur du SMIG à Casablanca n’est pas la même que celle de la région de Guercif par exemple", explique Karim Tazi. Sur la possibilité d’appliquer une telle mesure, le patron des textiliens argue que Driss Jettou est moins choqué par la régionalisation du SMIG que par l’exonération des charges sociales. Autrement dit, il n’est pas contre. Qu’en est-il des syndicats ? Le mot d’ordre chez les centrales syndicales est l’uniformité des salaires. Elles ont déjà cautionné le salaire sectoriel en séparant celui de l’agriculture de celui de l’industrie et elles s’en mordent aujourdh'ui les doigts.
http://www.telquel-online.com/171/eco_sujet_171.shtml
Des voix au patronat réclament le décloisonnement du salaire minimum. Pour certains, c’est une dérive dangereuse, pour d’autres c’est une mise en conformité avec la réalité du terrain. Et pour le gouvernement ?
Silence radio.
Si le SMIG (le salaire minimum interprofessionnel garanti) n’existait pas, on ne l’aurait certainement pas inventé. Tout laisse croire que, bientôt, le débat sur la réforme de la législation du travail sera entamé. Les horaires de travail, la syndicalisation des salariés, la flexibilité de l’emploi… Tout y passera. Et encore une fois, l’emblématique question du SMIG sera au centre d’un débat passionné. En tout cas, des prémices le laissent entrevoir. La preuve : l’association marocaine des industries du textiles et de l’habillement (Amith) a proposé au Premier ministre un SMIG régional. D’autres sources ciblent, carrément, la libéralisation du SMIG. Rien que ça ! Des conseillers du Premier ministre nient avoir reçu une demande en ce sens. Cela se comprend, le dossier est sensible et il faut éviter de chatouiller le dragon avant de l’avoir apprivoisé. Du côté des syndicats justement, aucune discussion n’a encore été entamée. Plusieurs sources syndicales affirment avoir eu vent de la libéralisation du SMIG (ils ne s’en étonnent pas, d’ailleurs) et attendent que le gouvernement les saisisse à ce sujet. Mais d’ores et déjà, les centrales syndicales affichent un niet catégorique à une telle mesure. Et elles ne sont pas les seules.
La libéralisation repose tout bonnement sur la disparition du minimum de rémunération garanti. La loi impose en effet un minimum vital. L’expression ne date pas d’aujourd’hui. Nous la devons à l’école classique de la pensée économique (19ème siècle). Selon cette théorie, un bon travailleur a besoin d’un minimum de salaire qui corresponde à ses besoins les plus élémentaires. Depuis, la définition a quelque peu évolué pour se politiser davantage. Mais sur le fond, la règle est que la rémunération colle au niveau de vie du moment en tenant compte de la conjoncture. Les organismes internationaux ont fait de cette théorie leur leitmotiv. Sur le plan législatif, le Maroc adhère à ce principe. Dans les textes uniquement. La réalité est toute autre. "Simplement parce que nous savons tous que dans certains secteurs industriels, quelques patrons n’hésitent pas à employer du personnel en dessous du SMIG légal et sans aucune déclaration sociale, SMIG libéralisé ou pas. Si nos produits ne sont pas compétitifs, ce n’est pas la libéralisation du SMIG qui va y changer quelque chose", martèle Bouchaïb Serhani, consultant chez Gesper Services. Ce dernier met, en effet, le doigt sur l’un des arguments les plus avancés pour soutenir l’idée de la libéralisation. La disparition de la rémunération minimale est motivée par la compétitivité du Maroc. "Nous perdons des emplois parce que les investisseurs partent ailleurs (au Sri lanka, en Chine…). Nous pouvons les garder chez nous et en inciter d’autres à venir si le SMIG est aligné sur celui de nos concurrents", soutient un opérateur de textile. Jamal Belahrech, patron de Manpower, ne partage pas cette position. Pour lui, "la législation est déjà mise à mal par les dépassements du terrain. Aller jusqu’à éliminer le SMIG, cela ouvrira la voie à des abus que personne ne peut maîtriser". D’autant plus que, selon ce spécialiste du travail temporaire, "La compétition nous oppose davantage aux pays de l’Europe de l’Est dont le SMIG dépasse le nôtre avec des conditions de vie meilleures". Sans oublier que "le SMIG est déjà libéralisé" conclut-il.
Le SMIG réel tombe à 1200 DH
Selon les statistiques de la CNSS, 80% de la masse salariale déclarée touche moins de 3500 dirhams. Le cœur de cible de la libéralisation se situe à ce niveau. Mais là, nous sommes dans le secteur structuré. L’autre vérité amère fait état d’un SMIG parallèle ne dépassant pas 1200 dirhams. Selon des sources proches de l’UMT, sur les 500.000 travailleurs que compte le secteur agricole, moins de 10% touchent le salaire minimum légal.L’industrie ne fait pas mieux."La pratique du recrutement de stagiaire, ramène le salaire à 500 dirhams par mois, alors que le taux de production par personne est le même que celui d'un employé confirmé", renchérit une source syndicale. Bouchaïb Serhani va encore plus loin, en affirmant que les déclarations à la caisse sociale révèlent des aberrations. "L’analyse des déclarations donne la fausse impression que des entreprises fonctionnent à temps partiel. En fait, celles-ci ne déclarent que le taux horaire qui les arrange, alors qu’elles tournent, en réalité, à plein régime". La question qui se pose est celle de savoir s’il serait judicieux de libéraliser officiellement le SMIG, pour s’aligner sur les pratiques du marché. Hammad Kessal, président de la fédération de la PME, est catégorique : "Cela porterait atteinte au pouvoir d’achat d’une population déjà en situation précaire. Nous voulons développer la consommation interne et non pas la réduire à néant. Et si cette libéralisation a lieu, toute la politique sociale du gouvernement sera sans substance, car elle a été bâtie sur des revenus bien déterminés". Il reste cependant l’option de la régionalisation du SMIG.
Le SMIG régional repose sur le principe de la rémunération en fonction du coût de la vie. Chaque région a son rythme de dépenses et, de ce fait, requiert un traitement à part. Karim Tazi, président de l’Amith est l’un des défenseurs de cette théorie. "Le Maroc est en train de perdre des emplois à cause de la rigidité de sa législation sociale", souligne-t-il. Son idée est de permettre une délocalisation intra Maroc en fonction des salaires proposés. "Si un investisseur veut payer 1200 ou 1300 dirhams de salaire, il doit pouvoir le faire en s’ installant dans des régions où le coût de la vie est plus faible. La valeur du SMIG à Casablanca n’est pas la même que celle de la région de Guercif par exemple", explique Karim Tazi. Sur la possibilité d’appliquer une telle mesure, le patron des textiliens argue que Driss Jettou est moins choqué par la régionalisation du SMIG que par l’exonération des charges sociales. Autrement dit, il n’est pas contre. Qu’en est-il des syndicats ? Le mot d’ordre chez les centrales syndicales est l’uniformité des salaires. Elles ont déjà cautionné le salaire sectoriel en séparant celui de l’agriculture de celui de l’industrie et elles s’en mordent aujourdh'ui les doigts.
http://www.telquel-online.com/171/eco_sujet_171.shtml
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