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Dar El Kofr, Dar El Islam, Dar Essbitar

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    Dar El Kofr, Dar El Islam, Dar Essbitar
    par Kamel Daoud (Q.O)
    Outre le problème de la langue qui n'est pas commune aux deux parties, le dialogue voulu entre l'Etat et les harraga souffre d'un problème de sincérité. Il n'y a pas, en effet, un autre mot pour accrocher cette malhonnêteté qui frappe dans le nouveau souci de l'Etat pour les Algériens qui partent sans lui demander son avis. Fondamentalement, essentiellement et en profondeur, les Algériens croient que leur mort ne fait jamais mal à l'Etat et a tendance à alléger ses charges. Les Algériens n'étant pas une communauté vivante, la mort de ses individus ne pose pas de problème de morale, ne heurte pas la sensibilité collective et ne provoque ni remords ni culpabilité. Le peuple est important mais pas ceux qui le composent et s'y décomposent dans l'anonymat de la pesée. D'où l'impossibilité de l'épopée chez nous, de la figure individuelle du héros ou d'un Mahatma. Chaque Algérien est seul et surtout face à son Etat et peut crever autant qu'il veut, il ne dérange personne. D'où l'évidence: le problème des harraga n'est pas un problème de morale pour l'Etat. L'Etat n'est pas heurté par les cadavres repêchés car tout le monde sait ce que pense l'Etat des Algériens pris un par un et surtout s'ils sont pauvres et geignards. D'un autre côté, tout le monde sait que les régimes du Sud ne se soucient pas de l'équilibre démographique et économique de l'Occident du Nord. La lutte contre l'immigration clandestine a toujours été une molle coopération entre les deux rives, un moyen de chantage contre l'Occident, une rente pour obtenir des équipements ou des fonds du porte-monnaie de l'Europe. «Payez-moi sinon je les lâche», a dit un dictateur de nos voisinages. Et l'Europe paye car ce qu'elle craint le plus, ce sont les invasions barbares.

    En conclusion, en Algérie la lutte contre l'émigration clandestine reste encore artisanale parce que même ceux qui sont chargés de la mener ne comprennent pas pourquoi ils doivent empêcher des gens de partir vivre, mieux ou pire, ailleurs. Les gardes-côtes, les juges, les gendarmes et les ministres et l'ENTV peuvent condamner le phénomène en public mais, en privé, tous savent que «même le Prophète a émigré», selon la réponse d'un harrag à une juge à Oran, lors de son procès. Alors qu'est-ce qui peut motiver une politique de «lutte» contre la harga ? Peu de choses: peut-être seulement le souci esthétique d'une meilleure image nationale face au public international. A force de répéter qu'il n'est pas normal que l'on fuit un pays riche comme l'Algérie, on finit par dire tout haut que c'est un pays de voleurs. D'où ce souci de lier le dialogue avec les harraga qui ont échoué en filtrant un peu les candidats à l'expression. Car si on prend un harrag non contrôlé et on lui demande «pourquoi ?», il finira par parler comme un parti, agir comme un opposant et demander des comptes comme un citoyen. L'Etat ne le veut pas et donc hésite à parler avec «ces gens-là» et le fait avec des arguments inattendus, genre «n'allez pas dans les pays des Koffar où vous serez enterrés en chrétiens !». Un jeu de confusion entre Dar El Kofr, Dar El Islam alors que tous vivent dans Dar Essbitar.

    L'autre question étant «qui sont ces gens-là avec qui l'Etat veut dialoguer ?». Pour les harraga-canal historique, ce ne sont pas des harraga puisqu'ils ont échoué et ont fini par revenir ou se faire prendre. L'Etat ne peut en effet ni dialoguer avec ceux qui sont partis parce qu'ils sont arrivés, ni avec ceux qui ne sont pas encore partis parce qu'ils sont invisibles puisqu'ils n'ont pas encore tenté le coup alors qu'ils constituent cette grosse majorité invisible qu'on n'arrive pas à convaincre. Que reste-t-il sur l'estrade ? D'abord les représentants de l'Etat qui ont échoué à construire, et les représentants des harraga qui ont échoué à partir. Pas de quoi convaincre le reste des spectateurs. Et puisqu'en Algérie tout fonctionne sur le mérite de la transgression, l'Etat a même consacré une règle: il écoute ceux qui ont brûlé des pneus, ceux qui ont pris des armes ou ceux qui ont pris la mer et qui se sont fait prendre. Les autres ? Ils ont les mains vides. Sur l'échelle de la légitimité, un chômeur harrag, même malchanceux, a désormais la priorité de l'attention et de la subvention sur un chômeur terrestre et piéton. Prendre une barque, la percer à quelques centaines de mètres de la côte, le faire sous les yeux des gardes-côtes, se faire rapatrier et attendre le ministre. Il y a là peut-être un filon pour ceux qui sont intelligents !
    @Source: Quotidien d'Oran
    Mieux vaut un cauchemar qui finit qu’un rêve inaccessible qui ne finit pas…
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