Deuxième partie.
L'echec des Etats, une nouvelle génération.
Avec un tel credo, l'Amicale est mise à mal. La contestation gauchiste l'atteint rapidement. Créé en 1972 par d'anciens maoïste de la Gauche prolétarienne, le Mouvement des travailleurs arabes (MTA) conteste son pouvoir. Qualifié par Alger "d'agence sioniste", ce courant produit de fortes figures militantes loin du sillage de l'Amicale. A mille lieues de la révolution agraire du colonel Boumediene qui commence dans les années 70, une génération trouve ses marques. Les bastions de l'Amicale sont menacés, submergés. Les jeunes Algériens ont tourné la page.
Au début des années 80, cette même génération crée le journal Sans frontière (SF). Véritable creuset pour tous ceux qui émergent des banlieues, SF s'enracine peu à peu dans la France métissée qui pointe son nez. Plus question, pour la plupart de ces jeunes d'origine immigrée, de vivre en Algérie. Pour son cinquième anniversaire en 1984, le journal lance un vibrant "Tchao l'immigration"
Chez ces enfants d'immigrés, une nouvelle conscience se forge à Nanterre, aux Minguettes ou dans les quartiers nord de Marseille. Les crimes racistes contre les jeunes Maghrébins provoquent de fortes mobilisations locales. Beaucoup commencent à prendre la parole. L'Amicale devrait les approcher, les démarcher. Il n'en est rien. Toutes ces ruptures fondatrices de revendications nouvelles intéressent moins Alger que les arcanes de la classe politique française.
Le pouvoir algérien cultive une parfaite connaissance de l'Etat français. Rarement un pays aura eu de telles entrées dans l'appareil étatique français. Durant les années 70, le régime de Houari Boumediene choisit l'alliance avec la gauche française. Le fossé s'est creusé entre le régime de Valéry Giscard d'Estaing et une Algérie socialiste qui passe pour La Mecque du tiers-mondisme. Les relations du chef d'Etat français avec le reste du monde arabe sont pourtant assez bonnes : refus d'extrader le dirigeant palestinien Abou Daoud soupçonné par les Allemands d'avoir participé au massacre des jeux Olympiques de Munich ; vente d'un réacteur nucléaire à l'Irak ; lancement de l'idée d'un Institut du monde arabe.
C'est véritablement Valéry Giscard d'Estaing qui capitalise, en terme de marchés et de contrats, la fameuse politique arabe de ses prédécesseurs. Le numéro deux du parti giscardien, successivement secrétaire d'Etat aux Affaires algériennes puis président de la commission des Affaires étrangères, le prince de Broglie, est un ami traditionnel de l'Algérie. Ses relations sont notamment excellente avec Said Rahal, l'homme d'affaire de Kasdi Merbah, alors chef de la Sécurité militaire algérienne, qui avait fait du bar Alexandre, en face du Fouquet's, son quartier général. Aujourd'hui, l'établissement est fermé, Rahal vit à Genève avec son fils Akli. Le prince de Broglie et Kasdi Merbah ont été l'un et l'autre assassinés.
Cependant, entre l'Algérie et le président Giscard d'Estaing, le courant passe mal. En 1975, minutieusement préparé par Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères, le voyage du président français est un échec. "On a fait des efforts, on a voulu se réconcilier avec le peuple français, déclare à l'époque Boumediene, il n'y a sans doute pas de réconciliation possible pour les générations qui ont vécu la guerre d'indépendance." Et d'ajouter : "Nous travaillons avec le monde entier, la France ne nous mettra pas à genoux." Qu'une vague d'attentats racistes secoue la France, et l'Algérie durcit le ton. Le rapatriement des corps des jeunes Maghrébins abattus dans les banlieues donne lieu à Alger à de grande manifestations. Le président Boumediene qui décide le 19 septembre 1973 de suspendre toute émigration se rend lui-même à l'aéroport. "Nous cultivons cette émotion, c'est vrai, nous avons obtenu beaucoup de choses comme cela des Français", admet un proche compagnon et ancien ministre de Boumediene, Cherif Belkacem.
A Paris, le climat se détériore vite. Le président de l'Amicale, Abdelkrim Gheraieb, est régulièrement convoqué par le ministre de l'Intérieur, Michel Poniatowski.
"Je ne voudrais pas, martèle le ministre, que l'immigration devienne un enjeu politique. Les syndicats nous ont toujours fort bien accueillis, notamment la CGT et la CFDT, répond avec fermeté l'Algérien, nous travaillons régulièrement avec eux." En revanche, avec la gauche francaise, les liens se resserrent. Au départ, pourtant , Alger se montre constamment réservé face à François Mitterrand qui compte peu d'amis dans le monde arabe. Les Algériens se souviennent du ministre de l'Intérieur qu'il fut sous la IVe République en 1956. Les responsabilité qu'ils lui prêtent dans l'exécution, dans des conditions obscures, de Larbi Ben M'hidi, un des chefs du FLN, et son attitude tranchée au moment de l'expédition de Suez ne militent pas en sa faveur. Il n'empêche : l'alliance avec la gauche passe par un rapprochement avec François Mitterrand. En 1976, peu après la visite de Valéry Giscard d'Estaing, le premier secrétaire du parti socialiste est pourtant accueilli de l'autre côté de la Méditerranée comme un homme d'Etat. A la tête d'une délégation imposante comprenant Pierre Joxe, Lionel Jospin et Claude Estier, François Mitterrand a tout mis en oeuvre pour que son voyage en Algérie soit une réussite. "Il fallait lever le malentendu, Mitterrand savait que la gauche avait besoin du soutien algérien", affirme Alain Chenal, militant socialiste, qui avait préparé le voyage et acheté l'épée ciselée que le premier secrétaire du PS offrit au président algérien.
D'autres socialistes prendront le chemin d'Alger avant mai 1981. On y verra Michel Rocard, qui a rencontré Boumediene dès 1970 à l'occasion de l'enterrement de Nasser, ainsi que Jack Lang qui fit venir de nombreuses troupes algériennes au festival de Nancy. Beaucoup de militants de gauche débarquent à Alger pour prendre possession de quelques valises bien pleines que leur remettent leurs amis algériens. Une société est créée dans le IXe arrondissement, Expansial, aidée par l'ambassade. Son but officiel ? C'est la coopération technique et les études de faisabilité sur l'Algérie. Mais les amis politiques ne sont pas les plus mal servis. "On s'est beaucoup aidé mutuellement, y compris sur le plan financier", reconnaît aujourd'hui à Alger le président de l'Amicale d'alors, Abdelkrim Gheraieb, qui eut les meilleures relations avec l'ensemble des leaders de la gauche française. Jusqu'à assister à la fête de L'Humanité, à laquelle une délégation du FLN ne manquait jamais de se rendre.
Phare du tiers-monde, l'Algérie de Boumediene conserve une grande aura chez beaucoup de cadre socialistes et communistes.
Une partie de la presse militante est financée par Alger, comme Afrique-Asie, grâce notamment aux encarts publicitaires qu'achetaient régulièrement les grandes sociétés nationales algériennes. Son directeur, Simon Malley, envoyait en guise de cadeau de fin d'année des caisses de dattes dont le pourvoyeur n'était autre que le ministère de l'Intérieur algérien. La fidélité à l'Algérie de cette presse tiers-mondiste est à toute épreuve : lorsqu'en 1978 Boumediene est dans le coma, Afrique-Asie titre : "Echec aux rumeurs". Las, entre le bouclage et la parution du journal, Boumediene meurt, sans que la une du journal puisse être modifiée.
En 1979, à l'arrivée du nouveau président Chadli Bendjedid, la nomination d'un nouveau président pour l'Amicale, Abdelkrim Souici, membre aujourd'hui du comité central du FLN, ne modifie pas la donne. Sobre et rigoureux, Souici ne sera certainement pas le créateur d'un grand lobby algérien. Ancien de la Fédération de France, ce révolutionaire fuit les receptions et les mondanités. Pour cet ancien militant, l'époque de la clandestinité n'est pas révolue. Pas même question de donner son adresse ou son numéro de téléphone à ses proches. Lorsqu'il emménage dans la résidence réservée au président de l'Amicale, Quai d'Orsay, Souici fait acheter douze serviettes neuves. Lors de son départ, six ans plus tard, son successeur découvre que six d'entre elle n'ont pas été touchées. "L'argent du peuple" est sacré.
Seule action d'éclat, Souici transfère le siège de l'Amicale d'un modeste appartement de la rue Louis-le-Grand, propriété d'Air Algérie près de l'Opéra, vers le joli hôtel particulier de la rue de Boileau, dans le XVIe arrondissement. Il faut au moins un tel faste, pense-t-on à Alger, pour recevoir les militants socialistes ou communistes devenus ministres. Les premiers contacts avec la gauche au pouvoir sont excellents. Le contrat de 1982 sur le gaz naturel donne une nouvelle impulsion aux rapports entre les deux pays. Parallèlement, les services de la DST rencontrent leurs homologues algériens pour la première fois depuis l'indépendance algérienne. Le patron de la DST de l'époque, Yve Bonnet, est l'artisan de ce rapprochement. Aujourd'hui député UDF, il préside le groupe d'amitié parlementaire franco-algérienne.
La suite...
L'echec des Etats, une nouvelle génération.
Avec un tel credo, l'Amicale est mise à mal. La contestation gauchiste l'atteint rapidement. Créé en 1972 par d'anciens maoïste de la Gauche prolétarienne, le Mouvement des travailleurs arabes (MTA) conteste son pouvoir. Qualifié par Alger "d'agence sioniste", ce courant produit de fortes figures militantes loin du sillage de l'Amicale. A mille lieues de la révolution agraire du colonel Boumediene qui commence dans les années 70, une génération trouve ses marques. Les bastions de l'Amicale sont menacés, submergés. Les jeunes Algériens ont tourné la page.
Au début des années 80, cette même génération crée le journal Sans frontière (SF). Véritable creuset pour tous ceux qui émergent des banlieues, SF s'enracine peu à peu dans la France métissée qui pointe son nez. Plus question, pour la plupart de ces jeunes d'origine immigrée, de vivre en Algérie. Pour son cinquième anniversaire en 1984, le journal lance un vibrant "Tchao l'immigration"
Chez ces enfants d'immigrés, une nouvelle conscience se forge à Nanterre, aux Minguettes ou dans les quartiers nord de Marseille. Les crimes racistes contre les jeunes Maghrébins provoquent de fortes mobilisations locales. Beaucoup commencent à prendre la parole. L'Amicale devrait les approcher, les démarcher. Il n'en est rien. Toutes ces ruptures fondatrices de revendications nouvelles intéressent moins Alger que les arcanes de la classe politique française.
Le pouvoir algérien cultive une parfaite connaissance de l'Etat français. Rarement un pays aura eu de telles entrées dans l'appareil étatique français. Durant les années 70, le régime de Houari Boumediene choisit l'alliance avec la gauche française. Le fossé s'est creusé entre le régime de Valéry Giscard d'Estaing et une Algérie socialiste qui passe pour La Mecque du tiers-mondisme. Les relations du chef d'Etat français avec le reste du monde arabe sont pourtant assez bonnes : refus d'extrader le dirigeant palestinien Abou Daoud soupçonné par les Allemands d'avoir participé au massacre des jeux Olympiques de Munich ; vente d'un réacteur nucléaire à l'Irak ; lancement de l'idée d'un Institut du monde arabe.
C'est véritablement Valéry Giscard d'Estaing qui capitalise, en terme de marchés et de contrats, la fameuse politique arabe de ses prédécesseurs. Le numéro deux du parti giscardien, successivement secrétaire d'Etat aux Affaires algériennes puis président de la commission des Affaires étrangères, le prince de Broglie, est un ami traditionnel de l'Algérie. Ses relations sont notamment excellente avec Said Rahal, l'homme d'affaire de Kasdi Merbah, alors chef de la Sécurité militaire algérienne, qui avait fait du bar Alexandre, en face du Fouquet's, son quartier général. Aujourd'hui, l'établissement est fermé, Rahal vit à Genève avec son fils Akli. Le prince de Broglie et Kasdi Merbah ont été l'un et l'autre assassinés.
Cependant, entre l'Algérie et le président Giscard d'Estaing, le courant passe mal. En 1975, minutieusement préparé par Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères, le voyage du président français est un échec. "On a fait des efforts, on a voulu se réconcilier avec le peuple français, déclare à l'époque Boumediene, il n'y a sans doute pas de réconciliation possible pour les générations qui ont vécu la guerre d'indépendance." Et d'ajouter : "Nous travaillons avec le monde entier, la France ne nous mettra pas à genoux." Qu'une vague d'attentats racistes secoue la France, et l'Algérie durcit le ton. Le rapatriement des corps des jeunes Maghrébins abattus dans les banlieues donne lieu à Alger à de grande manifestations. Le président Boumediene qui décide le 19 septembre 1973 de suspendre toute émigration se rend lui-même à l'aéroport. "Nous cultivons cette émotion, c'est vrai, nous avons obtenu beaucoup de choses comme cela des Français", admet un proche compagnon et ancien ministre de Boumediene, Cherif Belkacem.
A Paris, le climat se détériore vite. Le président de l'Amicale, Abdelkrim Gheraieb, est régulièrement convoqué par le ministre de l'Intérieur, Michel Poniatowski.
"Je ne voudrais pas, martèle le ministre, que l'immigration devienne un enjeu politique. Les syndicats nous ont toujours fort bien accueillis, notamment la CGT et la CFDT, répond avec fermeté l'Algérien, nous travaillons régulièrement avec eux." En revanche, avec la gauche francaise, les liens se resserrent. Au départ, pourtant , Alger se montre constamment réservé face à François Mitterrand qui compte peu d'amis dans le monde arabe. Les Algériens se souviennent du ministre de l'Intérieur qu'il fut sous la IVe République en 1956. Les responsabilité qu'ils lui prêtent dans l'exécution, dans des conditions obscures, de Larbi Ben M'hidi, un des chefs du FLN, et son attitude tranchée au moment de l'expédition de Suez ne militent pas en sa faveur. Il n'empêche : l'alliance avec la gauche passe par un rapprochement avec François Mitterrand. En 1976, peu après la visite de Valéry Giscard d'Estaing, le premier secrétaire du parti socialiste est pourtant accueilli de l'autre côté de la Méditerranée comme un homme d'Etat. A la tête d'une délégation imposante comprenant Pierre Joxe, Lionel Jospin et Claude Estier, François Mitterrand a tout mis en oeuvre pour que son voyage en Algérie soit une réussite. "Il fallait lever le malentendu, Mitterrand savait que la gauche avait besoin du soutien algérien", affirme Alain Chenal, militant socialiste, qui avait préparé le voyage et acheté l'épée ciselée que le premier secrétaire du PS offrit au président algérien.
D'autres socialistes prendront le chemin d'Alger avant mai 1981. On y verra Michel Rocard, qui a rencontré Boumediene dès 1970 à l'occasion de l'enterrement de Nasser, ainsi que Jack Lang qui fit venir de nombreuses troupes algériennes au festival de Nancy. Beaucoup de militants de gauche débarquent à Alger pour prendre possession de quelques valises bien pleines que leur remettent leurs amis algériens. Une société est créée dans le IXe arrondissement, Expansial, aidée par l'ambassade. Son but officiel ? C'est la coopération technique et les études de faisabilité sur l'Algérie. Mais les amis politiques ne sont pas les plus mal servis. "On s'est beaucoup aidé mutuellement, y compris sur le plan financier", reconnaît aujourd'hui à Alger le président de l'Amicale d'alors, Abdelkrim Gheraieb, qui eut les meilleures relations avec l'ensemble des leaders de la gauche française. Jusqu'à assister à la fête de L'Humanité, à laquelle une délégation du FLN ne manquait jamais de se rendre.
Phare du tiers-monde, l'Algérie de Boumediene conserve une grande aura chez beaucoup de cadre socialistes et communistes.
Une partie de la presse militante est financée par Alger, comme Afrique-Asie, grâce notamment aux encarts publicitaires qu'achetaient régulièrement les grandes sociétés nationales algériennes. Son directeur, Simon Malley, envoyait en guise de cadeau de fin d'année des caisses de dattes dont le pourvoyeur n'était autre que le ministère de l'Intérieur algérien. La fidélité à l'Algérie de cette presse tiers-mondiste est à toute épreuve : lorsqu'en 1978 Boumediene est dans le coma, Afrique-Asie titre : "Echec aux rumeurs". Las, entre le bouclage et la parution du journal, Boumediene meurt, sans que la une du journal puisse être modifiée.
En 1979, à l'arrivée du nouveau président Chadli Bendjedid, la nomination d'un nouveau président pour l'Amicale, Abdelkrim Souici, membre aujourd'hui du comité central du FLN, ne modifie pas la donne. Sobre et rigoureux, Souici ne sera certainement pas le créateur d'un grand lobby algérien. Ancien de la Fédération de France, ce révolutionaire fuit les receptions et les mondanités. Pour cet ancien militant, l'époque de la clandestinité n'est pas révolue. Pas même question de donner son adresse ou son numéro de téléphone à ses proches. Lorsqu'il emménage dans la résidence réservée au président de l'Amicale, Quai d'Orsay, Souici fait acheter douze serviettes neuves. Lors de son départ, six ans plus tard, son successeur découvre que six d'entre elle n'ont pas été touchées. "L'argent du peuple" est sacré.
Seule action d'éclat, Souici transfère le siège de l'Amicale d'un modeste appartement de la rue Louis-le-Grand, propriété d'Air Algérie près de l'Opéra, vers le joli hôtel particulier de la rue de Boileau, dans le XVIe arrondissement. Il faut au moins un tel faste, pense-t-on à Alger, pour recevoir les militants socialistes ou communistes devenus ministres. Les premiers contacts avec la gauche au pouvoir sont excellents. Le contrat de 1982 sur le gaz naturel donne une nouvelle impulsion aux rapports entre les deux pays. Parallèlement, les services de la DST rencontrent leurs homologues algériens pour la première fois depuis l'indépendance algérienne. Le patron de la DST de l'époque, Yve Bonnet, est l'artisan de ce rapprochement. Aujourd'hui député UDF, il préside le groupe d'amitié parlementaire franco-algérienne.
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